Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MIRABEAU (Gabriel-Honoré RIQUETTI, comte DE, orateur illustre, fils du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 312-315).

MIRABEAU (Gabriel-Honoré Riquetti, comte de), orateur illustre, fils du précédent, né au château de Bignon (Loiret) le 9 mars 1749, comme l’établit d’une manière définitive son acte de baptême, retrouvé en septembre 1863 au greffe du tribunal de première instance de Montargis, où sont déposés les anciens registres de la commune de Bignon. Il mourut à Paris le 2 avril 1791, âgé seulement de quarante-deux ans moins un mois.

Défiguré dès l’âge de trois ans par la petite vérole, il garda cette laideur puissante qui a tant frappé ses contemporains, ce masque léonin où l’intelligence et l’expression triomphaient de la laideur même. C’est en faisant allusion à cette laideur, aussi bien qu’à sa force, à ses passions violentes et à son caractère indomptable, que son père, qui d’ailleurs ne l’a jamais aimé, disait de lui que c’était un mâle monstrueux ou physique et au moral. Confié successivement à divers maîtres, il apprit avec une facilité surprenante les langues anciennes et modernes, les mathématiques sous Lagrange, le dessin, la musique, les exercices du corps, etc. Ayant de bonne heure révélé son tempérament impétueux, il fut placé par son père à l’École militaire en manière de correction, dévora tous les ouvrages sur l’art de la guerre et sortit officier à l’âge de dix-sept ans. Ici commence le roman de sa vie. Des dettes, une intrigue d’amour le firent enfermer à l’île de Ré, en vertu d’une lettre de cachet obtenue par son père. On sait assez que le terrible Ami des hommes en sollicita et en obtint bien d’autres dans la suite. Ce fut entre lui et son indisciplinable fils une lutte sans merci, un véritable duel.

Envoyé en Corse avec son régiment, Mirabeau fit la guerre quelques années et obtint, à son retour, le grade de capitaine de dragons. Dans les rares loisirs que lui laissaient ses devoirs militaires et ses habitudes de plaisir, il avait composé une histoire de la Corse, que son père détruisit, parce qu’elle était empreinte de vues philosophiques qui ne s’accordaient pas avec ses propres idées. En outre, autant par avarice que pour arrêter les désordres de son fils, il le laissait systématiquement en proie à des embarras pécuniaires. Malgré ses dérèglements, Mirabeau s’annonçait déjà avec des facultés si puissantes, que son oncle le bailli écrivait à son sujet : « Ou c’est le plus habile persifleur de l’univers, ou ce sera le plus grand sujet de l’Europe pour être général de terre ou de mer, ou ministre, ou chancelier, ou pape, ou tout ce qu’il voudra. »

En 1772, il épousa à Aix (Provence) Mlle Émilie de Marignane, riche héritière, dont il dévora une partie de la fortune en peu de temps. Son père le fit alors interdire, judiciairement et confiner dans la petite ville de Manosque. Il y composa hâtivement son Essai sur le despotisme, livre écrit avec une verve peu réglée, mais qui contient des morceaux pleins d’éclat et des idées justes et hardies sur le gouvernement, les armées permanentes, etc. Ayant rompu son ban pour venger une de ses sœurs outragée, il s’embarrassa dans de nouvelles affaires, fut enfermé au château d’If, séduisit la femme du cantinier et fut transféré (1775) au fort de Joux, toujours par les soins de son père. Pontarlier n’est qu’à une petite distance ; il finit par obtenir d y séjourner. Ce fut là qu’il connut, qu’il aima et qu’il entraîna dans l’adultère Sophie de Ruffey, jeune épouse du vieux marquis de Monnier, ex-président de la chambre des comptes de Dole. Cette liaison, bientôt connue, attira sur lui des rigueurs bien méritées, auxquelles il parvint à échapper en s’enfuyant en Hollande avec la malheureuse Sophie, qu’il avait entièrement subjuguée. Là, pendant que le parlement de Besançon le faisait décapiter en effigie, il s’installait sous le nom de Saint-Mathieu et se mettait aux gages des libraires pour subsister, lui et sa compagne. Outre divers écrits politiques, tels que l’Avis aux Bessois, il fit un certain nombre de traductions de l’anglais et de l’allemand. Mais bientôt le gouvernement français, ayant obtenu son extradition, le fit enlever d’Amsterdam (14 mai 1777), ramener en France et enfermer au donjon de Vincennes (8 juin). Le lieutenant de police Lenoir lui permit de correspondre avec Sophie, à la condition que les lettres reviendraient dans les bureaux de la police. L’intermédiaire de cette correspondance fameuse était un nommé Boucher, secrétaire de Lenoir, et que les deux amants appelaient le Bon ange. On sait que ces Lettres écrites du donjon de Vincennes ont été recueillies par Manuel, procureur de la Commune.de Paris, et publiées en 1792. Elles n’étaient certainement pas destinées à la publicité ; griffonnées au jour le jour, elles contiennent des choses qu’on eût pu supprimer sans inconvénient ; mais, telles qu’elles sont, c’est une œuvre éloquente, pleine de vie, de passion et d’originalité.

« Jamais, dit Laharpe, on n’a mieux fait voir qu’il y a dans l’amour un charme qui n’est qu’à lui : c’est de n’avoir jamais qu’une même chose à dire et de la dire toujours sans s’épuiser ni se lasser jamais, et même sans lasser les autres, quand il a l’éloquence qui lui est propre. »

Dans cette captivité, qui dura quarante-deux mois, Mirabeau composa beaucoup d’ouvrages, dont une dizaine, mentionnés dans ses Lettres, paraissent perdus. Il fit aussi pour Sophie plusieurs traductions, notamment celles de Boccace et des Baisers de Jean Second, collectionna dans la Bible de dom Calmet une foule d’exemples des écarts de l’amour pour en composer son recueil graveleux l’Erotica bibiion ; enfin, il écrivit le roman licencieux Ma conversion. Mais, à côté de ces débauches d’une imagination puissante et déréglée, il faut rappeler des travaux sérieux et dignes de son génie, parmi lesquels : Des lettres de cachet et des prisons d État, qui n’est pas seulement une éloquente protestation contre le despotisme, un plaidoyer chaleureux en faveur de la liberté individuelle, mais encore un véritable travail d’érudition rempli d’exemples historiques, et qui suppose d’immenses lectures.

Sorti de Vincennes le 13 décembre 1780, à la suite de laborieuses négociations, il n’était point pour cela délivré de ses nombreux embarras. Il dut d’abord se constituer prisonnier à Pontarlier pour purger sa contumace, rédigea mémoires sur mémoires, et enfin parvint à obtenir une transaction de M. de Monnier, qui même paya les frais de la procédure. Il se rendit ensuite en Provence pour plaider contre sa femme, qui demandait la séparation de corps. Là encore il accumula les mémoires les plus éloquents, fut lui-même son propre avocat, donna un retentissement énorme à cette affaire, mais ne put empêcher la séparation d’être prononcée (1783). Ce résultat fut doublement fâcheux pour lui, car outre qu’il se fût peut-être assoupli, apaisé, purifié au foyer domestique, la séparation le laissait sans ressource. Dans l’intervalle, il avait fait un voyage en Suisse pour faire imprimer les Lettres de cachet et un autre ouvrage composé à Vincennes, l’Espion dévalisé. En 1784, il partit pour Londres, où il publia un écrit contre l’institution, aux États-Unis, de l’ordre de Cincinnatus, qu’il représentait comme destructif de l’égalité entre les citoyens de la nouvelle république. Dans la question de la liberté de la navigation de l’Escaut, il soutint contre Linguet les droits de la nation hollandaise. De retour à Paris en 1785, cet étonnant esprit se jeta sans transition dans les matières de finances et d’économie politique. Il écrivit contre la caisse d’escompte, la banque de Saint-Charles et contre la compagnie des eaux de Paris. Beaumarchais était administrateur de cette dernière entreprise. Il en résulta une polémique dans laquelle Mirabeau ne parait pas avoir eu l’avantage. Il fut à ce sujet accusé de vénalité et s’en défendit avec véhémence ; la chose est demeurée douteuse. Mais il faut bien dire cependant que le caractère bien connu de Mirabeau ne rend pas l’accusation trop invraisemblable.

Dévoré du désir de jouer un rôle actif, il sollicita et obtint (1786) une mission secrète en Prusse, dont le but était de rendre compte au ministre de l’effet que produirait en Allemagne la mort prévue du grand Frédéric, de sonder les dispositions du jeune prince de Prusse et peut-être aussi de négocier un emprunt pour la France. Ces sortes de missions secrètes, dont le but réel n’était jamais bien défini, étaient dans les usages politiques de l’ancien régime. Mirabeau assista à l’agonie de Frédéric et à l’inauguration de son successeur ; avec son aplomb magistral, il saisit l’occasion pour adresser au nouveau roi des conseils sur la conduite à tenir, les réformes à opérer, etc. La plupart de ces avis officieux étaient excellents ; mais, en de telles circonstances, c’est l’application qui est la grosse affaire. Mirabeau joua d’ailleurs consciencieusement son rôle d’agent ; il adressa au ministre Calonne soixante-six lettres qui ont été publiées en 1789 sous le titre d’Histoire secrète de la cour de Berlin ou Correspondance d’un voyageur français depuis le mois de juillet 1786 jusqu’au 19 janvier 1787, et qui contiennent des observations intéressantes, des portraits satiriques et des vues utiles. Ce livre fit scandale, et le parlement le fit brûler par la main du bourreau. C’est pendant son séjour à Berlin qu’il recueillit les matériaux de sa Monarchie prussienne, publiée en 1788 (4 vol. in-4o ou 8 vol. in-8o), vaste compilation qui attestait du moins sa capacité dans les matières de politique, de législation, d’administration et de finances. De retour en France au moment de l’Assemblée des notables, il se jeta dans la mêlée en publiant un factum intitulé Dénonciation de l’agiotage au roi et aux notables, dans lequel il attaquait vigoureusement Calonne et Necker tout à la fois. C’est au sujet de cet écrit que Rivarol fit l’épigramme connue :

Puisse ton homélie, ô pesant Mirabeau,
Assommer les fripons qui gâtent nos affaires !
Un voleur converti doit se faire bourreau,
Et prêcher sur l’échelle en pendant ses confrères !

