Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/8

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 524-568).
LIVRE HUITIÈME[1].


de la tête, de l’encéphale et des sens.


Chapitre i. — De l’utilité du cou en général, son existence est subordonnée à celle du poumon. — Relations et subordination des diverses parties qui composent le cou. — Pour certains animaux, le cou, par sa longueur, remplit en quelque sorte l’office de main. — Chez l’homme, le cou est fait en vue du larynx, lequel, à son tour, est créé en vue de la voix. — Une autre utilité secondaire du cou, c’est de permettre la production des nerfs pour l’épaule et le bras.


La suite des explications nous amène à parler de toutes les parties du cou et de la tête ; mais, avant de les décrire une à une, il est bon d’examiner, à propos de ces membres en général, dans quel but ils ont été créés, surtout si l’on considère que beaucoup d’animaux sont les uns privés des deux membres, les autres de la tête seule. Les langoustes, les écrevisses, les pouparts, les crabes, manquent de l’un et de l’autre (cf. III, xii, VII, iii) ; tous les poissons ont une tête, mais point de cou. Pour la production du cou, il n’est pas difficile de s’en rendre compte. Toujours, on le voit disparaître avec le poumon[2]. Aussi, chez tous les poissons, le cou manque parce qu’il n’existe pas de poumon. Au contraire, les animaux pourvus d’un poumon ont tous un cou sans exception. S’il en est ainsi, en examinant la relation des parties du cou avec le poumon, que cette relation regarde une ou plusieurs parties, nous découvririons la nécessité de l’existence du cou tout entier. Mais on trouve en lui des parties qui n’ont absolument aucune affinité avec la substance du poumon, en arrière les vertèbres, et la moelle qu’elles renferment, certains ligaments et tendons, et en général dans tout le cou beaucoup de muscles, de nerfs, de glandes, et le canal de l’estomac qu’on nomme œsophage. Il en est d’autres qui ont du rapport avec le poumon, par exemple les artères et les veines, mais comme le poumon les tient du cœur, en quoi aurait-il encore besoin du cou ? Reste le système de la trachée-artère commun au cou et au poumon. Comme trois vaisseaux forment la trame du poumon, veine, artère lisse et trachée-artère, les deux premiers sont communs à tout le corps, en sorte que vous ne trouveriez pas une partie où l’un et l’autre ne se rencontrent. Quant au système de la trachée-artère, il existe dans le cou et dans le poumon seulement ; unique et très-grande dans le cou, elle se divise dans le poumon où les bronches sont formées par les subdivisions de la grande trachée (ramifications bronchiques).

C’est pourquoi tous les animaux qui ont un poumon attirent l’air dans leur poumon par cette trachée, et l’expirent par le même canal. L’émission du souffle, principe matériel de la voix, nous l’avons démontré (cf. VII, v, p. 466), est produite par elle. Sans elle, la voix ne se produit pas ; et le premier, le plus important organe de la voix, qu’on nomme larynx, forme l’extrémité supérieure de la trachée-artère ; on l’appelle encore pharynx, de même que l’organe placé au-devant du larynx, il en résulte que la voix manque chez tout animal dépourvu de cou.

C’est ainsi qu’au poumon est allié le pharynx, si utile pour les animaux ; et c’est pour lui que le cou a été créé. En effet, le poumon étant renfermé dans le thorax, et la trachée-artère partant du poumon et se terminant nécessairement à la bouche, toutes les parties situées entre l’extrémité du thorax et la naissance de la bouche ont été créées en vue de cette trachée ; car le thorax et la bouche étant séparés et éloignés l’un de l’autre, tout l’espace intermédiaire a servi de passage aux corps qui remontent et à ceux qui descendent. Or, ceux qui descendent sont les nerfs,l’œsophage, les muscles, la moelle épinière ; ceux qui remontent sont les veines, les artères, le larynx même.

La moelle épinière a pour la protéger les vertèbres qui l’environnent ; des glandes remplissent les interstices entre les vaisseaux ; de plus, des membranes et des ligaments défendent, et en même temps rattachent les parties susnommées ; la peau les recouvre toutes comme une enveloppe commune. Tel est le cou, créé comme nous le démontrions à l’instant pour le larynx, organe de la voix et aussi de la respiration.

Mais la nature, habile à employer à un usage différent (c’est-à-dire à plusieurs usages, voy. p. 521) une partie créée pour un but donné, a gratifié beaucoup d’animaux d’un cou pour remplir chez eux l’usage de la main. C’est pourquoi ceux qui, avec leur bouche, recueillent sur la terre leurs aliments, ont un cou aussi allongé que les jambes[3] (voy. XI, ii, fine, et viii, fine. — Cf. aussi III, ii, init.). Mais l’homme et les animaux analogues ont un cou en vue du pharynx (larynx), et ce pharynx, ils l’ont en vue de la voix et de la respiration, en sorte que sa grandeur est celle qui était nécessaire au pharynx pour accomplir les fonctions indiquées.

Il fallait encore que la région de l’épaule, celle du bras, et de plus l’avant-bras et la main reçussent des nerfs des vertèbres cervicales. Nous démontrerons plus loin (XIII, ix) que tel est aussi le cas du diaphragme. Pour créer ces nerfs, il a donc fallu établir dans l’intervalle, entre la tête et le thorax, d’autres vertèbres dont est formé le cou. Pour les poissons, comme ils n’ont pas de trachée-artère, ils manquent également des parties susnommées. Aussi doit-on dire, ou que le cou leur fait complétement défaut, ou qu’il est excessivement court, composé seulement des deux premières vertèbres. Si donc il est très-court chez eux ou absolument nul, il est long chez les animaux où il fait office de main, et de grandeur moyenne chez ceux où, créé pour la voix, il est en outre destiné à permettre la production des nerfs destinés aux membres antérieurs : parmi ces animaux est l’homme, dont notre but actuel est de décrire la structure. Nous avons suffisamment développé l’utilité du cou.


Chapitre ii. — Galien combat ceux qui pensent que la tête a été créée en vue du cerveau, et que le cerveau a été créé en vue de la réfrigération du cœur ; il les poursuit tantôt par l’ironie, tantôt par un raisonnement sérieux. — Il leur oppose surtout les mouvements de l’encéphale, l’existence des deux méninges, l’épaisseur des os qui constituent la base du crâne, la distance qui existe entre le cerveau et le cœur chez les animaux vertébrés ; d’ailleurs, ajoute-t-il, la respiration est bien suffisante pour rafraîchir le cœur.


La tête a paru à beaucoup de personnes avoir été créée en vue de l’encéphale, et renfermer conséquemment tous les sens comme les serviteurs et les satellites d’un grand roi[4]. Mais les crabes et les autres crustacés n’ont pas de tête. La partie qui dirige les sens et les mouvements volontaires est certainement placée dans le thorax, à l’endroit où chez eux se trouvent tous les organes des sens. Ainsi ce qui en nous est l’encéphale, serait dans ces animaux cette partie à laquelle se rapportent les mouvements et les sensations. Ou si ce n’est pas l’encéphale, mais le cœur qui est le principe de tous ces phénomènes, c’est avec raison que chez les acéphales les organes des sens ont été fixés dans la poitrine ; car, de cette façon, ils se dirigent vers le cœur qui est situé près d’eux ; c’est au contraire à tort que chez les autres ils sont rattachés à l’encéphale. Ceux qui ont cette opinion doivent trouver la tête d’autant plus superflue qu’ils ne sauraient indiquer une utilité de l’encéphale, ni loger autour de lui les organes des sens. Imaginer, en effet, que l’encéphale a été créé en vue de la chaleur naturelle du cœur pour le rafraîchir et le ramener à une température modérée, cela est tout à fait absurde. Dans cette supposition, la nature, au lieu de le placer si loin du cœur, ou l’aurait donné comme enveloppe au cœur, comme elle a fait du poumon, ou du moins elle l’aurait établi dans le thorax, mais elle n’eût pas suspendu à l’encéphale les principes de tous les sens.

