Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 198

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 123-134).


M Lovelace, à M Belford.

lundi matin, 22 de mai. Cette belle personne ne connaît point la générosité. Non, c’est une vertu qu’elle ne connaît pas. N’aurais-tu pas cru qu’après avoir obtenu hier la liberté de se retirer, et l’avoir échappé si belle, elle me rejoindrait de bonne heure ce matin, avec un sourire, avec des grâces, et qu’elle me ferait une de ses plus agréables révérences ? J’étais dans la salle à manger avant six heures. Elle n’a point ouvert sa porte. Je suis monté ; je suis descendu ; j’ai toussé ; j’ai appelé Will : j’ai appelé Dorcas ; j’ai poussé les portes avec assez de violence. Elle n’en a pas plutôt ouvert la sienne. J’ai perdu ainsi mon temps jusqu’à huit heures et demie ; et le déjeûner étant prêt alors, je lui ai fait demander par Dorcas l’honneur de sa compagnie. Ma surprise n’a pas été médiocre, lorsque, suivant cette fille, à la première invitation, elle est entrée toute habillée, avec ses gants et son éventail à la main, donnant ordre en même tems à Dorcas de faire appeler des porteurs. Cruelle fille ! Ai-je dit en moi-même, de m’exposer, avec si peu de ménagement, aux railleries des femmes de la maison. " vous vous disposez à sortir, madame " ? Oui, monsieur. J’ai paru fort sot, j’en suis sûr. " j’espère, madame, que vous ne sortirez pas sans avoir déjeûné " (d’un ton fort humble). Mais je me sentais le cœur percé de mille pointes. Si j’avais eu le moindre pressentiment de ses intentions, je me serais peut-être remonté sur le ton où j’étais la veille, et j’aurais commencé ma vengeance. Tous les furieux extraits des lettres de Miss Howe n’ont pas manqué de me revenir à l’esprit. Je prendrai une tasse de thé, m’a-t-elle répondu. Elle a mis son éventail et ses gants sur la fenêtre. J’étais parfaitement déconcerté. J’ai toussé, j’ai hésité. J’ai ouvert plusieurs fois la bouche pour parler, sans avoir la force de prononcer une parole. Qui de nous deux est le modeste, disais-je en moi-même. De quel côté est à présent l’insolence ? Combien la tyrannie d’une femme est capable de confondre un homme timide ! J’ai pensé qu’elle faisait le rôle de Miss Howe, et moi celui d’Hickman. La force de parler me reviendra, ai-je continué en moi-même. Elle a pris sa tasse. Moi, la mienne. Elle, en tenant les yeux fixés sur sa liqueur, comme une souveraine altière, impérieuse, qui sent sa dignité, et dont chaque regard est une faveur : moi, comme son vassal, les lèvres et les mains tremblantes, sentant à peine ce que je tenais et ce que portais à ma bouche. " j’avais… j’avais… (ai-je commencé en goûtant au thé, quoique si chaud qu’il me brûlait les lèvres) j’avais quelque espérance, madame… ". Dorcas est revenue. Eh bien, Dorcas ! Lui a-t-elle dit, m’appelle-t-on des porteurs ? Maudite impertinence, ai-je pensé. Est-ce ainsi qu’on interrompt les gens ? Il a fallu nécessairement attendre la réponse de la servante à la question de l’insolente maîtresse. Will vient de partir, madame, a répondu Dorcas. Il m’en a coûté une minute de silence, avant que j’aie pu reprendre mon discours. Enfin, j’ai recommencé. " j’avais quelque espérance, quelque espérance, madame, d’être admis un peu plus matin… ". Quel temps fait-il, Dorcas ? A-t-elle demandé à sa servante, sans faire plus d’attention à moi que si je n’eusse pas été présent. Un temps incertain, madame. Le soleil s’est caché, quoiqu’il fît très-beau il n’y a qu’une demi-heure. Ma foi, la patience m’a manqué. Je me suis levé brusquement. La tasse, la soucoupe ont volé en l’air. " au diable le tems, le soleil, et la ridicule servante, ai-je dit, qui a l’audace de m’interrompre, lorsque je parle à sa maîtresse, et que j’en ai si rarement l’occasion " ! La belle s’est levée aussi, d’un air effrayé. Elle s’est hâtée de reprendre ses gants et son éventail. J’ai saisi sa main. " vous n’aurez pas la cruauté de sortir, madame ! Non, vous n’aurez pas cette cruauté ". Je sortirai, monsieur. Vos imprécations contre cette fille peuvent continuer dans mon absence, comme si j’étais présente, à moins… à moins que ce que vous lui avez adressé ne me regarde moi-même. " très-chère Clarisse ! Vous ne sortirez point. Non, non, vous n’aurez point la cruauté de me quitter. Un dédain si marqué ! Un mépris de cette force ! Des questions redoublées à votre servante, dans la seule vue de m’interrompre ! Qui pourrait le supporter " ? Ne me retenez pas, m’a-t-elle dit, en se débattant pour m’arracher sa main. Je ne veux pas être