Hypnérotomachie ou Discours du songe de Poliphile/3

Hypnérotomachie, ou Discours du songe de Poliphile, Deduisant comme Amour le combat a l’occasion de Polia
Traduction par Jean Martin.
Jacques Kerver (p. 3v-7).

Poliphile racompte comme il luy fut aduis en ſonge qu'il dormoit, & en dormant ſe trouuoit en une uallee fermée d’une grand cloſture en forme de pyramide, ſur laquelle eſtoit aßis un obeliſque de merueilleuſe haulteur, qu'il regarda ſongneuſement, & par grande admiration.


P A foreſt eſpouentable aiant eſté par moy paſſee, & apres auoir delaiſſé ceſte premiere region par le doulx ſommeil qui m’auoit lors eſpris, ie me trouuay tout de nouueau en vn lieu beaucoup plus delectable que le premier, car il eſtoit bordé & enuironné de plaiſans cotaulx verdoians, & peuplez de diuerſes manieres d’arbres, comme cheſnes, faux, planes, ormes, fraiſnes, charmes, tilleulz, & autres, plantez ſelon l’aſpect du lieu. & abas atrauers la plaine, y auoit de petitz buyſſons d’arbriſſeaux ſauluaiges, cõme genetz, geneuriers, bruyeres, & tamarins, chargez de fleurs. parmy les prez croiſſoient les herbes medicinales, a ſcauoir les trois conſolides, enule, cheurefeuil, branque vrſine, liueſche, perſil de macedoine, piuoyne, guymauues, plantain, betoyne, & autres ſimples de toutes ſortes & eſpeces, pluſieurs deſquelles m’eſtoient incõgneues. Vn peu plus auant que le mylieu de ceſte Plaine, y auoit vne ſablonniere meſlée de petites mottes verdes, & pleine d’herbe menuette, & vn petit boys de palmiers, eſquelz les Egyptiẽs cueillent pain, vin, huille, veſtement, & meſrain pour baſtir. leurs fueilles ſembloient lames d’eſpees, & eſtoiẽt chargées de fruict, il y en auoit de grandes, moiennes, & petites, & leur ont les anciens donné ce tiltre qu’elles ſignifient victoire, pour autant qu’elles reſiſtent a toute charge & peſant faiz ſans qu’on les puiſſe proſterner. En ce lieu n’y auoit aucune habitation, toutesfois en cheminant entre ces arbres ſur main gauche m’apparut vn loup courant la gueule pleine, par la veue duquel les cheueux me dreſſerẽt en la teſte, & voulu crier, mais ie ne me trouuay point de voix. Auſſi toſt qu’il m’eut apperceu, il ſ’en fuyt dedãs le boys. quoy voiãt ie retournay aucunemẽt en moy, & leuãt les yeulx deuers celle part ou les mõtaignes ſ’aſſembloient, ie vey vn peu a coſtiere vne grande haulteur en forme d’vne tour, & la aupres vn baſtimẽt qui ſembloit imperfaict, toutesfois a ce que i’en pouoie iuger, c’eſtoit de ſtructure antique.

