Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/HENRI VIII, roi d’Angleterre, fils et successeur du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 192).

HENRI VIII, roi d’Angleterre, fils et successeur du précédent, né en 1491, mort en 1547. Rien ne faisait présager qu’il dût être le Néron de l’Angleterre, et son avènement (1509) fut accueilli par les espérances de la nation, fatiguée du despotisme fiscal de son père. Il entra, en 1512, dans la ligue contre Louis XII, gagna sur les Français la bataille de Guinegate (journée des Éperons, 1513), battit leurs alliés les Écossais à Floddenfield, où périt le roi Jacques IV avec toute sa noblesse, fit ensuite la paix avec le roi de France et lui donna en mariage sa sœur, Marie Tudor (1514). François Ier et Charles-Quint recherchèrent son alliance ; il eut avec le premier, à Guines, la fameuse entrevue connue sous le nom d’entrevue du Camp du Drap d’or (1520), où les deux rois déployèrent une magnificence inouïe, mais qui n’eut aucun résultat positif, car Henri, et surtout son ministre, le cardinal Wolsey, étaient déjà gagnés à la cause de l’empereur. Ils la soutinrent mollement pendant quelques années, envoyèrent des troupes en Picardie pour agir de concert avec les impériaux, mais revinrent à l’alliance française après la bataille de Pavie. Les affaires intérieures détournèrent bientôt Henri des événements continentaux. Jusque-là, sous l’inspiration de Wolsey, il s’était montré despote, mais non cruel, gouvernant sans parlement, levant des taxes arbitraires, mais ne s’étant encore souillé par aucun des crimes qui le rendirent si odieux. Au moment où l’unité catholique était brisée en Allemagne par les prédications de Luther, le monarque anglais se crut appelé à ruiner la nouvelle doctrine par l’autorité de sa science et de sa parole. Nourri des subtilités scolastiques de saint Thomas d’Aquin, il se persuada facilement qu’il était le premier théologien de la chrétienté, et composa contre le réformateur allemand le traité De septem sacramentis (1521), qu’il dédia au pape, et qui lui valut de la cour de Rome le titre de Défenseur de la foi. Il affectait à cette époque un grand zèle pour l’orthodoxie. En 1527, ayant conçu une violente passion pour Anne de Boulen, il voulut, sous prétexte de parenté, faire rompre son mariage avec Catherine d’Aragon ; la cour romaine traîna l’affaire en longueur. Irrité des continuels délais au moyen desquels sa demande était éludée, Henri disgracia d’abord Wolsey, qu’il soupçonnait avec raison de connivence, s’entoura d’hommes plus serviles encore, Suffolk, Norfolk, Thomas Cromwell, et, bien résolu à trancher la difficulté par un coup d’autorité, fit consulter pour la forme les universités de l’Europe, dont il acheta l’approbation ; enfin, il chargea l’archevêque de Cantorbéry, Cranmer, de prononcer son divorce (1533). Quelques jours plus tard, il fit consacrer son mariage avec Anne de Boulen ; c’était le premier pas dans la voie d’une séparation avec l’Église romaine. Dès lors, il ne s’arrêta plus. Il ne répondit à l’excommunication que par une suite de mesures qui consommèrent le schisme. Il asservit le clergé anglais par la terreur et la corruption, se fit décerner par lui, ainsi que par le Parlement, le titre de chef suprême de l’Église anglicane , défendit les appels en cour de Rome, se réserva l’élection et la consécration des prélats, le jugement des hérésies, s’attribua la dîme des bénéfices ecclésiastiques, interdit toute contribution pécuniaire imposée par le pape, et notamment le denier de saint Pierre, etc. Le clergé, terrifié, accepta ces réformes, contre lesquelles protestèrent deux illustres victimes, le cardinal Fisher et le chancelier Thomas Morus, qui furent envoyés à l’échafaud (1535). L’année suivante, la jeune reine, Anne de Boulen, fut livrée au supplice, sous l’accusation d’adultère, et le roi épousa Jeanne Seymour, qui mourut dix-sept mois après. L’exemple des princes allemands encouragea Henri à la confiscation des biens ecclésiastiques : il se jeta sur cette riche proie, commença par les monastères, et, malgré les résistances, malgré