Il serait déraisonnable de prendre à la lettre ces injures, venant d’une pareille source ; mais telle était alors la réputation que les scandales éclatants de sa vie et ses aventures de toute nature avaient faite à Mirabeau. Inquiété pour ce pamphlet, obligé de se cacher pendant quelque temps, il fit paraître de nouveaux factums plus virulents encore : Lettres sur l’administration de M. de Necker, Suite de la Dénonciation de l’agiotage, etc., en même temps qu’il lançait une Adresse aux Bataves (avril 1788), dans laquelle on rencontre déjà tous les principes qui servirent de base à la Déclaration des droits de l’homme, ainsi que des Observations sur la prison de Bicêtre et sur les effets de la sévérité des peines, qui étaient comme le complément de ses Lettres de cachet.

Bien qu’il improvisât pour ainsi dire ses écrits et qu’il prît un peu de toutes mains pour les composer, on n’en reste pas moins étonné de son énergie intellectuelle et de sa fécondité au milieu des embarras continuels d’une vie précaire et tourmentée. « Mirabeau, dit M. Nisard, apprend à mesure qu’il écrit, écrit à mesure qu’il apprend. Concevoir et produire sont chez lui deux choses simultanées ; en même temps qu’il lit, il juge ; en même temps qu’il juge, il prend la plume ; sa main court à la suite de son esprit ou son esprit à la suite de sa main ; il pense et écrit à tire d’aile ; mais il n’écrit que parce qu’il ne peut pas parler... C’est l’orateur empêché, comprimé, qui se soulage par la voie de l’écrivain. Son Style est ample, abondant, peu coupé, comme sera quelque jour sa parole ; et il donne sa période pleine et peu variée, comme il donnera sa phrase oratoire, de toute l’haleine d’une vaste poitrine, de la poitrine des Mirabeau. Il semble que tout ce qui a été écrit a été parlé et qu’une main mal cachée sténographiait à son insu ces allocutions solitaires. Mirabeau n’est écrivain qu’en attendant ; vienne une révolution, une Assemblée, une tribune, il jettera la plume pour prendre la parole. »

La convocation des états généraux vint enfin lui ouvrir un théâtre digne de son génie et de son immense ambition. Emporté par l’enthousiasme, purifié par les grandes passions du temps, il sentait que cette ère nouvelle allait être pour lui une renaissance. « ... La tyrannie de ses passions l’avait souvent mené bien bas... Pauvre par la dureté de sa famille, il eut les misères morales, les vices du pauvre, par-dessus les vices du riche. Tyrannie de la famille, tyrannie de l’État, tyrannie morale, intérieure, celle de la passion... Ah ! personne ne devait saluer avec plus d’ardeur cette aurore de la liberté. Il ne désespérait pas d’y trouver le renouvellement de son âme, il le disait à ses amis. Il allait renaître, jeune avec la France, jeter son vieux manteau taché... » (Michelet.)

Peu de temps auparavant, il avait encore publié diverses brochures politiques : Réponse aux alarmes des bons citoyens ; Sur la liberté de la presse, etc. Enfin, au moment de la convocation, il lança ses Lettres à Cerutti, sur le rapport de M. Necker, pour combattre le système de finances qui a pour base le papier-monnaie, et dans lesquelles il annonça son intention de se présenter aux élections. Il partit en effet pour la Provence et arriva à Aix le 13 janvier 1789. Le rude athlète se présenta dans l’assemblée de la noblesse, qui, malgré ses réclamations persistantes, l’écarta comme n’ayant ni propriété, ni possession de fief en Provence. Il se tourna alors du côté du peuple et lança à sa caste la célèbre apostrophe (que d’ailleurs il ne proféra pas dans l’assemblée, comme beaucoup le croient, mais qui se trouve dans une brochure qu’il publia quelques jours après) :

« Dans tous les pays, dans tous les âges, les grands ont implacablement poursuivi les amis du peuple ; et si, par je ne sais quelle combinaison de la fortune, il s’en est élevé quelqu’un dans leur sein, c’est celui-là surtout qu’ils ont frappé, avides qu’ils étaient d’inspirer la terreur par le choix de la victime. Ainsi périt le dernier des Gracques de la main des patriciens ; mais atteint du coup mortel, il lança de la poussière vers le ciel, en attestant les dieux vengeurs, et de cette poussière naquit Marius : Marius, moins grand pour avoir exterminé les Cimbres, que pour avoir abattu dans Rome l’aristocratie de la noblesse ! »

Un peu plus loin, il disait encore :

« Non, les outrages ne lasseront pas ma constance ; j’ai été, je suis, je serai jusqu’au tombeau l’homme de la liberté publique, l’homme de la Constitution. Malheur aux ordres privilégiés, si c’est là plutôt être l’homme du peuple que celui des nobles ; car les privilèges finiront, mais le peuple est éternel ! »

D’autres brochures, ses luttes, son énergie passionnée, ses terribles attaques contre les ordres privilégiés lui donnèrent une popularité inouïe en Provence, où il n’était encore que fameux par les scandales et les malheurs de sa vie, beaucoup plus que par ses innombrables publications. Jusqu’au moment de sa double élection, ses jours et ses nuits ne furent qu’un triomphe continuel. Les cloches sonnaient à son entrée dans les villes, d’un mot il calmait les séditions, le peuple était à ses pieds. L’anecdote si connue qui le représente comme ouvrant une boutique de marchand de drap à Marseille est piquante, si l’on veut, mais n’a aucune réalité. Le puissant tribun n’avait pas besoin de recourir à ces petits artifices pour conquérir les hommes et soulever l’enthousiasme sur ses pas. Le tiers état de Provence l’avait adopté d’acclamation sans lui demander de fausses lettres de roture ni aucune comédie de popularité.

Proclamé député à Marseille et à Aix, il opta pour cette dernière ville et accourut à Versailles, sur le terrain du combat, pour commencer une vie nouvelle. Jusqu’alors nous n’avons eu que le célèbre Mirabeau, célébrité trop mélangée, comme on le sait ; maintenant nous allons voir sur la scène le grand Mirabeau, l’homme de l’histoire, qui malheureusement n’a pas entièrement dépouillé le vieil homme...

Son entrée dans la vie publique fut un véritable avénement ; c’était la Révolution qui montait avec lui sur la scène. Sans doute cette grande rénovation se fût faite sans lui, il faut l’espérer ; mais son rôle n’en fut pas moins formidable et décisif. « Mirabeau, ce n’est pas un homme, ce n’est pas un peuple, c’est un événement qui parle. Un immense événement ! la chute de la forme monarchique en France. » (Victor Hugo.)

Deux jours avant l’ouverture de l’Assemblée, il commença hardiment la publication du Journal des états généraux, avec le concours de publicistes qui déjà l’avaient aidé dans ses travaux, Duroveray, Clavière et autres ; cette feuille ayant été supprimée après le deuxième numéro, il la continua sous le titre de Lettres à mes commettants, et plus tard sous celui de Courrier de Provence. V. dans ce Dictionnaire la partie consacrée à ces publications, sous le titre Courrier de Provence.

Pendant les premiers travaux de l’Assemblée, il prit plusieurs fois la parole, à propos de la vérification des pouvoirs, de la réunion des trois ordres, etc., et il se fit écouter avec MIRA

intérêt. Mais la première fois qu’il apparut avec éclat comme orateur, ce fut dans la mémorable sénnce royale du 23 juin, h l’issue de laquelle le maître des cérémonies, M. de Dreux-Brézé vint réitérer les ordres du roi, dont lu volonté expresse était que l’ancienne distinction des trois ordres fût conservée et que les députés formassent trois chambres. La noblesse et le clergé avaient obéi ; mais les communes étaient restées assises, immobiles et impassibles. On connaît assez cette incomparable scène. Sans doute les députés avaient juré de donner une constitution à la France ; mais il était a redouter que ce mot, tout-puissant dans l’ancienne France : Ordre du roi, ne brisât toute velléité de résistance de la part d’une assemblée qui était entièrement monarchique, il est a peine nécessaire de le rappeler. Dans tous les cas, la moindre hésitation eût été funeste. Mirabeau, qui après le départ du roi avait déjà prononcé un discours énergique et concis pour rappeler à l’Assemblée son serment, se leva une nouvelle fois pour répondre à M. de Dreux-Brézé, et de sa voix tonnante, avec une majesté terrible, il proféra la magnifique apostrophe qui est dans toutes les mémoires :

« Oui, monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au roi ; et vous qui ne sauriez être son organe auprès des états généraux, vous qui n’avez ici ni place, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque, je déclare que, si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes 1 ■

Telle est la version du Moniteur. La phrase populaire est celle-ci : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes I >

Dans ses Lettres à mes commettants, Mirabeau lui-même donne la version que nous rapportons ci-dessus et d’après te Moniteur,

Quoi qu’il en soit, ces variantes n’ont que peu d’importance ; le fond est le même ; la Révolution, la France nouvelle ne pouvait parler un plus noble langage. L’effet fut décisif et foudroyant ; l’Assemblée se souleva dans une acclamation passionnée. M. de Dreux-Brézé, déconcerté, sortit involontairement à reculons, comme un faisait devant le roi ; il se sentait en présence d’une majesté nouvelle : la nation, la loi. Quarante-quatre ans plus tard, le fils de M. de Dreux-Brézé, pair de France, s’estavisé de contester les détails de cette scène ; mais ils sont attestés par des témoins oculaires, notamment M. Frochot, qui les a rapportés au fils adoptif de Mirabeau. (V. les Mémoires, t. VI, p. 39.)