Eût-elle poussé la négligence au point de l’éloigner du cœur, elle n’avait du moins aucunement besoin d’y rattacher les sens ; mais elle n’eût pas séparé ces deux organes par deux enveloppes si solides et si épaisses, en recouvrant du crâne le premier et du thorax le second. Eût-elle encore négligé ces conditions, elle n’aurait certainement pas établi le cou entre les deux organes, cou si long dans les animaux dont le sang est le plus chaud et qui tirent leur nom de leurs dents acérées (καρχαρόδοντα, carnassiers), cou plus long encore dans les oiseaux, en sorte que chez eux l’encéphale est aussi distant du cœur que le sont les pieds. Autant vaut dire, à mon avis, que le calcanéum a été créé en vue du cœur. Et n’allez pas croire que je plaisante en parlant ainsi ; un examen attentif vous montrera que la réfrigération arrive au cœur plus promptement du calcanéum que de l’encéphale[5] :

Si le cœur et le talon paraissent avoir été assez éloignés l’un de l’autre, du moins chez l’homme, il n’en est pas ainsi chez tous les animaux ; ils ne sont pas non plus séparés par une double enveloppe osseuse comme par des murs solides. En effet, dans les parties inférieures seulement, le thorax n’est plus osseux ; dans cette région est placé un corps membraneux et musculeux appelé diaphragme, très-propre à transmettre une réfrigération. D’ailleurs, vous n’en trouverez pas moins que le calcanéum est plus froid que l’encéphale. Notez encore qu’à défaut d’autre cause, la continuité du mouvement est capable d’échauffer l’encéphale, sans parler de la multiplicité et de la grandeur des veines et artères qui s’y trouvent et qui surpassent pour la chaleur celles de toute autre partie du corps. Il est encore recouvert par deux méninges (dure-mère et pie-mère), puis vient un os très-dur, très-dense et très-épais (car tel est l’os placé à sa base), et c’est à travers cet os et non par le sommet que la réfrigération doit s’ouvrir un passage vers le cœur ; ces corps augmenteront nécessairement la chaleur de l’encéphale et rendront à cette réfrigération le chemin du cœur bien difficile et même complétement impraticable.

Du reste, pourquoi cette nécessité de préparer dans l’encéphale une réfrigération pour le cœur, en présence de la respiration dont l’action est tellement continue et incessante ? Tant qu’elle agit sur l’animal, elle peut rafraîchir le cœur de deux façons : dans l’inspiration en introduisant un air frais, et dans l’expiration en entraînant les parties brûlées ; à moins qu’on n’imagine que l’air est plus chaud que l’encéphale, et qu’en conséquence le cœur, moins rafraîchi qu’il n’est convenable, a besoin encore du secours de l’encéphale, comme étant plus froid. Mais c’est là l’opinion de gens qui vont en parole au delà de la vérité ou qui méconnaissent les faits. Car, en toute circonstance, on trouve l’encéphale beaucoup plus chaud que l’air, soit qu’on pose la main sur une fracture du crâne, soit que par forme d’expérience, on prenne un animal quelconque et que, lui enlevant une partie du crâne et incisant les méninges on touche l’encéphale. De plus, personne n’ignore que [dans le cas de fracture] nous nous efforçons toujours avec un soin extrême de détacher les os de la tête, afin que l’encéphale ne se refroidisse pas, et s’il vient à se refroidir, c’est l’accident le plus dangereux pour le blessé. Et cependant, si l’air était plus chaud que l’encéphale, il ne le refroidirait pas. Mais dans l’état actuel, en été même, il se refroidit aisément et a besoin alors d’être promptement réchauffé, non-seulement parce que lui-même n’est pas un corps froid, mais encore parce qu’il redoute le contact d’une substance froide.

On dira peut-être : le mal dérive non de l’encéphale, mais des membranes qui se refroidissent, surtout de la membrane mince (pie-mère) qui renferme les veines et les artères les plus nombreuses et qui bat perpétuellement dans toute son étendue, ce qui n’a pas lieu sans qu’il se produise une chaleur bouillante. Et vous hommes simples, avec l’idée que la membrane mince est chaude, vous osez encore déclarer que l’encéphale est froid, quand celle-ci pénètre de tous côtés son tissu à tel point qu’on ne trouve aucune partie de l’encéphale qui en soit dépourvue ! Ou bien ignorez-vous ce fait, et pensez-vous que l’encéphale est seulement enveloppé par elle, mais non pas traversé et enlacé dans tous les sens ? D’ailleurs quand même elle se bornerait à l’envelopper, l’encéphale ne pourrait refroidir le cœur dont il est si éloigné, dont il est séparé par une double barrière d’os ; et ne devait-il pas d’ailleurs être échauffé par la membrane avec laquelle il est en contact perpétuel, à moins qu’une partie froide ne puisse refroidir des régions même éloignées, et qu’une partie chaude ne puisse échauffer même les régions voisines ? Car, telles sont nécessairement les raisons frivoles de ceux qui s’inquiètent moins de la vérité que de défendre leurs propres opinions, et qui, non-seulement, ne se fient pas aux sens et aux déductions logiques, mais se jettent hardiment dans les contradictions.

Chapitre iii. — Le chapitre précédent était une attaque indirecte contre Aristote ; dans celui-ci, la réfutation est directe. En disant que l’encéphale était chargé de rafraîchir le cœur, Aristote oublie le témoignage des sens ; il est en contradiction avec lui-même, car il est d’avis que la respiration est chargée de procurer cette réfrigération, et en soutenant cette opinion vraie, il tombe dans une nouvelle contradiction, car il est d’avis que l’air est naturellement chaud. — Galien démontre qu’il est matériellement impossible que le cœur soit rafraîchi par l’encéphale ; il le serait plutôt par le calcanéum. — Contrairement à l’opinion d’Aristote, il soutient que tous les sens sont en rapport avec l’encéphale. S’il en était autrement, cet organe aurait été créé sans but, ou bien il devrait être réduit à l’état d’éponge.


On a peu de raison de s’étonner que ce système ait été adopté par certains écrivains, mais quand on le voit soutenu par Aristote, qui ne serait au comble de l’étonnement ? Voici un philosophe qui n’a pas négligé l’étude des phénomènes fournis par l’anatomie, qui ne méconnaît pas leur utilité, qui dit lui-même (Top. I, ix, extr.) que parmi les problèmes, les uns réclament une solution, les autres un éclaircissement, d’autres le témoignage des sens ; et bientôt on le surprend n’ajoutant plus foi aux phénomènes démontrés par les sens et oubliant ses propres arguments. En effet, le toucher indique toujours que l’encéphale est plus chaud que l’air ambiant. Eh bien, Aristote prétend qu’il a été créé dans le but de refroidir le cœur ; mais il oublie que lui-même a déclaré que cette réfrigération était l’œuvre de la respiration.

Il faut lui donner des éloges pour avoir démontré, conformément au dire d’Hippocrate (Des vents, § 4, t. VI, p. 96 ; De la nat. de l’enfant, § 12 et 15, t. VII, p. 486 et 492 ; De l’aliment, in medio ; Epid. VI, vi, 1, t. V, p. 323), et avec la vérité l’utilité de la respiration. Mais il a eu tort d’oublier qu’il avait dit ailleurs que l’air est naturellement chaud (De gener. et corrupt., II, iii)[6]. Ou bien s’il a eu raison d’oublier des assertions erronées, il a tort de croire que le cœur n’est pas suffisamment rafraîchi par l’air seul et qu’il a besoin encore d’un viscère qui est loin d’être aussi froid que l’air, et qui, fût-il plus froid encore que cet air, ne saurait, vu son éloignement et vu le nombre et la densité des corps interposés, lui transmettre de la fraîcheur. Mais, au nom des Dieux, quand on voit l’air pénétrer par le poumon jusqu’au cœur, ou sinon l’air, du moins sa qualité [accidentelle, c’est-à-dire le froid radical], et cela continuellement, sans relâche, comment imaginer que pour tempérer sa chaleur, il a encore besoin d’un autre secours. S’il en a encore besoin, il valait bien mieux dire que cette réfrigération lui est fournie par le poumon, en l’attribuant soit à la substance molle de ce viscère, comme le fait Platon (Timée, p. 70. Cf. VI, ii, p. 382), soit à sa nature froide, car rien n’empêche de hasarder de telles assertions, quand une fois on a osé dédaigner le témoignage des sens.

