Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Homme sans nom (L’), par Ballanche

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 363).

Homme sans nom (L’), par Ballanche (Paris et Genève, 1830, 3e édition ; t. Ier des œuvres de l’auteur). L’Homme sans nom est l’histoire d’un régicide qui a voté la mort de Louis XVI. Le livre ressemble aux pamphlets de M. Th, Muret, écrits en 1849 et 1850, sous l’inspiration du comité de la rue de Poitiers, et à l’usage exclusif des campagnes. Chaque phrase sue la mauvaise foi et cette naïveté un peu niaise qu’on emploie sciemment pour se mettre au niveau d’un auditoire peu éclairé, bien que Ballanche n’adresse point ce livre à des lecteurs spéciaux.

La fable du livre est des plus simples:l’auteur voyageait en Italie ; un accident de voiture lui donne une demi-journée de loisir, et il en profite pour s’enfoncer dans les montagnes. À quelque distance, une cahute isolée est entr’ouverte ; un enfant passe ; Ballanche lui demande qui reste là; c’est le régicide, dit l’enfant. Au même instant, le régicide sort de la cabane : il avait l’air fatal. Le voyageur l’interroge et il se trouble : « Ses mains, qu’il se mit à considérer avec horreur, semblaient vouloir écarter un être surnaturel et menaçant, ou une ombre accusatrice. Puis il se remit un peu ; son visage ne présenta plus que l’aspect d’un calme presque stupide. Son regard, qui tout à l’heure implorait si bien la compassion, était devenu terne, sinistre, d’une sombre indifférence. Cette apathie terrible, cette funeste résignation pénétraient mon âme de je ne sais quelle épouvante, et me glaçaient le cœur. »

Le régicide mène le voyageur dans sa cabane et lui raconte son histoire. Au temps de la Convention, il était représentant du peuple, et, malgré sa douceur habituelle, il a dû hurler avec les loups. Le jour du jugement de Louis XVI, il était monté à la tribune pour absoudre 1e roi martyr, qui était bien le prince le plus loyal, le meilleur et le plus saint que Dieu eût encore fait. Sans savoir au juste comment la chose se fit, il vota la mort. « Celui dont un sort cruel appela le nom immédiatement avant le mien prononça d’une voix assurée l’arrêt de mort. Des murmures d’une exécrable approbation l’accompagnèrent lorsqu’il descendit de la tribune ; des murmures de menace me suivirent lorsque je me présentai pour y monter. J’y arrivai en frémissant. Je sentis, comme mille poignards à la fois, tous les yeux qui furent spontanément fixés sur les miens : cette multitude de regards inquiets et inexorables ainsi concentrés exercèrent aussitôt sur mon âme une puissance surnaturelle de trouble et de fascination que je ne puis expliquer. »

En voilà assez. Nous n’avons rien à dire du style de Ballanche, qui est le même que dans ses autres écrits. Quant à ses idées, il a voulu nous faire croire que la mort de Louis XVI avait été votée par des hommes inconscients, et il est arrivé seulement à nous prouver qu’il n’avait pas pris la peine de relire, avant d’écrire son livre, les solennelles et terribles séances de la Convention, des 15 et 16 janvier.