L’Encyclopédie/1re édition/THYMBRÉE

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THYMBRÉE, (Géogr. anc.) Thymbraïa ou Thymbrara ; c’est le nom d’une ville de la Troade, fondée par Dardanus, & un fleuve sur le bord duquel les Troyens avoient consacré un temple à Apollon surnommé par cette raison Thymbréen.

Mais Thymbrée est encore un nom immortel, pour avoir été le lieu de la Phrygie où se donna la bataille entre Cyrus, fondateur de la monarchie des Perses, & Crésus roi de Lydie ; cette bataille, un des plus considérables événemens de l’antiquité, décida de l’empire de l’Asie en faveur de Cyrus ; elle se trouve décrite dans les VI. & VII. l. de la Cyropédie de Xénophon ; & puisque c’est la premiere bataille rangée dont nous connoissons le détail avec quelque exactitude, on la doit regarder comme un monument précieux de la plus ancienne tactique.

M. Freret, sans avoir connu la pratique de la guerre, a remarqué, dans les mém. de littér. tom. VI. in-4°. p. 536. deux choses importantes sur cette bataille de Thymbrée ; sa premiere remarque est que le retranchement mobile de chariots dont Cyrus forma son arriere-garde, & qui lui réussit si bien, a été employé heureusement par de grands capitaines modernes.

Lorsque le duc de Parme, Alexandre Farnese, vint en France pendant les guerres de la ligue, il traversa les plaines de Picardie, marchant en colonne au milieu de deux files de chariots qui couvroient ses troupes ; & Henri IV. qui cherchoit à l’engager au combat, n’osa jamais entreprendre de l’y forcer, parce qu’il ne le pouvoit sans attaquer ce retranchement mobile, ce qu’il ne pouvoit faire sans s’exposer à une perte presque certaine.

Le duc de Lorraine employa la même disposition avec un égal succès, lorsqu’après avoir tenté inutilement de jetter du secours dans Brisac, assiégé par le duc de Veimars, il fut obligé de se retirer presque sans cavalerie, à la vue de cet habile général qui avoit une armée très-forte en cavalerie. Le duc de Lorraine marcha sur une seule colonne, couverte aux deux aîles par les chariots du convoi qu’il avoit voulu jetter dans Brisac ; & ce retranchement rendit inutiles tous les efforts que fit le duc de Veimars pour le rompre.

La seconde chose qui paroît à M. Freret mériter encore plus d’attention dans ce même combat, c’est que Cyrus dut presque uniquement sa victoire aux 4000 hommes qui étoient derriere le retranchement, puisque ce furent ces troupes qui envelopperent & prirent en flanc les deux portions des aîles de l’armée lydienne, avec lesquelles Crésus espéroit envelopper l’armée persane.

César employa une semblable disposition à Pharsale ; & ce fut elle seule qui lui fit remporter la victoire sur l’armée de Pompée beaucoup plus forte que la sienne, sur-tout en cavalerie. César lui-même nous apprend dans ses mémoires, que c’étoit de cette disposition qu’il attendoit le gain de la bataille. On appercevra sans peine la conformité des deux dispositions de Thymbrée & de Pharsale, en lisant les mémoires de César ; & cette conformité est le plus grand éloge que l’on puisse faire de Cyrus dans l’art militaire. Elle montre que ce qu’il avoit fait à Thymbrée, a servi de modele à un des plus grands généraux qui aient jamais paru, & cela dans une occasion où il s’agissoit de l’empire de l’univers. (Le chevalier de Jaucourt.)