Si donc, en ne se rapportant qu’au toucher, on peut démontrer que le poumon est chaud et s’il faut admettre, en s’en fiant aussi au toucher, que le cœur l’est également, comment ne croirait-on pas que l’encéphale est plus chaud que l’air, quand c’est la mort pour lui que de devenir froid comme l’air[7] ? Comment l’encéphale est-il capable de rafraîchir le cœur et comment le cœur n’est-il pas bien plutôt capable de réchauffer le cerveau qui est placé au-dessus de lui, puisque toute chaleur tend à s’élever ? Et pourquoi l’encéphale n’envoie-t-il au cœur qu’un nerf imperceptible, tandis que tous les organes des sens tirent de l’encéphale une grande partie de sa substance ?

Comment encore expliquer que l’encéphale, étant destiné à rafraîchir le cœur, est pour les organes des sens d’une utilité toute différente. En effet, un organe créé pour rafraîchir le cœur doit nécessairement, je pense, comme ayant en lui une source de fraîcheur, la communiquer à tous les corps voisins. Aussi l’encéphale seul parmi tous les organes, serait donc une merveille, s’il pouvait, à travers de nombreux corps interposés, rafraîchir des parties très-éloignées et plus chaudes que lui ; et s’il était incapable d’exercer la même action sur des corps très-proches, moins chauds et auxquels il touche.

Mais, dit Aristote[8], tous les organes des sens n’aboutissent pas à l’encéphale. Quel est ce langage ? Je rougis même aujourd’hui de citer cette parole. N’entre-t-il pas dans l’une et l’autre oreille un nerf considérable avec les membranes mêmes ? Ne descend-il pas à chaque côté du nez une partie de l’encéphale (nerfs olfactifs[9], voy. chap. vi) bien plus importante que celle qui se rend aux oreilles (nerfs acoustiques) ? Chacun des yeux ne reçoit-il pas un nerf mou (nerfs optiques) et un nerf dur (nerfs oculo-moteurs communs, voy. Dissert. sur l’anat.), l’un s’insérant à sa racine, l’autre sur les muscles moteurs ? N’en vient-il pas quatre à la langue, deux mous pénétrant par le palais (nerfs linguaux), deux autres durs descendant le long de chaque oreille (grands hypoglosses) ? Donc tous les sens sont en rapport avec l’encéphale, s’il faut ajouter foi aux yeux et au tact. Énoncerai-je les autres parties qui entrent dans la structure du cerveau ? Dirai-je quelle utilité présentent les méninges, le plexus réticulé, la glande pinéale, la tige pituitaire, l’infundibulum, la lyre, l’éminence vermiforme, la multiplicité des ventricules, les ouvertures par lesquelles ils communiquent entre eux, les variétés de configuration, les deux méninges, les apophyses qui vont à la moelle épinière, les racines des nerfs qui aboutissent non-seulement aux organes des sens, mais encore au pharynx, au larynx, à l’œsophage, à l’estomac, à tous les viscères, à tous les intestins, à toutes les parties de la face ?

Aristote n’a tenté d’expliquer l’utilité d’aucune de ces parties non plus que celle des nerfs du cœur ; or, l’encéphale est le principe de tous ces nerfs. S’il était destiné seulement à la réfrigération, l’encéphale aurait dû être une éponge oisive et informe, n’ayant aucune structure produite par l’art ; et le cœur, s’il n’est le principe ni des artères, ni de la chaleur innée, loin d’avoir une configuration compliquée, ne devait pas même exister[10].

Ces buts admirables, marqués dans les deux organes par une sagesse consommée, sont encore prouvés surtout par cette circonstance que les sectateurs d’Aristote non-seulement ne croient pas que l’encéphale soit le principe des nerfs et le cœur le principe des artères, mais qu’ils avouent même que l’un des deux organes est dénué de toute utilité ; les uns le déclarant hautement comme Philotime[11], les autres d’une façon détournée comme Aristote lui-même. En effet, en ne reconnaissant à l’encéphale qu’une propriété, dont il est complétement dénué, et en imaginant qu’il n’a aucune autre destination, évidemment il le condamne à une complète inutilité, bien qu’il n’ose en convenir ouvertement. Mais ce n’est pas le lieu maintenant de parler des fonctions. Ce que nous avons dit au début de tout l’ouvrage (I, viii) devient évident par le fait, c’est qu’il est impossible d’exposer convenablement l’utilité d’une partie quelconque sans connaître la fonction de tout l’organe.


Chapitre iv. — Longue discussion sur l’impropriété du terme encéphale pour désigner l’organe qui préside aux sensations et aux mouvements volontaires. — La tête n’a pas été créée en vue de ce principe, puisqu’elle n’existe pas chez les animaux qui cependant le possèdent. — On doit choisir un nom qui ne se rapporte en rien à la position, car la situation ne change ni l’essence, ni la fonction des parties.


Nous allons donc reprendre pour nos explications actuelles les démonstrations présentées ailleurs. Nous avons démontré dans nos Commentaires sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (VII, iii et passim) que l’encéphale est le principe des nerfs, de toute sensation et du mouvement volontaire, que le cœur est le principe des artères et de la chaleur innée. Appuyé sur ces données qui seront les bases de la discussion, nous exposerons les utilités des parties de la tête et d’abord de la tête elle-même considérée dans son ensemble ; c’est le sujet que, dès le début de ce livre, nous nous sommes proposé de traiter, et dont nous avons, je pense, poussé les développements assez avant pour reconnaître que ce n’était pas en vue de l’encéphale qu’elle avait été créée, même si on regarde l’encéphale comme le principe de la sensation et du mouvement volontaire, et qu’il est impossible de ne pas faillir à la logique dans la discussion en général, et de ne pas être embarrassé dans la recherche de l’utilité de chaque partie, si en dépouillant l’encéphale des attributs qui en font le principe des fonctions susdites on admet qu’il faut prendre comme point de départ la recherche du but de l’existence de la tête. Or les crabes, toute la famille des crustacés, les phalènes encore et beaucoup d’autres insectes semblables, ou manquent absolument de tête ou n’en ont qu’un rudiment ; néanmoins tous ces animaux ont les sens tous placés sur la poitrine, et nécessairement le principe de ces sens établi au même endroit.

