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L’ART DE DONNER

Turenne aperçut un jour dans son armée un officier d’une naissance distinguée, mais peu fortuné (1) et très-mal monté. Il le prie de dîner avec lui, le tire en particulier après le repas, et lui dit avec bonté : « Monsieur, j’ai une prière à vous faire : vous la trouverez peut-être un peu hardie, mais j’espère que vous ne voulez pas refuser votre général. Je suis vieux, continua-t-il, et je jouis d’une mauvaise santé ; les chevaux vifs me fatiguent, et je vous en ai vu un sur qui je serais, je crois, fort à mon aise. Si je ne craignais de vous demander un trop grand sacrifice, je vous dirais : Cédez-moi-le. » L’officier ne répond que par une profonde révérence et court prendre son cheval, qu’il mène lui-même dans l’écurie de son général. Le lendemain, sur les midi, Turenne lui en envoie un des plus beaux et des meilleurs de l’armée. Il n’est pas plus ordinaire de donner de cette manière que d’avoir l’âme de Turenne.