Histoire de dix ans/Tome 5/Chapitre 13

(Vol 5p. 393-428).
CHAPITRE XIII.


Premiers débats entre les chefs de la Coalition M. Gnizot demande le ministère de l’intérieur on le lui refuse. — Cabinet de Centre Gauche essayé ; comment la combinaison avorte. —Scène devant le roi. — Piège tendu à M. Thiers. — Ambassade offerte à M. Thiers pour l’éloigner. — Nomination d’un ministère provisoire. — M. Passy président de la Chambre. — Nouvelles combinaisons vainement essayées, — Effroi de la bourgeoisie fermentation générale. — Insurrection du 12 mai. — Formation d’un nouveau ministère. — Barbes, Martin Bernard ; leur procès leur attitude devant les juges leur condamnation ; physionomie de la capitale.



Ce qui précède prouve qu’à aucun prix la bourgeoisie, en France, ne voulait être asservie par la royauté. Elle aurait voulu l’asservir, au contraire ; mais ce qui suit va montrer quelle était à cet égard son impuissance. Ainsi ressortira, sous ses deux aspects, l’absurdité du régime qui met face à face un roi et une assemblée. Et nous avions besoin d’indiquer d’avance la conclusion, pour expliquer comment nous avons pu aborder sans dégoût le récit des intrigues auxquelles la chute du ministère Molé ouvrit carrière. Pour l’homme d’État et le philosophe, l’histoire n’a pas de moindres enseignements quand elle se rapetisse que quand elle s’élève.

La coalition s’étant formée par l’alliance momentanée des doctrinaires, du Centre Gauche et de la Gauche, elle avait eu naturellement pour chefs MM. Guizot, Thiers et Odilon Barrot. Or, il y avait dans le gouvernement trois grandes positions politiques : le ministère de l’intérieur, celui des affaires étrangères, et la présidence de la Chambre. Donnerait-on l’une à M. Guizot, l’autre à M. Thiers, la troisième à M. Barrot ? Rien ne paraissait plus équitable, et M. Guizot ne l’entendait pas autrement.

Mais pour la plupart des membres de la Gauche, le chef du parti doctrinaire n’avait pas cessé d’être un homme dangereux. Ils le savaient Indifférent en matière politique, prompt à s’accommoder aux situations les plus diverses, capable enfin de passer au service de la prérogative royale, sauf à faire ensuite de sa mobilité même un orgueilleux étalage et à se parer de sa défection. Ils le voyaient déjà esclave violent, impérieux, du roi ; et ils se souvenaient de Strafford, servant avec fureur le despotisme de Charles Ier, après l’avoir avec fureur dénoncé et combattu. D’ailleurs, il n’était pas douteux que, devenu ministre, M. Guizot ne s’empressât de distribuer à ses amis les places dont il disposerait, grave sujet d’alarme pour certains amis de M. Barrot, qui prétendaient bien avoir leur part dans le partage des dépouilles conquises !

M. Thiers chercha-t-il à entretenir ces répugnances, pour affaiblir une influence redoutée par son ambition ? On le lui a reproché depuis, mais injustement. Son seul tort à l’égard de M. Guizot fut de ne pas user de son ascendant sur les membres de la Gauche de manière à obtenir d’eux le complet sacrifice de leurs préventions. Une première réunion des amis de M. Barrot ayant eu lieu, M. Thiers y parut, et, avec une chaleur sincère, il s’attacha à prouver qu’enlever à M. Guizot toute participation aux bénéfices d’une victoire remportée par son concours, ne serait ni prudent ni équitable. Et toutefois, il n’allait pas jusqu’à demander pour le chef du parti doctrinaire le ministère de l’intérieur. L’assemblée était incertaine, la délibération fut pleine d’anxiété. Enfin, il fut décidé qu’on offrirait à M. Guizot le portefeuille de l’instruction publique, et que, s’il s’en contentait, il serait soutenu par la Gauche.

Fier d’un succès sur lequel il comptait à peine, M. Thiers court en informer M. Guizot. Mais dans ce qu’on venait lui annoncer comme une heureuse nouvelle, ce dernier ne vit qu’une injure, et il témoigna le désir de s’en expliquer hautement.

Une entrevue, qui devait être décisive, fut donc ménagée entre M. Barrot accompagné de MM. Havin et Chambolle, M. Thiers accompagné de MM. Mathieu de la Redorte et Roger, et M. Guizot, auquel s’étaient joints MM. Duvergier de Hauranne et de Rémusat.

La discussion s’engagea, vive de la part des uns, et, de la part des autres, grave, solennelle. Pressé de consentir à une transaction qui tranchait toutes les difficultés, M. Guizot déclara qu’il ne pouvait accepter la position secondaire qu’on lui abandonnait, sans laisser amoindrir et insulter son parti dans sa personne. Alors, dans un discours aussi ingénieux que pressant, M. Chambolle essaya de le ramener à des prétentions moins hautaines : que craignait-il ? Que son influence ne fut trop petite dans le Conseil s’il n’avait que le portefeuille de l’instruction publique ? Mais l’importance d’un ministre résulte moins de sa place dans la hiérarchie ministérielle que de sa valeur personnelle et de son talent. M. Guizot, simple ministre de l’instruction publique, cesserait-il pour cela d’être aux yeux du public un des hommes les plus considérables du Cabinet ? Moins que personne il devait être retenu par cette crainte, lui qui avait déjà occupé le poste qu’on lui offrait maintenant, et qui l’avait occupé de façon à attirer sur lui tous les regards. Si on lui refusait le ministère de l’Intérieur, ce n’était nullement pour l’offenser. Mais était-il juste d’exiger des amis si nombreux de M. Thiers et de M. Barrot, qu’ils fissent le sacrifice du Conseil d’État, des préfectures, des sous-préfectures, des emplois vraiment politiques, au chef du parti doctrinaire, parti qui, dans la Chambre, ne comptait pas plus de trente membres, et qui ne tenait, au dehors, d’autre place que celle de son ancienne impopularité ?

À ces considérations, développées par M. Chambolle avec convenance et dignité, M. Guizot répondit par une proposition fort embarrassante pour ses adversaires. « Si M. Odilon Barrot, dit-il, veut pour lui le ministère de l’intérieur, je le lui cède, à condition qu’on me donnera la présidence de la Chambre. Est-ce trop exiger ? La coalition a eu trois chefs, et j’en suis un : il y a trois grandes positions à occuper, et je ne demande que celle dont MM. Barrot et Thiers ne voudront pas. Quoi de plus légitime ? »

À son tour, et avec beaucoup d’éloquence, beaucoup de feu, M. de Rémusat fit ressortir le danger de rompre le faisceau que la coalition avait formé. Il exposa que les empiétements de la prérogative royale ne pouvaient être arrêtés que par une alliance étroite entre MM. Barrot, Guizot et Thiers ; que, cette alliance une fois brisée, la Chambre ne tarderait pas à être dominée ou asservie qu’en présence d’une autorité permanente entourée du prestige que donne la majesté royale, douée de la force qui se puise dans l’unité, rien n’était plus à craindre que le fractionnement des partis parlementaires, et qu’il y allait de l’existence du régime constitutionnel ; que, d’ailleurs, entre les doctrinaires et la Gauche les dissidences d’opinion n’étaient pas si réelles qu’un habituel contact ne les pût aisément faire disparaître ; que la coalition avait déjà détruit bien des préventions injustes, émoussé beaucoup d’aspérités apparentes, et qu’il était aussi facile qu’urgent de poursuivre une œuvre de conciliation heureusement commencée. Et puis, il ne fallait pas, suivant M. de Rémusat, que la Gauche s’exagérât la portée de son action. Puissante sur une partie de la société, elle était pour l’autre un objet d’effroi. Que ne gagnerait-elle pas à s’associer un homme dont le nom lui servirait d’égide auprès des conservateurs les plus défiants ? Mais comment obtenir de pareils résultats si l’on commençait par disputer à M. Guizot, dans le Cabinet, une place digne de son talent et en rapport avec ses services ?