forcée. Vos méthodes me déplaisent beaucoup. Vous cherchâtes hier à me quereller, sans que j’en puisse imaginer d’autre raison que l’excès de ma complaisance. Vous êtes un ingrat. Je vous hais du fond du cœur, M Lovelace ! " vous me mettez au désespoir, madame. Permettez-moi de le dire, vous ne me quitterez point dans l’humeur où vous êtes. Je vous suivrai, dans quelque lieu que vous alliez. Si Miss Howe était de mes amis, vous ne m’auriez pas traité si mal. Je vois clairement d’où viennent tous mes obstacles. J’observe, depuis long-temps, que chaque lettre que vous recevez d’elle, altère pour moi votre conduite et vos sentimens. Elle voudrait apparemment que vous me traitassiez comme elle traite son Hickman. Mais il ne convient, ni à votre admirable caractère de tenter ce traitement, ni à moi de le recevoir ". Ce reproche a paru l’embarrasser. Elle n’était pas bien aise, m’a-t-elle répondu d’abord, d’entendre mal parler de Miss Howe. Ensuite se remettant un peu, elle m’a dit que Miss Howe était amie de la vertu et des hommes vertueux ; et que, si elle n’était pas des miennes, c’est qu’ apparemment je n’étais pas de ce nombre. " oui, madame ; et c’est apparemment la même raison qui lui fait traiter M Hickman, comme il est sûr qu’elle ne traiterait pas un Lovelace. De tant de lettres que vous avez reçues d’elle, je vous défie, madame, de me montrer une de celles où elle vous parle de moi ". Où cette idée doit-elle nous conduire ? A-t-elle répliqué. Miss Howe est juste. Miss Howe est bonne. Elle écrit, elle parle de chacun, comme chacun le mérite. Si vous pouvez me nommer une seule occasion dans laquelle vous ayez marqué de la bonté, de la justice, ou même de la générosité, je chercherai celle de ses lettres qui a rapport à cette occasion, supposé que j’aie pris soin de l’en informer ; et j’engage ma parole que cette lettre vous sera favorable. Maudite sévérité ! Ne trouves-tu pas même une sorte de grossiéreté, Belford, à mettre un honnête homme dans le cas de jeter les yeux derrière lui, pour se rappeler le souvenir de ses bonnes actions ? Elle s’est efforcée de me quitter. Je veux sortir, m’a-t-elle dit ; je le veux absolument. Vous ne me retiendrez pas malgré moi. " en vérité, madame, vous ne devez pas penser à sortir, dans l’humeur où vous êtes ". Je me suis placé entr’elle et la porte. Alors elle s’est jetée sur une chaise, le visage enflammé, et se servant de son éventail avec beaucoup d’action. Je me suis mis à ses pieds. Retirez-vous, m’a-t-elle dit, avec un mouvement de rebut, de la main dont elle tenait son éventail ouvert. Pour votre propre intérêt, laissez-moi ! Et me repoussant des deux mains : " apprends, homme, que mon ame est au-dessus de toi. Ne me presse pas de te dire avec quelle sincérité je crois mon ame supérieure à toi. Tu as un cœur fier, dur, impitoyable. Mais ta fierté m’en impose peu. Laisse-moi, laisse-moi pour jamais ". Malgré la rigueur de ce langage, ses regards, son air, le son de sa voix, étoient d’une merveilleuse noblesse. " j’adore un ange ! Me suis-je écrié en penchant la tête vers ses genoux. Ce n’est point une femme, c’est un ange que j’admire et que j’adore ! Pardon, divine Clarisse ! Si vous êtes de l’espèce humaine, pardonnez mes inadvertances ; pardonnez mes inégalités ; pardonnez l’infirmité de la nature ! Qui sera jamais égal à ma Clarisse " ? Je tremblais d’admiration et d’amour. Dans le transport de ces deux sentimens, j’ai passé les deux bras autour d’elle, assise comme elle était encore. Elle s’est efforcée aussi-tôt de se lever ; mais ne cessant point de la tenir entre mes bras, je l’ai fait retomber sur sa chaise. Jamais femme ne fut plus effrayée. Cependant, quelque libre que mon action pût paraître à son cœur alarmé, je n’avais pas, dans cet instant, une seule idée qui ne me fût inspirée par le respect ; et, jusqu’à son départ, tous les mouvemens de mon cœur n’ont pas été moins purs que les siens. Après lui avoir fait promettre qu’elle me reverrait bientôt, qu’elle renverrait les porteurs, je lui ai laissé la liberté de se retirer. Mais elle n’a pas tenu parole. J’ai attendu plus d’une heure, avant que de lui rappeler sa promesse. Elle m’a fait dire qu’il lui étoit encore impossible de me voir, et qu’elle me verrait aussi-tôt qu’elle serait en état de descendre. Dorcas m’assure qu’elle a tremblé excessivement, et qu’elle s’est fait apporter de l’eau fraîche et des sels. Je ne comprends rien à cette timidité. Il y a de l’excès pour l’occasion. La crainte grossit toutes sortes de maux. N’as-tu jamais observé que les terreurs d’un oiseau