Du coſté ou eſtoit ceſt edifice, les cotaulx ſe leuoient vn peu plus hault, & ſembloiẽt ioindre au baſtiment qui eſtoit aſſis entre deux montaignes, & ſeruoit de cloſture a vne vallée : parquoy eſtimant que c’eſtoit choſe digne de veoir, i’adreſſay mon chemin celle part. mais tant plus i’en approchoye, plus ſe deſcouuroit ceſte œuure magnifique, & me croiſſait le deſir de la regarder, car elle ne reſembloit plus vne tour, ains vn merueilleux obeliſque, fondé ſur vn grand monceau de pierres, la haulteur duquel excedoit ſans cõparaiſon les montaignes qui eſtoient aux deux coſtez. Quand ie fu approché tout pres, ie m’arreſtai pour contempler plus a loiſir ſi grãde inſolence d’architecture qui eſtoit a demy demolie, cõpoſée de quartiers de marbre blãc aſſemblez ſans cyment, & ſi bien adiouſtez, que la ou elle eſtoit encores entiere, la pointe d’vne aiguille n’euſt ſceu entrer entre deux pierres. La y auoit de toutes ſortes de colonnes, partie tumbées & rompues, partie entieres : & en leurs lieux, auec leurs chapiteaux, architraues, frizes, cornices, & ſoubaſſemens, de ſinguliere inuention & ouurage, auec pluſieurs autres pieces de noble ſculpture, totalement hors de congnoiſſance quele en auoit esté la taille, & quaſi reduictz a leur premiere forme, trebuchez & diſſipez ca & la par la campagne : emmy laquelle & entre ces fragmens eſtoient ſorties pluſieurs plantes ſauuages, herbes & arbriſſeaux de maintes ſortes, comme myrtes, lẽtiſques, oliuaſtres, centaure, verbene, groſeliers, & cappres. puis contre les murailles ruinées croiſſoit la ioubarbe, le polypode, ſcolopendre, ou langue de cerf, ſené, ſauine, & parietaire : & la ſe trainoiẽt pluſieurs petites lezardes, leſquelles a chaſcun petit bruyt qu’elles ſaiſoiẽt en ce lieu deſert, cela me cauſoit vne horreur merueilleuſe, conſideré que i’eſtoie ia ſuſpés & en doubte. Il y auoit merueilleuſe abondance de porphyres, iaſpes, & ſerpentines de toutes couleurs, fort belles & riches : enſemble grande quantite de pieces de diuerſes hiſtoires de boſſe & demytaille, monſtrans l’excellence de leur temps, blamãt & accuſant le noſtre, auquel la perſection de ceſt art eſt comme toute aneantye. M’approchant donc du front principal de ce grãd edifice, ie regarday vn portail exquis, bien proportionné a tout le reſte de la ſtructure : le pan de la muraille duquel eſtoit continué depuis l’vne des montaignes iuſques a l’autre, & auoit ſix ſtades & vingt pas de longueur, ainſi que ie pouoie coniecturer, l’alignement des montaignes eſtoit a plomb depuis le hault iuſques au bas du plant. Parquoy ie demourai tout penſif & eſbahy, cõment, auec quelz ſerremens & oultiz, auec quel labeur, & par queles mains d’hommes, auoit eſté conſtruict vn tel edifice, de ſi grande deſpenſe, & conſumption de temps qu’il n’eſtoit quaſi a croire. Ceſte muraille auoit (a mon jugement) la cinqieme partie d’vn ſtade en haulteur depuis la derniere cornice iuſques au pied, a nyueau du paué : & fut faicte (cõme i’ay dict) pour cloſture de ceſte vallée : en laquelle on ne pouoit entrer ny ſortir ſinon par ceſte porte, ſur laquelle eſtoit fondée la grande pyramide, ſi merueilleuſe que i’eſtimay la deſpenſe ineſtimable, la longueur du temps a la faire, incroyable, la multitude des hommes qui y beſognerent, innumerable & infinie : car ſi a la regarder elle confondoit mon entendemẽt, & eſblouyſſoit ma veue, que pouuoit elle faire alendroit de l’intelligence du baſtimẽt ? Or a celle fin que ie ne faille a deſcrire ce que i’ay veu, i’en diray la ſorme en bien peu de paroles. Chacune ſace ou pan de la quarreure du plinthe auquel commencoit l’alignemẽt des degrez qui faiſoient la pyramide, auoit en lõgueur ſix ſtades, leſquelz multipliez par quatre, pour le tour & circunferẽce des quatre quarrez qui eſtoient egaulx, font vingt & quatre ſtades. La haulteur eſtoit faicte en ceſte maniere, tirât les lignes pendãtes A B & A C au long des quatre coings depuis le plinthe iuſques au plus hault des degrez ou elles ſ’aſſembloient pour former la pyramide, le cathet ou ligne perpendiculaire A D eſtant au mylieu d’icelles, & tumbant droict ſur le cẽtre du plinthe, au poinct D, ou les lignes diagonales ſe croiſoient, auoit de haulteur cinq parties, deſquelles les lignes pendantes & collaterales en avoient ſix.