Pendant ce discours, M. Guizot avait donné de nombreux signes d’assentiment. Son adhésion avait éclaté surtout d’une manière non équivoque quand l’orateur l’avait montré prêt à couvrir de l’autorité de son nom les projets de réforme nourris par la Gauche. Et cependant on ne put s’accorder, les amis de M. Odilon Barrot n’ayant voulu à aucun prix livrer aux doctrinaires, dans la personne de leur chef, le ministère de l’intérieur. On juge si, dans un homme tel que M. Guizot, la blessure fut profonde. Quoi ! pour rapprocher du pouvoir ses anciens adversaires il s’était jeté au plus épais de la mêlée ! il avait bravé le roi, bravé la Cour, joué le démagogue, affronté des ressentiments furieux, renoncé au faste de son impopularité !… Et c’était là sa récompense ! Habile à garder les dehors du dédain et de la sérénité, il s’abstint également et de menacer et de se plaindre ; mais la vengeance était au fond de son cœur, et ses alliés de la veille purent dès-lors le compter au nombre de leurs plus implacables ennemis.

Dans l’intervalle, Louis-Philippe, par l’intermédiaire du maréchal Soult, avait fait faire des ouvertures à M. Thiers, et M. Thiers avait répondu qu’il n’entrerait en pourparlers avec le roi que sur une invitation formelle et directe, soit qu’il craignît une embûche, soit qu’il fût bien aise d’avoir entre les mains la preuve écrite des avances dont on l’honorait. La lettre qu’il désirait lui fut adressée les négociations s’entamèrent ; et, la première combinaison essayée ayant avorté comme on vient de le voir, M. Thiers s’empressa d’appeler à lui MM. Dupin aîné, Humann, Duperré, Sauzet, Passy, Villemain, Dufaure, tous membres du Centre Gauche. La présidence de ce Cabinet aurait appartenu au maréchal Soult, et M. Thiers aurait eu le portefeuille des affaires étrangères. On convint aussitôt d’un programme. Il portait en substance 1o que les nouveaux ministres ne seraient pas gênés par la prérogative royale dans la distribution des emplois ; 2o que, sans aller jusqu’à l’intervention, on prendrait quelques mesures protectrices de l’Espagne. M. Thiers insistait beaucoup sur ces deux clauses : sur la première, parce qu’il avait hâte de remplir les promesses qui le liaient à ses amis ; sur la seconde, parce qu’elle semblait donner un but à la coalition, qui, sans cela, risquait fort de rester dans l’histoire comme la plus stérile des trames ourdies par l’ambition. M. Thiers éprouvait, de plus, une sorte de joie orgueilleuse et maligne à faire reculer le roi dans une question qui, aux yeux de l’Europe, avait pris le caractère d’un duel engagé entre lui et Louis-Philippe.

Et c’était pour en venir là que, pendant plusieurs mois, on avait semé partout le trouble et la haine !

Quoi qu’il en soit, la liste des noms ayant été arrêtée et le programme adopté MM. Soult, Thiers, Humann, Dupin, se rendirent au Château, tant pour interroger les dispositions du roi, que pour lui faire agréer MM. Passy, Villemain et Dufaure, qu’il n’aimait pas et redoutait. Il y eut quelque chose qui rappelait les réceptions de Roland à la Cour de Marie-Antoinette, dans l’accueil fait aux membres du Centre Gauche, bien qu’aucun d’eux ne rappelât par son indépendance ou son austérité le ministre girondin. Sur leur passage, la famille royale parut dans une attitude sévère et sombre. Seul, le roi les reçut avec un visage souriant. Ils traversèrent en silence les salons qui séparent de l’appartement de la reine le théâtre où devait se passer l’entrevue, et chacun prit place M. Dupin poussant jusqu’à la hardiesse l’assurance de son maintien, M. Humann conservant l’air de bonhomie mêlée de ruse qui le distinguait, le maréchal taciturne et la tête penchée sur l’épaule, M. Thiers enfin dans un état d’agitation qui lui permettait à peine de se tenir assis. La discussion s’étant ouverte sur les personnes, le roi témoigna peu de goût pour M. Dufaure, ne l’ayant jamais vu et lui croyant un caractère très-rude. En entendant prononcer le nom de M. Passy, il se souvint de ces mots qu’un jour M. Passy avait laissé échapper sur les marches de la tribune : « Le mal est plus haut que les ministres », et il s’écria : « M. Passy mais c’est mon ennemi personnel. » Il dit aussi de M. Villemain : « C’est un ennemi de ma maison », faisant allusion par là au peu d’empressement qu’avait mis M. Villemain, en 1830, à saluer la fortune de la dynastie d’Orléans. Quelque vives que fussent des répugnances exprimées en de pareils termes, M. Thiers s’empressa de les combattre et le fit avec succès. Sur la question de choses, l’opposition du roi se traduisit par une grande abondance de paroles, auxquelles, contre son habitude, M. Thiers ne résista que par un froid laconisme ou des redites obstinées.

Il y avait lieu de croire, d’après le résultat de cette première démarche, que le ministère proposé n’était point agréé par la Cour. Aussi M. Thiers fut-il très-étonné en recevant du maréchal Soult l’assurance du contraire. Toutefois, se réunissant à ses collègues, il reprit avec eux le chemin du palais. Seulement, à la montée de l’escalier, il dit, en hochant la tête, ces paroles dont, plus tard, on devait s’armer contre lui : « Nous montons cet escalier ministres je crains bien que nous ne le descendions pas ministres. » Pourtant, la table était dressée ; les ordonnances étaient prêtes : tout paraissait conclu. Mais M. Thiers s’était promis d’obtenir du roi des explications précises ; car une acceptation vague du programme convenu ne suffisait point à ses défiances. Il commença donc par s’étendre avec détail sur ce qu’il convenait de tenter en faveur des Espagnols de Christine. Il demanda si on était disposé à leur accorder un secours naval ; à leur envoyer des armes ; à permettre, le cas échéant, le débarquement de nos marins ; à arrêter les secours en munitions portés à don Carlos par les vaisseaux russes ou hollandais. C’était demander, au &nd, que la France interprétât le droit des neutres à la manière des Anglais. M. Passy en fit l’observation avec une vivacité dont M. Thiers fut plus irrité encore que surpris. Mais, encouragé par l’attention visiblement bienveillante que le roi lui prêtait, M. Passy développa son opinion en homme compétent et convaincu. Bientôt il eut pour lui tous ses collègues, à l’exception de M. Thiers, dont les yeux brillaient de colère. Quant au roi, il avait montré, dès l’abord, une condescendance parfaite, et la division qui éclatait à sa vue le dispensait du soin d’appeler à l’aide de ses secrets sentiments l’autorité de sa parole. La discussion paraissait épuisée, quand M. Thiers, bien décidé à pousser les éclaircissements jusqu’au bout, parla de la nécessité de donner à M. Odilon Barrot la présidence de la Chambre. Rien ne convenait moins au roi : il eût accepté volontiers M. Barrot pour ministre, dans l’espoir d’agir sur lui ; mais le drapeau de la Gauche planté victorieusement dans la Chambre l’épouvantait. Il n’eut pas, néanmoins, à s’en expliquer de façon à encourir le reproche d’avoir amené une rupture ; car, au seul nom de M. Barrot, M. Humann se hâta de protester, affirmant que, pour son compte, il ne pourrait, sans rompre avec ses meilleurs amis, donner les mains à la présidence parlementaire du chef de la Gauche. C’en était trop. « Tachez, Messieurs, de vous mettre d’accord entre vous », dit le roi avec une intention légèrement ironique, et en levant la séance. Alors, appuyant ses mains avec violence sur la table, M. Thiers s’écria d’un ton amer et presque insultant : « Je vous avais bien dit, Sire, que ces Messieurs valaient mieux que moi. — Eh ! je le vois bien », répondit Louis-Philippe.