pris, qu’on tient actuellement dans la main, sont plus grandes, sans comparaison, qu’on n’aurait cru qu’elles pussent l’être, si l’on avait jugé de l’animal par son petit air d’assurance, avant qu’il fût tombé dans le piège ? Chère personne ! N’a-t-elle donc jamais joué, depuis son enfance, à ce qu’on appelle de petits jeux ? Les innocentes libertés qu’on s’accorde dans ces occasions l’auraient familiarisée avec de plus grandes. C’est un sacrilège de toucher sa robe. Quel excès de délicatesse ! Comment peut-elle penser à devenir femme ? Mais quel moyen de savoir, avant l’épreuve, s’il n’y a pas de succès à me promettre, par des voies moins capables de l’alarmer ? Résistera-t-elle aux surprises nocturnes ? Pour celles du jour, il n’y faut plus penser. Le refrain de ma chanson, c’est que je puis l’épouser quand je le voudrai ; et si je prends ce parti après avoir triomphé d’elle, soit par surprise ou par un consentement à demi forcé, à qui aurai-je fait injure qu’à moi-même ? Il est déjà près d’onze heures. Elle me verra le plutôt qu’il lui sera possible, a-t-elle dit à Polly Horton, qui lui a fait une tendre visite, et pour laquelle elle a moins de réserve que pour toute autre. " son émotion, a-t-elle ajouté, n’est pas venue d’un excès de délicatesse, ni de mauvaise humeur, mais de foiblesse de cœur . Elle n’a point, dit-elle, assez de force d’esprit pour soutenir sa situation, et ses craintes, sous le poids de la malédiction d’un père, dont elle tremble que l’effet ne soit déjà commencé ". Cependant, quelle contradiction ! Foiblesse de cœur, dit-elle, avec tant de force dans la volonté ! Ah, Belford ! C’est un cœur de lion que cette fille, dans toutes les occasions où le point d’honneur anime son courage. J’ai observé, plus d’une fois, que les passions d’une femme douce, quoique plus lentes à s’émouvoir que dans un tempérament vif, sont plus ardentes et plus invincibles, lorsqu’elles sont bien enflammées. Mais le corps charmant de Clarisse n’est pas organisé comme l’est son ame. La divinité qui habite ce beau temple, fatigue un logement trop foible pour elle. Si la même ame s’était trouvée dans un corps d’homme, jamais on n’aurait vu de plus véritable héros. Lundi, à deux heures. Ma déesse n’est point encore visible. Sa santé n’est pas la meilleure du monde. Qu’a-t-elle donc pu craindre de mes transports d’admiration ? De la rudesse, plutôt que de la vengeance. Grand sujet d’altération pour sa santé ! Cependant le désir de me venger n’est pas éteint. J’ai besoin de quelque coup de maître, pour faire repentir Miss Howe et Madame Towsend de leur maudit projet, qui sera toujours une épée suspendue sur ma tête, si je ne trouve pas le moyen de le faire avorter. Le moindre mécontentement donnera des ailes à ma charmante ; et toutes les peines que j’ai prises, pour la priver de toute autre protection, et la rendre plus dépendante de moi, deviendront inutiles. Mais je saurai trouver un contrebandier , pour l’opposer à Madame Towsend. Tu te souviens de la dispute du soleil et du vent du nord, dans la fable. Il étoit question de savoir qui des deux forcerait le premier un honnête voyageur de quitter son habit. Borée commença. Il se mit à souffler de toutes ses forces ; et la glace de son souffle causa beaucoup de mal au pauvre diable, mais sans autre effet que de lui faire boutonner son manteau, pour s’envelopper plus soigneusement. Phébus, lorsque son tour fut venu, fit jouer si vivement ses rayons sur le pélerin, qu’il l’obligea d’abord de se déboutonner, et bientôt de se dépouiller tout-à-fait. Il ne quitta prise, qu’après l’avoir mis dans la nécessité de chercher de l’ombre sous des feuillages épais, où, s’étendant sur son habit qu’il avait quitté, il rétablit ses forces par quelques heures de sommeil. Le vainqueur, ayant beaucoup ri de Borée et du voyageur, continua sa course brillante, répandant son éclat et sa chaleur sur tous les objets qui s’offrirent à lui ; et le soir, après avoir dételé ses fiers coursiers, il amusa sa Thétis par le récit de son aventure. Voilà mon modèle. Je veux, Belford, renoncer à toutes mes inventions orageuses ; et si je puis obliger ma chère pélerine de quitter un moment le manteau de sa rigide vertu, je n’aurai, comme le soleil, que des bénédictions continuelles à répandre par mes rayons. Mes heures de repos et de félicité, comme les siennes, seront celles que je passerai avec ma déesse. à présent, Belford, pour suivre mon nouveau systême, je crois que cette maison de Madame Fretchville est un embarras pour moi. Je veux m’en délivrer, pour quelque