La pyramide eſtoit compoſee en forme de perron, contenant mille quatre cens & dix degrez, dont les dix derniers eſtoient conuertiz en vn merueilleux cube ou pierre quarrée maſſiue, faiſant la diminution & eſtreciſſement de la pyramide, tel & ſi grãd qu’il eſtoit impoſſible de croire que mains d'hõmes l’euſſent peu aſſeoir ſi hault, faict de celle meſme pierre de marbre dont eſtoient les degrez, & la mis pour baſe & fondement de l’obeliſque duquel ie parleray cy apres. Il auoit quatre pas de diametre par chaſcune des faces de son quarré. aux quatre coingz d’enhault ſur les lignes diagonales, eſtoient fichez & plombez quatre piedz de Harpyes, veluz & argottez, faicts de metail de fonte, finiſſans deuers le hault en vn fueillage antique entrelaſſé, qui embraſſoit le pied de l’obeliſque ſouſtenu ſur ces quatre piedz ou pattes de Harpyes, qui auoientt deux pas de haulteur : & autant en auoit le diametre de l’obeliſque deuers le bas. ſa lõgueur contenoit ſept fois autant, diminuãt peu a peu iuſques a ſa poincte, tout d’vne ſeule pierre Pyropecile Thebaique, eſcripte de lettres hieroglyphiques Egyptiennes, en ſes quatre faces & coſtez poly & reluiſant comme vn miroer bien fourby. Sur la poincte eſtoit faicte vne nymphe de cuyure doré, plãtée ſur vn vaſe tournoiant en forme de pyuot, ouurage certainement pour rendre eſbahiz tous ceulx qui le regardoiẽt : car la nymphe eſtoit faicte en telle proportion, qu’eſtãt poſée ſi hault en l’air, elle ſe monſtroit perfaictement de ſtature ordinaire. Et oultre ſa grandeur, c’eſtoit choſe eſtrange a conſiderer comment elle auoit eſté leuee & portee ſi hault. Son veſtement voloit al’entour d’elle comme eſtant enleué du vent ; ſi biẽ que lon veoit partie de ſa cuiſſe deſcouuerte : & auoit deux aëlles eſtendues & ouuertes, ainſi que ſi elle euſt eſté preſte a voler, deuers leſquelles ſon regard eſtoit tourné. les cheueux luy voletoient par deſſus le front en grande abondance : mais elle auoit le derriere de la teſte chauue, & ſans poil. En ſa main droicte a l’obiect de ſon regard, elle tenoit vne corne d’abõdace, pleine de tous biens, tournée deuers la terre. l’autre main repoſoit ſur ſa poictrine, qui eſtoit nue. Ceſte ſtatue eſtoit ſacilement tournée par tous les vens, auec tel bruit, pour le frayer de la baſe qui eſtoit d’arain, & creuſe, qu’onques tel ne fut ouy. Ie ne penſe pas que iamais ait eſté vn tel obeliſque : certes celluy du Vatican a Rome, n’eſt point pareil, ny celluy d’Alexandrie, ny meſmes ceulx de Babylone. Il auoit en ſoy ſi grand comble de merueille, que i’eſtoie rauy d’eſbahiſſemẽt en le contemplant, & encores plus pour ſa grandeur ineſtimable, car ie ne pouoie penſer ny comprendre, comment, par quelle inuẽtion, auec quelz organes, grues, & cabres, vn ſi grand poix & fardeau auoit eſté leué ſi hault. Mais pour retourner a la pyramide, elle eſtoit fondee ſur vn grãd plinthe, maſſif cõme i’ay dict, qui auoit quatorze pas de haulteur, & ſix ſtades de longueur, faiſant le ſoubaſſement du premier & plus bas degré. lequel plinthe n’auoit (a mon iugement) eſté lá apporté d’ailleurs, mais taillé de la meſme roche en ceſte forme, & approprié en ſon lieu naturel a ceſte grande ſtructure. Le demourant des degrez eſtoit ſaict de quartiers de marbres, aſſemblez & diſpoſez par ordre. Le plinthe ne touchoit pas aux mõtaignes, mais en eſtoit elongné de chaſcun coſté la lõgueur de dix pas. En ſa face dextre a l’endroict par ou ie vins, & au mylieu de ſon quarré, eſtoit entaillée de boſſe, la teſte eſpouentable de Meduſe, criant (comme il ſembloit) par furieuſe demõſtration, rechignée, les yeulx enfoncez, les ſourcilz pendans, le ſrõt ridé & rẽſrongné, la gueule ouuerte, qui