L’étude expérimentale de l’intelligence/Chapitre 4

Schleicher Frères & Cie (p. 59-69).


CHAPITRE IV

Comment la pensée se développe.


Nous allons étudier les associations d’idées de nos deux sujets au moyen de ce test qui consiste à écrire une série de 20 mots. Je crois que ce test est très favorable à l’analyse des associations d’idées, peut-être même plus favorable que la procédure qu’on emploie habituellement ; dans cette procédure, qui consiste à dire un mot, et à demander au sujet de répondre par un autre mot, on ne provoque qu’une seule association à la fois, c’est une association isolée, unique, tandis qu’avec le test des 20 mots on provoque le développement d’une vingtaine d’associations qui font la chaîne. C’est un avantage très grand, car, dans l’expérience de 20 mots, on se rapproche plus des conditions naturelles que dans la provocation d’une association isolée. Lorsque notre pensée se développe naturellement, elle suit un cours, il y a un grand nombre d’idées qui se succèdent, courant derrière les unes les autres comme une foule. Or, la succession immédiate de deux idées ne donne pas nécessairement une notion exacte de ce cours d’idées ; il est possible que ce cours soit soumis à un certain rythme qui ne se manifeste pas entre deux idées, mais qui s’étend sur un grand nombre d’idées. Ce n’est pas une hypothèse gratuite. Nous allons voir dans un instant qu’en étudiant le cours de la pensée dans la série de 20 mots on trouve des répartitions de mots qui ne s’expliquent pas tout simplement par l’association des idées, et que le procédé habituel d’étude, trop fragmentaire, ne peut pas saisir.

Notre méthode des mots écrits a un autre avantage encore ; c’est que le sujet qui écrit 20 mots est plus libre, plus spontané, mieux laissé à lui-même que celui qui doit de suite associer un mot au mot qu’on lui donne ; dans ce dernier cas, on l’oblige à des associations factices, et il est à craindre qu’on le détourne de penser naturellement. L’idéation est un phénomène très délicat, très impressionnable ; c’est comme un enfant qui, regardé, cesse de jouer avec naturel.

Il serait juste de compléter ces critiques du procédé habituel en faisant ressortir ses avantages ; l’introspection suit immédiatement la formation de chaque association, ce qui évite les erreurs et oublis de la mémoire ; l’association est provoquée par des mots choisis par l’expérimentateur, ce qui lui permet de tâter l’idéation de son sujet, en le forçant de travailler sur des mots spéciaux, et ce qui facilite la comparaison des réactions psychologiques de deux individus auxquels on a donné les mêmes mots. Bref, à tout mettre en de justes balances, les deux procédés ne font pas double emploi, et il y a quelque intérêt à les employer cumulativement. Je vais donc étudier comment mes deux sujets ont lié les 20 mots que je leur faisais écrire. Il est naturel de s’attendre à quelque incohérence. Si, en vérité, on rencontrait dans un travail étudié, comme une lettre, ou une rédaction quelconque, une incohérence aussi grande, on supposerait de suite que l’auteur de la lettre ou de la rédaction a quelque trouble intellectuel. Rappelons-nous donc que la série de 20 mots n’est point comparable à un travail médité, qui serait adapté à un but précis : c’est 20 mots, n’importe lesquels, qu’on prie le sujet d’écrire ; on ne l’invite pas à faire un travail qui ait un sens et une logique.

Voici comment je faisais pour demander à mes sujets de m’expliquer leurs associations d’idées. Quand les 20 mots avaient été écrits, je commencais mes interrogatoires la plume à la main, écrivant intégralement questions et réponses. Je demandais d’abord pour un mot quelle signification il avait ; et ensuite, seconde question, je demandais comment on avait passé du mot précédent à ce mot-là ; les deux interrogations se suivaient, et ce n’était qu’après les avoir épuisées que j’examinais le mot suivant.