temps du moins. Mennel prendra le moment où je serai sorti, pour rendre une visite à ma déesse, en feignant d’avoir demandé d’abord à me voir. Pourquoi ? Dans quelle vue ? N’est-ce pas la question que tu me fais ? Pourquoi ! Tu ne sais donc pas ce qui est arrivé à cette pauvre Madame Fretchville ? Je vais te l’apprendre. Une de ses femmes fut attaquée, il y a huit jours, de la petite vérole. Les autres cachèrent cet accident à leur maîtresse jusqu’à vendredi, qu’elle en fut informée par hasard. La plus grande partie des fléaux de notre pauvre condition mortelle vient de nos domestiques, que nous prenons moitié par ostentation, moitié pour notre usage, et dans la vue de diminuer nos peines. Cette nouvelle a causé tant d’épouvante à la veuve, qu’elle est prise elle-même de tous les symptômes qui annoncent une attaque de cette terrible ennemie des beaux visages. Elle ne peut plus penser par conséquent à quitter sa maison. Mais elle ne doit pas espérer, non plus, que nous attendions éternellement pour l’amour d’elle. Elle regrette à présent, de tout son cœur, de n’avoir pas mieux connu ce qu’elle désirait, et de n’être pas partie pour sa campagne lorsque j’ai commencé à traiter pour sa maison. Ce fatal accident ne lui serait point arrivé. Mais n’est-il pas bien fâcheux aussi pour nous ? Hélas ! Hélas ! Cette vie mortelle n’est composée que de malheurs. Il n’est pas besoin de nous en attirer nous-mêmes, par notre propre pétulance. Ainsi l’affaire de cette maison est finie, du moins pour un tems. Mais ce contre-tems m’oblige d’imaginer quelque expédient qui puisse le réparer. Puisque je suis réduit à marcher lentement, pour rendre ma marche sûre, j’ai dans la tête deux ou trois inventions charmantes, qui seraient capables même de ramener ma belle, quand elle trouverait le moyen de m’échapper. Qu’est devenu Milord M qui ne m’écrit pas pour répondre à mon invitation ? Si je recevais de lui une lettre que je pusse montrer, ce serait le moyen d’avancer beaucoup ma réconciliation. J’ai pris le parti d’en écrire deux mots à Miss Charlotte. S’il ne se hâte pas de me répondre, il aura bientôt de mes nouvelles, et par des voies qui ne lui seront point agréables. Tu sais qu’il m’a quelquefois menacé de me déshériter : mais si je le renonçais pour mon oncle, je ne ferais que lui rendre justice, et je lui causerais plus de chagrin, que tout ce qu’il peut faire de pis contre moi ne m’en causera jamais. Sa négligence diffère nécessairement la conclusion des articles. Comment puis-je supporter ce délai, moi, qui pour l’exercice de mes volontés, pour l’impatience, et pour bien d’autres choses, suis une véritable femme, et qui ne puis souffrir, plus que la meilleure de ce sexe, qu’on me manque ou qu’on me contredise. Autre lettre de Miss Howe. Je suppose que c’est celle qui était annoncée dans sa dernière, et qui regarde les propositions de mariage du vieil oncle Antonin à Madame Howe. Il ne sera plus question, j’espère, du complot de contrebande. On m’apprend que ma charmante l’a mise dans sa poche. Mais je me flatte que je ne serai pas long-temps sans la trouver au dépôt, avec toutes les autres. Lundi au soir. Mes instances redoublées l’ont fait consentir à me voir dans la salle ordinaire, à l’heure du thé, et pas plutôt. Elle est entrée avec un air d’embarras, si j’en ai bien jugé, et comme un peu confuse d’avoir porté trop loin ses alarmes. Elle s’est avancée lentement, et les yeux baissés, vers la table ; Dorcas présente, et s’employant aux préparatifs du thé. J’ai pris sa main, qu’elle s’est efforcée de retirer ; et la pressant de mes lèvres : " cher objet de mes adorations ! Pourquoi cette distance, lui ai-je dit ; pourquoi ces marques de chagrin ? Quel plaisir prenez-vous à tourmenter si cruellement le plus fidèle de tous les cœurs " ? Elle a dégagé sa main. J’ai voulu la reprendre. Laissez-moi, en la retirant avec dépit. Elle s’est assise. Une douce palpitation, que j’ai remarquée au travers de tous ses charmes, m’a fait pénétrer ce qui se passait dans son ame. Le mouchoir, qui cachait son sein, se levait et se baissait avec un mouvement précipité. Ses joues charmantes étoient couvertes d’une aimable rougeur. Au nom de dieu, madame… et pour la troisième fois j’ai voulu prendre sa main, qui a repoussé la mienne. Au nom de dieu, monsieur, cessez vous-même de me tourmenter. Dorcas s’est retirée. J’ai poussé ma chaise plus près de la sienne. J’ai pris sa main, avec la plus respectueuse tendresse ; et je lui ai dit que, dans la cruelle distance où elle me tenait, il m’était impossible de ne pas