eſtoit cauée & percee d’vn petit ſentier faict en voulte, paſſant iusques a ligne perpendiculaire du cẽtre de l’edifice. A ceſte ouuerture de gueule (qui ſeruoit de porte pour entrer en ce ſentier) on montoit par les entrelaſſures de ſes cheueux, leſquelz eſtoiẽt formez en telle reigle & reduction de compas, qu’ilz ſeruoient de degrez. Et en lieu de treſſes eſtoiẽt tortillez de longues reuolutions de ſerpens qui ſ’enueloppoient & entremordoient, eſtenduz a lentour de la teſte & du viſage iuſques au deſſoubz du menton. Ilz eſtoient ſi proprement & vrayſemblablement mentiz de louurage, qu’ilz me donnerent grãd frayeur : car leurs yeulx eſtoiẽt faictz de pierres luiſantes : en ſorte que ſi ie n’euſſe eſté bien certain que la matiere eſtoit de marbre, ie n’en euſſe oſé approcher ſi facilement. Le ſentier entaillé dedans la gueule, conduiſoit droict a vne viz & montée ronde eſtãt au mylieu de l’œuure, par laquelle on montoit en tournant deſſus le hault de la pyramide, iuſques au plant du cube ſur lequel l’obeliſque eſtoit aſſis. Mais ce que i’eſtimay le plus excellent, eſt que ceſte montée eſtoit par tout claire, pource que l’ingenieux architecte auoit par inuẽtion ſinguliere faict en pluſieurs endroictz de l’ediſice, aucuns ſecretz conduictz qui reſpondoiẽt droittement a l’aſpect du ſoleil ainſi qu’il ſaiſoit ſon cours contre les trois parties, haulte, baſſe, & moienne d’iceluy. La partie baſſe eſtoit eſclairee par les conduictz d’enhault, & la haulte par ceulx d’embas, qui l’eſclairciſſoient ſuffisamẽt par reflexion & reuerberation de lumiere, pource que la diſpoſition du baſtiment fut ſi bien calculée ſelon les trois faces, orientale, meridionale, & occidentale, qu’a toutes heures du iour la montée eſtoit eſclairée du ſoleil, d’autant que ſes cõduictz eſtoiẽt faictz en forme de ſouſpiraux, & diſtribuez en leurs lieux tout autour de la pyramide, depuis le cube iuſques au plinthe, ou ie montay par vn degré droict & maſſif, caué et taillé en forme de voulte quarree en la meſme roche. Sur le coſté droict au bas de l’edifice, la ou il eſtoit ioinct a la mõtaigne, & venoit ſaillir au deſſus, le plinthe eſtoit reculé de dix pas. Quand ie fu venu deuant la teſte de Meduſe, ie montay par ſes cheueux qui ſeruoient de degrez (comme i’ay dict cy deſſus) & entray en ſa bouche ſuiuant ce ſentier, tant que ie vins a la fin ſortir tout au hault ſur le cube. Puis y eſtant arriué, mes yeulx ne peurent ſouffrir de regarder en bas : car tout ce qui eſtoit deſſoubz, me ſembloit imperfaict : & n’oſoie partir du mylieu de ceſte pierre pour m’approcher du bord. Autour de l’yſſue de ceſte viz par enhault eſtoient pluſieurs paulx de cuyure faictz en forme de baluſtres ou fuzeaux plantez & fichez en la pierre, vn pied de diſtance entre deux : & auoient demy pas de haulteur, liez & continuez l’vn a l’autre deuers la poincte, par vne corõne de la meſme matiere, faicte a vndes, ſeruãs de haye & cloſture a l’ouuerture de la viz, laquelle ilz enuyronnoient tout a l’entour, ſors du coſté par ou lon ſortoit ſur le plant, a celle fin (ainſi que ie preſume) qu’aucun ne ſe precipitaſt inconſideremẽt en celle grande caue : car le mõter ſi hault, & le tournoier par tãt de degrez, cauſoit vn chanceler auec eſblouiſſemẽt admirable. Deſſoubz le pied de l’obeliſque en ſon diametre eſtoit plõbée vne platine de cuyure, grauee d'eſcriture antique en lettres latines, greques, & arabiques, par leſquelles ie compris qu’il eſtoit dedié au ſouuerain ſoleil: & dauantage y eſtoient denotees toutes les meſures de la ſtructure: meſmes le nom de l’architecte eſtoit eſcript en lettres Greques ſur l’obeliſque, diſant:

ΛΙΧΑΣ Ο ΛΙΒΙΚΟΣ ΛΙΘΟΔΟΜΟΣ ΩΡΘΟΣΕΝ ΜΕ.