Au sortir du Château, on se rendit chez le maréchal Soult ; mais M. Humann déclara qu’il se retirait ; et, d’ailleurs, des sentiments trop remplis d’aigreur venaient d’être éveillés pour que l’accord ne fût pas devenu impossible.

Il en naquit mille rumeurs contradictoires. MM. Humann, Passy, Dufaure, se persuadèrent aisément que M. Thiers, en soulevant les difficultés d’un long commentaire, avait eu pour unique but de faire avorter une combinaison qu’on supposait lui déplaire parce que le maréchal Soult y occupait la plus haute place. L’interprétation fit fortune, les gens de Cour s’en emparèrent, et M. Thiers fut dénoncé comme le plus dangereux des brouillons. De son côté, il fit répandre par ses amis que, s’il avait cru devoir provoquer des explications catégoriques, c’était par suite de la connaissance personnelle qu’il avait du roi, facile sur la théorie, non sur la pratique ; qu’il eût été imprudent de sa part et insensé, d’accepter le pouvoir sans avoir bien fait d’avance ses conditions ; que sa justification complète se tirait de la résistance de ceux que lui-même avait choisis pour collègues : résistance si extraordinaire, si imprévue, et qui témoignait si clairement de l’influence exercée par le voisinage de la royauté et par l’amour trop impatient d’un portefeuille.

Sur ces entrefaites, le maréchal Soult alla voir M. Thiers, qu’il pressa de se mettre à la tête d’un Cabinet. Mais M. Thiers, qui ne voulait pas donner prise aux accusations dirigées contre lui, et qui, à tort ou à raison, considérait le maréchal Soult comme l’envoyé du Château, M. Thiers répondit : « Ne donnez pas, monsieur le maréchal, un tel conseil à la Couronne. Si j’étais appelé aujourd’hui à former un Cabinet et qu’on m’en offrît la présidence, je ne vous cache pas que dans une offre semblable je verrais un piège. »

Ainsi, aux désordres de l’interrègne ministériel se joignait le conflit des récriminations envenimées et des soupçons outrageants. Il fallut en revenir à l’idée de former un Cabinet de coalition, et l’on eut recours à M. de Broglie pour opérer un rapprochement entre M. Thiers et M. Guizot. Malheureusement, les situations s’étaient, depuis quelque temps, compliquées d’une manière étrange. Le jour où il s’était vu repoussé par la Gauche, M. Guizot avait commencé à reculer vers ses anciennes affections ; et les membres du Centre, ravis de le ramener à eux, avaient mis à profit son ressentiment. Or, si parmi les doctrinaires, les uns, à l’exemple de M. Duvergier de Hauranne, restaient fidèles à la coalition, les autres, à l’exemple de M. Hébert, n’étaient pas éloignés de s’armer contre elle. Voilà ce que M. Thiers n’ignorait pas, et il ne voulait point, pour renouer avec M. Guizot, manquer à ses engagements avec la Gauche. Il s’était fait un point d’honneur d’obtenir pour M. Odilon Barrot la présidence de la Chambre et plus ce résultat devenait incertain, plus il se préoccupait des moyens de l’atteindre. Jusqu’alors il s’était borné à dire : « Votons pour la présidence parlementaire de M. Barrot » : il demandait maintenant davantage, il demandait qu’on fît de la présidence du chef de la Gauche une question de Cabinet. Exigence qui parut exorbitante à M. Guizot et qui porta le dernier coup à la coalition !

Cependant, la société, si fortement remuée à sa surface, s’ébranlait déjà dans ses profondeurs ; déjà l’on entendait le bouillonnement des partis ; un mouvement inaccoutumé régnait dans les ambassades, et des courriers extraordinaires, lancés sur toutes les routes de l’Europe, allaient porter aux rois absolus la grande nouvelle du gouvernement constitutionnel tombé dans la dérision et à la veille de s’engloutir dans son impuissance. Une démarche tentée pour réunir dans un même Cabinet M. Thiers et le maréchal Soult fut repoussée par le second avec une affectation de mépris qui prouvait au premier à quelles haines implacables il était voué ; et l’émotion générale redoubla, excitée d’ailleurs et entretenue par le déchaînement de la presse. C’était de la fureur, c’était du vertige. Et pas un coup qui ne portât sur la royauté. On se battait pour ou contre le roi, mais autour de lui. À lui, à lui seul, disaient les amis de M. Thiers, la responsabilité d’une crise si prolongée ; et chaque matin on lisait dans le Constitutionnel les attaques les plus véhémentes rentre la faction de la Cour, contre le maréchal Soult surtout, soupçonné de jouer, dans ce funeste imbroglio d’intrigues, la partie du roi. Car volontiers l’on supposait à la Cour le dessein de diviser à jamais les chefs de la coalition, de les accabler de leur propre victoire, de les convaincre l’un par l’autre de folie et d’incapacité, de couvrir de ridicule l’assaut livré par eux à la prérogative royale.

Et, de leur côté, les courtisans poursuivaient M. Thiers de leurs malédictions. À entendre le Journal des Débats, M. Thiers était l’ennemi personnel du roi, son calomniateur ; il brouillait tout, parce que l’amour du désordre était entré dans son sang, et par lui le cardinal de Retz était dépassé.

Pour mieux accréditer l’accusation, le Château imagina un expédient bizarre. On fit semblant de croire que l’anarchie dont on souffrait était comme attachée à la personne de M. Thiers ; que, lui absent, l’ordre renaîtrait aussitôt. Et une ambassade lui fut offerte. Or, on faisait courir, pendant ce temps, le bruit mensonger que ses affaires étaient embarrassées et qu’il avait dû recourir à la bourse de ses amis. Il crut comprendre où l’on en voulait venir. Mandé par le roi, il lui dit : « Je ne saurais accepter un exil avec appointements. Mais que le roi déclare par écrit qu’il regarde un voyage de moi au dehors comme propre à faciliter le dénoûment de la crise : ce sera un ostracisme. Je le subirai. » Et le soir même, un grand nombre de députés M. Barrot en tête, couraient chez lui pour l’entourer de leurs sympathies et le fortifier dans son refus.

Les choses en étaient là, quand, le 1er avril, on apprit qu’un Cabinet venait enfin d’être formé. Mais quelle ne fut pas la surprise du public en lisant dans le Moniteur les noms de MM. de Montebello, Gasparin, Girod (de l’Ain), Cubières, Tupinier, Parant, Gauthier ! « Au temps des disputes de Fox et de Pitt, s’écria la Revue des Deux-Mondes, l’Angleterre resta sept semaines sans ministère, crise qui eût duré plus long-temps si Georges III n’eût déclaré que, las de ces entraves~ il était décidé à aller à Charring-Cross et à prendre pour ministres les sept premiers gentlemen qu’il rencontrerait » La liste publiée par le Moniteur donna lieu à des commentaires encore plus injurieux. Paris s’agita. Il y eut des rassemblements sur les places publiques, des cris confus, des murmures précurseurs de l’émeute, des charges de cavalerie !