Ce principe, il ne faut pas l’appeler l’analogue de l’encéphale[12] comme Aristote le faisait dans des cas semblables, trompé par les dénominations, et dirigé non par la substance même de la chose mais par les circonstances fortuites. C’est ce qui a lieu pour le terme encéphale. En effet, ce nom lui vient de sa position. Platon (Timée, p. 73) voulant caractériser sa substance et pensant être dans le vrai, l’appelle moelle. Mais même si c’est de la moelle, il faut encore ajouter quelque chose à cette appellation. En effet, il existe une moelle dans le rachis, une autre dans chacun des os, et ces espèces de moelles ne sont pas les principes de toute sensation et de tout mouvement. Aussi beaucoup la nomment-ils moelle encéphalique, comme on dit moelle épinière, d’autres, sans l’appeler moelle encéphalique, l’appellent tout simplement la moelle de l’encéphale. Mais, d’après ceux-ci, c’est le sens du raisonnement et non pas le nom qui marque la partie ; aussi le fait énoncé dès le début subsiste toujours, c’est que l’encéphale n’a pas, comme les yeux, les oreilles, la langue, le poumon et presque toutes les autres parties, un nom spécial [arbitraire] indicatif de l’essence (c’est-à-dire de la fonction). On peut dire des parties énumérées que l’organe de la vue est appelé œil, celui de l’ouïe oreille, et que nous savons également pour les autres parties comment il faut les appeler [mais il n’en est pas de même pour l’encéphale] ; car on ne peut pas l’appeler tout simplement moelle, puisque toute moelle n’a pas les facultés que possède l’encéphale. On ne peut pas l’appeler non plus simplement encéphale (ἐν τῆ κεφαλῇ, c’est-à-dire contenu dans la tête) ; car chez les animaux qui manquent de tête, il n’existe évidemment pas d’encéphale. Cependant il ne faut pas, pour ce motif, l’appeler analogue de l’encéphale, par respect pour la propriété des termes. En effet quoique chez les crabes les yeux et les oreilles occupent une place différente, nous ne les appelons pas analogues d’yeux ou d’oreilles ; car chacun des organes n’a pas une essence qui varie selon la situation qu’il occupe, lors même que son nom dérive de sa situation. Il en est de même de l’encéphale quoiqu’il doive son nom à sa position, car ce nom lui vient de ce qu’il est situé dans la tête. Cependant, quand nous le trouverons fixé sur les parties du thorax chez les animaux dépourvus de tête, nous ne dirons pas que c’est une autre substance analogue à l’encéphale. Nous dirons que c’est l’encéphale même, tout en constatant que la vieille dénomination ne lui convient pas.

Pour rendre cette proposition plus claire et plus manifeste, désignez-le par le nom latin (cerebrum), tiré évidemment non pas de la position, ni de quelque autre circonstance, mais de l’essence même, vous reconnaîtrez nettement que rien ne vous empêchera de dire que chez l’homme le cerveau (cerebrum), car c’est le nom que lui donnent les Romains, est situé dans la tête, et chez les crabes dans la poitrine. Eh bien, au lieu de cerveau, appelez-le scindapsus, et de même que nous nommons œil l’organe de la vision non-seulement s’il est placé sur la tête, mais encore lorsqu’il siège sur la poitrine, de même aussi quelle que soit dans l’animal la partie qui régisse pour les autres la sensation et le mouvement volontaire, appelons-la scindapsus.

Si l’encéphale est la source de la sensation et du mouvement, et si la sensation et le mouvement existent chez des animaux qui n’ont pas de tête mais un encéphale ou l’analogue de l’encéphale, il est évident que la tête n’est pas créée en vue de l’encéphale. Pourrons-nous dire encore que les crabes possèdent l’analogue du scindapsus. Nous ne le pouvons pas évidemment. En effet, il convient d’appeler du même nom tous les organes qui ont la même fonction. Tous les organes de la vision bien que différents et variés de forme suivant les parties qu’ils occupent sont à juste titre appelés yeux ; pour la même raison, l’on nomme oreilles tous les organes de l’ouïe, et nez tous ceux de l’olfaction. De même, la partie qui gouverne la sensation et le mouvement, est une et identique chez tous les animaux, bien qu’on la trouve en des régions différentes. Mais, si chez les animaux dont il s’agit, elle-est placée sur la poitrine, évidemment la tête n’a pas été créée en vue de cette partie, elle ne l’a pas été non plus en vue de la bouche. Car la bouche chez les mêmes animaux est encore placée sur la poitrine. Elle ne l’est pas encore en vue des oreilles, celles-ci occupant aussi la même situation. De même enfin chez les animaux qui n’ont pas de tête, le nez et chacun des autres organes sont placés sur la poitrine.


Chapitre v. — La tête a été surtout créée en vue des yeux qui doivent toujours exister sur une partie proéminente. Quant aux autres sens ils ont été placés dans la tête à cause de l’encéphale. — Nécessité de deux espèces de nerfs : mous, pour les sensations, durs, pour les mouvements. Différence d’origine et de distribution de ces deux espèces.


Mais dans quel but la nature a-t-elle attribué une tête à la plupart des animaux ? Nous ne le découvrirons, ce me semble, qu’en poursuivant le mode d’investigation [dont nous venons de poser les bases]. Car si nous trouvons quelle est, entre les parties établies dans la tête, celle qui manque sur la poitrine des acéphales, nous n’aurons pas tort de dire que la tête existe en vue de cette partie. Tel est notre système de recherches. On pourrait aussi découvrir ce dont nous nous enquérons de la manière suivante : chez les crabes, les phalènes, les langoustes, et tous les acéphales, les yeux se trouvent sur un col allongé ; ces yeux, en effet, ne pouvaient être dans une partie basse, comme la bouche, le nez et les oreilles : car leur fonction exige une situation élevée. Pour cette raison, ceux qui épient les ennemis ou les brigands se postent sur des murailles, sur des tours élevées ou sur des montagnes. Les matelots aussi, qui grimpent sur les mâts, aperçoivent la terre plus tôt que les passagers. D’une hauteur, en effet, on aperçoit le paysage plus étendu que dans une plaine. Chez les animaux en question, qui ont pour derme une écaille dure, il était possible d’établir solidement, sur un col allongé, les yeux, formés eux-mêmes d’une substance dure, et susceptibles d’être recouverts par une tunique issue du derme et aussi dure que lui. Pour l’homme et les autres animaux qui lui ressemblent, destinés nécessairement à avoir le système des yeux mou, à cause de la substance du corps et aussi de la tunique qui les recouvre, tunique aussi molle que toute la peau, il était plus dangereux de placer en saillie les yeux sur des cols allongés : car chez les crustacés eux-mêmes, les yeux ne sont pas toujours saillants, mais rentrent dans leur cavité ; et si ces animaux redoutent l’approche de quelque ennemi, si même l’action des yeux leur devient inutile, ils les rentrent dans la poitrine et les laissent tranquillement reposer, la nature ayant en cet endroit disposé pour eux un abri. Pour nos yeux, les établir en un lieu bas était contraire à l’utilité qu’ils présentent ; les fixer sur un col nu n’était pas sans danger, et la nature ne voulant ni les priver d’une partie de leur utilité, ni abolir leur sécurité, à imaginé de les établir dans un lieu élevé et propre en même temps à les protéger. Au-dessus d’eux elle a placé les sourcils, au-dessous elle a avancé en saillie la joue, à leurs côtés internes elle a disposé le nez, et aux côtés externes l’apophyse dite zygomatique. Mais la tête n’est pas constituée par la réunion de ces parties, car celles-ci peuvent exister sans la tête.

Quelle nécessité y avait-il donc à établir en cet endroit les autres parties dont l’assemblage est nommé tête ? Chacun des sens a besoin d’un nerf mou : d’un nerf, parce qu’il est organe de sensation ; d’un nerf mou, parce que le sens doit être disposé et affecté d’une certaine façon par l’objet extérieur, pour que la sensation ait lieu (cf. plus loin, chap. vi, et IX, xiv). Or, le mou est plus propre à subir une impression, et le dur à agir. C’est pourquoi des nerfs mous étaient nécessaires aux sens, et des nerfs durs à toutes les autres parties. Aussi, dans les sens mêmes qui sont mus par la volonté, comme les yeux et la langue, il existe des nerfs de deux espèces, et non pas seulement des nerfs mous, comme dans les oreilles et le nez. Il résulte de là que si l’un des deux nerfs vient à être lésé, cette lésion ne met en péril que l’utilité dépendante des lésions de ce nerf. C’est ainsi que maintes fois on a vu la langue privée, soit de mouvement, soit de la faculté d’apprécier et de saisir les saveurs.