Lichas de Libye architecte m’a érigé.

En la premiere face du plinthe ſur lequel la pyramide eſtoict fondée, eſtoict entaillée vne cruele bataille de Geans, auſquelz ne defailloit ſinon la vie, car ilz eſtoient ſi excellemment figurez auec le mouuement & grande promptitude de leurs corps enormes, qu’il eſt impoſſible le pouoir declairer : car la nature y eſtoit ſi bien enſuiuie & contrefaicte, & ſes effectz ſi propremẽt exprimez, qu’il ſembloit que leurs piedz ſ’efforcaſſent auec les yeulx, & qu’ilz couruſſent ca & la. Il y auoit des cheuaux rẽuerſez en cuidãt ruer, d’autres mortz & blecez. pluſieurs voulans aſſeoir leur pied ſur ceulx qui eſtoient tumbez, trebuchoient, en grand nombre. D’autres y en auoit debridez & furieux, rompans la preſſe & la meſlée. Aucuns de ces Geans auoient gecté leurs armes, & ſ’embraſſoient en forme de lutte. maintz eſtoiẽt cheuz, que lon tiroit par les piedz. autres foulez & ſurmarchez giſans entre les mortz ſoubz les cheuaux, dont les aucuns taſchoient ſe releuer, & mettoient leurs targues au-deuant des coupz deſpées, ou autrement cimeterres antiques, bien artiſtement figurez. La pluspart combatoit a pied, en confuſion, & par trouppes. Aſſez y en auoit armez de haubertz, cuyraſſes, & cabaſſetz, enrichiz de diuers cymiers, creſtes, & deuiſes : les autres tous nudz, qui ſembloient aſſaillir leurs ennemys d’un courage enflambé. maintz eſtoient pourtraictz en vne effigie redoubtable par l’eſcrier : autres en figure obſtinée & furieuſe, les vns preſts de mourir, les autres du tout mortz, manifeſtans leurs mẽbres robuſtes, telemẽt que lon pouuoit veoir les muſcles releuez, les ioinctures des oz, & les dures entorces des nerfz eſtenduz. Le cõbat ſembloit ſi eſpouentable & horrible, que lon euſt eſtimé que Mars ſ’eſtoit aſſemblé par bataille a Porphyrion & Alcyoneus. Les figures eſtoient de demyboſſe de marbre blanc, & le fondz de pierre de touche treſnoire, pour donner grace & luſtre aux images, & faire getter hors l’ouurage. La ſe pouoient veoir des corps eſtrãges, effortz extremes, actes affectiõnez, diuerſes mortz, & victoire incertaine. Helas que mes eſpritz laſſez & trauaillez, mon entendement confuz par continuelle diuerſite, & mes ſens troublez de choſes ſi merueilleuſes, ne peuuent ſuffire ie ne dy pas a declairer le tout, mais a biẽ exprimer la moindre partie de ceſte ſculpture tant noble. Dieu, d’ou proceda ſi grand’audace & preſumptiõ auec vouloir deſordonné d’aſſembler des pierres en ſi grand mõceau ? auec quelz rouleaux, auec quelz chariotz, & autres machines tractoires ont eſté leuez ſi hault ces quartiers de grandeur incroiable, pour eriger vne ſi merueilleuſe pyramide ? Certes onques Dinocrates ne propoſa plus ſuperbemẽt au grand Roy Alexandre la forme de ſon concept & deſeing ſur la ſtructure du mont Athos. A la verité ceſte cy excede l’inſolence des Egyptiens, le miracle du Labyrinthe de Crete, & la renommée du Mauſolée. auſſi ſans point de doubte, il ne vint iamais a la congnoiſſance de celluy qui eſcriuit les ſept miracles du monde. Il ne fut en nul temps veu ne pourpenſé vn tel edifice. Finablement ie conſideroie quele reſiſtence de voultes le pouoit ſouſtenir, quele forme de colonnes, quele groſſeur de pilliers tetragones ou hexagones, eſtoiẽt ſuffiſans a porter vne ſi grande charge : & iugeay par mon diſcours ſelon raiſon, que le deſſoubz eſtoit maſſif de la meſme roche, ou emply & maſſonné de blocage, faiſant du tout vne maſſe ferme & ſolide. Et pour en ſauoir la verité, ie regarday par la porte, & vey que la dedans y auoit grande concauite, & merueilleuſement obſcure.