Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Histoire de), par Bignon


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France (Histoire de), par Bignon (1829-1838, 8 vol. in-8º). Les deux derniers volumes sont, en partie, du baron Ernouf, neveu de l’auteur. Cette Histoire de France est, avant tout, l’histoire de notre politique extérieure sous la République et sous l’Empire. L’auteur ne s’est pas borné à résumer les éléments des manifestes, des gazettes et des mémoires du temps ; il a désiré davantage : il a voulu que les causes des faits publics et matériels fussent retracées exactement d’après ses souvenirs et d’après les sources particulières d’information dont il disposait. L’historien commence avec le coup d’État de brumaire ; il place Bonaparte, le négociateur armé de l’époque, à la tête du nouveau gouvernement qu’il institue, et nous montre autour de lui tous les pouvoirs ou plutôt tous les instruments qu’il crée pour servir le sien. C’est la brusque transition de la République directoriale à la République consulaire. Un siècle sépare le 17 et le 20 brumaire. Le premier consul offre à l’Angleterre une pacification qu’elle refuse ; puis on le voit ouvrir avec l’Autriche une négociation qu’elle n’ose continuer sans le concours de ses alliés ; s’assurer des neutres par des mesures de justice et des démonstrations d’amitié ; essayer de fixer les incertitudes de la Prusse et n’en obtenir que l’inaction ; préparer un concert prochain de principes et de résistance avec les Etats-Unis, le Danemark et la Suède, pour le maintien de la neutralité maritime ; ramener à la France des alliés aigris : l’Espagne, la Hollande et la Suisse, et saisir avec adresse l’occasion de détacher la Russie d’une coalition que seule elle rendait formidable. C’est là que commence l’histoire de la diplomatie française pendant les quinze premières années du siècle. Un tel début présage tout l’éclat des événements, mais non toute leur violence. Le négociateur de Campo-Formio suivra plus tard l’impulsion de son caractère personnel, de son intérêt de famille, de ses passions enflammées par la résistance toujours croissante de ses ennemis. La première année du consulat, cette réorganisation sociale si rapide ; la campagne de Marengo, cette victoire si fructueuse ; celle de Hohenlinden, si décisive, sont pour l’historien des sujets heureux et féconds ou se déploie son talent ; mais c’est à la science du diplomate ou à la politique extérieure qu’il importe de s’attacher.

Arrivé au traité de paix de Lunéville, l’auteur en développe les avantages pour la France et pour l’Italie, sans en signaler les inconvénients et même la fragilité. Ce traité consacrait un principe daugereux, qui consiste à partager les débris des Etats selon les convenances des Etats plus puissants. La France y perdit notablement, comme le prouva l’avenir. Un silence sur ce point équivaut à une apologie : c’est une faute grave. Sur l’importante question de la neutralité maritime, l’historien se montre savant publiciste. La France dut résoudre cette question après la mort violente du czar Paul Ier, celui qui eût pu venger Copenhague, bombardé par les Anglais qui prétendaient faire une tyrannie de la royauté des mers. Le premier consul médite avec l’Angleterre un traité d’équilibre ; mais, voyant l’empereur Alexandre abandonner la politique de son père, et l’Autriche préparer la rupture de la trêve de Lunéville, il fait entrer une armée française eu Portugal, pays allié à l’Angleterre, et ratifie le traité de Madrid, mécontent qu’il était du traité de Badajoz. Il se tourne ensuite vers la Prusse et traite avec elle pour le Hanovre, province qui échappe à la cour de Berlin, toujours irrésolue. Cependant il n’oublie pas les intérêts de la France à l’égard des puissances secondaires. La Bavière, la Hollande, la Suisse éprouvent déjà son influence salutaire. Mais la politique générale est bien loin de ces faibles intérêts ; elle est en Egypte, gage important que se disputent la France et l’Angleterre. Après tous ces grands coups d’épée, on arrive aux négociations, et l’on se restitue réciproquement presque tous les champs de bataille où tant de sang a coulé en pure perte. De simples préliminaires avec le haut banquier de la coalition déterminent la paix avec la Russie, la Porte, les Etats barbaresques. C’est la paix générale de 1801, qui excite l’enthousiasme de la France, et 1 historien en esquisse le tableau. Le premier consul est alors dans tout l’éclat de sa gloire personnelle ; il n’a pas encore échangé sa grandeur sans modèle contre une majesté sans prestige. L’année 1802, année de paix, enfante d’autres conquêtes ; elle est riche en événements graves au dedans et au dehors. Ces événements féconds et réparateurs appartiennent à l’histoire générale ; inutile de les rappeler. C’est précisément leur importance et leur valeur que ses ennemis, mal réconciliés, reprochèrent au premier consul ; c’est le prétexte dont ils se servirent pour rompre la paix d’Amiens, celle de Lunéville, et pour recommencer cette série de combats qui devait durer dix autres années et finir si déplorablement pour la France. L’Europe tout entière passe dans ce vaste tableau où sont représentées les aberrations de la politique, les résistances de l’opinion, les inconstances de la fortune et les progrès de l’esprit humain. Notre analyse s’arrêtera à cette rupture du traité d’Amiens ; plus étendue, elle deviendrait un précis d’histoire ; restreinte à ces limites, elle permettra de reconnaître la valeur du travail de Bignon et de marquer les caractères particuliers qui distinguent cette histoire de Napoléon des nombreux récits dont son règne a été le sujet.


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