On se rappelle que j’ai fait écrire 320 mots à Marguerite, par séries de 20 mots ; je regrette de ne pas l’avoir interrogée sur ses associations d’idées pour tous ces mots-là ; je ne l’ai interrogée que sur les 60 derniers mots. Au contraire, pour Armande, l’interrogation a porté sur les 300 mots qu’elle a écrits. Ce serait bien peu de chose comme documents, si je n’étudiais les associations de Marguerite que sur 60 mots ; je profiterai de quelques séries nouvelles que je lui ai fait écrire plus récemment pour augmenter le nombre de mes observations.

La première question qu’on aimerait résoudre est celle de savoir si l’esprit se rend compte de ses liaisons avec le même degré de conscience que de ses idées. A priori, il semble que non. La liaison est une transition, un hiatus ; elle n’a pas de nature substantielle ; c’est un moyen d’avoir une idée, ce n’est pas une idée : toutes raisons pour que la liaison soit mal perçue. Voyons ce que l’observation nous apprend à cet égard.

Marguerite, sur 60 mots qu’elle a écrits, est incapable d’expliquer 13 transitions : dans la première série de 20 mots il y a 8 transitions inexpliquées ; dans la seconde série écrite le même jour, il y en a 4, et dans la troisième série, 1 mot seulement demeure inexpliqué. Cette diminution si rapide se comprend très facilement. Marguerite ne savait pas, quand elle a écrit la première série, qu’on l’interrogerait sur les transitions, elle n’y a donc pas fait attention ; dès qu’on l’a avertie, et qu’elle a vu à quelle foule d’interrogations minutieuses on la mettait aux prises, en esprit méthodique qu’elle est, elle a donné plus d’attention à ses transitions, et les a par conséquent rendues plus conscientes ; peut-être même en a-t-elle modifié la nature, les a-t-elle régularisées. Pour savoir si, chez elle, les transitions sont moins conscientes que les idées, il faut comparer ce nombre de 13 transitions inexpliquées au nombre de mots inexpliqués que renfermaient les premières séries qu’elle a écrites. Ces trois premières séries contenaient en tout 9 mots inexpliqués. On voit que les transitions sont un peu plus nombreuses, mais la différence n’est pas grande.

Quelques jours après, je fais écrire à Marguerite lentement, puis rapidement 20 mots.

Dans la série rapide, je compte à peu près 7 transitions inexpliquées, et 2 mots inexpliqués ; dans la série lente, les deux nombres sont réduits, il n’y a plus que 2 ou 3 transitions inconscientes et point de mot inconscients. Ainsi, on voit que toujours les mots inconscients sont moins nombreux. Mais Marguerite n’est pas un sujet favorable pour ce genre d’études, elle a une tendance trop forte à se rendre compte de ce qu’elle fait, quand elle écrit des séries de mots, pour nous donner l’occasion de bien étudier des phénomènes d’inconscience.

Chez Armande, les transitions inconscientes sont extrêmement nombreuses ; en moyenne 30 sur 60 restent inexpliquées.

Cette abondance des associations ignorées — quelle que soit la manière dont on l’explique — (ce peut être un oubli des associations mentales qui ont réellement joué, ou une inconscience de ces associations, ce peut être encore une absence complète d’associations) ne saurait nous étonner chez Armande, qui écrit aussi beaucoup de mots dont elle ne se représente pas le sens ou dont elle oublie le sens. C’est un des caractères importants par lesquels se manifeste la demi-inconscience de son idéation. On remarquera que ces résultats permettent de répondre à une question que nous venons de poser. Les transitions inconscientes sont beaucoup plus fréquentes dans les séries d’Armande que les mots inconscients. Le nombre de ses mots inconscients par séance, ou pour 60 mots écrits, n’est jamais monté jusqu’à 30 ; il a été, à la première séance, de 23 ; dans les séances suivantes, il a oscillé autour de 15. Il y aurait donc, pour parler en termes approximatifs, deux fois autant de transitions inconscientes que d’idées inconscientes. Cette proportion ne doit sans doute pas être généralisée dans son chiffre exact ; mais j’ai une tendance à croire qu’elle exprime un fait assez constant.

Nous nous rencontrons ici avec W. James qui, décrivant le cours de la pensée, y distingue des parties substantielles et des parties transitives ; la pensée c’est comme un oiseau qui tantôt vole, tantôt se penche ; James dit que les transitions, les vols, sont accompagnés d’une conscience plus faible que les posés[1].

