Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Cinquième partie/17

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 358-360).


CHAPITRE XVII

RÉPONSE A DEUX OBJECTIONS QUI PEUVENT ÊTRE FAITES
SUR CETTE INTRODUCTION


Le monde vous dira, ma Philothée, que ces exercices et ces avis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer, il ne faudra pas qu’il vaque à autre chose. Hélas ! chère Philothée, quand nous ne ferions autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde. Mais ne voyez-vous pas la ruse ? S’il fallait faire tous ces exercices tous les jours, à la vérité ils nous occuperaient du tout ; mais il n’est pas requis de les faire, sinon en temps et lieu, chacun selon l’occurrence. Combien y a-t-il de lois civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent être observées ! mais cela s’entend selon les occurrences, et non pas qu’il les faille toutes pratiquer tous les jours. Au demeurant, David, roi plein d’affaires très difficiles, pratiquait bien plus d’exercices que je ne vous ai pas marqué. Saint Louis, roi admirable et pour la guerre et pour la paix, et qui avec un soin nonpareil administrait justice et maniait les affaires, oyait tous les jours deux messes, disait vêpres et complies avec son chapelain, faisait sa méditation, visitait les hôpitaux, tous les vendredis se confessait et prenait la discipline, entendait très souvent les prédications, faisait fort souvent des conférences spirituelles, et avec tout cela ne perdait pas une seule occasion du bien public extérieur qu’il ne fît et n’exécutât diligemment, et sa cour était plus belle et plus florissante qu’elle n’avait jamais été du temps de ses prédécesseurs. Faites donc hardiment ces exercices selon que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera assez de loisir et de force de faire tout le reste de vos affaires ; oui, quand il devrait arrêter le soleil, comme il fit du temps de Josué. Nous faisons toujours assez, quand Dieu travaille avec nous.

Le monde dira que je suppose presque partout que ma Philothée ait le don de l’oraison mentale, et que néanmoins chacun ne l’a pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous. Il est vrai, sans doute, j’ai présupposé cela, et est vrai encore que chacun n’a pas le don de l’oraison mentale ; mais il est vrai aussi que presque chacun le peut avoir, voire les plus grossiers, pourvu qu’ils aient des bons conducteurs et qu’ils veuillent travailler pour l’acquérir, autant que la chose le mérite. Et s’il s’en trouve qui n’aient pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement), le sage père spirituel leur fera aisément suppléer le défaut par l’attention qu’il leur enseignera d’avoir, ou à lire ou à ouïr lire les mêmes considérations qui sont mises ès méditations.