Alors, saisis d’effroi et réduits à s’abaisser aux artifices, les partisans de la Couronne, les membres du Centre, ne songèrent plus qu’à gagner par des avances flatteuses certains chefs du Centre Gauche ; et ils se résolurent à offrir la présidence de la Chambre à M. Passy, un des meneurs de la coalition. M. Thiers en est informé, il s’en indigne, convoque les membres du Centre Gauche chez M. Ganneron et là, combattant la candidature de M. Passy, il rappelle les engagements pris envers M. Odilon Barrot, et conjure ses amis de ne pas voter pour un candidat qu’ils tiendraient de la main du Centre. Le Centre Gauche, en effet, n’hésita pas à se prononcer pour M. Odilon Barrot ; si bien que, dans la séance, du 16 avril, M. Passy, porté pour la présidence de la Chambre, eut en sa faveur ses adversaires et contre lui ses amis. Les premiers l’emportèrent. M. Odilon Barrot n’obtint que 193 suffrages : son concurrent en réunit 223.

C’était pour M. Passy une étrange victoire ; mais, comme elle le rapprochait de la Cour, il fut chargé par le roi de la formation du Cabinet, celui qui existait n’étant que provisoire et ne se prenant pas lui-même au sérieux. M. Passy aussitôt se mit à l’œuvre. Interrogé par lui, M. Thiers se déclara prêt à accepter la présidence du maréchal Soult. Or, le maréchal, de son côté, ayant promis de faire partie avec M. Thiers de la combinaison proposée, la conclusion était déjà regardée comme certaine, lorsque tout-à-coup le maréchal fit savoir aux personnages chargés de la négociation que M. Thiers devait se résoudre à renoncer au ministère des affaires étrangères et à prendre celui de l’Intérieur. La proposition avait quelque chose de si imprévu et de si insultant, elle indiquait si bien l’intention de donner à la question d’Espagne un tour contraire aux vues émises par M. Thiers, que ses amis refusèrent pour lui avant de l’avoir consulté. Lui, il en éprouva contre le maréchal Soult un surcroît de haine qu’il ne craignit pas d’exhaler, à la tribune, en termes passionnés. Et quant à M. Passy, qui avait noué l’affaire, il se plaignit hautement d’avoir été trompé, ce qui ne l’empêcha pas de faire une seconde tentative.

C’était la sixième combinaison essayée, et tout annonçait, cette fois, qu’on arriverait à un dénoûment. Les portefeuilles furent distribués comme il suit : le ministère des affaires étrangères à M. Thiers, l’intérieur à M. Dufaure, le commerce et les travaux publics à M. Sauzet, les sceaux à M. Dupin aîné, la guerre au maréchal Maison, la marine à l’amiral Duperré, l’instruction publique à M. Pelet (de la Lozère). Pour prévenir toute dispute de prééminence, il avait été convenu que le Conseil n’aurait pas de président réel ; qu’il y aurait seulement, pour la règle des délibérations, un président d’ordre ; et que ce serait M. Dupin qui en remplirait les fonctions. Le 29 avril, chacun disait la crise terminée. Quoiqu’il n’y eût pas séance ce jour-là, les curieux affluaient autour du Palais-Bourbon ; une foule nombreuse et impatiente de députés encombrait la salle des conférences, les yeux fixés sur les voitures qui stationnaient dans la cour et devaient conduire les nouveaux ministres aux Tuileries. On attend, mais en vain ; les heures s’écoulent ; les voitures restent immobiles ; on s’épuise en conjectures. Les uns se plaisent à attribuer le retard à des causes peu importantes ; les autres devinent le scandale d’un sixième avortement, et parlent d’une main cachée qui paralyse les efforts les plus sincères. Soudain, ces mots tombent dans la foule : « Tout est rompu. » En effet, M. Dupin, qui, la veille, s’était rendu au Château, venait de déclarer à ses collègues d’un jour qu’il n’y avait de ministère sérieux qu’avec une présidence réelle que la présidence d’ordre qu’on lui avait offerte ne pouvait lui convenir ; que, pour ne pas s’aliéner tout-à-fait le Centre, on aurait dû s’associer M. Cunin-Gridaine, dont il avait été question d’abord, mais que le refus de celui-ci changeait la situation ; que le roi avait temoigné de la froideur pour un Cabinet formé en dehors de ses préférences et que cette froideur rendrait la position bien difficile devant une majorité dont la force n’était pas douteuse et dont il fallait craindre l’hostilité. Ainsi l’on retombait dans le chaos. La fermentation redoubla dans Paris ; appelé à la tribune pour y rendre compte de sa conduite, M. Dupin manqua à sa propre défense, se réfugia dans des excuses vaines, et s’attira de la part de M. Dufaure une réplique foudroyante. Mais contre tant d’anarchie quel remède ? À de pareilles complications quelle issue ?

Nul ne peut dire ce qui serait sorti d’un semblable désordre s’il n’en était pas sorti une insurrection qui, vaincue, rallia par l’imminence du péril, les chefs de la bourgeoisie divisés.

Il existait alors à Paris une société secrète dont l’origine remontait au mois de juillet 1834. Frappés des inconvénients qui étaient résultés, pour la Société des Droits de l’Homme, de la publicité de son existence, quelques républicains avaient résolu en 1834 de former une société nouvelle, ayant un caractère presqu’exclusivement militaire et dont les chefs devaient rester inconnus jusqu’au jour du combat. La fraction type de l’association, réduite à six membres, reçut le nom de famille. Cinq ou six familles, réunies sous un même chef, formèrent une section, et deux ou trois sections un quartier. Les chefs de quartier relevaient de l’agent révolutionnaire, membre du Comité mystérieux qui planait sur l’association. On avait des dépôts de munitions et elles étaient d’avance distribuées : mauvais système ! car il avait pour effet non-seulement de donner lieu à des confidences dangereuses, mais encore d’enflammer chez les conspirateurs des espérances de combat qui, venant à languir, laissaient l’association sans but et tendaient à la dissoudre. Et cependant elle eut d’abord d’assez rapides développements. Dans les premiers mois de 1836, elle comptait 1200 hommes, et entretenait dans deux régiments en garnison à Paris de sérieuses intelligences. On était impatient d’agir : on se mit à fabriquer de la poudre. Mais l’éveil fut donné à la police ; des visites domiciliaires amenèrent la découverte d’ mportants secrets et l’arrestation des chefs : après un essai d’insurrection manqué la société se désorganisa.

De 1836 à 1837 l’œuvre fut reprise par la base. La Société des Familles se transforma sous le nom de Société des Saisons ; et il fut décidé, sur la proposition de M. Martin Bernard, 1o que des revues fréquentes auraient lieu à des époques indéterminées, tantôt dans un lieu tantôt dans un autre, ce qui permettrait de réunir ou de séparer les hommes sans qu’il leur fût possible de savoir quand et comment devait se jouer là partie décisive ; 2o que, l’occasion de combattre se présentant, les munitions seraient déposées sur le passage des colonnes insurrectionnelles, de manière à n’être distribuées qu’en face du péril.

