L’Orbe pâle/Ce matin, le battement de mon cœur

Eugène Figuière et Cie (p. 63-64).


CE matin, le battement de mon cœur a répondu à l’appel du canon. Quel rude réveil à mon sommeil paisible, paisible à l’aube après la veille lunaire.

Sous la lune, j’avais vu les monstres de guerre. Ils attendaient… la guerre qui peut-être, hélas ! ne viendra pas.

Aujourd’hui, les monstres se sont stérilement battus avec acharnement.

Je voyais le feu que vomissait le canon, puis, longtemps après, j’entendais comme on entend le tonnerre, le bruit terrible longtemps après que l’éclair a rayé la mer. Puis encore après, très loin, au large, devant l’île, je voyais s’élever un immense et merveilleux jet d’eau, qui semblait caresser le flanc montagneux de l’île et qui retombait dans la mer. Les feux aux gueules formidables des canons, se succédaient presque sans interruption, puis les bruits effroyables et les lumineuses gerbes d’eau.

Quel puissant spectacle sous le soleil ! mais dans cette lumière et cette nature, quel spectacle peu sinistre, et si peu évocateur de mort !

C’était un jeu de géants, de géants qui aiment les jeux du feu et de la mort, qui se plaisent au bruit et qui créent des jeux d’eau temporaires.

Le spectacle n’était pas sinistre, mais comme il était puissant ! Et comme ces jeux de géants apaisaient l’attente par leurs feux, leur bruit, leur lumière… et leur chimère.