En outre, les nerfs mous et les nerfs durs ne dérivent pas des mêmes parties de l’encéphale, et ne suivent pas le même chemin pour arriver aux sens. En effet, partant, les uns des parties molles, les autres des parties dures, ils se dirigent vers les sens, ceux-là en ligne droite, ceux-ci par un détour. Ainsi, parmi les nerfs qui aboutissent à la langue, les uns, issus des parties inférieures et antérieures, les autres des parties postérieures et latérales de l’encéphale, viennent s’insérer sur la langue, les premiers directement (lingual), les seconds, ceux qui sont durs (grands hypoglosses), après un circuit préalable autour du cou. De plus, ceux-là, c’est-à-dire les nerfs mous, s’épanouissent à la face externe de la langue, tandis que ceux-ci, les nerfs durs, se distribuent dans les muscles. En effet, d’un côté, la langue, par sa face externe, est en rapport avec les saveurs, et de l’autre elle est mue par des muscles. La raison voulait donc que les nerfs destinés à percevoir vinssent s’insérer sur les parties plus propres à cette perception, tandis que les autres nerfs, les nerfs durs, s’inséreraient sur les muscles organes de mouvement.

Il en est de même des nerfs des yeux, dont les uns, nerfs durs (oculo-moteurs communs), s’insèrent sur les muscles, et les autres (n. optiques) sur l’organe principal et essentiel de la vision, l’humeur cristalline (voy. X, i). Mais, de ces nerfs mous qui vont aux yeux, qui vont à la langue, qui vont aux oreilles et au nez, on n’en peut voir un seul qui, après avoir une fois passé le crâne, s’étend au delà de ces organes, comme fait chacun des nerfs durs. En effet, ils seraient promptement rompus ou aisément brisés, non-seulement par la rencontre des objets extérieurs, mais encore, et bien auparavant, par les parties mêmes du corps avec lesquelles, d’une manière quelconque, ils se trouveraient en contact. C’est pourquoi chacun des sens doit être proche de l’encéphale même.

S’il en est ainsi, nous avons trouvé ce que nous cherchons depuis le commencement. Il est clair, en effet, que l’encéphale a été établi dans la tête en vue des yeux, et que chacun des autres sens y a été placé à cause de l’encéphale.

On comprend encore parfaitement que la place de la bouche était nécessairement dans la tête, puisqu’elle devait renfermer la langue. Il était mieux, en effet, que la langue ne fût pas nue et complétement découverte ; or elle ne pouvait être mieux abritée que par la bouche (voy. XI, iv et xii). Placée en cet endroit, elle devait plus efficacement apprécier les saveurs, servir d’organe du langage, et coopérer puissamment à la mastication et à la déglutition.


Chapitre vi. — Comme il devait y avoir des nerfs mous et des nerfs durs présidant, les uns aux sensations, les autres au mouvement volontaire, les différentes parties de l’encéphale sont plus ou moins molles suivant qu’elles donnent naissance à l’une ou à l’autre espèce de ces nerfs. — Disposition particulière des nerfs optiques qui, seuls sont percés d’un conduit. — Pour que la sensation ait lieu, chaque sens doit éprouver une modification, une altération, ressentie par le cerveau. — Un objet sensible répond en conséquence à chacun des sens ; l’organe lui-même et le nerf sont une substance en rapport avec cet objet, de sorte que l’un des sens ne peut pas être modifié par ce qui modifie, impressionne un autre sens. — Galien établit pour les yeux, les oreilles, le nez et la langue, que leur structure est parfaitement en rapport avec la fonction qu’ils ont à remplir, et qu’en même temps tout est prévu pour leur sûreté. — Selon son habitude, la nature a fait servir un organe né dans un but spécial, celui de l’odorat à d’autres utilités. Ainsi l’organe de l’odorat sert aussi à la respiration de l’encéphale et à l’évacuation des superfluités qui sont engendrées dans ce viscère.


Nous avons terminé ce que nous avions à dire sur la tête considérée en général. Il convient maintenant d’examiner l’utilité de chacune de ses parties, en commençant par l’encéphale lui-même. Pour la substance, il ressemble beaucoup aux nerfs dont il devait être le principe, à cette seule différence près, qu’il est plus mou qu’eux, condition convenable dans un organe auquel aboutissent toutes les sensations, où naissent toutes les fantaisies de l’imagination et toutes les pensées de l’intelligence. En effet, la mobilité est une condition favorable à de pareilles fonctions et impressions ; et toujours il y a plus de mobilité dans le mou que dans le dur. C’est pourquoi l’encéphale est plus mou que les nerfs. Mais ces nerfs devant avoir une double nature, ainsi que nous le disions tout à l’heure (chap. v), l’encéphale lui-même a été créé double, plus mou à sa partie antérieure, plus dur dans l’autre partie, que les anatomistes appellent parencéphale (cervelet)[13]. Ils sont séparés par un repli de la dure méninge (tente du cervelet), et ne se rattachent qu’au niveau du conduit (voy. p. 566, note 1) situé sous le sommet de la tête et par les corps qui environnent ce conduit. Comme la partie antérieure devait être plus molle, en tant que principe des nerfs mous, lesquels vont aux sens, et que la partie postérieure devait être plus dure, en tant que principe des nerfs durs, lesquels se distribuent dans tout le corps ; comme aussi il n’était pas bon pour la sécurité qu’un nerf mou fût en contact avec un nerf dur, la nature a établi une séparation (faux) entre les deux parties de l’encéphale, et entre ces deux parties elle a placé la dure méninge (dure-mère), qui devait embrasser tout l’encéphale composé des parties sus-nommées. De plus, dans cet encéphale antérieur, les parties voisines de l’enveloppe appelée dure et épaisse méninge (dure-mère), ont été créées avec raison plus dures (couche corticale ?) ; mais la partie moyenne enveloppée par les parties superficielles (substance blanche ?) a été créée plus molle. En effet la partie extérieure, devait être prémunie contre les lésions et prédisposée pour la production des nerfs plus durs. Quant à la partie moyenne elle trouvait dans sa position même une garantie contre les lésions et était un point d’origine convenable pour les nerfs mous. En effet, le cervelet ne donne absolument naissance à aucun nerf mou ; mais la partie antérieure de l’encéphale devait nécessairement produire quelqu’un des nerfs durs, par exemple, je pense, les nerfs moteurs de l’œil. En conséquence, bien que ces derniers soient voisins des nerfs mous, ce n’est pas, comme ceux-ci, des parties profondes qu’ils tirent leur origine, mais des parties dures et superficielles. Tous les nerfs ont donc une consistance plus ferme que l’encéphale (cf. XVI, iv ; Mouvem. des muscles, I, i ; Manuel des dissect., I, xi ; cf. aussi VII, viii), non qu’ils soient formés d’une substance très-différente ; mais, bien qu’ils soient de la même nature, ils s’en distinguent par la siccité et la densité.

Les nerfs sensoriaux qui vont aux yeux sont beaucoup plus denses que l’encéphale, mais ne paraissent pas être beaucoup plus durs. Ces nerfs entre tous vous paraîtront formés de la substance de l’encéphale condensée, mais non séchée. Seuls encore ces nerfs vous sembleront renfermer en eux des conduits visibles. C’est pourquoi beaucoup d’anatomistes les appellent conduits (voy. X, xi)[14], disant qu’à la racine des yeux il vient s’insérer de l’encéphale deux conduits, un à chaque œil, et que ceux-ci venant à s’étendre et à s’aplatir, forment la tunique réticulée (rétine). Ils ajoutent encore que des nerfs se rendent aux muscles des yeux.