Le gouvernement marchait donc entouré d’invisibles ennemis. En 1838, une fabrication de cartouches fut constatée chez M. Raban, graveur au Palais-Royal, et ce ne fut pas le seul avertissement sinistre que le pouvoir reçut du hazard. Mais où battait le cœur de l’insurrection ? Quelle serait l’heure du signal ? Quel était le nombre de ces indomptables combattants dont il semblait que, de loin, on vît les épées briller dans les ténèbres ? Au mois d’avril 1839, l’association avait mille hommes sur les cadres ; elle possédait douze mille cartouches ; ses chefs, inconnus à elle-même, étaient Armand Barbès, esprit brillant, âme chevaleresque et héroïque ; Martin Bernard, tête puissante servie par un courage de soldat lacédémonien ; Blanqui, conspirateur-né Guignot, Nétré et Meillard, natures dévouées et pleines de feu. Nous venons de décrire l’effroyable confusion dans laquelle flottait alors le monde politique. Les conjurés, avec une funeste impatience, s’agitèrent, voulurent combattre : ils se séparaient si l’on ne prenait pas les armes ! Arrêtons-nous ici pour faire remarquer à quels tristes, à quels déplorables entraînements se condamnent les hommes qui, ayant plus de foi aux victoires de la force qu’aux pacifiques et inévitables conquêtes de l’intelligence, font du progrès de l’humanité une affaire de coup de main, une aventure Les membres du Comité se sentirent enlacés fatalement par la circonstance. Leur armée leur échappait à moins qu’elle ne les entrainât, et une main de fer les poussait sur des pentes où il n’est donné à personne de s’arrêter après un premier, après un téméraire engagement ! Exemple qui, de nos jours, ne saurait être trop médité par tant de nobles jeunes gens que trompe leur patriotisme ! Car la foi politique a son ivresse et le dévouement ses illusions.

L’insurrection fut décidée. Quant aux moyens, ils étaient de tradition parmi les conjurés : grouper, sous prétexte de revue et à l’insu les unes des autres, toutes les divisions dans le voisinage d’un magasin d’armes, et distribuer sur place les fusils et les cartouches, dont la répartition anticipée eût trahi le complot. Le magasin de Lepage passait pour un des mieux approvisionnés de Paris ; il avait, en outre, l’avantage d’être situé dans un endroit central il fut désigné comme point de réunion ; on se procura dans les environs deux lieux de dépôt ; et les dernières journées furent employées : par Barbès, à visiter les chefs de tous grades dans les divers quartiers ; par Martin Bernard, Guignot, Meillard etc… à étudier en détail les localités et à marquer les boutiques qui pouvaient servir de logis d’attente. Pour éviter les erreurs de domicile et les encombrements suspects, on eut soin d’adresser à chaque membre estimé bon au combat un billet de convocation contenant une désignation spéciale et précise. Quel plan allait-on suivre ? Celui que Blanqui proposa consistait à envahir la préfecture de police et à s’y retrancher ainsi que dans une citadelle. Tout avait été prévu : tant de ponts à occuper ; tant de barricades à construire ; tant d’épaisseur à donner aux barricades pour les mettre à l’épreuve du canon ordinaire ; tant d’hommes à placer sur chacun des points qu’indiquait la carte. Barbès objecta le danger d’un volontaire isolement dans cette cité sans population à émouvoir, la difficulté de construire entre le signal et l’attaque des barricades telles que les voulait le manuel de l’ingénieur militaire, la difficulté, plus grande encore, de plier à des manœuvres prévues des conspirateurs en armes, troupe éssentiellement indisciplinée. Le plan proposé l’emporta. Quant à une proclamation à lancer parmi le peuple, Barbès et Martin Bernard répugnaient, par modestie, à faire bruit de leurs noms ; mais l’honneur de se compromettre hautement, irrévocablement, toucha leur courage, et ils donnèrent leurs signatures devant le succès possible, parce que c’était, selon toute apparence, les donner devant la mort.

L’heure est venue. Le 12 mai, à trois heures et demie, les sectionnaires débouchent dans la rue Bourg-l’Abbé. Le cri aux armes retentit soudain et se prolonge en échos formidables. Frappée à coups redoublés, la porte du magasin d’armes résiste ; mais quelques insurgés pénètrent dans le magasin par une fenêtre qui donnait sur la cour, et, bientôt, cédant aux efforts dirigés contre elle de l’intérieur et du dehors, la porte livre passage à un flot d’assaillants. On se distribue les fusils, les cartouches ; on marche aux maisons de dépôt ; et, tandis que Barbès, Meillard, Nétré, montent dans l’une, l’autre est envahie par Martin Bernard et Guignot. Les deux opérations auraient dû* être d’une égale durée ; mais la seconde ayant été retardée outre-mesure par des obstacles impossibles à prévoir, Barbès et Meillard ne retrouvèrent dans la rue, où Blanqui cependant était resté, que trouble, découragement, désertion, désordre: chose bien facile à comprendre ou, plutôt, inévitable en de pareils moments ! Ce n’étaient donc que murmures, qu’imprécations : Nous sommes trahis ! Il n’y a pas de plan ! Où sont les chefs ? Que le comité se montre ! Barbès se présente aux plus violents, et dans l’emportement d’une scène analogue à celle que caractérisait, un instant après, cette réponse de Martin Bernard : « Le comité, c’est nous », il parvient à reprendre quelque empire. La situation, toutefois, était pressante : le sauve qui peut commençait. Barbès vit bien qu’il fallait précipiter la lutte sans attendre la réunion de toutes les forces insurrectionnelles, et, suivi d’une poignée d’hommes, il se dirigea vers les quais. La colonne passe le pont Notre-Dame, traverse le quai aux Fleurs d’un pas rapide, et arrive sur le poste du Palais-de-Justice. Sommé de se rendre, l’officier répond : Plutôt mourir ! et, se retournant, il fait signe qu’on apprête les armes. Deux coups de fusil partent alors du milieu des insurgés, et le lieutenant est atteint d’une blessure mortelle. Aussitôt les insurgés se portent en avant, attaquent le poste par une vive fusillade et l’enlèvent au milieu du sang versé. Mais, dans l’Intervalle, la préfecture de police avait eu le temps d’armer ses défenseurs. Réduite à un trop petit nombre de combattants pour tenter sur la préfecture une attaque sérieuse, et avertie d’ailleurs, par les coups de fusil, qu’un détachement d’insurgés venait de gagner la place du Châtelet, la colonne de Barbès et de Meillard courut rejoindre sur ce point celle dont faisaient partie Guignot, Martin Bernard, Nétré et Blanqui. Beaucoup déjà s’étaient dispersés. Réunies, les deux colonnes formaient une troupe trop faible pour occuper la place publique. Il ne restait donc plus aux insurgés qu’à s’enfoncer dans les rues étroites et populeuses, en achevant de s’armer par l’enlèvement successif des postes qu’ils trouveraient sur leur passage. Conformément à cette résolution désespérée, ils se dirigèrent d’abord sur l’hôtel-de-ville, qu’ils occupèrent et où Barbès lut la proclamation d’une voix ferme. Ils se précipitèrent ensuite vers la place St-Jean, dont une attaque meurtrière leur livra le poste. De là à la mairie du 7e arrondissement la distance est courte : ils la franchirent au pas de course. Ils espéraient trouver des armes : espoir qui bien vite se dissipa, ne leur laissant que le regret d’une tentative inutile.