L’Assemblée resta en séance et, sur la proportion de Mirabeau, décréta l’inviolabilité de ses membres et persista dans ses précédents arrêtés.

Désormais la place du grand orateur était marquée, et son influence sur l’Assemblée ne ht plus que grandir de jour en jour, en même temps que sa popularité.

Le 8 juillet, il demanda le renvoi des troupes qui menaçaient Paris et Versailles, ainsi que la création d’une garde nationale, et fut chargé de rédiger à ce sujet une adresse au roi, dont il fit un chef-d’œuvre de mesure, de tact et de fermeté. Le lendemain de la prise de la Bastille, la nouvelle que le roi allait se rendre au sein de l’Assemblée ayant excité un vif enthousiasme, il le réprima en s’éeriant : • Qu’un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur... Le silence du peuple est la leçon des rois. > C’est dans cette même séance et peu d’instants auparavant que, s adressant a une nouvelle députation qu’on envoyait au monarque, il prononça la véhémente apostrophe : « Dites-lui bien que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations et leurs présents ; dites-lui que, toute la nuit, ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chante impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’Assemblée nationale ; "dites-lui que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses aux sons de cette musique barbare, et que telle fut l’avantscène de la Saint-Barthélémy I... ■

Le 83 juillet, il demanda l’organisation des municipalités, s’éleva avec force, deux jours plus tard, contre la violation du secret des lettres et parla en faveur du système de la majorité simple, dans les délibérations. 11 n’assistait pas k ta grande séance nocturne du 4 août, mais il en donna dans son Courrier de Provence un récit fort animé. Le 10, il parla en faveur du projet de rachat des dîmes ecclésiastiques, et des murmures s’étant élevés k droite quand on l’entendit qualifier de salaire les émoluments du clergé, il fit cette rude réplique, qu’il ne connaissait que trois manières d exister dans la société : qu’il fallait y être voleur, mendiant ou salarié. Il parut dévier en voulant faire ajourner la rédaction de la déclaration des droits jusqu’après l’achèvement de la Constitution ; il fut assez vivement attaqué à ce sujet, et plusieurs de ses collègues de la gauche lui reprochèrent d’avoir précédemment plaidé la

thèse contraire et de chercher a entraîner

XI.

MIRA

l’Assemblée vers des partis opposes. Il répondit avec plus de hautéUr que de logique que c’était là un trait lancé de tas en haut.

Cette contradiction n’est pas un détail indifférent à noter, car k cette époque déjà le puissant tribun avait fait plusieurs tentatives pour entrer en relation avec la cour ; la Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck nous en fournit les preuves irrécusables, et l’on sait que c’est principalement dans ces documents originaux que cette grande question doit être étudiée.

En mai, il.avait fait quelques ouvertures à Malouet. À la fin de juin, il s’adressa au comte de La Marck, qui bientôt allait devenir l’intermédiaire de ces relations. Pour atténuer ses éclats de tribune aux yeux de son ami, qui était un des familiers du château, il protestait de ses opinions monarchiques et se représentait comme entravé dans ses légitimes ambitions. « Ce n’était pas sa faute si on le repoussait et si on le forçait, pour sa sûreté personnelle, à se faire le chef du parti populaire... » l’infin il lui dit, quelques jours après, ces mots significatifs : • Faites donc qu’au château on me sache plus disposé pour eux que contre eux. »

M. de La Marck, admirant en Mirabeau un homme de la plus haute capacité et dont la royauté pourrait tirer un grand parti quand on l’aurait affranchi de ses embarras subalternes (ses embarras d’argent), se décida h faire quelques ouvertures. En attendant, il lui prêta 50 louis et lui fit facilement accepter la même somme pour chaque mois.

La négociation était difficile. L’impétueux orateur était l’épouvantail de la cour. Aux premières paroles, Marie-Antoinette répondit : « Nous ne serons jamais assez malheureux, je pense, pour être réduits à la pénible extrémité de recourir à Mirabeau. •

Ces résistances irritaient et désespéraient le tribun. « À quoi pensent donc ces gens-là ? disait-il k son ami ; ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ? »

Puis, entraîné plus encore peut-être par son impétuosité naturelle et par son tempérament révolutionnaire que par ses dépits d’ambitieux déçu, il se rejetait dans ses luttes oratoires, il effrayait de nouveau la cour, il travaillait lui-même k creuser cet abîme qu’il signalait en s’offrattt pour le combler. Il soutint le principe de la responsabilité de tous les agents du pouvoir, parla en faveur de la complète liberté des cultes, contre les parlements, mais, par un revirement qui parut inexplicable, défendit énergiquement le veto royal.

Mirabeau resta étranger, du inoins maternellement, aux journées des 5 et S octobre. On l’accusa, il est vrai, avec le duc d’Orléans, d’avoir été un des instigateurs de l’émeute, et la procédure du Châtelèt mentionne quelques dépositions contre lui ; mais il fournit a 1 Assemblée des explications qui parurent concluantes.

Peu de jours après l’installation de la famille royale à Paris, il jugea l’occasion favorable à son ambition et fit remettre au roi (15 octobre) un mémoire dans lequel il conseillait à Louis XVI de se retirer en Normandie, d’y appeler l’Assemblé% nationale, de sanctionner les bases constitutionnelles, mais d’ajourner la sanction des décrets contraires à 1 autorité royale. Ce plan n’était pas précisément contre-révolutionnaire comme ceux du parti de la cour ; mais on conviendra que ce n’était qu’une question de nuance et de degré. Il rêvait alors le ministère, il voulait se faire accepter ou s’imposer, et son désir, aiguillonné par ses besoins, était si vif, qu’il s’en ouvrit à La Fayette, qu’il détestait en le jalousant. Il parait que le général le leurra de l’espoir d’un secours de 50,000 livres sur la liste civile et d’une ambassade. Mais rien de tout cela ne se réalisa, et, quant au ministère,

rielles. Il fut atterré de cette décision, qui avait été proposée et soutenue par ses ennemis, et certainement pour le frapper dans ses ambitions.

Un peu découragé, M. de La Marck s’était pour la moment retiré dans ses terres de Belgique. Mirabeau avait’ en vain tenté do retenir cet utile intermédiaire par ces étranges paroles : • Si la guerre civile vient à notre secours, nous pourrons servir la cause royale, vous militairement, moi politiquement. • 11 no resta pas d’ailleurs inactif après le départ de son ami et tenta notamment de se rapprocher de La Fayette, à qui il s’offrit pour conseiller. = Soyez Richelieu ; lui écrivit-il... Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion... >

Mais l’honnête La Fayette, un peu effrayé par l’immoralité proverbiale de Mirabeau, et d’ailleurs fort indécis de caractère, éluda ces propositions. Le tribun en conserva un amer ressentiment, et il ne laissa, depuis, échapper aucune occasion de manifester ses antipathies pour le général,

Cependant Marie-Antoinette, obsédée sans doute de divers côtés, avait fini par être ébranlée et, malgré se3 répugnances, elle se résigna, au commencement de 1790, k subir les services de celui qu’elle appelait dans ses lettres le monstre. Eu mars, on fit revenir La Marck de Bruxelles pour poursuivre la négociation. Il fut convenu que les ministres

MIRA’

ne seraient point mis dans le secret de ces relations et que Mirabeau développerait d’abord ses vues dans une note qui serait remise à ia reine et au roi,

Enapprenantcettesolution, le tribun tomba dans un ravissement enfantin. Quelques jours après (10 mai), il remit la note qu’on lui avait demandée et qui produisitsur le roi et la reine une impression assez favorable. Enfin le marché fut conclu, car c’était un véritable marché. Toujours.par l’intermédiaire do La Marck, il fut arrêté d’abord que la roi payerait les dettes de Mirabeau, qui en fournit lui-même la note (200,000 fr.). Parmi ces dettes, il en était qui attestaient les vicissitudes d’une vie tristement agitée, par exemple celle des habits de noces, qui depuis dix-sept ans étaient encore à payer. Louis XVI s’engagea en outre à fournir k son nouvel auxiliaire une pension de 6j000 livres par mois ; de plus, ’il remit en dépôt entre les mains de La Marck un million pour être remis h Mirabeau k la fin de la session s’il servait fidèlement la cause royale, comme il le promettait. Il ajouta encore 300 francs par mois pour un copiste . chargé de transcrire les notes à la cour, les originaux devant rester entre les main&’de Mirabeau. 4

À dater de ce moment, les actes et les discours de l’orateur ne furent plus la plupart du temps qu’un jeu concerté avec la cour ! Ses notes se succédèrent rapidement. Il en fit passer aux Tuileries plusieurâ par-semaine. La matière et les pièces de cette corresponc dance" politique sont désormais entièrement sous nos yeux. Elles consistent en cinquante notes écrites de juin 1790 jusqu’en avril 1791 ; plus, quantité de lettres et billets échungés soit entre Mirabeau et La Marck, soit entré l’un des deux et quelque autre correspondant intime. L’existence de ces pièces était connue depuis longtemps, et Droz, entre autres, avait été admis à les consulter pour ses Considérations sur le règne de Louis XVI. Les minutes originales, léguées par Mirabeau à La Marck, ont été publiées en 1851 par M. deBacourt, chargé de ce soin par le légataire, et çJii s’en est acquitté pieusement et consciencieusement. Ces documents sont accompagnés d’éclaircissements et d’un récit complet de cette

grave affaire par M. de La Marck. Comme nous l’avons dit plus haut ; notre narration résumée s’appuie principalement sur ces témoignages irréfragables, ainsi que sur divers passages de la correspondance de la reine.