lui exprimer, avec une mortelle inquiétude, la crainte où j’étais que, s’il y avait quelque homme au monde qui lui fût plus indifférent, pour ne pas dire plus odieux qu’un autre, ce ne fût le malheureux qu’elle voyait devant elle. Elle m’a regardé un moment d’un œil fixe ; et sans retirer sa main, que j’avais dans les miennes, elle a tiré de l’autre son mouchoir de sa poche. Elle a tourné la tête du même côté, pour essuyer une larme ou deux, qui demandaient un passage ; mais elle ne m’a répondu que par un profond soupir. Je l’ai pressée de parler, de jeter les yeux sur moi, de me rendre heureux par un regard plus favorable. J’avais raison, m’a-t-elle dit, de me plaindre de son indifférence ! Elle ne connaissait rien de généreux dans mon caractère. Je n’étais pas un homme qu’on pût obliger, ni traiter avec la moindre faveur. Mon étrange conduite, depuis samedi au soir, l’en avait convaincue. Toutes les espérances qu’elle avait conçues de moi s’étoient évanouies. Elle ne voyait plus rien, dans mes manières, qui ne lui causât du dégoût. Ce langage m’a piqué jusqu’au vif. Je crois que les coupables se révoltent plus contre la vérité qui les montre à découvert, que les innocens contre la calomnie qui ose les travestir. J’ai prié ma charmante d’écouter avec patience l’explication que je devais à ce changement. J’ai fait un nouvel aveu de la fierté de mon cœur, qui ne pouvait soutenir dans une femme, à qui je me flattais d’appartenir un jour, ce défaut de préférence qu’elle m’avait toujours donné raison de lui reprocher. Le mariage, ai-je dit, était un état dans lequel on ne devait point entrer, de part et d’autre, avec une froide indifférence. Il n’y a qu’une insolente présomption, a-t-elle interrompu vivement, qui puisse faire attendre des marques d’estime à ceux qui ne font rien pour les mériter. Vous jugez mal de moi, M Lovelace, si vous croyez que de vils motifs puissent m’inspirer de l’amour pour ce qui n’en est pas digne. Miss Howe vous apprendra, monsieur, que je n’ai jamais aimé les fautes de mon amie, et que je n’ai jamais souhaité qu’elle aimât les miennes. C’est une règle, entr’elle et moi, de ne pas nous épargner. Pourquoi donc un homme qui n’offre que des fautes (car, dites-moi, monsieur, quelles sont vos vertus), se croirait-il en droit d’exiger mon estime ? Je ne mériterais pas même la sienne, si j’étais capable de cette aveugle bassesse. Il ne me devrait que du mépris. Il est vrai, madame, que vous avez soutenu parfaitement cette noble manière de penser. Vous n’êtes point en danger d’être méprisée, pour des marques de tendresse ou de faveur que vous ayez accordées à l’homme qui est devant vous. Il paraît que tous vos soins se sont tournés à faire naître ou à saisir les occasions de déclarer que, si vous avez eu quelques pensées en ma faveur, ce n’est rien moins que par votre propre choix. Mon ame entière, madame, dans toutes ses erreurs, dans tous ses désirs et dans toutes ses vues, aurait été ouverte et nue devant vous, si j’avais été encouragé par une part assez libre à votre confiance et à votre estime, pour me rassurer contre les fâcheuses interprétations que j’ai tremblé de vous voir donner à tout ce que j’aurais pu vous dire ou vous proposer. Jamais un cœur n’eut plus de franchise. Jamais personne ne fut plus disposé à reconnaître ses fautes (c’est la vérité, Belford). Mais vous savez, madame, combien nous avons été loin de ces heureux termes. La défiance, la réserve de votre part, ont produit de la mienne le doute et la crainte. Nulle confiance mutuelle, comme si nous avions supposé de part et d’autre plus de dissimulation que d’amour. Combien ai-je redouté chaque lettre que je vous ai vu recevoir par le ministère de Wilson ? Et ce n’est pas sans raison ; puisque la dernière, dont j’avais conçu tant d’espérance, à l’occasion des articles que je vous ai proposés par écrit, n’a point eu d’autre effet, si j’en dois juger par le refus que vous fîtes hier de me voir, (quoique vous fussiez en état de sortir, et même dans une chaise, pour m’ ôter la satisfaction de vous accompagner), que de vous irriter plus que jamais contre moi. Je suis coupable, apparemment, m’a répondu la belle indignée, d’avoir été à l’église ; et sans être accompagnée d’un homme que son inclination n’y porterait guère, s’il ne m’y voyait aller. Je suis coupable d’avoir souhaité de me recueillir un peu le dimanche, après avoir eu la complaisance d’aller samedi à la comédie, et de passer avec vous une partie de la nuit. Voilà mes crimes : voilà ce qui m’a fait mériter d’être punie ; ce qui vous a mis