Cependant la ville se remplissait de soldats. Le peuple s’était ému et ne s’était pas agité. Cinq ans plus tôt, les trois cents soldats d’une aussi impétueuse et soudaine révolte rencontraient sur leur chemin des passions qu’ils eussent allumées d’un souffle ; mais, en 1839, le prodige de leur audace ne fit que jeter dans l’immobilité de la stupeur Paris fatigué. D’où venaient ces hommes sans peur ? Où avaient-ils puisé l’excès d’une telle entreprise ? Que prétendait leur intrépide folie ? Et qui donc les pressait de mourir ? Nous-même, dans cette sombre journée, à vingt pas de la rue de la Paix, nous avons vu passer, le fusil sur l’épaule et se rendant au sinistre appel des coups de feu, quatre jeunes gens à la démarche altière et au visage irrité. De rares passants se rangeaient à leur aspect et les suivaient de l’oeil avec un étonnement mêlé d’épouvante.

Le jour touchait à sa fin. Attirés vers la mairie du 6e arrondissement par une nouvelle inspiration de leur désespoir, les insurgés s’étaient mis en marche à travers les rues Simon-le-Franc, Beaubourg et Transnonain, itinéraire funeste que les précédentes insurrections avaient tracé dans le sang et qui était comme peuplé de fantômes. Il y eut là, pour la partie la plus tumultueuse de la capitale, des heures d’anéantissement et de silence dont il est difficile d’exprimer l’horreur. Les maisons étaient fermées, obscures, et l’on n’entendait rien, plus rien : ni le frémissement des voitures, ni le cri des enfants ni le bruit de la foule occupée. Or, tout-à-coup, du fond de ces rues muettes la Marseillaise s’éleva, chantée par des voix mélancoliques et lugubres. C’étaient les insurgés qui s’animaient à leur lutte dernière. Trois barricades furent élevées dans la rue Grenetat, et l’insurrection vint creuser son tombeau. Parmi les chefs, Guignot et Meillard étaient blessés ; Barbès avait été aussi frappé à la tête : on l’arrêta les mains noires de poudre et la figure couverte de sang.

L’insurrection du 12 mai, abattue, enfanta un ministère. Le maréchal Soult eut la présidence du Conseil et les affaires étrangères, M. Teste la justice, M. Schneider la guerre, M. Duperré la marine, M. Duchâtel l’intérieur, M. Cunin-Gridaine le commerce, M. Dufaure les travaux publics, M. Villemain l’instruction publique, M. Passy les finances.

Le 27 juin 1839 comparurent devant la Cour des pairs : Armand Barbès, Martin Bernard, Bonnet, Roudil, Guilbert, Mialon, Delsade, Lemière, Austen, Walch, Lebarzic, Philippet, Dugas, Nouguès, Noël Martin, Marescal, Pierné, Grégoire. Le nombre des inculpés était beaucoup plus considérable, mais, comme à l’égard des derniers l’instruction ne se trouvait pas encore complète, on s’était cru le droit de diviser les accusés en deux catégories. Avec une vive éloquence, MM. Emmanuel Arago et Dupont défenseurs de Barbès et de Martin Bernard prouvèrent que l’indivisibilité du délit entraînait celle de la procédure ; qu’ainsi le voulaient la jurisprudence, la logique, le bon sens, l’équité ; que, lorsqu’il s’agissait d’un fait commun à plusieurs, la part assignable à chacun dépendait de l’ensemble des témoignages ; qu’il y avait danger manifeste à condamner un accusé sur des apparences que ses co-accusés, sur des aveux ultérieurs, pouvaient détruire. Et à l’appui de leur doctrine, habilement combattue par le procureur-général, MM. Emmanuel Arago et Dupont invoquaient une consultation signée par des avocats distingués : MM. Martin (de Strasbourg), Hennequin, Nicod, Odilon Barrot, Ledru-Rollin, Marie, Joly, Bethmont, Dugabé, Galisset Coralli, Béchard, Lucas, Crémieux, Durand de Romorantin, Mandaroux-Vertamy, Charamaule, Dupont-White, Maurat-Ballange, Moulin, Lanvin, Nachet, Plocque, Durand de Saint-Amand, Chamaillard, Cotelle, Hennequin fils. Mais, soit que le gouvernement fût bien aise de faire juger Barbès et Martin Bernard sous l’impression des colères du moment, soit qu’il craignît, suivant l’expression de M. Franck-Carré, le dépérissement successif des preuves et les embarras d’une longue procédure, on passa outre.

Dans son réquisitoire, M. Franck-Carré avait particulièrement insisté sur le meurtre de l’officier Drouineau, affirmant que c’était un assassinat et que Barbès en était coupable : Barbès se leva, et jamais conviction plus profonde n’apparut sous un plus noble aspect. Le calme de l’accusé, sa haute taille, le rayonnement de son front, la beauté fière et hardie de son visage, son élégance virile, tout révélait l’héroïsme de sa nature. Il s’exprima simplement, en peu de mots, et toucha jusqu’aux larmes une grande partie de l’assemblée. « Je ne me lève pas, dit-il, pour répondre à votre accusation ; je ne suis disposé à répondre à aucune de vos questions. Si d’autres que moi n’étaient pas intéressés dans l’affaire, je ne prendrais pas la parole ; j’en appellerais à vos consciences, et vous reconnaîtriez que vous n’êtes pas ici des juges venant juger des accusés ; mais des hommes politiques venant disposer du sort d’ennemis politiques. La journée du 12 mai vous ayant donné un grand nombre de prisonniers, j’ai un devoir à remplir.

Je déclare donc que tous ces citoyens, le 12 mai, à trois heures, ignoraient notre projet d’attaquer votre gouvernement. Ils avaient été convoqués Il par le comité sans être avertis du motif de la convocation ; ils croyaient n’assister qu’à une revue ; c’est lorsqu’ils sont arrivés sur le terrain où nous avions eu le soin de faire arriver des munitions, où nous savions trouver des armes, que j’ai donné le signal, que je leur ai mis les armes à la main, et que je leur ai donné l’ordre de marcher. Ces citoyens ont donc été entraînés, forcés par une violence morale, de suivre cet ordre. Selon moi ils sont innocents.

Je pense que cette déclaration doit avoir quelque valeur auprès de vous ; car, pour mon compte, je ne prétends pas en bénéncier. Je déclare que j’etais un des chefs de l’association ; je déclare que c’est moi qui ai préparé le combat, qui ai préparé tous les moyens d’exécution ; je déclare que j’y ai pris part, que je me suis battu contre vos troupes ; mais si j’assume sur moi la responsabilité pleine et entière de tous les faits généraux, je dois aussi décliner la responsabilité de certains actes que je n’ai ni conseillés, ni ordonnes, ni approuvés. Je veux parler d’actes de cruauté que la morale réprouve. Parmi ces actes, je cite la mort donnée au lieutenant Drouineau, que l’acte d’accusation signale comme ayant été commis par moi, avec préméditation et guet-à-pens.