Quatre organes des sens se trouvant dans la tête : yeux, oreilles, nez, et langue ; tous tenant de l’encéphale le principe de la sensation et paraissant être semblables sous ce rapport, il existe chez eux une différence spécifique eu égard aux facultés sensitives elles-mêmes et aux corps (c’est-à-dire à la nature des nerfs) par lesquels ces facultés arrivent à l’organe. En effet, parmi les facultés, l’une juge les odeurs, l’autre les saveurs, celle-ci les sons, celle-là les couleurs. Quant aux routes suivies, l’une venant de chacun des ventricules de l’encéphale aboutir au nez, est une apophyse allongée qui ne diffère en rien des autres ventricules (nerf olfactif) ; celle qui conduit aux yeux (nerf optique) est un peu différente et n’est pas complétement un nerf ; celle qui mène à la langue (lingual) est complétement un nerf, mais un nerf mou ; celle qui vient aux oreilles (nerf acoustique) constitue un nerf qui n’est pas aussi mou, mais qui n’est cependant pas dur. La cinquième voie (facial ?), suivie par la faculté issue de l’encéphale, est un nerf précisément fort et dur ; aussi est-il propre au mouvement et au tact qui est le plus grossier des sens. Ce nerf est incapable de la délicatesse d’appréciation qui existe dans les autres sens.

Chacun d’eux doit absolument éprouver une modification pour que la sensation ait lieu. Mais tout sens n’est pas modifié par tout objet sensible[15]. Le brillant et le lumineux est affecté par les couleurs, l’aérien par les sons, le vaporeux par les odeurs ; en un mot, le semblable est reconnu par son semblable. Ainsi le sens en relation avec l’air ne peut être modifié par les couleurs. En effet, il faut qu’un corps soit brillant, clair et lumineux, s’il doit éprouver des couleurs, aisément et distinctement, une modification, comme cela est démontré dans les traités Sur la vision. Le trouble et le vaporeux ne peut pas non plus remplir cette fonction, ni l’humide et l’aqueux, ni le dur et le terreux ; de sorte qu’aucun sensorium, si ce n’est celui de la vue, ne sera modifié par les couleurs : car ce sens seul a un sensorium pur et brillant, l’humeur cristalline (humeur vitrée ? — voy. Dissert sur l’anat.), comme cela est également démontré dans les traités Sur la vision.

Mais maintenant cette modification resterait sans effet, si elle n’était connue du principe dirigeant, siège de l’imagination, de la mémoire et de l’entendement. C’est pourquoi l’encéphale prolonge une partie de lui-même jusqu’à l’humeur cristalline, pour connaître les impressions qu’elle reçoit. Seul aussi ce prolongement renferme avec raison un conduit sensitif, parce que seul il renferme une grande abondance de pneuma psychique.

Nous avons parlé de la substance de ce pneuma, de sa faculté et de sa génération, dans notre traité Sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (VII, iii, suiv.)[16]. Mais, comme nous l’avons déjà déclaré mille fois, nous ne faisons ici sur les fonctions aucune démonstration ; seulement, comme il est impossible de découvrir l’utilité de chacune des parties, si l’on ignore encore la fonction, c’est un point que nous avons démontré dès le principe (voy. I, viii et xvi), il devient nécessaire de rappeler les fonctions.

Ainsi donc, et pour revenir à notre sujet, le sens de la vue devant être lumineux et brillant, un pneuma abondant lui est avec raison transmis du principe, et il lui arrive de l’encéphale même un prolongement net et distinct, lequel durant tout son trajet jusqu’à l’œil, attendu qu’il doit traverser le crâne, est plus dense et plus dur, par suite du refoulement de la substance nerveuse, afin qu’il soit plus à l’abri des lésions. Dès que ce prolongement pénètre dans les cavités placées sous les sourcils, et que l’on nomme orbites de l’œil, il acquiert une extension considérable en s’aplatissant et s’amincissant ; il reprend ainsi sa nature primitive, en sorte que l’encéphale reparaît exactement en lui avec sa couleur, sa consistance, et les autres particularités que nous ferons bientôt connaître plus en détail, quand nous exposerons spécialement les utilités des parties des yeux (X, i, ii, vii ; cf. aussi Dissect. des nerfs, chap. ii ; Dogmes d’Hippocrate et de Platon, VII, ii). Présentement, nous n’avons rappelé la structure des yeux qu’autant qu’il était nécessaire pour nos explications sur les parties du cerveau. En effet, si l’encéphale n’était le point de départ et de retour de la modification survenue dans chaque sens, l’animal demeurerait encore privé de sensation. Voyez les gens frappés d’apoplexie, bien que tous leurs organes des sens soient intacts, ces organes ne leur sont plus d’aucun usage pour l’appréciation des choses sensibles. Dans les yeux, composés de membranes closes de tout côté, l’impression produite par les couleurs atteint rapidement la portion d’encéphale (rétine) qu’elles renferment. En effet, la cornée est mince, blanche, nette, pour ne pas intercepter l’impression qui la traverse. Après elle vient immédiatement l’humeur cristalline. La portion d’encéphale qui arrive aux yeux se soude à la pupille. (Voy. Dissert. sur l’anat.) On comprend maintenant pourquoi, de l’encéphale, il arrive à l’œil une substance pure ; pourquoi elle se condense en traversant le crâne ; pourquoi, en arrivant dans les orbites de l’œil, elle se ramollit en s’aplatissant ; pourquoi, seule entre toutes, elle renferme un conduit visible.

Quant aux oreilles, il fallait aussi nécessairement qu’il y parvînt un prolongement de l’encéphale pour recevoir l’impression qui arrive du dehors. Or cette impression est un bruit, un son produit par l’air frappé ou frappant peu importe, pourvu que l’on convienne que le mouvement engendré par le coup doit, avançant comme l’onde, remonter à l’encéphale. Il n’était plus possible ici, comme pour les yeux, de disposer une membrane sur les nerfs ; il en serait résulté un obstacle considérable à ce que l’air mis en mouvement vînt frapper les oreilles, surtout si le mouvement était faible, comme il arrive dans les voix débiles. Cependant on ne pouvait laisser les nerfs complétement découverts, exposés à tous les chocs des corps étrangers. Il ne fallait pas non plus, c’eût été un troisième et dernier moyen, leur donner une membrane assez rare et assez mince pour livrer à l’air entrée et passage. En effet, par ce moyen, non-seulement les nerfs auraient été lésés de beaucoup de façons, mais encore l’encéphale même aurait été refroidi.

La nature donc, sachant qu’une forte membrane garantirait, il est vrai, l’appareil contre les lésions, mais entraînerait la surdité pour le sens ; que sans membrane il serait entièrement exposé aux lésions ; qu’enfin si, à la troisième disposition, on ajoutait un emplacement fixe en vue de sa sûreté, on procurerait une protection suffisante, la nature, dis-je, a placé là un os épais et dur, et l’a percé de spirales contournées à l’instar d’un labyrinthe : par cette précaution, l’air froid, avec toute la violence que lui aurait donnée un chemin direct, vient s’émousser peu à peu, par la réfraction répétée, dans ces détours sinueux, et il n’y a ainsi qu’un danger éloigné de voir les corpuscules pénétrer jusqu’au nerf. En effet, les corps plus volumineux que le conduit, loin de le blesser, ne pourront même pas le toucher ; quant aux corps plus petits, les uns, apportés avec rapidité, avec violence et en ligne droite, viendront probablement d’abord se heurter aux spirales, et les autres qui pénètrent doucement et sans violence en s’enroulant, pour ainsi dire, dans ces spirales, devront toucher la membrane mollement et sans violence.

Non-seulement, par ces moyens, la nature a procuré aux nerfs auditifs la garantie la plus grande possible contre les lésions, mais elle n’a pas négligé de leur attribuer une structure propre, en les rendant aussi durs que possible. En effet, s’ils pussent été complétement durs, ils eussent été moins susceptibles, il est vrai, mais leur sensibilité eût été presque perdue ; au contraire, s’ils eussent été mous, comme ceux des yeux, ils auraient été très-sensibles, mais en même temps très-exposés aux lésions. Or la nature n’évite rien tant que cette disposition à être lésé, sachant qu’avec elle périt la fonction. Souvent déjà nous avons parlé de ce point. C’est pourquoi le nerf acoustique a été créé un peu plus dur qu’il ne convient à la fonction.