Voyons maintenant ce que sont ces transitions, et examinons comment s’en rendent compte des enfants qui ne connaissent aucune théorie sur les associations des idées, mais qu’un assez long exercice de l’analyse mentale a rendus habiles à lire en eux-mêmes.

Ce qui m’a tout d’abord frappé, c’est de rencontrer dans leurs chaînes d’idées un dessin général.

La série de 20 mots ne se compose pas comme un chapelet dont tous les grains seraient égaux et placés à égale distance ; il y a des groupements : une série de mots est dominée par une idée commune ; elle forme une unité ; puis commence une autre série, qui provient d’une inspiration différente, soit qu’elle ait son origine dans une idée nouvelle, soit qu’elle ait été provoquée par la vue d’un objet présent, ou par quelque bruit extérieur.

Ces changements d’orientation de la pensée, ces coups de barre, sont le plus souvent très conscients. Le sujet dira par exemple, en analysant les mots écrits : « Tout cela c’est la même idée ; mais ici, j’ai changé d’idée. » Je ne m’attendais pas à ces groupements particuliers, je n’ai donc pas pu mettre mes sujets sur la voie, ni leur faire une suggestion.

J’appellerai ces groupements des thèmes, mot qui leur convient d’autant mieux que le groupement se fait sous la forme de rédaction écrite. Les thèmes de Marguerite sont très nets, très bien définis et longuement développés. J’en citerai quelques exemples : elle a écrit les mots prés, pont, eau, lavoir, peuplier. Tous ces mots ont un air de famille ; d’après les renseignements fournis par Marguerite, ils se rapportent à une seule et même chose : le bord de la Seine, à S… ; en cet endroit, il y a des peupliers, un pont, un lavoir, des prés et de l’eau : tous ces objets font partie du même paysage, ils sont même si rapprochés dans la réalité qu’on pourrait les faire tous tenir dans la même photographie. C’est donc un thème de description d’après des objets réels, qui revivent dans le souvenir.

Dans une autre série, Marguerite écrit le mot fourneau ; elle a pensé au fourneau qui est dans la cuisine d’une vieille paysanne de S…, qu’elle connaît ; à la suite, elle écrit cuisine, placard, plat, chambre, lit, glace, cheminée, lampe, fenêtre, table, chaise, canapé vert, rideaux du lit, porte, lapins ; ces mots n’ont pas un sens vague ou abstrait ; ils se rapportent tous à la demeure de la vieille paysanne, et Marguerite se représente chaque objet nommé avec les caractères qui lui sont propres ; puis, arrivée à lapins, elle quitte la demeure, et nomme les maisons du voisinage, d’où une nouvelle série de mots : charbon, sacs, liqueurs, mercerie, vitrerie, charbons et sacs s’appliquent au charbonnier, qui est porte à porte avec la vieille paysanne, et les trois derniers mots désignent des boutiques de marchand de vin, de mercière et de vitrier, qui sont presque contiguës dans la grande rue nationale de ce village. Rien n’est plus simple, rien n’est plus facile à comprendre que ce mode d’idéation.

Ce qu’il est essentiel de marquer ici, c’est cette prédominance chez Marguerite des contiguïtés dans l’espace ; sur 60 liaisons, j’en compte 42 qui sont spatiales.

Sur les 60 mots que Marguerite a écrits, je ne relève qu’une seule fois un semblant d’association par ressemblance ; elle venait d’écrire les mots édredon, oreiller, toilette, cheveu, qui s’appliquent tous à Mme X…, et elle s’était représenté pour écrire ces mots la chambre à coucher de Mme X…, avec ce que la chambre contient ; puis après avoir écrit cheveux, elle dit : « cheveu m’a fait penser à épingles, et pour changer, j’ai mis épingles de L (la bonne). » Elle a donc là, par association de ressemblance, passé d’une personne à une autre. Ce cas est unique dans cette série et par conséquent négligeable.