Il résulte de tout cela, de la manière la plus certaine, que Mirabeau s’est bien réellement vendu. Quelque brutale que soit cette expression, quelque pénible qu’il soit de l’employer en parlant d’un tel homme, on ne peut rieu contre l’évidence des faits.

Des critiques complaisants ont cherché k atténuer’la défection et les défaillances du grand orateur, en disant qu’il avait, il est vrai, reçu de l’argent, qu’il avait entretenu un commerce secret avec la cour, mais qu’en définitive il n’avait pas positivement trahi la cause de la liberté. Ces distinctions subtiles, ces équivoques d’une moralité douteuse ne supportent d’ailleurs pas l’examen ; il est avéré que Mirabeau s’est offert, qu’il a été payé et qu’il a modifié sa politique dans un sens rétrograde. Que veut-on de plus ?

M. Sainte-Beuve dit k ce sujet :

« Non, Mirabeau ne s’est pas vendu, mais il s’est laissé payer : là est la nuance. »

Ou conviendra que la nuance n’est pas fort tranchée. En sollicitant un tel rôle, dans sa position de tribun révolutionnaire, Mirabeau savait bien qu’on attendait de lui une besogne de réaction ; et, d’autre part, la cour savait bien que lui-même attendait un salaire. Ces deux conditions du marché étaient si bien comprises des deux côtés, que, dès la première note, la question d’argent fut réglée et sans qu’il fût besoin d’employer aucun ménagement. Les conditions présentes, l’éblouissante perspective d’un million dans un avenir rapproché, inspirèrent subitement à Mirabeau un enthousiasme que dépeint son admirateur et ami, le comte de La Marck. «il laissa, dit-il, éclater une ivresse de bonheur dont l’excès, je l’avoue, m’étonna un peu, et qui s’expliquait cependant assez naturellement, d’abord par la satisfaction de sortir de la vio gênée et aventureuse qu’il avait menée jusque-là, et aussi par le juste orgueil de penser que l’on comptait enfin avec lui. Sa joie ne connut plus do bornes, et il trouvait au roi toutes les hautes qualités qui doivent distinguer un souverain... »

C’est surtout avec la reine que Mirabeau allait travailler à sauver la monarchie. 11 se trouva ainsi comme enrôlé dans ce fameux comité autrichien dont l’existence était beaucoup plus réelle que ne l’ont cru certains historiens. Ainsi La Marck, l’homme de la reine, était sujet autrichien ; le comte de Mercy, ambassadeur de la cour de Vienne et le mentor de Marie-Antoinette, avait également travaillé k l’embauchage du tribun populaire, ainsi que deux autres personnages auliques, le baron Flachslanden et le diplomate baron de Thugut.

Parmi les notes de Mirabeau, il en est un bon nombre destinées spécialement k Marie-Antoinette et qui, sans aucun doute, n’étaient communiquées au roi qu’après avoir été amendées par une espèce de censure préalable. On en trouve la preuve notamment dans le passage suivant d’une lettre de Mirabeau à La Marck ; 1 La vérité m’a tellement frappé et

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les accessoires se sont présentés si en foule, que j’ai répondu peut-être plus de choses que 1 espritauquel cetécrit est destiné (Louis XVI) n’en peut digérer. C’est k la reine k lire attentivement, k indiquer ce qu’il pourrait y

avoir de trop ou de trop peu, ce qu’il faudrait omettre ou développer, d

Ce qu’il voulait, cela n’est pas douteux, c’était le pouvoir, et si dans cette poursuite fiévreuse il s’attachait surtout k la faction la plus rétrograde, la plus inconciliable avec la France nouvelle, c est qu’il rêvait de gouverner de concert avec la reine, .d’être pour elle comme un nouveau Mazarin, — une.sorte d’époux politique, comme l’a dit un historien, un directeur effectif, et peij^-être quelque chose de plus ; car qui peut savoir tout ce qur bouillonnait dans cette tête incandescente, dans ce volcan do passions ?

Bientôt, écrire k Marie-Antoinette-ne lui suffit plus, il voulut la voir, fit solliciter et enfin obtint une entrevue secrète, qui eut lieuau château de Saint-Cloud le 3 juillet 1790. lien revint enthousiasmé au delk de toute expression. De leur côté, le roi et la reine crurent tout sauvé dès qu’on avait Mirabeau. Il leur semblait que le Samson qui avait tan ? contribué k ébranler la monarchie aurait également la puissance de relever l’édifice.

Cependant, le secret de cette entrevue avait transpiré dans le public ; les journaux s’en occupèrent, et même on en imprima une rerlation plus ou moins exacte, sous ce titre significatif : la Grande trahison de Mirabeau. Celui-ci eut l’audace de feindre un commencement de procès en calomnie ; mais il se laissa^facilement’dissuader.

Toutefois, la cour ne se hâtait point de se placer sous’sa direction absolue ; on voulait bien accepter un conseiller, mais non subir un maître. En outre, les indécisions do Louis XVL le secret gardé vis-k-vis des ministres compliquaient cette situation déjà si étrangement fausse et difficile. Toutes ces entrevues donnaient k Mirabeau des mouvements d’humeur et d’orgueil blessé. Ces yenslà, disait-il, ne le comprenaient pas ou le dédaignaient stupidement. De là de nouveaux

emportements de tribune, comme dans l’affaire du pavillon tricolore k arborer sur In flotte, où il prononça un discours révolutionnaire et fit adopter la motion que, non-seulement le pavillon blanc céderait la place aux couleurs de la Révolution, mais encore que les matelots substitueraient k l’antique cri de Vive le roi celui de Vivent la nation, la loi et le roi !

On comprend facilement la stupéfaction de Louis XVI et du comité autrichien. Ce n’était certes pas pour jouer cette partie que l’on payait le tribun. La Marck, ne sachant comment excuser son ami, lui écrivit une lettre de reproches. Il y avait dans cette incartade, qui ne fut pas la seule de ce genre, une question de tempérament, le besoin de retremper de temps a autre une popularité chancelante, une haine réelle de la contre-révolution (car Mirabeau voulait arrêter le mouvement, mais non retourner à la monarchio absolue, k l’ancien régime pur), enfin le dépit de voir la cour écouter d’autres conseils que les siens. Quoi qu’il en soit, le coup était rude, et Marie-Antoinette, ainsi que le roi, vivemeut irritée, ne voulait plus entendre parler du décevant tribun.

Il reprit faveur en signalant (novembre 1790) la présence k Paris de l’héroïne du collier, M’a« de La Motte, et en affectant un grand zèle pour l’en chasser, car il affirmait qu’elle était accourue de Londres pour demander U l’Assemblée la révision de son procès. À Ta fin de l’année précédente, cette femme avait en effet paru un instant dans la capitale, au grand effroi de la reine ; mais cette fois, la’ police de la cour ne put découvrir ses traces, et il est probable que ce n’était lk qu’une fable inventée par Mirabeau pour reconquérir la confiance de Marie-Antoinette, qui se montra en effet reconnaissante du dévouement qu’il avait affiché. Satisfait d’avoir ressaisi son ascendant, il attendit avec plus de patience l’occasion favorable k ses desseins. Il se livra dès lors avec plus d’abandon k la cour. À la fin de cette année 1790, il conçut un vaste plan de police secrète et de direction de l’esprit public, dont il se réservait la haute direction (La Marck, t. 1er, p. 220-223 ; t. II, f). 414-504). Ce projet, habilement conçu et onguement détaillé, ne fut mis k exécution qu’un au après, ainsi que nous l’apprend Bertrand de Molleville dans ses mémoires. En janvier 1791, Mirabeau parvint k déterminer Louis XVI k se retirer dans une ville frontière pour dicter de lk ses conditions, demander notamment la modification de certains articles constitutionnels dans un sens monarchique. La Marck fut chargé par le roi d’aller k Meta prendre les arrangements nécessaires avec Bouille. Le plan concerté étuit k peu

Ïirès le même, sauf quelques détails, que ceiii qui fut exécuté lors de la fuite de Varennes. Mais Mirabeau n’en vit pas l’avorte ment, car k cette époque il était mort. Si nous rappelons ces faits, ce n’est pas pour la cruelle satisfaction d’amoindrir encore le grand tribun, mais simplement pour réponure k certaines réhabilitations trop complaisantes qui le réprésentent comme étant demeuré fidèle k ses principes, tout en acceptant un salaire de la contre-révolution. Certainement, répétons-le, il ne songeait pask rétrograder jusqu’au delk de 1789 ; il avait une intelligence

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trop haute, un sens politique trop développé pour croire une telle œuvre possible, en supposant même que ses opinions intimes n’y répugnassent point ; mais il n’est pas moins évi ? dent qu’il voulait arrêter la marche de la Révolution et rendre à la monarchie le plus de prérogatives possible. Outre l’obligation honteuse de gagner ses subsides, outre ses ambitions de toute nature, ses vices, ses goûts fastueux, ses manies de grandeur aristocratique, qui combattaient en lui avec ses idées de réformes, il était frappé dès lors de la maladie des tribuns qui se sentent dépassés par les autres hommes et par les événements ; il commençait à donner le nom de factieux a ceux qui ne s’arrêtaient pas en même temps que lui et qui travaillaient à de nouvelles réformes et à de nouveaux progrès.