Ce n’est pas pour vous que je dis cela ; vous n’êtes pas disposés à me croire car vous êtes mes ennemis. Je le dis pour que mon pays l’entende. C’est là un acte dont je ne suis ni coupable ni capable. Si j’avais tué ce militaire, je l’aurais fait dans un combat à armes égales autant que cela se peut dans le combat de la rue avec un partage égal de champ et de soleil. Je n’ai point assassiné, c’est une calomnie dont on veut flétrir un soldat de la cause du peuple. Je n’ai pas tué le lieutenant Drouineau. Voilà tout ce que j’avais à dire. »

La vérité a des accents irrésistibles : ce que Barbès venait d’affirmer, chacun le crut dans le sanctuaire de sa conscience. Fidèle à sa déclaration, Barbès s’était imposé la loi de ne pas répondre aux questions du président. Il rompit, néanmoins, le silence pour dire, dans un moment où l’interrogatoire le pressait : « Quand l’Indien est vaincu, quand le sort de la guerre l’a fait tomber au pouvoir de son ennemi, il ne songe point à se défendre, il n’a pas recours à des paroles vaines : il se résigne et donne sa tête à scalper. » Le lendemain, M. Pasquier ayant fait observer que l’accusé avait eu raison de se comparer à un sauvage, « le sauvage impitoyable, reprit Barbès, n’est pas celui qui donne sa tête à scalper ; c’est celui qui scalpe. »

Comme son ami, Martin Bernard refusa de se prêter à l’interrogatoire et garda jusqu’à la fin une contenance stoïque. Il ne s’élevait contre lui d’autres charges que les révélations d’un de ses co-accusés, Nouguès, qui, le croyant mort, l’avait signalé. Ayant reconnu son erreur, Nouguès fit, pour en réparer les suites, des efforts touchants mais stériles : il était trop tard.

Parmi les accusés, il y en avait un, Noël Martin sur qui son extrême jeunesse appelait un intérêt particulier. Véritable enfant de Paris, insouciant et brave, l’occasion de jouer aux combats l’avait séduit, et l’émeute l’avait recruté chemin faisant. Son attitude devant la Cour des pairs fut à la fois audacieuse et naïve.

On remarquait aussi sur le banc des accusés un jeune homme aux longs cheveux blonds flottants, nommé Austen. Ainsi que Barbès, Martin Bernard et leurs compagnons, il avait fait dans la journée du 12 mai tout ce qu’il fallait pour y laisser la vie ; mais la mort semblait n’avoir pas voulu de lui. Voici quelle fut à son sujet la déposition de M. Tisserand, officier de la garde municipale :

« Le 12 mai, vers quatre heures, on vint nous prévenir que des désordres avaient lieu dans la rue Bourg-l’Abbé. Des détachements se dirigèrent sur le lieu du désordre. Quelques instants après, on vint encore nous prévenir que les désordres augmentaient ; on envoya de nouveaux détachements. Vers quatre heures et demie, on nous annonça que les insurgés étaient fort nombreux, et qu’ils menaçaient la mairie du 6e arrondissement. Je reçus ordre de M. le capitaine Lallemand de me porter immédiatement vers cet endroit. Je partis, mais à peine arrivé dans la rue St-Martin, je trouvai la foule compacte, quoique inoffensive ; elle s’ouvrit pour me faire passage, un grand nombre de personnes vinrent au-devant de moi en me conjurant de retourner sur mes pas, disant que j’allais être infailliblement écharpé.

Je ne tins aucun compte de ces avis, qui pouvaient m’être donnés dans de mauvaises intentions… J’ordonnai à mes hommes de me suivre au pas de course, sans tirer un coup de fusil.

Je me plaçai à quelques pas en avant du centre de mon peloton et je donnai le signal au tambour de battre la charge. Je m’élançai l’épée à la main, suivi de tous mes hommes ; les insurgés battaient aussi la charge de leur côté et me reçurent par un feu bien nourri à bout portant. Neuf hommes furent touchés et je fus le dixième. Je m’élançai aussitôt sur la barricade, un des insurgés me tira un coup de fusil et me manqua. Je lui portai un coup d’épée dans le sein, il tomba. Cet homme avait une chevelure blonde et flottante. Je sortis de la barricade. En ce moment un des insurgés était un genou en terre, tenant son fusil qu’il appuya sur ma poitrine. Je fus heureusement assez agile pour le traverser d’un coup d’épée. Dans les convulsions de la mort, il me saisit par les jambes, je tombai, et nous roulâmes tous les deux à terre. »

La défense fut présentée, par les divers avocats qui s’en étaient chargés[1], avec beaucoup d’éclat et d’habileté ; mais, pour la plupart des accusés, il y avait flagrant délit. Ce que les plaidoiries de MMes Dupont et Emmanuel Arago prouvèrent sans réplique et ce qui importait à leur client, c’est que Barbès était complétement étranger à la mort de l’officier Drouineau.

Ce fut le 12 juillet (1839) que la Cour des pairs rendit son arrêt. Il portait acquittement de Bonnet, de Lebarzic, de Dugas, de Grégoire, et condamnation de Barbès à la peine de mort ; de Martin Bernard, à la déportation ; de Mialon, aux travaux forcés à perpétuité ; de Delsade et d’Austen, à 15 années de détention ; de Nouguès et de Philippet, à 6 années de détention ; de Roudil, Guilbert et Lemière, à 5 années de détention ; de Martin et Longuet, à 5 années de prison ; de Marescal, à 5 années de prison ; de Walch et Pierné à 2 années de prison.

Pendant la lecture de l’arrêt qui le livrait à l’échafaud, Barbès était tout entier par la pensée à Martin Bernard, son ami, « Est-il condamné à mort ? demanda-t-il vivement » Et, comme on le rassurait à cet égard, une noble satisfaction brilla dans ses traits. De son côté, Martin Bernard, en apprenant son sort, manifesta le même détachement de soi et les mêmes préoccupations d’amitié.

La rigueur de la peine qui frappait Barbès consterna Paris. On se rappelait 1830, les flots de sang versés durant trois jours, les ordonnances, et comment fut épargnée la tête des ministres de Charles X et quelle était, à cette époque, l’horreur du roi pour la peine de mort ! Barbès d’ailleurs avait éveillé partout d’inexprimables sympathies. On déplorait, on blâmait sa révolte, mais on admirait la ferveur de sa foi et la dignité de son courage. Le 13 juillet, vers le milieu du jour, on vit arriver sur la place Vendôme, se dirigeant vers la chancellerie, près de trois mille élèves des écoles de droit et de médecine. Ils s’avançaient lentement, en silence, la tête nue, avec l’ordre lugubre et le recueillement qui président à la solennité des funérailles. Sur la place, ils s’étendirent en cercle, et deux d’entre eux, se détachant, montèrent chez le garde-des-sceaux. Ils allaient demander, au nom de la jeunesse de Paris, l’abolition de la peine de mort en matière politique, et, pour Barbès, une commutation de peine. M. Teste était absent : M. Boudet les reçut et leur promit, avec une noble bienveillance, de rendre de leur mission un compte fidèle. Puis la colonne reprit sa marche silencieuse et grave à travers la population attristée. Dans le même temps, pour le même but et avec le même sentiment d’ordre, une autre colonne de citoyens, formée sur le boulevart Bonne-Nouvelle, se dirigeait vers le Palais-Bourbon. Mais elle avait dans ses rangs, celle-là, des hommes en blouse, des ouvriers : à peine atteignait-elle le pont de la Concorde qu’une charge de cavalerie vint qui la heurta violemment et la dispersa.

