Cours de dictées orthologiques en texte suivi

1

L’ART DE DONNER

Turenne aperçut un jour dans son armée un officier d’une naissance distinguée, mais peu fortuné (1) et très-mal monté. Il le prie de dîner avec lui, le tire en particulier après le repas, et lui dit avec bonté : « Monsieur, j’ai une prière à vous faire : vous la trouverez peut-être un peu hardie, mais j’espère que vous ne voulez pas refuser votre général. Je suis vieux, continua-t-il, et je jouis d’une mauvaise santé ; les chevaux vifs me fatiguent, et je vous en ai vu un sur qui je serais, je crois, fort à mon aise. Si je ne craignais de vous demander un trop grand sacrifice, je vous dirais : Cédez-moi-le. » L’officier ne répond que par une profonde révérence et court prendre son cheval, qu’il mène lui-même dans l’écurie de son général. Le lendemain, sur les midi, Turenne lui en envoie un des plus beaux et des meilleurs de l’armée. Il n’est pas plus ordinaire de donner de cette manière que d’avoir l’âme de Turenne.




II

LE TRÉPIED D’OR

Un jour, des étrangers de Milet, passant par l’île de Cos, achetèrent de quelques pêcheurs ce que ceux là allaient tirer du coup de filet (1) qu’ils avaient jeté dans la mer. Ces pêcheurs tirèrent un trépied d’or massif qu’Hélène, revenant de la guerre de Troie, avait, dit-on, jeté autrefois dans cet endroit, à cause d’un certain oracle qu’elle s’était rémémoiré (2). Cela fit d’abord naître un différend entre les pêcheurs et les étrangers ; ensuite les villes, s’y étant intéressées, prirent parti chacune pour leurs gens (3). On était prêt à en venir à une guerre ouverte (4), lorsque l’on convint de part et d’autre de s’en tenir à la décision de l’oracle. On envoya donc à Delphes ; l’oracle fit réponse qu’il fallait donner le trépied au premier des sages. On alla de suite (5) le porter à Thalès, qui le fit remettre à Bias, qui, par modestie, le rendit à un autre, qui s’empressa de le donner à quelque autre, qui le remit à Solon{6). Solon dit qu’il n’y avait rien de plus sage qu’un dieu ; il fit porter le trépied à Delphes, et le consacra à Apollon (7).