L’Orbe pâle/Ce matin, j’ai regardé le bouquet pâle

Eugène Figuière et Cie (p. 32-33).


CE matin, j’ai regardé le bouquet pâle : gloire, amour, mort, si pâles. Dans ma chambre violée par le soleil, il imposait désharmonieusement son aspect lunaire. Trop de lune depuis trop de nuits est sur moi, autour de moi, en moi.

Le soleil n’a-t-il donc plus ses fleurs ? Pourquoi tout est-il blanc dans le jardin autour de ma maison ? Les germes lunaires ont tous éclos, leurs fleurs, ont tout envahi. La mer garde-t-elle donc tout le soleil ? La lune, depuis trop de nuits, triomphe.

Je me penche au balustre de la terrasse pour trouver l’introuvable, ce qui n’est point pâle.

Alors mes yeux s’élargissent, mes reins se cambrent. Sous ma fenêtre, ce matin, le soleil a épanoui de la couleur. Une ardeur troue la blancheur des myrtes, des marguerites et des ciguës. C’est plus qu’une couleur, c’est la couleur.

Un géranium rouge éclate et triomphe.

Ce soir, au clair de lune, j’ai cueilli le sanglant géranium. Je l’ai piqué royalement parmi les blancheurs symboliques qui évoquent si pâlement Bellone, Vénus, Perséphone ! Et cette nuit, la couleur de sang qui symbolise ma gloire, mon amour et ma mort, triomphe sous la lune qui ne l’éteint pas.

Le bouquet a son orgueil, comme moi-même ; l’orgueil qui veille et que la lune ne vainc pas.

La sauterelle petite et frêle, immobile depuis qu’elle fut cueillie, respirera cette nuit l’âcre odeur du soleil, comme moi celle du désir.

L’attente se colore. Viendrait-elle l’heure rouge, éclore les géraniums du désir, sous la lune ?

Tandis que parmi toutes les pâleurs, éblouissant la gloire, l’amour et la mort, s’épanouira, au soleil chaud du Désir en domptant la nuit lunaire, la somptueuse et vibrante et enivrante Rose rouge.