Et aux démonstrations publiques se joignirent une foule de démonstrations privées. Apprenant que de tous les membres du Cabinet le maréchal Soult était celui qui s’opiniâtrait le plus dans la rigueur, MM. Dupont et Emmanuel Arago firent auprès de lui une démarche qui avait pour but ou de l’ébranler ou de mettre sa responsabilité en évidence. Le maréchal éluda une réponse, feignant de ne pas comprendre ce qu’on lui voulait, et se bornant à dire qu’il n’avait point siégé parmi les juges. Que de vœux formés ! Que de projets conçus ! Un Anglais qui avait assisté aux débats, offrit cent mille francs pour la secrète délivrance de Barbès. Des lettres menaçantes furent écrites sous le voile de l’anonyme. Dans l’espoir d’intéresser au sort du prisonnier la tendresse maternelle de la reine, on lui fit craindre d’épouvantables vengeances et qu’une solidarité de sang ne s’établît entre la vie de ses enfants et celle de Barbès, s’il mourait sur un échafaud. La reine fut, en effet, glacée d’effroi. Les ducs d’Aumale et de Montpensier avaient jusqu’alors grandi, au collége Henri IV, à l’ombre d’une position privilégiée, assistant aux classes, mais ayant un appartement pour leurs études et un jardin pour leurs récréations : ces priviléges disparurent pendant les premiers jours qui suivirent la condamnation de Barbès. Avec le reste des élèves, on vit les jeunes princes aller à la messe et aux bains, comme si l’existence de leurs camarades plus étroitement associée à la leur, eût dû les protéger les couvrir ! Et la frayeur du Château était si prompte au soupçon, que le feu ayant pris à une usine dans le quartier latin, des troupes furent postées sur la terrasse du collége. Autre sujet d’alarme ! Les guinguettes étaient vides, les barrières désertes ; sur les lieux accoutumés au bruit des plaisirs populaires pesait un silence de deuil : que présageait cette grande tristesse du peuple ? Malgré l’avis du Conseil, qu’avait tenté le triste éclat d’une résistance au vœu public, le roi décida que la peine de mort serait commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. Pour un homme de la trempe de Barbès, c’était une aggravation : on le comprit enfin, et l’on substitua la déportation aux travaux forcés.

Ce fut six mois après seulement, que la deuxième catégorie des accusés du 12 mai comparut devant la Cour des pairs. Blanqui ayant refusé de répondre, et Me Dupont, son défenseur, ayant, par des motifs élevés, renoncé à prendre la parole, ce second procès ne présenta rien de notable.

Voici quel fut l’arrêt[2] L’insurrection du 12 mai veut être jugée sévèrement. Elle troubla d’une manière imprévue et coupable le repos de la cité. Elle éclatait si prématurément, que le peuple, qui souffrait, la regarda passer sans y prendre part. Il est manifeste qu’elle ne répondait ni à ces colères générales ni à ce vaste besoin de résistance qui seuls légitiment les  : entreprises du courage. Car ce serait tenir en trop petite estime la raison et l’équité que de faire dépendre leur triomphe des hasards d’un coup de main. Il y faut la sagesse, le temps et la patience est une vertu républicaine aussi. Assurément, c’est le propre et la gloire des esprits d’élite de devancer leur époque ; mais la violenter n’est permis à personne. Et, sur ce point, il importe d’autant plus de combattre l’erreur, que c’est ordinairement celle des dévoués et des forts, celle des hommes qui ont pour amis nécessaires tous ceux qui sympathisent avec l’Intrépidité généreuse et qui respectent, même quand elles égarent, les inspirations du dévoûment.




  1. C’étaient MMes Dupont et Arago pour Barbès et Martin Bernard ; Paillet pour Nouguès ; Étienne Blanc pour Bonnet ; Jules Favre pour Roudil ; Ligniers pour Guilbert ; Bertin pour Delsade ; Leguerre pour Mialon ; Genteur pour Austen ; Nogent-St-Laurens pour Lemière ; Hemerdinger pour Walch ; Grevy pour Philippet ; Barre pour Lebarzic ; Benoit pour Dugas ; F. Barrot. pour Longnet ; Barbin pour Noël Martin ; Puybonnieux pour Marescal ; Madier-Montjau pour Pierné, et Lafargue pour Grégoire.
  2. « La Cour des pairs, après avoir entendu Blanqui dans ses observations, et Me Dupont, son défenseur, dans sa déclaration qu’il renouce à prendre la parole ; Guignot et Me Grevy, son défenseur Quarré et Me Lauras, son défenseur, et l’abbé Quarré, son conseil ; Charles et Me Jules Favre, son défenseur ; Moulines et Me Paulmier, son défenseur ; Bonnefond et Me Derodé, son défenseur ; Piéfort et Focillon, et Me Dubrena, leur défenseur ; Hendrick et Me Desgranges, son défenseur ; Lombard et Me Montadère, son défenseur ; Simon et Hubert, et Me Desmarets, leur défenseur ; Huart et Me Mathieu, son défenseur ; Béasse et Me Genteur, son défenseur ; Petremann et Me Delamarre, son défenseur ; Bordon et Me Thomas, son défenseur ; Évanno et Me Hello, son défenseur ; Lehéricy et Me Moreau, son défenseur ; Dupouy et Me Benoist, son défenseur ; Druy et Me Rodrigues, son défenseur ; Herbulet et Me Leroyer son défenseur ; Vallière et Me Maudheux, son défenseur ; Élie et Me Porte, son défenseur ; Godard et Me Blot-Lequesne, son défenseur ; Patissier et Me Gressier, son défenseur ; Gérard et Me Grellet, son défenseur ; Dubourdieu et Me Conte, son défenseur ; Bouvrand et Me Jolly, son défenseur ; Buisson et Me Cadet de Vaux, son défenseur ; Espinousse et Me Nogent-St-Laurens, son défenseur ; Dugrospré et Me Hemerdinger, son défenseur ; dans leurs moyens de défenses, lesdits accusés interpellés en outre conformément au troisième § de l’article 335 du Code d’instruction criminelle ;

    En ce qui concerne Moulines (Eugène), Huard (Camille-Jean-Baptiste) ;

    Attendu qu’il n’y a pas de preuves suffisantes qu’ils se soient rendus coupables de l’attentat ci-après qualifié ;

    Déclare : Moulines (Eugène), Huard (Camille-J.-B.), acquittés de l’accusation portée contre eux ;

    Ordonne qu’ils seront sur-le-champ mis en liberté s’ils ne sont retenus pour autre cause ;

    Condamne Blanqui (Louis-Auguste) à la peine de mort (1) ;

    Guignot (Louis-Pierre-Rose), Élie (Charles-Étienne), chacun à quinze années de détention ;

    Bonnefond jeune (Pierre), Hendrick (Joseph-Hippolyte), Herbulet (Nicolas), Vallière (François), Godard (Charles), Dubourdieu (Jean), chacun en dix années de détention ;

    Espinousse (Jean-Léger), Dugrospré (Pierre-Eugène), à sept années de détention ;

    Charles (Jean), Piéfort (François), Focillon (Louis-Xavier-Auguste), Lombard (Louis-Honoré), Simon (Jean-Honoré), Hubert (Coiistant-Georges-Jacques), Pétremann (Émile Léger), Évanno (Jean-Jacques), Dupouy (Bertrand), Druy (Charles), Gérard (Benjamin-Stanislas), Bouvrand (Auguste), Dubuisson (Louis-Médard, dit Pieux), chacun à cinq années de détention ;

    Ordonne, conformément à l’article 47 du Code pénal, qu’après l’expiration de leur peine, tous les condamnés à la peine de la détention ci-dessus dénommés seront pendant toute leur vie sous la surveillance de la haute police ;

    Condamne Béasse (Jean-François), Bordon (Jean-Maurice), Lehéricy (Pierre-Joseph), à cinq années d’emprisonnement ;

    Quarré (Alexandre-Bazile-Louis), Patissier (Pierre-Joseph), à trois années d’emprisonnement. » (1) La peine de Blanqui, ainsi que celle de Barbès, fut commuée