Il eut cependantencore de beaux triomphes et des lutles pleines d’éclat. Sa situation était des plus difficiles, car, à l’Assemblée, il était soupçonné par quelques-uns do ceux qu’il avait si souvent entraînés. Pendant les discussions sur le droit de paix et de guerre, où il avait eu Barnave pour principal adversaire, il avait soulevé d’ardentes colères, et c’est alors qu’on criait par les rues le pamphlet dont nous avons parlé, la Grande trahison de Mirabeau. À l’une des séances, comme la majorité paraissait contraire à, l’opinion qu’il soutenait et qui lui attirait de nombreuses accusations, il dit à un ami, avant de monter à la tribune : « On ne m’emportera d’ici que triomphant ou en lambeaux ! » Dès le début de son discours, faisant allusion au pamphlet en question, il s’écrie : « Je n’avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu’il est peu de distance du Gapitole à la roche Tarpéienne. » Puis il parla de nouveau avec une telle éloquence, qu’il ramena une grande partie de 1 Assemblée et que son projet de décret fut adopté. Il est vrai qu’au cours de la discussion il avait modifié son plan, jugeant bien qu’il serait repoussé, se contentant d’assurer au roi le droit d’initiative, tandis qu’auparavant il voulait l’investir du droit de paix et de guerre.

Il avait aussi soutenu des luttes mémorables contre l’abbé Maurv et le côté droit à propos de l’aliénation des biens du clergé. Mais, dans les derniers temps de sa vie, il dissimula de moins en moins ses tentatives pour introduire des éléments monarchiques dans la constitution. En février 1791, il fut porté à la présidence avec l’appui du côté droit. Dans ce poste, il eut l’occasion de prononcer plusieurs discours remarquables en réponse a, des adresses et députations.

L’opposition vigoureuse qu’il fit à la loi contre les émigrés (28 février) donna une nouvelle consistance aux soupçons dont il était enveloppé. C’est dans le cours do cette discussion qu’interrompu par des murmures il lança cette apostrophe fameuse : Silence aux trente voix ! Il désignait ainsi une partie de la gauche, Barnave, Laineth et leurs amis.

Cette discussion fut la dernière où son talent se développa d’une manière vraiment dramatique. Les travaux, les excès de toute nature avaient épuisé sa robuste constitution. On a parlé aussi de tentatives d’empoisonnement, mais il n’y a rien là d’avéré. Ce qui est certain, c’est qu’il se tuait lui-même par la plus furieuse dépense de vie. Dès le lendemain de ses arrangements avec la cour, il s’était précipité dans le luxe et les plaisirs, sans aucune transition. Son ami Dutnont disait à ce sujet à Clavière : « Mirabeau est bien mal conseillé en étalant ainsi son opulence suspecte. On dirait qu’il a peur de passer pour honnête homme. • Lui-même se sentait dépérir ; son médecin Cabanis le conjurait de se modérer ; mais il ne s’arrêtait point, il semblait plutôt se hâter comme pour aller au-devant de la mort. Jusqu’au dernier jour, pour ainsi dire, tous ses instants furent consumés et par des débauches de table et de femmes, et par ses travaux avec ses secrétaires et collaborateurs, et par ses luttes il l’Assemblée. Le dimanche 27 mars, à sa campagne d’Argenteuil, il fut saisi de coliques néphrétiques dont il avait déjà, dans sa vie, éprouvé plusieurs accès. Le lendemain, il n’en parla pas moins sur la question des mines, affaire importante pour M. de La Marck, qui y avait sa fortune engagée ; il gagna la cause de l’amitié, mais sortit brisé, avec la mort sur le visage. Le mardi 29, le bruit se répandit qu’il était atteint mortellement ; cette nouvelle causa dans Paris un frémissement universel. On a bien souventrapporté les détails de cette agonie et de cette mort, de cette douleur de tout un peuple ; et nous ne jugeons pas nécessaire de grossir cet article, déjà fort long, de détails si universellement connus. Malgré ses souffrances, Mirabeau conserva jusqu’à la fin une sérénité majestueuse. Un coup de canon s’étant fait entendre au loin, il s’écria comme en sur saut : « Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ?» Il expira le g avril, à huit heures et demie du matin.

La douleur publique fut immense et les funérailles furent une véritable apothéose. Par décret de l’Assemblée, Sainte-Geneviève, transformée en Panthéon français, reçut les restes du plus grand orateur de la Révolution. On sait qu’après le 10 août on trouva . dans l’armoire de fer quelques preuves de la vénalité de Mirabeau ; toutefois, ce ne fut qu’après le 9 thermidor qu’on expulsa du Panthéon ses dépouilles pour les remplacer par celles de Mtirut, qui la lendemain de la grande

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catastrophe avait écrit : « Peuple, rends grâce aux dieux 1 ton plus redoutable ennemi vient de succomber... Quel homme de bien voudrait que ses cendres reposassent à côté de Mirabeau ? » Ce fut par un triste jour d’automne de 1794 qu’eut lieu la funèbre exécution. L’homme de la loi qui en avait été chargé s’exprime ainsi dans son procès-verbal informe, ignorant, barbare : Le cortège de la fête s’étant arrêté sur la place du Panthéon, un des citoyens huissiers de la Convention s’est avancé vers la porte d’entrée dudit Panthéon, y a fait lecture du décret qui exclut d’y-celuy les restes d’Honoré Riqueti Mirabeau, qui aussitôt ont été porté dans un cercueil de bois hors de l’enceinte dudit temple, et nous ayant été remis nous avons fait conduire et déposer ledit cercueil dans le lieu ordinaire des sépultures...«Ce lieu n’est autre que Clamart, cimetière des suppliciés, dans le faubourg Saint-Marceau. Le corps y fut porté pendant la nuit, et inhumé, sans nul indice, vers le milieu de l’enceinte. Les sources principales pour étudier l’histoire de Mirabeau, outre de nombreux travaux et des renseignements épars, sont : les Mémoires publiés par le fils adoptif de l’orateur, M. Lucas de Mon— tigny (1824, 8 vol.) ; les Souvenirs sur Mirabeau, d’Étienne Dumont ; enfin la Correspondance avec La Marck, dont nous avons parlé plusieurs fois. M. Hermile Reynald, professeur à la Faculté d’Aix, a publié en 1872 Mirabeau et la Constituante, ouvrage couronné par l’Académie française ; M. de Loménie a publié en 1873 les Mirabeau.

Opinions sur Mirabeau.

« Mirabeau est capable de tout pour de l’argent... même d’une Donne action. » (Rivarol.)

« Il faut l’avouer, parce que c’est la vérité, Mirabeau a eu des convictions politiques sincères et un amour réel de l’humanité. Il avait quelquefois des doutes sur Dieu. Mais la conscience, ce lien entre Dieu et l’homme, n’était pas détruite en lui, et il portait très-haut le sentiment de l’indépendance des opinions et de la puissance du talent. «(De Gdnoudb.)