en droit, sans doute, de me forcer à vous voir, et de m’effrayer, lorsque je vous ai vu, par les manières les plus choquantes qu’on ait jamais prises avec une femme que rien n’oblige à les souffrir. L’humeur de mon père n’est point échappée à votre censure, M Lovelace : mais ce qu’il a montré de pis, après le mariage, n’est pas comparable à ce que vous avez montré vingt fois d’avance. Que dois-je attendre de vous à l’avenir, en vous considérant du côté le plus favorable ? Mon indignation s’échauffe, au moment que je vous parle, lorsque je me rappelle vingt traits de votre conduite, aussi contraires à la générosité qu’à la politesse, pour une personne que vous avez jetée dans les disgraces dont elle gémit. En vérité, j’ai peine à vous souffrir devant mes yeux. Elle s’est levée ici, en étendant les bras, et tournant la tête pour cacher ses larmes : ô mon père, mon père ! S’est écriée l’inimitable fille, vous auriez pu vous épargner une malédiction terrible, si vous aviez su comment je me trouve punie, depuis l’instant que mes pieds égarés m’ont conduite hors des portes de votre jardin, pour joindre M Lovelace ! Ensuite se laissant retomber sur sa chaise, elle s’y est noyée dans ses pleurs. Ma très-chère vie ! Lui ai-je dit, en prenant ses mains qu’elle tenait encore étendues, qui pourrait soutenir une invocation si touchante, quoique si passionnée ? (comme j’espère de vivre, Belford, je me sentais tremblant ; quelques larmes se sont présentées sous mes paupières, et j’osais à peine exposer mon visage au sien.) qu’ai-je donc fait pour mériter cette impatiente exclamation ? Vous ai-je donné sujet, en aucun tems, par mes discours, par mes actions, par mes regards, de douter de mon honneur, de mon respect, de mon adoration ? Je puis donner ce nom à mes sentimens pour vos célestes vertus. De part et d’autre, le mal vient de ne pas nous entendre. Daignez m’éclaircir vos idées, comme je vais vous expliquer les miennes, et nous serons aussi-tôt heureux. Plût au ciel que je pusse l’aimer comme je vous aime ! Et si je doutais néanmoins d’un retour de sentimens, que je périsse, si je sais comment je pourrais souhaiter de vous voir à moi ! Laissez-moi penser, très-chère Clarisse, laissez-moi seulement penser que je suis votre choix de préférence ! Souffrez que je me flatte de n’être point haï, de n’être point méprisé !… ah, Monsieur Lovelace ! Nous avons vécu ensemble assez long-temps, pour être fatigués de l’humeur et des manières l’un de l’autre. Elles se conviennent si peu, que vous devez vous sentir peut-être aussi dégoûté de moi que je le suis de vous. Je crois… je crois qu’il ne m’est pas possible d’accorder le retour que vous me demandez, aux sentimens dont vous faites profession pour moi. Mon caractère naturel est tout à fait altéré. Vous m’avez donné une fort mauvaise opinion de tout votre sexe, et particuliérement de vous. Vous m’en avez fait prendre en même-tems une si fâcheuse de moi-même, qu’ayant perdu pour jamais cette satisfaction, ce témoignage intérieur de mes propres sentimens, qui est nécessaire à une femme pour se soutenir avec dignité pendant le cours de cette vie, je ne serai jamais capable de lever la tête d’un air assuré. Elle s’est arrêtée. J’ai gardé le silence. Sur mon dieu ! Ai-je pensé en moi-même, cette divine fille est capable à la fin de me perdre entiérement. Elle a repris : que me reste-t-il à désirer, sinon que vous me déclariez libre de toute obligation par rapport à vous, et que vous ne m’empêchiez pas de suivre le cours de ma destinée ? Elle s’est arrêtée encore une fois. Mon silence a continué. Je méditais si je ne devais pas renoncer à tous mes projets sur elle, si je n’avais pas assez de preuves d’une vertu et d’une grandeur d’ame supérieure à tous les soupçons. Elle a repris encore : votre silence m’est-il favorable, Monsieur Lovelace ? Dites-moi que je suis libre de toute obligation à votre égard. Vous savez que je ne vous ai jamais fait de promesse. Vous savez que vous n’êtes pas lié par les vôtres. Je ne m’embarrasse point du mauvais état de ma fortune… elle allait continuer. Ma très-chère vie ! Ai-je interrompu, quoique vous me laissiez dans un si cruel doute de votre affection, je me suis employé pendant ces derniers jours aux préparations nuptiales. Je suis actuellement en traité pour des équipages. Des équipages, monsieur ! De l’éclat : un état brillant ! Qu’est-ce qu’un équipage ; qu’est-ce que la vie et tout ce qu’elle peut offrir pour une malheureuse fille qui est tombée si bas dans sa propre opinion ; qui gémit sous la malédiction d’un