L’Orbe pâle/Ce Soir, une immense caresse lumineuse

Eugène Figuière et Cie (p. 34-35).


CE soir, une immense caresse lumineuse, souple et lente, a passé tout à coup sur la mer. Je l’ai sentie sur moi.

Un cuirassé — avant-coureur ou fugitif ? j’ignore tout de ces batailles lointaines — inspectait la mer jusqu’à la rive ; qu’a-t-il vu ?

Mais quelle terrible lumière, déchirant le mystère de la nuit pour lui arracher sa vérité ! Et dans une caresse !

J’ai senti, jusqu’en moi, la cruelle caresse lumineuse, plus douce d’être si fourbe.

La lune tardive n’avait pas encore dépassé l’horizon ; elle apparaissait comme une aube, et à cet instant seulement ressemblait, au soleil, au soleil qui va se lever. L’horizon pâle était rosé.

Pourquoi la blafarde lune a-t-elle une aurore rose à peine plus pâle que celle du soleil ?

Toutes les aubes se ressemblent, peut-être, car elles ne sont qu’un cœur de possibilités ; les réalités seules, selon leur puissance, s’individualisent.

La lune n’était pas levée encore, et la caresse monstrueuse du monstre fut toute la lumière.

Déjà, dans le crépuscule, j’avais aperçu deux ombres étranges glissant au loin sur la mer qui s’apaisait. Je n’avais pas deviné.

Maintenant, à nouveau, le tonnerre des canons éclate.

Après trois jours de paix c’est encore la guerre ici.

L’Escadre invisible, est présente par les formidables ondes sonores qui parviennent jusqu’à moi. Elles ne pénètrent pas encore la maison solitaire pour y secouer le silence, mais elles grondent comme une menace.

Dans la nuit paisible, un chien, d’une voix aiguë aboie follement ; un autre, formidablement hurle à la mort.

Que prévoient-ils ? qu’attendent-ils ?

Tout le reste est encore silence, tout ce qui n’est pas l’orage encore lointain, l’orage de sons que déchaînent les monstres appuyés lourdement sur la mer, sur laquelle ils apparaissent obscurs, car peu à peu, elle reflète la lueur de la lune blafarde qui ascensionne.