■ Qui peut ne pas admirer Mirabeau ? Qui peut même se défendre d’une certaine sympathie pour je ne sais quelle élévation mêlée à ses bassesses, pour je ne sais quelle grâce que le cynisme même ne peut eiiacer ? Il est généreux, perfide, grossier, charmant ; il effraye, il dégoûte, il séduit. L’affectation n’a pas détruit en lui le naturel ; l’artifice lui a laissé tout le feu de la passion ; ses petitesses ont respecté sa grandeur. Dès qu’on le voit paraîtra sur la scène de l’histoire, il semble seul entre tous avoir le génie de la politique. On s’efforce d’oublier les misères de sa vie passée, comme on voudrait croire qu’il les a lui-même oubliées pour jamais, et qu’enfin remis à sa place, sentant son âme grandir avec sa fortune, il apporte un homme nouveau à des destinées nouvelles. Malheureusement, M. de La Marck ne nous a pas permis de^ conserver cette illusion. Les souillures de l’écrivain mercenaire se retrouvaient dans le cœur de l’homme d’État. Chose plus étrange encore, peut-être, les misérables paradoxes du déclamateur médiocre se font jour encore dans l’esprit de l’orateur politique... Comment se figure-t-il, lui, le génie de J789 personnifié, qu’on puisse acheter la Révolution française ? Comment lui, cet observateur si clairvoyant de la nature humaine, peut-il se flatter de convaincre la timide honnêteté de Louis XVI, de soumettre la fierté de Marie-Antoinette, et de se rendre maître de leur esprit au point de les entraîner sous sa conduite au milieu des plus grands périls ? Le cardinal de Retz était moins insensé de croire qu’il séduirait Anne d’Autriche. En vérité, on serait tenté quelquefois de supposer que Mirabeau s’inquiétait peu de la royauté et de la révolution, et ne songeait plus qu’à gagner son salaire, > (Ch. de Rkmusat.)

a Un des premiers caractères de Mirabeau, c’était la force lumineuse et pratique de son esprit. L’esprit de Mirabeau était tout politique, et cette forme violente, cette vivacité tnbunitienne dont il couvre ses pensées n’est qu’un emprunt qu’il fait à l’esprit de son temps, ou une satisfaction qu’il lui donne. Mais, chose remarquable, ce qui est chez lui artificiel, convenu, est cependant plein de vigueur, d’originalité, de vérité. Malgré la sagesse intime et cachée de ses projets, ce qu’il jette a son auditoire, cette véhémence de langage, ces déclamations populaires, tout cela est aussi animé, aussi contagieux, aussi puissant que si l’âme de l’orateur eût été bouleversée dans ses derniers replis et agitée de toutes les passions d’un vrai tribun emporté par ses paroles. Voilà le premier trait caractéristique de cet homme ; toutes les puissances et tous les effets de la parole passionnée lui arrivent à la fois. Ironie mordante, amère, mépris superbe qu’il jette du haut de son éloquence sur tous ceux qui le contredisent, impunité naturelle, incontestée à tout ce qu’il ose faire et dire : voilà ses privilèges. » (Villemain. J

« Ses voyages, ses observations, ses immenses lectures lui avaient tout appris, et il avait tout retenu. Mais outré, bizarre, sof)histe même quand il n’était pas soutenu par a passion, il devenait tout autre par elle. Promptement excité par la tribune et la pré MIRA

sence do ses contradicteurs, son esprit s’enflammait : d’abord ses premières vues étaient confuses, ses paroles entrecoupées, ses chairs palpitantes, mais bientôt venait la lumière ; alors son esprit faisait en un instant le travail des années, et, à la tribune même, tout était pour lui découverte, expression vive et soudaine. Contrarié de nouveau, il revenait plus pressant et plus clair, et présentait la vérité en images frappantes ou terribles. Les circonstances étaient-elle3 difficiles, les esprits fatigués d’une longue discussion ou intimidés par le danger, un cri, un mot décisif s’échappait de sa bouche, sa tête se montrait effrayante de laideux et de génie, et l’Assemblée, éclairée ou raffermie, rendait des lois ou prenait des résolutions magnanimes. Fier de ses hautes qualités, s’égayant de ses vices, tour à tour altier ou souple, il séduisait les uns par ses flatteries, intimidait les autres par ses sarcasmes, et les conduisait tous à sa suite par une singulière puissance d’entraînement... Seul ainsi avec son génie, il attaquait le despotisme, qu’il avait juré de détruire. Cependant, s’il ne voulait pas les vanités de la monarchie, il voulait encore moins de l’ostracisme des républiques ; mais n’étant pas assez vengé des grands et du pouvoir, il continuait de détruire. D’ailleurs, dévoré de besoins, mécontent du présent, il s’avançait vers un avenir inconnu, faisant tout supposer de ses talents, de son ambition, de ses vices, du mauvais état de sa fortune, et autorisant par le cynisme de ses propos tous les soupçons et toutes les calomnies. » (Thiers.)

« Laideur éblouissante, figure flétrie, imposante et livide, effronterie de la lèvre se mariant à l’éclair des yeux, tel était Mirabeau. Et il avait l’âme de son visage... Son audace révolutionnaire ne fut qu’un emportement d’orgueil et d’égolsme... Il n’avait ni la vigueur morale, ni les vertus dont la liberté se compose, et l’austère imago des républiques épouvantait de loin sa corruption... Libelliste pour vivre, détracteur acharné de Necker, dénonciateur de Lavater, adversaire de Beaumarchais, prôneur des chiffres suspectés de Clavière et de Panchaud, avocat de Calonne, il se fit un jeu de vendre des manuscrits déjà payés, il se mit à la solde de quelques ambitieux vulgaires, il se mit à la suite des pensées d’autrui, il mérita cette injure de son père : Mon fils, le marchand de parole.’...

p Que dire de Mirabeau pamphlétaire et journaliste ? Il fut la gloire de la presse, il en fut l’opprobre. Polémiste sans égal quand le démon de l’orgueil et de la colère s’éveillait en lui, homme d’État et penseur vigoureux quand il n’était pas forcé d’écrire pour payer le solde de son libertinage et s’acquitter envers les deux danseuses d’opéra qui devaient lui donner la mort entre deux baisers, ce sera-sa honte éternelle d’avoir mis lui-même en pratique ce conseil que reçut de lui un jeune homme : • Si vous voulez réussir dans le monde, tuez votre conscience. » Quand il devint journaliste, il y avait déjà plusieurs années qu’il faisait commerce de son âme et vendait le bruit de son nom. La plupart des écrits dont s’enflait sa renommée n’étaient pas de lui... Dans son journal, il fut lui plus que dans ses autres écrits antérieurs ; il y soutint des discussions lumineuses ; il y éleva quelquefois la politique à une grande hauteur, et il lui arriva de servir la vérité... Mais la vérité veut être servie par des cœurs dignes d’elle I...» (Louis Blanc.)

« À la tribune, Mirabeau était impassible ; ceux qui l’ont vu savent que les flots roulaient autour de lui sans l’émouvoir, et que même il restait maître de ses passions au milieu de toutes les injures... Il ne se crut jamais provoqué au point d’oublier les bienséances oratoires. Mais ce qui lui manquait comme orateur politique, c’était l’art de la discussion dans les matières qui l’exigeaient ; il ne savait pas embrasser une suite de raisonnements et de preuves -, il ne savait pas réfuter une méthode ; aussi était-il réduit à abandonner des motions importantes lorsqu’il avait lu son discours, et, après une entrée brillante, il disparaissait et laissait le champ à ses adversaires. Barnave était plus armé de dialectique et suivait pied à pied les raisonnements de ses antagonistes, mais il n’avait pomt d’imagination, de coloris, de traits, ni, par conséquent, de véritable éloquence. Comme on faisait un jour le parallèle de ses talents didactiques et des talents oratoires de Mirabeau, quelqu’un dit : « Comment pouvez-vous comparer cet espalier artificiel à un arbre en plein vent qui se déploie dans toute sa beauté naturelle ? » Il est sûr que ces deux hommes n’étaient pas de la même trempe ; mais Mirabeau sentait bien son côté faible, et un jour qu’il avait parlé dans ce genre de réfutation avec un peu de succès, il nous disait : « Je vois bien que, pour irnproviser sur une question, il faut commencer par la bien savoir. •

»... La voix de Mirabeau était pleine, mâle et sonore ; elle remplissait l’oreille et la flattait. : toujours soutenue, mais flexible, il se faisait aussi bien entendre en la baissant qu’en l’élevant ; il pouvait parcourir toutes les notes et prononçait les finales avec tant de soin qu’on ne perdait jamais les derniers mots. Sa manière ordinaire était un peu traînante : il commençait avec quelque em MIRA

barras, hésitait souvent, mais de manière a> exciter l’intérêt ; on le voyait, pour ainsi dire, chercher l’expression la plus convenable, écarter, choisir, peser les termes, jusqu’à ce qu’il se fût animé et que les soufflets de la forge fussent en fonction. Dans les moments les plus impétueux, le sentiment qu ; lui faisait appuyer sur les mots pour en exprimer la force l’empêchait d’être rapide ; il avait un grand mépris pour la volubilité française et la fausse chaleur, qu’il appelait les tonnerres et les tempêtes de l’Opéra. Il n’ajamais perdu la gravité d’un sénateur, et son défaut était peut-être à son début un peu d’apprêt et de prétention ; il relevait la tête avec trop d’orgueil et marquait quelquefois son dédain jusqu’à l’insolence. Ce qui est incroyable, c’est qu’on lui faisait parvenir au pied de la tribune ou à la tribune même de petits billets au crayon (comme il s’en écrivait un nombre infini Sans l’Assemblée), et qu’il avait l’art de lire ces notes tout en parlant et de les introduire dans son discours.

Il se sentait beau dans sa laideur ; il étalait avec orgueil, il contemplait dans sa glace, en préparant ses harangues, son buste, sa

frosseur, ses traits fortement marqués, crilés de petite vérole. « On ne connaît pas, disait-il, toute la puissance de ma laideur. » Et cette laideur, il la croyait très-belle. Sa toilette était fort soignée ; il portait une énorme chevelure artistement arrangée, et qui augmentait le volume de sa tète. «Quand je secoue, disait-il, ma terrible hure, il n’y a personne qui ose d’interrompre. > Il se plaçait très-voloiuiers devant une large glace et se regardait parler avec beaucoup de plaisir, portant la tête en-arrière et équarrissant ses épaules. Il avait ce tic des hommes vains que le son de leur nom frappe avec plaisir et qui aiment à le répéter eux-mêmes.