père ; qui ne peut tourner les yeux sur elle-même sans reproche, ni les jeter devant elle sans terreur ; confirmée dans ces fatales idées par l’opposition qu’elle trouve à tous ses désirs ; obligée de renoncer à ses plus chères inclinations ; privée de toutes sortes de plaisirs et d’espérances ? Ne me refusez pas la liberté de chercher un asile, dans quelque coin obscur, ignoré, où ni les ennemis que vous m’avez faits, ni le peu d’amis que vous m’avez laissés, ne puissent jamais entendre parler de celle qu’ils supposent coupable ; jusqu’à l’heureux moment de sa mort, qui fera revivre peut-être leur tendresse et leur compassion, en expiant toutes ses fautes. Il ne m’est pas venu un mot à répondre pour moi-même. Jamais une guerre de cette espèce ne s’était élevée dans mon ame ; la reconnaissance et l’admiration combattant de misérables habitudes, des résolutions préméditées et des vues dont tu sais combien je me suis glorifié. Cent nouvelles inventions que j’ai roulées dans ma tête et dans mon cœur, y faisaient face à la tentation d’être honnête ; les injures de Miss Howe se présentaient pour les seconder ; et je ne leur trouvais plus assez de force pour me défendre. J’étais un homme perdu, si Dorcas n’avait paru fort à propos avec une lettre. L’adresse portait : ouvrez sur le champ, monsieur . Je me suis approché d’une fenêtre. J’ai ouvert cette lettre mystérieuse. Elle était de Dorcas même, qui me pressait en deux mots, " d’arrêter madame, pour lui donner le temps de transcrire un papier d’importance. " elle me promettait de tousser lorsqu’elle aurait fini. J’ai mis la lettre dans ma poche, et je suis retourné vers ma charmante : moins déconcerté ; comme elle avait eu le temps de se remettre un peu pendant ma lecture, une grâce, lui ai-je dit, très-chère Clarisse ! Que j’apprenne seulement si Miss Howe approuve mes propositions. Je sais qu’elle est mon ennemie. Mon intention était de vous rendre compte du changement que vous m’avez reproché dans ma conduite ; mais vous m’en avez fait perdre l’idée par votre petit emportement. En vérité, ma chère Clarisse, vous vous êtes emportée avec beaucoup de chaleur. Croyez-vous qu’il ne soit pas bien chagrinant pour moi de voir mes désirs si long-temps remis ou rejetés, en faveur de vos vues prédominantes pour une réconciliation avec votre famille, qui ne souhaite rien moins que de se réconcilier ? De là vient le délai que vous avez apporté à la célébration, avant notre arrivée à Londres, malgré mes pressantes instances, et quoique outrageusement traitée par votre sœur et par toute votre famille ; de là cette facilité que vous avez eue à vous prévenir contre mes quatre amis, et à vous offenser de la hardiesse que j’ai eue de me saisir d’une lettre égarée ; me figurant peu que dans le commerce de deux dames, telles que vous et votre amie, ma curiosité pût trouver le sujet d’une mortelle injure. De là l’éloignement où vous m’avez tenu pendant une semaine entière, pour attendre le succès d’une autre négociation. Mais, après avoir reconnu qu’elle était inutile ; après avoir envoyé mes articles à Miss Howe, pour lui en demander son opinion, comme je vous l’ai conseillé moi-même ; après m’avoir honoré de votre compagnie samedi au soir à la comédie, et me devant le témoignage que jusqu’au dernier moment ma conduite n’a pas cessé d’être irréprochable ; le changement, madame, que j’ai remarqué dès le jour suivant dans la vôtre, n’a-t-il pas dû me causer autant de surprise que de douleur ? Et lorsque je vous ai vu persister, après avoir reçu la réponse que vous attendiez impatiemment de Miss Howe, n’ai-je pas dû conclure qu’il venait uniquement de son influence ? N’ai-je pas dû juger qu’il se formait quelque nouvelle négociation, quelque nouveau projet qui vous mettait dans la nécessité de me tenir éloigné de vous pour en attendre le succès, et dont le but était de vous arracher pour jamais à moi ? Car ce sacrifice n’a-t-il pas été constamment votre article préliminaire ? ô madame ! Suis-je donc coupable, d’être devenu furieux de cette crainte, et n’ai-je pas eu droit de vous reprocher que vous n’aviez pour moi que de la haine ? Aujourd’hui, très-chère Clarisse, qu’il me soit permis de vous demander encore une fois ce que Miss Howe pense de mes propositions ? Si j’étais d’humeur à disputer avec vous, M Lovelace, il me serait fort aisé de répondre à votre belle harangue. Mais je me contenterai de vous dire, à présent, que vos procédés m’ont toujours paru inexplicables. Si vous n’avez eu que de justes intentions, il me semble que vous vous êtes fort étudié à les rendre obscures. Je ne puis décider si c’est faute d’une tête saine, ou d’un cœur pur ; mais je suis réellement persuadée que la plus grande partie de votre étrange conduite doit être attribuée à l’un ou à l’autre de ces deux défauts. Malédiction, me suis-je écrié, sur le petit diable

