L’Art de faire les Rapports en Chirurgie/05

CHAPITRE V.

De la ſeconde eſpece de Raports en Chirurgie, que l’on nomme Certificats d’excuſe, ou Exoënnes.


ON entend par l’Exoënne ou le Certificat d’excuſe, une Certification par écrit, donnée par un Médecin, ou par un Chirurgien, conjointement, ou ſéparément, ſur l’état des Particuliers, ſoit à leur ſimple réquiſition, ou par Ordonnance de Juſtice, tendante à faire connoître à tous ceux qui ont droit d’y prendre part, la vérité des cauſes maladives qui peuvent les diſpenſer valablement de faire bien des choſes dont ils ſeroient tenus s’ils jouiſſoient d’une ſanté parfaite.

Ces ſortes de Certifications ſont de trois eſpeces, ſçavoir, eccléſiaſtiques, politiques, & juridiques.

Les Exoënnes eccléſiaſtiques tendent à obtenir de N. S. P. le Pape, de Noſſeigneurs les Prélats, & de tous ceux qui ont quelque ſupériorité dans la Hiérarchie Eccléſiaſtique, des diſpenſes concernant l’exercice de certaines fonctions Bénéficiales, l’obſervation des loix Canoniques, l’exécution des Vœux de toutes eſpeces, la diſſolution du mariage ſur faits d’impuiſſance, attribuée à l’un ou à l’autre des conjoints.

Les Exoënnes politiques regardent tout l’État en général, ou le ſervice des Maiſons Royales en particulier.

Les premiers ſe font à la réquiſition de ceux que leurs maladies ou leurs bleſſures empêchent de vacquer aux charges, emplois & fonctions qui ſont ſous la direction des Miniſtres d’État, de Mgr. le Chancelier, des Chefs des Cours de Juſtice tant ſupérieures que ſubalternes, des Généraux d’Armées, Amiraux, Grands-Maîtres de l’Artillerie, Gouverneurs des Provinces, Intendans de Juſtice, Généraux des Vivres, Fermiers Généraux, Chefs de Communautés, & autres.

Ceux de la ſeconde eſpece, qui regardent le ſervice des Maiſons Royales, ſont demandés par les Officiers de ces Maiſons, ſoit que leurs Charges dépendent du Roi directement, ou du Grand-Maître, du Grand-Aumônier, du Grand-Chambellan, du Grand-Écuyer, du Grand-Veneur, Fauconnier, Louvetier, du Grand-Prevôt de l’Hôtel, du Maître de la Garderobe, du Premier Maître-d’Hôtel, du Premier Médecin, du Surintendant des Bâtimens, ou d’autres principaux Officiers qui ont ſous eux des ſubalternes.

Dans ces ſortes d’Exoënnes politiques, on n’obſerve aucune formalité judiciaire, étant de ſimples Certificats qui ſont délivrés par ordre des Supérieurs, ou à la réquiſition des Particuliers.

La ſeule précaution qu’on y apporte, eſt de n’y avoir aucun égard que lorſqu’ils ſont donnés par des Médecins ou Chirurgiens d’une réputation connue, & non ſuſpecte de ſubornation.

Les Exoënnes juridiques ont lieu dans les Procédures civiles & criminelles, pour retarder le jugement d’un Procès, dont l’inſtruction ou la pourſuite demande la préſence des Parties.

Elles ſont encore requiſes ou ordonnées, lorſqu’il eſt queſtion d’élargir, de reſſerrer, ou de transférer un Priſonnier, que le mauvais air feroit périr infailliblement ; quand il s’agit de commuer la peine d’un Forçat, qui n’eſt pas en état de ſervir ſur les Galeres ; d’épargner ou de modérer les douleurs de la torture à un Criminel, que ſa foibleſſe met hors d’état d’en eſſuyer toute la violence.

La groſſeſſe & les couches des femmes ſont encore des raiſons valables pour les diſpenſer de comparoître en perſonne afin de répondre aux accuſations qui leur ſont intentées.

Or il faut, pour la validité des Exoënnes, non ſeulement une procuration ſpéciale de l’Exoënné, par laquelle on affirme à l’Audience de la validité de l’Exoënne ; mais l’Ordonnance veut encore que l’on produiſe le Raport d’un Médecin approuvé, qui ait affirmé de la vérité de ſa certification par-devant le Juge du lieu.

Sur quoi l’on peut obſerver, que bien que l’Ordonnance ne faſſe mention que du Médecin, cependant quand ce ſont des bleſſures qui donnent matiere d’Exoënne, les Chirurgiens étant les Experts qui doivent plus valablement connoître de l’état des bleſſures ou playes, & en délivrer leur Raport, il eſt certain qu’ils ne peuvent être exclus du droit de viſiter les Exoënnés, & de certifier en Juſtice de l’état de leurs bleſſures ; & par conſéquent que ſous le nom de Médecin exprimé dans l’Ordonnance, on doit auſſi bien entendre le Médecin-Chirurgien, que le Médecin-Phyſicien : & cette obſervation eſt autoriſée par l’uſage.

Au reſte toutes les circonſtances marquées pour bien faire les Rapports proprement pris, doivent être gardées dans les Exoënnes juridiques, ſur-tout dans la procédure criminelle : & l’Ordonnance ne veut pas qu’elles ſoient admiſes, à moins qu’elles ne faſſent voir que les accuſés ne ſont pas en état de comparoître, ſans ſe mettre en danger de perdre la vie, & à moins que cela ne ſoit atteſté par l’affirmation de l’Exoënniateur, du Médecin ou du Chirurgien, & même, quand il s’agit de crimes capitaux, par l’affirmation que le Juge permet aux Parties de faire reſpectivement pour juſtifier ou annuller l’Exoënne ; ſans quoi ces ſortes de Certificats frauduleux ſouſtrairoient les preuves en matiere criminelle, & donneroient lieu à l’impunité de la plûpart des crimes.