> Mais en cherchant le trait caractéristique do son génie, on le trouve dans la sagacité politique, dans la prévoyance des événements, dans la connaissance des hommes, qu’il m’a paru posséder à un degré plus rare et plus éminent que toutes les autres qualités de l’esprit. Il laissait bien foin derrière lui, à cet égard, les plus distingués de ses collègues... > (Étienne Dumont.)

« Mirabeau est la première grande figure

3ui ouvre l’ère des révolutions, qui traduit en iscours et en actes publics ce qu’avaient dit les livres ; la première qui se dessine, en la dominant encore, dans la tempête.

« Il n’était plus seulement par son organisation un homme de cette race féodale et haute, sauvage et peu affable, dont étnient ses aïeux, ces hommes qui se vantaient d’être tout d’une pièce et sans jointure. Son père, qui l’a si bien connu, persécuté, maudit, haï, et finalement salué et admiré, son père disait de lui : • Il est bâti d’une autre argile > que moi, oiseau hagard dont le nid fut entre quatre tourelles. » Lui, nullement hagard, nullement sauvage et timide, ayant gardé de ses ancêtres le don du commandement, et y.

Joignant ce terrible don de la familiarité, qui ui faisait manier et retourner grands et petits à sa guise, il aspirait par instinct à la vie commune et à une action populaire universelle. Cet orateur inné qui était en lui et qui s’agita de bonne heure sous l’écrivain sentait bien que, pour arriver à cette action vaste et souveraine, pour embrasser les masses et les foules d’un tour familier et puissant, il fallait quitter cette langue que j’appellerai patrimoniale et domestique, cette manière de s’exprimer toute particulière qui était la griffe et parfois le chiffre de sa maison : il lui fallait quitter une bonne fois le style de famille et descendre de sa montagne. Il descendit donc, et, pour arriver à la langue générale et publique, il ne craignit point de traverser la déclamation à la nage et de se plonger dans le plein courant du siècle, bien sur qu’il était d’en ressortir à la fin non moins original et plus grand. Quand on saisit Mirabeau dans ce développement intermédiaire dans la plupart de ses écrits et de ses pamphlets, on le trouve inégal, inachevé, indigeste, et on en triomphe aisément. Pour être juste, n’oublions jamais le point de départ et le but : le point de départ, c’est-à-dire le style abrupt, accidenté, escarpé de ses ancêtres, d’où il lui fallait descendre à tout prix pour conquérir à lui les masses et déployer ses larges sympathies ; le but, c’est-à-dire l’orateur définitif qui sortit de là et qui domina puissamment son époque dans la plus grande tourmente qui fut jamais.

Mirabeau écrivain ne se rendait pas compte sans doute de toutes ces choses. 11 écrivait au jour le jour, par besoin, par nécessité, s’aidaut de tous les moyens à sa portée.

< Il semble que ma fatale destinée soit d’être toujours obligé de tout faire en vingt-quatre heures. » Pourtant, à travers les inégalités et les obstacles, sa puissante nature intérieure suivait sa pente et poussait sa voie. Le dieu était en lui, qui veillait, qui remettuit,

  • à son insu, l’ordre et une sorte d’harmonie

supérieure jusque dans le tumultueux désordre et le chaos orageux de l’homme... C’est l’honneur, c’est le rachat moral

de Mirabeau, d’avoir souffert, d’avoir été homme en tout, non-seulement par ses fautes, par ses entraînements et, nommons les MIRA

choses à regret, par ses vices, mais aussi par le cœur et par les entrailles ; d’avoir été pauvre et d’avoir su l’être ; d’avoir été père et d’avoir pleuré ; d’avoir été laborieux comme le dernier des hommes nouveaux ; d’avoir été captif et persécuté, et de n’avoir point engendré le désespoir, de ne s’être point aigri ; d’avoir prouvé sa nature ample et généreuse en sortant de dessous ces captivités écrasantes, à la fois dans toute sa force et dans toute sa bonté et mémo sa gaieté, ni énervé ni ulcéré, sans ombre de haine, mais résolu à conquérir pour tous, a la clarté des cieux, les droits légitimes et les garanties inviolables de la société libre et moderne. Je détache a dessein sa grande ligne, sa courbe lumineuse, que les taches et les éclaboussures de détail no sauraient dérober ni obscurcir à cette distance où désonnais la postérité le juge. • (Sainte-Beuve.)

« Assemblons en jury les hommes irréprochables, ceux qui ont droit de juger, ceux qui se sentent purs eux-mêmes, purs d’argent, ce qui n’est pas rare, purs de haine, ce qui est rare (que de puritains qui préfèrent à l’argent 1* vengeance et le sang versé !..). Assemblés, interrogés, nous nous figurons qu’ils n’hésiteront pas à décider comme nous :

« Y eut-il trahison ?.. Non.

Y eut-il corruption ?.. Oui.

Oui, l’accusé est coupable. Aussi, quelque douloureuse que la chose soit à dire, il a été justement expulsé du Panthéon.

La Constituante eut raison d’y mettre l’homme intrépide qui fut le premier organe, la voix même de la liberté. La Convention eut raison de mettre hors du temple l’homme corrompu, ambitieux, faible de cœur, qui aurait préféré à la patrie une femme et sa propre grandeur. » (Michelkt.)

•... Les passions ont autant d’empire que les idées sur les hommes pétris de terre et de feu comme lui. Ses passions n’étaient pas moins monarchiques que ses opinions. Les désordres mêmes de sa vie, les immoralités de sa jeunesse, la renommée bruyante, mais douteuse, de son nom lui faisaient comprendre, avec une sévère sagacité de jugement sur lui-même, que, s’il avait assez d’éloquence pour un factieux, il n’avait pas assez de vertu pour un républicain. Il savait que le peuple, mémo dans ses popularités révolutionnaires, ne s’attache solidement qu’à des noms qui flattent son honnêteté instinctive par la réputation de probité, de désintéressement, d’austérité même, qui honorent son attachement pour ses grands tribuns. Mirabeau n’avait aucune de ces vertus chères à la multitude, il ne lui était plus même permis d’en avoir l’hypocrisie. Le vice pardonnable et populaire, mais enfin le vice, respirait dans son nom, dans ses traits, dans sa vie entière. Il pouvait être un démagogue utile, il ne pouvait plus être un tribun sérieux. Il pouvait être un Catilina, jamais un Gracque. Robespierre et Péthion, assis dans l’ombre derrière lui, avaient sur lui cet avantage de situation qu’il ne leur soupçonnait pas encore. Mais il comprenait parfaitement déjà que Neoker, Bailly, La Fayette auraient à ce titre le pas sur lui dans une république, et qu’il n’y serait, malgré son incommensurable supériorité naturelle, que le second de ces médiocrités populaires. Ambitieux par ses nécessités privées qui lui faisaient un besoin do la fortune, la république, qui vit de désintéressement, ne l’enrichirait pus. Ambitieux par le sentiment de sa supériorité, qui lui montrait toute autre place que la première comme subalterne, la république, qui ne l’estimerait pas, ne lui offrait que des fonctions secondaires. Une cour seule, et une cour aux abois, pouvait recourir à lui comme à son salut suprême, jeter le voile de l’indulgence nécessaire duns les cœurs corrompus sur sa propre corruption, lui demander des lumières au lieu de principes, de la politique au lieu de désintéressement, des servfces au lieu de vertus, le placer comme un Richelieu ou comme un Muzurin entre le peuple et elle, l’élever, le combler de dignités et de richesses et lui faire, dans la difflculté»des circonstances, une existence aussi grande que son génie. Tribun d’un peuple vainqueur ou soutien d’un roi vaincu, c’étaient les deux rêves de Mirabeau. Il flottait dans son imagination sans cesse entre l’un eLl’autre. «(Lamartine.)

Comme il le sentait si vivement, la royauté entièrement subalternisée n’est plus qu’un rouage inutile servant à déguiser la dictature honteuse d’un chef de parti, d’une aristocratie. Au fond, le parti du roi gui règne et ne gouverne pas est un parti aristocrate. Mirabeau n’en voulait point.

Mirabeau voulait donc, pour sauver la Révolution, relever le pouvoir exécutif sans en faire une dictature comme celle de 1793 ni un despotisme militaire comme en 1804, mais une monarchie constitutionnelle comme fut à peu près la royauté sous les ministères Richelieu, Decazes et Martignac. Mirabeau devait s’approcher du prince régnant, du titufaire de ce pouvoir et cherchera l’entraîner, ce que dans le langage parlementaire on appelle servir.

Ceci entendu, il ne reste rien sur Mirabeau qui vaille la peine d’être relaté par l’histoire. Une démocratie envieuse autant qu’inepte s’obstine à souiller cette grande mémoire ; une bourgeoisie mesquine et bête l’accuse

MIRA

avec ingratitude. Cola mérite à peine l’honneur de la plus flétrissante réplique.

« Mirabeau ruiné, persécuté, ayant sacrifié à la Révolution ce qui lui restait de fortune et de vie, donnant à l’accomplissement de son œuvre ses jours et ses nuits, et ayant droit de supposer que sa pensée, autant que s^s services, était accueillie, Mirabeau reçoit une rémunération qui n’est que la garantie de repos et de sécurité dont il a un si immense besoin. Cette rémunération, que la Révolution aurait dû lui voter, c’est la monarchie, avec laquelle il s’agit de la réconcilier ; qui en attendant la lui offre ! Et Mirabeau est vendu I Mirabeau est traître !... Il s’est trouvé des bourgeois assez bêtes, des nobles assez lâches pour le dire ! Ne parlons pas de la démocratie ; elle n’eut jamais le droit de compter Mirabeau parmi les siens ; il n’était point démocrate.