Pour la raison opposée, le nerf de la langue (cf. IX, viii) est plus mou (car la nature avait là, comme moyen de protection, la bouche qui l’enveloppe), bien que nous ayons placé au quatrième rang ce sens, qui ne peut distinguer ni les qualités de la lumière, ni le mouvement de l’air, ni même les exhalaisons. Du reste, la langue a reçu ce nerf tel qu’elle devait le recevoir, vu la sécurité de sa position. Quant au nerf auditif, il a été disposé plutôt pour résister aux lésions que pour bien percevoir, à cause des motifs énoncés.

Le dernier sens, celui de l’odorat, a été placé, seul entre tous, en dedans du crâne, dans les ventricules mêmes antérieurs de l’encéphale, qui renferment un pneuma vaporeux. Il fallait, en effet, que le corpuscule qui doit causer la sensation modifiât aussi une portion de l’encéphale ; il fallait encore que le sensorium fût entouré d’une membrane telle qu’elle pût le protéger et ne pas intercepter le passage des objets sensibles ; mais, pour ne pas produire cet effet, elle devait être plus rare que celle de l’ouïe, dans la même proportion que l’objet perçu par cette dernière est plus grossier que l’objet perçu par l’odorat. En effet, autant l’air est inférieur à la lumière pour la ténuité des parties, autant presque l’air le cède aux exhalaisons.

On peut aussi voir, par ce que nous observons chaque jour, combien larges doivent être nécessairement les conduits (orif. glandul.) qui percent la membrane [pituitaire ?] de cette partie. En effet, si un corps vient à obstruer les narines, comme dit Platon en quelque endroit (Timée, voy. note)[17], aucune odeur n’est tamisée à travers sa substance ; l’air seul, privé des corpuscules odorants, la traverse. Un tel fait montre évidemment que la vapeur est d’une plus forte dimension que la capacité des conduits de la membrane qui sert à opérer l’occlusion, et que la membrane du sens de l’odorat doit avoir des trous plus larges que ces conduits. C’est ce qu’on voit distinctement si l’on prend la membrane d’un animal mort, qu’on la tende dans tous les sens et qu’on la regarde au grand jour. En effet, tant qu’elle est comme dans l’état naturel, rugueuse et lâche, comme les replis retombent les uns sur les autres autour des méats, les ouvertures deviennent invisibles, mais quand ces replis sont effacés par la tension, on les découvre aisément, à moins qu’un froid excessif ou que le temps écoulé ne les ait déjà raccornis et desséchés. Si l’animal est mort récemment, le mieux est de faire cette expérience en arrosant la membrane d’eau chaude.

Une grande preuve de la porosité de la membrane olfactive, c’est l’évacuation fréquente et subite des superfluités qui coulent d’en haut : les anciens les nommaient morve et pituite (βλέννα καὶ κόρυζα), et les modernes mucus. En effet, c’est même un des artifices les plus ordinaires de la nature, de n’omettre jamais aucune des utilités ou fonctions possibles d’un organe, quand elle peut commodément en accomplir plusieurs avec un seul. Ainsi, encore dans cette circonstance, comme les ventricules de l’encéphale sont placés au-dessus de l’organe de l’odorat, et nécessairement reçoivent les superfluités qui coulent des parties environnantes, l’animal serait continuellement exposé à des apoplexies, si la nature n’avait en cet endroit ouvert un chemin propre à l’écoulement. Or il n’était pas possible d’en imaginer un meilleur que ce conduit à la fois large et incliné (méat super. ?). Ainsi les superfluités sont portées de dedans en dehors par les conduits du nez, tandis que de dehors en dedans remontent les corpuscules saisis par la faculté olfactive, et un seul organe sert à ces deux utilités, l’une nécessaire à la vie même, l’autre rendant la vie plus agréable.

Il existe deux autres conduits (voy. IX, iii, init. p. 573 et Dissert. sur l’anat.) en pente, lesquels versent par le palais, dans la bouche, les superfluités de tout l’encéphale. Quand l’animal est en parfaite santé et que la nutrition s’opère bien, ces conduits seuls suffisent. Ainsi la première utilité des conduits de l’encéphale ouverts dans les narines, utilité en vue de laquelle surtout elles existent, c’est non pas d’évacuer les superfluitês, mais d’offrir un secours surabondant à l’encéphale malade, et d’abord de juger les odeurs elles-mêmes.

Une utilité plus grande encore et nécessaire à la vie même, c’est de permettre la respiration de l’encéphale (cf. Utilité de la respirat., fragm. ; Des causes de la respir., Dissert. sur la physiol.). Ce fait, comme tout autre, n’est pas mentionné en vain par Hippocrate[18]. Donc pour toutes ces raisons et pour celles que nous allons énoncer, l’odorat est le seul des sens logé dans l’encéphale même.

Comme la membrane de ce sens devait être percée de trous nombreux et larges pour transmettre facilement à l’encéphale l’air en vue de la respiration, les exhalaisons en vue de l’appréciation des odeurs, enfin pour expulser subitement, s’il en était besoin, la masse des superfluités, et comme il résultait nécessairement d’une semblable structure une grande susceptibilité pour la membrane même, un grand inconvénient pour l’encéphale, le plus important des viscères, la nature a placé au-dessous un os percé de diverses façons, comme une éponge (ethmoïde), pour prévenir du dehors l’irruption d’un corps dur, et pour empêcher, quand nous respirons, l’air froid de pénétrer immédiatement dans les ventricules du cerveau ; car nous ne devions pas toujours respirer un air modérément froid, il pouvait, au contraire, être excessivement froid. Si donc, dans cette circonstance, il se fût jeté en droite ligne sur l’encéphale, il l’eût refroidi outre mesure, et eût mis en péril la vie même.


Chapitre vii. — Les trois fonctions que remplit l’organe de l’odorat, se rendent de mutuels services grâce à l’heureuse disposition des parties : les os ethmoïdes sont créés pour la sûreté de l’encéphale ; mais leur structure même aurait gêné l’odorat, si l’encéphale, en aspirant et en expirant n’eût altéré l’air et expulsé les superfluités ; à son tour, l’odorat, en percevant les odeurs, nous avertit si l’air que respire l’encéphale est sain ou nuisible.


Mais ces os troués et caverneux établis au-devant des membranes et appelés ethmoïdes par les anatomistes ont été créés pour prévenir un semblable accident. Il serait mieux de ne pas nommer ces os ethmoïdes, mais plutôt spongoïdes, d’après la comparaison faite par Hippocrate[19]. En effet leurs trous sont variés comme ceux des éponges, et ils ne sont pas percés en ligne droite comme dans les cribles. La dure-mère, il est vrai, qui recouvre l’encéphale, est percée comme un crible, mais les os placés devant elle sont percés d’une façon plus variée, et comme les éponges ; les trous [de la dure-mère et de l’os ethmoïde] ne se correspondent pas en ligne droite, et ne sont pas entièrement droits ; il en est de droits, mais la plupart sont obliques et tortueux à la fois, en sorte qu’un long trajet, un long circuit doit être parcouru d’abord par tout corps qui, les traversant, s’achemine vers l’encéphale. Cette disposition apporte, ce me semble, une nouvelle preuve de la grande sagesse du Créateur des animaux.

Précédemment nous l’avons loué de ce que souvent il rend un seul organe propre à plusieurs fonctions. Maintenant nous avons quelque chose de plus à démontrer, c’est que ces fonctions sont l’une pour l’autre d’une utilité non médiocre. En effet une fois que ces remparts semblables à des éponges ont été établis pour la sûreté de l’encéphale, l’organe de l’olfaction courait risque avec eux de se trouver incomplet, s’il n’eût obtenu encore le moyen de respirer.