En résumé, l’idéation de Marguerite se développe par des souvenirs qui sont reliés par des associations de contiguïté spatiale. Il est peut-être délicat de deviner comment, pour les autres séries de mots que Marguerite a écrits, elle a passé d’un mot à l’autre, puisque je ne le lui ai pas demandé. Cependant, comme elle a indiqué chaque fois le sens qu’elle a attaché aux mots, on peut à la rigueur se faire une opinion probable sur la question. J’ai dit que presque toute son idéation se compose de souvenirs personnels et de noms d’objets présents ; les noms d’objets présents, nous l’avons observé bien des fois, sont obtenus par un coup d’œil que Marguerite embarrassée jette autour d’elle, leur succession réalise donc la contiguïté dans l’espace. Quant aux souvenirs, qui se succèdent en général, par séries plus ou moins longues, ils se rapportent d’ordinaire à des objets faisant partie d’un même tout, appartement, jardin et rue ; c’est encore de la contiguïté dans l’espace. Celle-ci domine donc les associations d’idées de Marguerite. Je trouve que ce mode de formation des idées est exclusif de l’imprévu et de l’originalité ; et on le comprend du reste, puisque l’association par contiguïté est essentiellement une force conservatrice ; elle restaure les états de conscience anciens, dans l’ordre où ils se sont déjà présentés, et n’y ajoute rien.

Si, en outre, on se rappelle que Wundt a nommé ces associations-là des associations externes, par opposition aux associations par ressemblance, qu’il désigne sous le nom d’associations internes, on comprendra qu’il est tout naturel de rencontrer beaucoup d’associations externes dans l’idéation de Marguerite, qui appartient si franchement au type observateur.

L’idéation d’Armande étant, comme nature d’images, plus variée que celle de Marguerite, on doit s’attendre à ce que les associations qui fonctionnent chez elle soient aussi plus variées. Les documents que j’ai entre les mains me permettraient de faire cette étude d’une manière complète ; Armande s’est expliquée sur ses associations pour les 300 mots qu’elle a écrits.

Mais je pense que, comme il s’agit ici simplement de comparer deux sujets, ce sera suffisant de prendre une série de 60 mots d’Armande et de les dépouiller. J’ai déjà dit que la moitié de ses associations restent inconscientes.

Un autre trait de son idéation est l’absence complète ou presque complète d’associations par contiguïté dans l’espace.

Lorsqu’Armande évoque un souvenir, ce souvenir ne fournit pas plusieurs mots ; il s’épuise en un mot unique, et aussitôt après il y a un changement dans la direction de la pensée ; aussi ne trouve-t-on pas dans les séries qu’elle écrit plusieurs mots qui font revivre des parties d’un même souvenir ou d’un même tableau. L’association dont elle se sert le plus fréquemment est l’énumération d’objets de même espèce ; elle écrit maison, sans penser à une maison en particulier, et suppose qu’elle facilitera sa tâche en se servant de tous les mots qui se rattachent à maison ; une autre fois, elle écrit le mot dédain, et a l’intention d’écrire d’autres noms d’expression du visage ; mais, en général, ce projet d’énumération ne la mène pas loin ; elle n’a pas la méthode de Marguerite ; elle se contente de deux mots, trois au plus, et passe ensuite à autre chose. Le nombre de ces associations par énumération n’a été que 7 sur 60 mots écrits.

Les autres associations sont d’espèces très diverses ; on compte dans cette même série :

4 associations par ressemblance verbale : chien — chenil ; chêne — chaîne ; terrain — terrasse ; tiroir — air. Ce ne sont pas absolument des associations verbales ; il y a généralement quelque chose de plus, un motif qui a fait préférer ces associations à d’autres ; ainsi, on a passé de chêne à chaîne, parce qu’on avait déjà écrit plusieurs noms d’arbre et qu’on sentait le besoin de varier ; le mot chêne n’a pas été écrit. De même, le mot tiroir ne fait pas penser directement au mot air, qui est écrit ensuite ; le sujet, après avoir écrit tiroir, a des doutes sur l’orthographe du mot, se demande s’il contient un r ou deux, ce qui le détermine à écrire air, vrai calembour. De même le mot terrain revenant à l’esprit, parce qu’il a déjà été écrit dans la série précédente, le sujet le rejette et substitue terrasse.

1 association verbale, mine — or.

