Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Gorsas (LES CHEMISES À), ou l’Arrestation de Mesdames, tantes du roi, à Arnay-le-Duc

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1378).

Gorsas (les chemises à), ou l’Arrestation de Mesdames, tantes du roi, à Arnay-le-Duc. Cette locution, les chemises à Gorsas, est passée en proverbe, et sert de titre à une facétie à laquelle les écrivains royalistes donnèrent une grande vogue en 1791. Cet épisode de la Révolution se rattache à la polémique qui eut lieu à l’occasion de l’émigration de Mesdames. Ce départ des tantes de Louis XVI, au moment où les princes émigrés et tous les ennemis de la Révolution préparaient ouvertement la guerre étrangère et la guerre civile, causa beaucoup d’inquiétude et d’irritation. Il n’était que trop clair que les membres de la famille royale n’acceptaient aucune des réformes, et que leur projet était de passer successivement à l’étranger pour armer l’Europe contre nous et restaurer la monarchie absolue, avec l’aide des baïonnettes de la coalition. Quelques mois plus tard, la fuite de Varennes vint prouver que c’était bien là, en effet, le plan qui avait été formé. Aux craintes du public, aux réclamations des autorités, Louis XVI, avec sa duplicité ordinaire, se contenta de répondre (détail piquant) que la déclaration des droits permettait à ses tantes de voyager. Le moment était singulièrement choisi. C’était sans doute aussi au nom de la déclaration des droits que d’Artois et tous les émigrés nouaient leurs complots et leurs trahisons contre cette nation même qui continuait bénévolement à leur payer d’énormes pensions. Bien entendu, Mesdames emportaient également leurs pensions ; leur droit restait entier. Elles emportaient, en outre, hors de France des sommes considérables, et cela dans un moment de pénurie publique. Gorsas, journaliste très-modéré, soutenait avec beaucoup de raison que la nation n’entretenait pas des princes pour qu’ils allassent se fixer à l’étranger, dépenser au profit de nos ennemis les sommes que le peuple s’épuisait à leur fournir, et très-probablement les employer à solder des conspirations. Il ajoutait : « Tout ce que vous possédez, depuis votre château de Bellevue jusqu’à vos dentelles, jusqu’à vos jupes, jusqu’à vos chemises (pardonnez-moi le mot), ne vous appartient en aucune manière. Toutes ces choses appartiennent à la nation. » (Courrier de Paris dans les 83 départements, 9 février 1791.)

Les pamphlétaires royalistes, avec leur bonne foi accoutumée, crièrent par-dessus les toits que Gorsas réclamait ses propres chemises, emportées suivant lui par Mesdames. On sait que c’était la tactique invariable de ces spirituels écervelés de tourner les questions les plus graves en bouffonneries, s’imaginant qu’ils auraient raison de cette odieuse Révolution par des pasquinades. L’académicien Arnault, dans ses Souvenirs d’un sexagénaire, publiés en 1833, s’égaye encore, après quarante ans, aux dépens du pauvre Gorsas, qui s’écria, dit-il : « Vous emportez mes chemises ! » On voit, par la citation fidèle que nous donnons ci-dessus du journal de Gorsas, comme cela est exact. Mais Arnault, ancien laquais de Monsieur, avait lui-même fait partie de cette coterie de libellistes et de viveurs que soudoyait la cour, et qui escarmouchaient dans les Actes des apôtres et autres feuilles diffamatoires.

Un autre barbouilleur de cette école, le chansonnier Marchant (qui mit la Constitution en vaudevilles), s’empara de ce beau thème et fit une chanson sur l’air : 'Rendez-moi mon écuelle de bois, Il supposait que la municipalité d’Arnay-le-Duc, où Mesdames avaient été retenues quelques jours, s’était présentée devant les princesses en leur réclamant les fameuses chemises :

Donnez-nous les chemises
        À Gorsas,
   Donnez-nous les chemises.
 Mme Adélaïde répondait :
   Je n’ai point les chemises
        À Gorsas,
   Je n’ai point les chemises.
 Mme victoire ajoutait, en zézayant :
   Avait-il des zemises,
        Gorzas ?
   Avait-il des zemises ?

Enfin les municipaux fouillaient dans les bagages, naturellement ne trouvaient rien, et tout se terminait à la gloire du trône.

Ces platitudes, soi-disant spirituelles, étaient fort en vogue dans les cercles royalistes, et, pendant quelque temps, le pont-neuf des Chemises fit les délices de tous les salons aristocratiques de Paris. Mais toutes ces facéties, d’un goût au moins douteux, n’empêchaient point la Révolution de marcher : c’était chanter sur un volcan.