qui vous excite à penser si mal du cœur le plus fidèle du monde ! " comment osez-vous, monsieur… " elle s’est arrêtée là, dans la crainte apparemment de s’expliquer trop, comme j’avais dessein de l’y engager. Comment j’ose… quoi donc, madame, ai-je dit en la regardant d’un air qui signifiait beaucoup ; qu’ai-je osé ? " dangereux esprit ! Osez-vous… l’expression a paru lui manquer encore une fois. " j’ose… qu’ai-je donc osé, madame ? Et pourquoi dangereux esprit ? " comment osez-vous maudire quelqu’un en ma présence ? " c’était revenir doucement sur ses pas : mais on n’échappe pas si facilement à Lovelace. " quoi donc, chère Clarisse ? Y a-t-il quelqu’un , en effet, qui vous excite ? Si quelqu’un

fait ce rôle contre moi, je le maudis, n’en doutez pas, quel qu’il puisse être. " elle a paru dans une charmante petite fureur. C’est la première fois que les dés ont été en ma faveur. " je vois, chère miss, que mes soupçons ne m’ont pas trompé. Il m’est facile à présent d’expliquer une humeur qui ne peut vous être naturelle. " artificieux esprit ! Est-ce ainsi que vous me faites donner dans tous vos pièges ? Mais sachez, monsieur, que je ne reçois de lettres que de Miss Howe. Miss Howe n’approuve pas plus que moi plusieurs de vos procédés ; car je lui communique tout ce qui m’arrive. Cependant, elle n’est pas plus votre ennemie que la mienne. Elle croit que je ne dois pas refuser vos offres, et que je dois me soumettre à mon sort. Vous êtes instruit à présent de la vérité. Plût au ciel que vous fussiez capable d’autant de bonne foi ! " je le suis, très-chère miss. Ici, à genoux, devant mon adorable Clarisse, je renouvelle tous les sermens qui doivent me donner à elle ; et je n’aspire qu’au moment de pouvoir bénir elle et Miss Howe tout d’une haleine. " pour te parler sincérement, Belford, j’avais commencé à soupçonner cette Miss Howe, qui n’aime pas Hickman, j’en suis sûr, d’être amoureuse de moi. Levezvous, monsieur, m’a dit la majestueuse Clarisse, d’un ton solemnel ; quittez une posture que vous ne prenez que trop aisément, et ne vous moquez pas de moi. Une posture, ai-je dit en moi-même, qui me paraît toucher peu ma fière déesse ; mais elle ne sait pas tout ce que cette posture m’a fait obtenir de son sexe, ni combien de fois on m’a pardonné des entreprises assez hardies ; lorsque j’ai demandé grâces à genoux. " me moquer de vous, madame ! ô dieu !… " je me suis levé. J’ai recommencé à la presser pour le jour. Je me suis blâmé moi-même d’avoir fait à Milord M une invitation qui pouvait m’exposer à quelque retardement, à cause de ses infirmités. Je lui ai dit que j’écrirais à ce vieil oncle pour lui faire mes excuses ; que je lui marquerais le jour qu’elle aurait la bonté de me fixer ; et que, s’il ne pouvait arriver à tems, nous prendrions le parti de ne pas l’attendre. Mon jour, m’a-t-elle répondu fièrement, c’est jamais. Ce langage, monsieur, ne doit pas vous surprendre. Une personne de quelque politesse, qui jugerait entre nous, n’en serait point étonné. Mais, en vérité, Monsieur Lovelace, (pleurant d’impatience) ou vous ne savez guère comment il convient de traiter avec un esprit un peu délicat, malgré votre naissance et votre éducation, ou vous êtes un ingrat. Pire qu’un ingrat, a-t-elle ajouté après un moment de réflexion. Je me retire. Je vous verrai demain matin. Il m’est impossible de vous voir plutôt. Je crois que je vous hais… vous me regardez en vain ; je crois réellement que je vous hais ; et si je me confirme dans cette idée par le nouvel examen que je vais faire de mon cœur, je ne voudrais pas, pour le monde entier, que les affaires fussent poussées plus loin entre nous. J’étais trop chagrin, trop déconcerté, pour l’empêcher de se retirer. Cependant elle ne serait pas sortie si Dorcas n’avait pas toussé. Cette fille est venue à moi aussi-tôt que sa maîtresse lui a laissé la liberté de descendre. Elle m’a donné la copie qu’elle venait de faire. Que pouvait-ce être qu’une réponse à mes articles, que l’admirable Clarisse se proposait apparemment de me donner, quoiqu’elle ne m’en eût pas parlé ? Je n’ai fait que parcourir ce touchant écrit. Je n’aurais pas fermé l’œil de toute la nuit, si je l’avais lu plus attentivement. Demain, j’en ferai le sujet de mes sérieuses méditations.