3 associations logiques, du reste difficiles à définir : renard — poules ; papier — ortie ; allumette — feu.

En résumé, l’idéation de Marguerite se compose de thèmes assez larges, qui se développent par associations de contiguïté spatiale ; elle est régulière, peu variée, et même monotone, et très consciente ; l’idéation d’Armande, formée de thèmes courts, se développe par un mécanisme beaucoup plus compliqué et moins conscient ; peu d’associations de contiguïté, mais des énumérations de classification, des associations logiques, des ressemblances de mots, et surtout, ce qui paraît être le caractère dominant, un changement incessant dans la direction de la pensée, une marche en zig-zag par petits jets brisés, du nouveau, de l’imprévu, de l’original.


CONCLUSIONS ET HYPOTHÈSES


L’étude précédente donne lieu à bien des conclusions sur lesquelles je crois oiseux d’insister ; c’est par exemple la demi-conscience des liaisons d’idées, déjà devinée par les auteurs, mais bien mise en lumière par nos recherches ; c’est encore la description, qui me paraît nouvelle, de deux types d’association, différents au point de vue de la psychologie individuelle ; ce que j’ai dit déjà de ces questions suffira pour que le lecteur en comprenne l’intérêt. Je préfère consacrer les quelques lignes de clôture de ce chapitre à indiquer comment les faits qui précèdent nous obligent à changer quelque chose à la conception courante de l’association des idées.

D’après les enseignements de l’école anglaise associationniste, qui a exercé une influence très grande et très légitime sur la psychologie française ; — je reconnais moi-même avec vénération tout ce que je dois à Stuart Mill, mon seul maître en psychologie — d’après, dis-je, les enseignements de l’école anglaise, l’association des idées serait la clef, l’explication dernière de tous les phénomènes mentaux ; Mill l’a écrit en propres termes ; et quant à l’association d’idées elle-même, on l’expliquait par une propriété inhérente aux états de conscience.

Taine a bien mis en relief ce qu’il y a d’automatique, d’extérieur à notre pensée, dans ce processus, en employant cette formule pour expliquer la revivescence des idées « Une image émerge quand elle a déjà commencé à émerger[2]. »

Par là, Taine restait fidèle à sa belle théorie de l’Intelligence, si semblable à un mécanisme d’horlogerie, où rien ne représente l’effort, la direction, l’adaptation, le choix, où l’attention elle-même est réduite à une intensité d’image. Je ne puis pas traiter ici la question avec l’ampleur qu’elle mériterait ; je veux seulement montrer en passant que l’existence des thèmes de pensée est inexplicable par l’automatisme des associations ; car, d’une part, il arrive, dans les séries de Marguerite, que la transition entre deux mots, bien que se faisant par une association d’idées consciente, n’empêche pas que le sujet constate qu’il y a eu à cet endroit un changement d’idée, c’est-à-dire apparition d’un thème nouveau, fait que l’association n’explique pas ; et, d’autre part, quand les mots sont inspirés par un même thème, ils ne peuvent pas être donnés par le jeu tout simple des associations d’idées ; pour qu’un thème se développe, il faut une appropriation des idées, un travail de choix, et de rejet qui dépasse de beaucoup les ressources de l’association. Celle-ci n’est intelligente qui si elle est dirigée ; réduite à ses seules forces, elle utilise n’importe quelle ressemblance, n’importe quelle contiguïté ; elle ne peut donc produire que de l’incohérence et tout au plus pourrait-elle expliquer la succession de paroles d’un maniaque ou les images kaléidoscopiques de la rêverie[3].

  1. James, Psychology, I, ch. iv, p. 243.
  2. De l’Intelligence, I. p. 141. Il faut lire l’exemple de toute beauté, mais bien littéraire, qu’il développe pour illustrer cette explication.
  3. Il y a longtemps, du reste, que Paulhan a soutenu la même thèse. Voir son intéressant ouvrage sur l’Activité mentale et les éléments de l’esprit. Paris, 1889. Je ne fais point ici de bibliographie : et je renvoie au travail récent, si précis et si bien informé, de Claparède sur l’Association des idées. Paris, Doin, 1903.