les soulèvements populaires, consomma la confiscation en cinq années. Il est à remarquer que le clergé, qui s’était docilement soumis aux réformes religieuses, défendit ses richesses avec une énergie désespérée, qui demeura, au reste, sans résultat. Chose bizarre ! en se séparant d’une manière aussi éclatante de la communion romaine, Henri VIII n’avait pas cessé de se prétendre orthodoxe, et, en même temps qu’il faisait pendre les catholiques qui ne reconnaissaient point son infaillibilité en matière de religion, il envoyait au bûcher les protestants et toute personne convaincue d’hérésie. Ce maniaque sanguinaire, outre son bill des six articles, qu’il avait fait promulguer pour fixer l’uniformité de la foi, avait rédigé, pour l’instruction religieuse de ses sujets, deux traités théologiques : l’Institution du chrétien et la Doctrine et science nécessaires à tout homme chrétien, qui furent imposés comme la règle suprême de la foi. Il interdit, en outre, la lecture de la Bible à tout autre qu’aux chefs de famille des classes nobles ou riches. Parmi les nombreuses victimes de sa monomanie théologique, on remarque un pauvre maître d’école qui, mis en jugement pour avoir nié la présence réelle, en appela au roi. Henri saisit cette occasion d’étaler sa faconde scolastique ; il argumenta contre le malheureux pédagogue, qui eut l’imprudence d’interloquer le roi, et, finalement, fut livré aux flammes. Il va sans dire que Henri prétendait à la même infaillibilité et à la même omnipotence en matière de gouvernement. Tous les pouvoirs publics, au reste, épurés, asservis et terrorisés, s’empressaient de sanctionner ses actes comme autant de lois sacrées ; lords et, Communes, aussi lâches que le sénat romain, allaient au-devant de ses caprices, approuvaient tous ses crimes et rivalisaient de bassesse et de servilité. En 1540, Henri se maria en quatrièmes noces avec Anne de Clèves ; sur la foi d’un portrait d’Holbein, il avait demandé en mariage cette jeune princesse, qu’il trouva beaucoup moins belle que le portrait, et qu’il prit en aversion. Sous un prétexte futile, il fit casser cette nouvelle union par l’assemblée du clergé, épousa Catherine Howard et la fit décapiter six mois après, sous l’accusation de galanterie avant son mariage. Une sixième femme, Catherine Parr, ne craignit pas cependant d’accepter cette main sanglante et faillit être envoyée à la mort, pour avoir osé soutenir une discussion théologique contre son terrible époux. Henri fit pendant quelques années, mais inutilement, la guerre à l’Écosse, pour lui imposer l’organisation religieuse de l’Angleterre, s’unit à Charles-Quint contre François Ier (1542), vint s’emparer de Boulogne (1544) et rendit cette ville trois ans plus tard, en vertu d’un traité avec la France. Il étendit sa suprématie spirituelle sur l’Irlande, qui fut, en outre, érigée en royaume dépendant de l’Angleterre, et fit rentrer également dans l’unité de la monarchie la portion du pays de Galles qui avait formé jusqu’alors une sorte d’État indépendant, divisé en près de cent cinquante seigneuries.

Jusqu’à la dernière heure, ce prince resta le même tyran impitoyable et sanguinaire ; la flamme des persécutions religieuses et l’échafaud des meurtres juridiques demeurèrent jusqu’à la fin ses moyens de gouvernement. Dans la dernière année, ses souffrances physiques, son obésité monstrueuse, les ulcères qui le dévoraient l’avaient rendu plus féroce encore et plus altéré de sang, et il expira en donnant des ordres de mort. Il avait alors cinquante-six ans et en avait régné trente-six. Le fils qu’il avait eu de Jeanne Seymour lui succéda sous le nom d’Édouard VI. Ses deux filles, Marie, née de son premier mariage, et Élisabeth, fille d’Anna de Boulen, régnèrent successivement après la mort de leur frère. C’est à tort que l’on a quelquefois considéré Henri VIII comme le fondateur du protestantisme en Angleterre ; il en fut, au contraire, le persécuteur le plus violent. Mais sa séparation de la communion romaine a préparé la révolution religieuse qui s’accomplit après lui, et qui substitua l’anglicanisme au catholicisme romain.