Guerre aux hommes/04/10

É. Dentu, Éditeur (p. 190-196).


X

LE DON JUAN DOUBLÉ DE TARTUFE


Le don Juan que nous connaissons, celui dont on nous a donné un portrait qui est un vrai chef-d’œuvre, ce don Juan-là, en apparaissant, semble vous dire : « Tenez-vous bien sur vos gardes, ô vous, parents, gardiens d’un jeune trésor, ô vous, maris, possesseurs d’une jeune femme ! Et vous, mesdames, cuirassez bien vite votre cœur, ne m’écoutez pas, car mes paroles contiennent un poison subtil qui peut vous atteindre. Ne me regardez pas, car mes yeux, comme les yeux du serpent, ont le pouvoir d’attirer, de fasciner. »

Oui, ce don Juan-là ne vous prend point en traître, tout en lui dans sa personne, dans ses allures, vous prévient du danger.

Beau et bien fait, le regard tendrement provocateur, la moustache fièrement retroussée, la tournure cavalière… en le voyant vous pouvez vous dire. Il se fait un jeu de séduire les jeunes filles et les jeunes femmes, de tromper les maris, les pères et les tuteurs, c’est un don Juan…

Tant pis pour les imprudentes qui comptent trop sur leur bravoure, tant pis pour les pères et les maris imprévoyants… Don Juan n’est pas coupable, il vous a prévenus, il ne fait que son métier.

Mais le don Juan doublé de Tartufe ne vous prévient pas, lui ! non, il vous prend en traître.

L’un est le voleur de grand chemin, se précipitant sur vous armé jusqu’aux dents, vous dévalisant au péril de sa vie ; l’autre, est le voleur sournois, qui s’introduit chez vous à petit bruit, qui capte votre confiance par un air honnête et candide et qui s’en sert pour en abuser.

Le don Juan doublé de Tartufe est tout l’opposé du premier ; sa tournure est gauche, embarrassée, son regard… il est difficile de dire ce qu’il est, car ou il recouvre ses yeux d’un verre, ou il les tient systématiquement baissés… Enfin, si dans l’autre tout vous dit : Méfiez-vous, dans celui-ci, tout dit, au contraire : Ayez confiance.

On lui accorde une confiance illimitée, hélas !… comment se défier d’un être tellement sans conséquence !… Le père le donne pour professeur à ses filles, le mari à sa femme pour faire ses commissions, pour la conduire au spectacle, il leur devient indispensable… et eux dorment sur leurs deux oreilles dans le calme le plus profond.

Les jeunes filles, les femmes, elles aussi ne se méfient pas des don Juan Tartufes : elles causent, elles pensent devant eux, elles ne s’aperçoivent pas même de leur présence… Eux écoutent et font leur plan…

On n’a pas de secrets pour eux, ils ont air si honnête, comment se méfier d’eux…

Eh bien, un jour, ces secrets surpris, les paroles imprudentes dites devant eux, deviennent entre leurs mains des armes terribles ; tout comme les don Juan séduisants ceux-là jettent partout où ils passent le désespoir et le déshonneur.

Les premiers, pour réussir, se servent de leur esprit, des dons que la nature leur a accordés ; les seconds arrivent par la ruse, par la surprise, par l’hypocrisie ! Tout comme les premiers, le but de leur vie est de séduire les femmes, de faire de nombreuses victimes, ils se servent seulement de moyens différents, voilà tout : mais ils sont cent fois plus coupables, et plus redoutables aussi !…