Il faudrait ici mettre en regard de Mirabeau le puritain La Fayette, recevant de la cour des millions pour la trahir, payant des deniers de l’État des armées de mouchards, de journalistes, d’émissaires, -etc., pour sa gloriole personnelle.

Quand on ne verrait en Mirabeau qu’un avocat consultant, dont on occupe le talent, les journées, les veilles, les secrétaires, dont on consume la vie et le courage, on lui accorderait une légitime récompense.

Le roi Louis XVI prie le comte de Mirabeau de vouloir bien lui indiquer, jour par jour, ce qu’à son point de vue — le point de vue de la Révolution, telle que Mirabeau la comprend, — il juge utile de faire, tant à l’égard des personnes qu’à l’égard des choses, pour le service do la couronne.

Mirabeau accepte, ou plutôt accorde ses services ; il consent à devenir, si on le veut, conseiller ; mais il faut qu’on lui ôte le souci de In subsistance : et voilà Mirabeau vendu 1

Honte à la nation qui souille et outrage ses grands hommes 1 Mirabeau fût-il coupable, le devoir de l’historien serait d’étouffer le vice de l’homme dans la gloire du tribun. « » Non, non, Mirabeau ne fut point traître, vil encore moins. Sans doute il eut, comme tout honnête homme ; la pensée de faire servir sa cause à sa fortune ; jamais, pour sa fortune, il ne déserta sa cause ; jamais il ne sacrifia un iota de ses convictions.

> La calomnie organisée contre Mirabeau fut une honte pour le parti révolutionnaire de 1789 et une calamité nationale. » (P.-J. Proudhon, Notes sur les hommes de la dévolution.)

— Iconogr. Un des portraits qui rendent le mieux « la laideur grandiose et fulgurante.» de Mirabeau est celui que Copia a gravé d’après Sicardi et qui a été reproduit par Flameng dans l’Histoire de soixante ans : le tribun est vu de face ; son visage couturé a une expression saisissante. Un autre portrait de face, également remarquable, a été gravé en couleur par Alix en 1792, d’après un dessin exécuté sur nature ; au bas se lit la fumeuse apostrophe : « Je déclare que, si l’on vous a chargé de nous faire sortir d ici, vous devez demander des ordres pour employer la force, car nous se quitterons nos places que parla puissance des baïonnettes. > Un portrait de face, gravé par Bovinet d’après une peinture de Boze, a été souvent reproduit ; il ne vaut pas ceux de Copia et d’Alix. Le meilleur portrait de protil est celui que Kiesinger a gravé d’après J. Guérin : le nez est grand, le menton puissant, l’œil fin, la bouche moqueuse. Un portrait de trois quarts, de grande proportion, a été gravé par P. Audouin d’après un dessin fait sur nature. D’autres portraits ont été gravés par Levachez, par L. Carpantier (d’après Allais), par Angélique Briceau (1791), par Sergent, par Bro ou Brea (d’après un buste moulé sur nature par Desenne), par Moinal (avec ces mots d’Kschine relatifs à Démosthène : Ti £t ti aùtoô toû SfjpLo’j Powvtoç àx^xôaTe), par un anonyme (avec cetto inscription injurieuse : Vendidit hic auro patriam domimimque furenter Deposuit : fixit ieges pretio atque refixit).

Un buste de Mirabeau a été sculpté par ElshoSct (Salon de 18*9), pour la bibliothèque Sainte-Geneviève. Jaley a exécuté, sur la commande du ministre de l’intérieur, une statue en marbre du grand orateur qui a été exposée au Salon de 1836 et que Gust. Planche a appréciée en ces termes : « M. Jaley a copié de son mieux le masque de Mirabeau moulé sur le cadavre et, après avoir achevé cette besogne servile, il a cru bravement qu’il avait satisfait à la partie la plus impérieuse du programme ; il a vu dans la littéralitô de sa copie l’élimination de l’obstacle capital ; il a reproduit ce qu’il appelait la réalité pour se dispenser de l’invention... S’il avait pris pour guide et pour conseil le masque de Mirabeau, s’il avait réveillé les lèvres engourdies, s’il avait rendu au regard l’expression rronique, arrogante et libertine ; s’il avait gravé sur ce visage, d’une effrayante laideur, la menace et l’invective, je le féliciterais de ses études ; mais il n’a rien trouvé, rien compris dans ce masque hideux jusqu’à la terreur ; il n’a pas su interpréter la lettre qu’il avait sous les yeux, il n’a pas ressuscité le monstre. Le Mirabeau de M. Jaley est tout simplement un homme des halles, fier de sa force et de sa taille, comptant sur son

Eoing comme sur un argument sans réplique, abile à terrasser son adversaire, quel qu’il soit, par un coup bien assené, mais inçapa MIRA

ble de recourir à la parole pour vider une querelle. Sans doute, Mirabeau avait dans la physionomie un accent de brutalité ; mais cette brutalité n’était pas sans mélange, il y avait en lui de l’homme et du taureau. Les passions grossières qui ont dévoré sa vie n’envahissaient pas tout le champ de son visage ; au-dessus des joues amaigries par la débauche et empourprées par le vin, il y avait place encore pour le regard intelligent et impérieux. Dans la statue de M. Jaley, c’est à peine si le libertin se retrouve ; l’orateur a disparu tout entier. »

Au Salon de 1867, M. Truphème a exposé une statue en bronze de Mirabeau, qui a été remarquée. En 18C9, il a fait paraître un nouveau modèle en plâtre représentant l’orateur la main droite tendue en avant, la gauche posée sur la tribune. Une reproduction en marbre de ce modèle, commandée par le ministère des beaux-arts, a figuré au Salon de 18"2 et a été donnée à la ville d’Aix. Citons enfin une statue sculptée par M. Marcellin pour l’hôtel de la préfecture de. Marseille et dont le modèle a été exposé au Salon de 1867.

Un arrêté du ministre de l’intérieur, du 25 septembre 1830, mit au concours l’exécution d’un tableau destiné à la Chambre des députés et représentant Mirabeau répondant au marquis de Dreux-Brézé. Trente-huit artistes prirent part à ce concours, entre autres Abel do Pujol, Amaury Duval, Boulanger, Brémond, Chenavard, Court, E. Delacroix, Hesse, Larivière, Lafond, Serrur, Tassacrt, Monvoisin, Debacq, Marquis. Ce fut Hesse qui remporta le prix. Les esquisses d’Eugène Delacroix et de Chenavard ont été très-admirées, de quelques connaisseurs.

Mirabenu (la jeonesse he), pièce en quatre actes, en prose, par Aylic Langlé (théâtre du Vaudeville, 11 novembre 1864). Un Mirabeau de convention, une Sophie de Monnier imaginaire, voilà ce que l’auteur a mis en scène, en prenant pour point de départ cette aventure que les Lettres à Sophie ont rendue célèbre. Le Mirabeau de l’histoire est loin de cette sorte de Werther sentimental, parangon de pudeur et de désintéressement, que nous présente la pièce. Quant à Mme de Monnier, l’auteur a eu le tort d’en faire une Héloïse s’éprenant de la supériorité morale.et intellectuelle du jeune Mirabeau. » La laideur amêre, la démarche intercadente, la précipitation tranchante, essoufflée et bouffie, et le regard, ou, pour mieux dire, le sourcil atroce de cet homme quand il écoute et réfléchit..., » tout cela semblait produire sur les femmes la fascination que l’antiquité attribuait à la tète monstrueuse de Méduse ; et c’est à cette fascination toute physique, à cet enivrement des sens que Sophie succomba. Ses lettres, celles de son amant sont là pour le prouver, et nous partageons l’avis de M. Paul de Saint-Victor, lorsque, parlant de Sophie de Monnier, il dit : « Elle était de la molle et lascive nature de ces nymphes antiques qui s’éprennent d’un taureau divin... elle était de la race des Europe et des Pasiphaé. » Un autre démenti donné à l’histoire consiste dans le dénoûment de la pièce : Sophie se poignarde pour échapper à son mari, qui veut la reprendre. À cet égard, les faits sont trop avérés pour qu’un écrivain s’écarte de la vérité. Ce n’est pas pour Mirabeau que Sophie s’est donné la mort. Ecoutons Lamartine : ■ Sophie, trompée et flétrie, n’aspirait qu’à la tombe. Son cœur, cependant, mal éteint, se ralluma au feu d’un amour plus constant et plus pur pour un jeune gentilhomme des environs de Gien, M. de Poterat. Elle avait trouvé en lui le dévouement absolu qu’elle avait en vain attendu de Mirabeau. Un prochain mariage allait les unir, quand la mort lui enleva son dernier ami... Après avoir rendu les honneurs funèbres à son fiancé, elle congédia, sous de vagues prétextes, ses amis et ses serviteurs, brûla ses lettres, écrivit ses dernières volontés d’un esprit froid et d’une main ferme, et, s’enfermant dans une alcôve, dont elle ferma hermétiquement les portes, elle alluma le charbon du suicide et expira en serrant dans Ses mains le portrait de l’époux qu’elle avait perdu... »

Quoi qu’il en soit, on remarque dans la Jeunesse de Mirabeau de l’esprit, l’élégance de la forme et une certaine entente de la scène.