Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Histoires (LES) de Tacite

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 308).

Histoires (LES) de Tacite, vers l’an 100 de l’ère chrétienne. Cet ouvrage, un des plus beaux monuments de l’antiquité, embrassait une période d’environ vingt-huit ans, de la mort de Néron à l’avènement de Domitien, et se divisait en vingt livres. Les quatre premiers livres et le commencement du cinquième nous sont seuls parvenus, et les événements qui s’y trouvent relatés sont compris entre l’avénement de Galba et l’entrevue de Civilis avec Cerealis, ce qui embrasse l’année 69 et une partie de l’année 70.

Quoique les Histoires paraissent être la continuation des Annales, elles furent écrites antérieurement. Sans doute Tacite, sentant se révéler son génie d’historien, relata d’abord les événements les plus proches de lui, ceux qu’il avait été à même d’observer de près ; il le fit avec une certaine abondance, consacrant vingt livres à une période de vingt-huit années. Plus tard, il sentit le besoin de relier les Histoires au siècle d’Auguste, ce qu’il fit un peu plus sèchement (seize livres pour une période de cinquante-quatre ans) ; c’est la seule différence qu’il y ait entre ces deux recueils, tous deux marqués du sceau du même génie.

Le sombre pinceau qui nous a retracé d’une manière si saisissante les hontes du despotisme trouvait des couleurs toutes préparées dans les règnes aussi violents qu’éphémères de Galba, d’Othon, de Vitellius, de Vespasien. Le résumé qu’il a placé en tête des Histoires, comme une préface aux horreurs qu’il va décrire, est une de ses plus belles pages. « J’entreprends, dit-il, l’histoire d’une époque fertile en désastres, ensanglantée par des combats terribles, déchirée par les séditions, cruelle jusque dans la paix : quatre princes égorgés, trois guerres civiles, plusieurs guerres étrangères, et souvent les unes et les autres à la fois, des succès en Orient, des revers en Occident, l’Illyrie révoltée, la Gaule près de se révolter, la Bretagne conquise et aussitôt abandonnée, les Sarmates et les Suèves soulevés contre nous, les Daces illustrés par nos défaites ou par nos victoires ; les Parthes sur le point de courir aux armes, abusés par un faux Néron, l’Italie affligée par des fléaux jusqu’alors inconnus ou qui reparaissaient après plusieurs siècles, dans les champs les plus féconds de la Campanie, des villes englouties ou renversées, Rome ravagée par l’incendie, les anciens temples consumés, le Capitole brûlé par les citoyens eux-mêmes, la religion profanée, de grands adultères, la mer couverte d’exilés, les rochers souillés par le meurtre. Dans la ville, des violences plus terribles encore : la noblesse, les biens, les honneurs, le refus même des honneurs regardés comme des crimes ; la mort assurée pour la vertu, les délateurs encouragés par des récompenses aussi odieuses que leurs forfaits, se partageant comme des dépouilles, les uns les sacerdoces et les consulats, les autres le gouvernement des provinces, la puissance à l’intérieur, et envahissant tout ; les esclaves armés contre leurs maîtres par haine ou par crainte, les affranchis contre leurs patrons, et ceux qui n’ont point d’ennemis sacrifiés par leurs amis les plus intimes. » Quel tableau !

Nous n’analyserons pas ce recueil ; le génie de l’historien s’y révèle avec toute son énergie dans la narration, dans les portraits, et, avec une éloquente concision, dans ses harangues, qui sont des modèles, et qu’on étudie à part comme d’admirables morceaux oratoires. Nous ne pourrions que répéter ici ce que nous avons déjà dit en parlant des Annales ; c’est le même sentiment de haine contre le despotisme, de dégoût de la servilité, l’adulation et l’infamie, qui a inspiré les deux ouvrages.

Ce qui nous reste des vingt livres des Histoires est ordinairement édité à la suite des Annales. On en conserve à Florence deux anciens manuscrits du Xe ou du XIe siècle. La première édition est de 1469 (Venise, in-fol.) ; il y en eut depuis, dans chaque siècle, un tel nombre, que nous ne pouvons citer même les principales ; on compte également des traductions dans toutes les langues. Une des meilleures traductions françaises est celle de la collection Panckoucke, dans les Œuvres complètes de Tacite (1830-1838, 7 vol. in-8o).