En effet, aucune substance ne peut traverser aisément les corps spongieux par la seule impulsion qui lui est propre. Souvent l’eau même qu’ils renferment[20], et qui de sa nature tend perpétuellement en bas et s’écoule de ce côté, ne laisse cependant pas tomber une goutte, bien que dans les instruments percés comme des cribles elle s’échappe rapidement. En sens inverse, si des vapeurs arrivent au-dessous de l’os ethmoïde, cet os spongieux arrête leur passage, tandis que les corps percés comme un crible les laissent monter. En effet ceux-ci rompent seulement la continuité des substances, mais les corps spongieux les arrêtent dans leur mouvement propre. Aussi pour qu’un semblable corps laisse tomber rapidement son contenu, il faut, ou le comprimer de tous côtés, comme les mains pressent une éponge, ou attirer vivement ce contenu, comme vous faites en suçant avec vos lèvres, ou bien lui imprimer une impulsion brusque en arrière, comme lorsqu’on souffle dans les instruments de cette nature pour les déboucher.

Dans ces os spongieux, la fonction de l’inspiration et de l’expiration s’exécutera bien. L’une a lieu quand l’encéphale attire l’air intérieurement, l’autre quand il le chasse au dehors. En effet les superfluités ne pouvaient être rejetées si elles ne filtraient longtemps et peu à peu, et l’ascension des principes odorants n’aurait absolument pas lieu si les retards du passage leur permettaient de se rassembler, de se confondre, de s’unir, et de retourner à leur ancienne nature, qu’ils ont perdue en s’atténuant. Mais dans l’état actuel, grâce à la combinaison des fonctions, l’appréciation des odeurs a lieu avec l’inspiration, et l’expulsion des matières avec l’expiration. Or dans ces fonctions la force avec laquelle l’air est apporté entraîne beaucoup de particules qui, par leur propre mouvement, n’auraient pu passer. D’un autre côté l’appréciation des odeurs n’est pas médiocrement utile à la respiration même en ne laissant pas s’introduire à notre insu les vapeurs pernicieuses avec l’air pur. Le sens incommodé par elles nous force, en effet, soit à les fuir au plus tôt, soit à porter à notre nez un corps qui arrête les vapeurs en donnant passage à l’air.

Pour débarrasser les conduits olfactifs, parfois obstrués par des matières visqueuses et épaisses, on ne pouvait concevoir une disposition meilleure que la disposition actuelle. Créés, en effet, non-seulement comme organes d’olfaction, mais aussi de respiration, ils sont doublement purifiés et par l’air qui entre et par l’air qui sort. S’ils venaient à être obstrués trop fortement pour être débarrassés par des courants d’air moyens et ordinaires, nous aurions recours à l’action dite de souffler (ἐκφύσησις), qui est une expiration brusque[21], et, par la violence des mouvements, nous expulserions toute la matière fortement enclavée.

Ainsi ce n’est pas un échange de services médiocres ni vulgaires qui se produit mutuellement entre les fonctions et les utilités nombreuses créées à la fois aux extrémités des ventricules antérieurs. C’est pour que l’animal vive et vive plus agréablement que la nature a imaginé cette réciprocité ; il résulte encore un grand avantage de ce qu’il n’est pas besoin d’autant d’organes qu’il existe d’utilités, et que souvent un seul organe suffit à des fonctions et à des utilités nombreuses.

Chapitre i. — La pie-mère, à l’instar du chorion et du mésentère, relie tous les vaisseaux (veines et artères) de l’encéphale, de plus, elle maintient l’encéphale lui même et l’empêche de s’affaisser et de s’étaler. Galien établit cette dernière proposition en montrant que l’encéphale s’affaisse très-aisément chez un animal mort, tandis qu’il devrait être, selon lui, plus dur que chez un animal vivant.


Ainsi la pie-mère affermit l’encéphale en même temps qu’elle le recouvre, et de plus elle relie encore tous les vaisseaux qu’il renferme. Tel est aussi le chorion dans le fœtus, et le mésentère. En effet, l’une et l’autre membrane est composée de veines et d’artères nombreuses situées l’une près de l’autre, et d’une membrane mince qui relie les parties intermédiaires. De même la pie-mère rattache toutes les artères et les veines de l’encéphale, afin qu’elles ne s’entre-croisent ni ne s’entremêlent, et que dans les mouvements elles ne s’écartent pas de leur place, leur base étant peu stable, puisqu’elles reposent sur un corps si humide, si mou et presque fluide (c’est-à-dire sur l’encéphale). C’est pourquoi non-seulement elle embrasse l’encéphale, mais encore s’introduit dans ses profondeurs, le traverse en tous sens, s’insinue dans toutes ses anfractuosités, s’étendant avec les vaisseaux jusque dans la cavité des ventricules.

À ce propos, j’ignore pourquoi la plupart des anatomistes[22], encore mal éveillés, sans doute, appellent plexus et replis choroïdiens, la portion de la pie-mère qui tapisse intérieurement les ventricules, et refusent pour les autres parties et de les comparer au chorion, et de les nommer de même. Pour nous, nous savons et nous démontrons que sa nature et son utilité est identique à celle du chorion et du mésentère. Nous disons que ces dernières membranes relient les artères et les veines, et que la pie-mère, indépendamment de ces vaisseaux, relie encore tout l’encéphale.

Une grande et nouvelle preuve que l’encéphale est contenu et resserré par la pie-mère, est la suivante : Prenez un animal quelconque (il vaut mieux en choisir un gros), mettez à nu l’encéphale sur toutes ses faces, encore retenu et adhérent par la base ; commencez à en détacher la pie-mère, et vous verrez à l’instant chacune des parties dépouillées se rejeter et se répandre au dehors ; quand il sera dénudé, d’arrondi et de périphérique qu’il était, il s’élargit sur toutes les faces, ses parties les plus élevées retombant et s’écoulant sur les côtés. Cependant déjà, comme vous expérimentez sur un animal mort, une grande partie du pneuma psychique et des vapeurs s’est échappée, toute la chaleur naturelle l’a abandonné, tout ce qu’il renfermait de sang, de phlegme ou d’autre humeur s’est coagulé par le froid, en sorte que toutes ces causes réunies ont durci et refroidi l’encéphale. Et même alors, on voit clairement qu’il a besoin d’être serré et contenu par la membrane choroïde[23]. Comment, quand l’animal est en vie, n’en aurait-il pas bien plutôt encore besoin ? En effet, possédant cette membrane comme enveloppe naturelle, il en avait bien plutôt besoin, lorsqu’il était encore humide et mou, que dans l’état où on le voit sur l’animal déjà mort.


Chapitre ix. — La dure-mère défend l’encéphale des atteintes du crâne, et, à son tour, la pie-mère protège l’encéphale contre la pression qu’il aurait à subir de la dure-mère. Ainsi la nature a établi une merveilleuse transition entre la substance absolument dure du crâne et la substance absolument molle du cerveau.


La dure-mère est aussi une enveloppe de l’encéphale, ou plutôt ce n’est pas simplement enveloppe qu’il faut l’appeler, mais rempart protecteur qui prévient les chocs de l’encéphale contre le crâne. Pour la pie-mère, c’est véritablement l’enveloppe adhérente de l’encéphale. En effet, la dure-mère est séparée de lui, ne s’y rattachant que par les vaisseaux qui la traversent ; si la nature n’avait pas établi entre eux la pie-mère, le voisinage de la dure-mère avec l’encéphale n’eût pas été exempt d’inconvénient. Platon[24], à propos de la terre et du feu, dit que comme ces deux éléments étaient d’une nature opposée, un Dieu plaça entre eux l’eau et l’air ; de même je puis dire que l’encéphale et le crâne étant de substances contraires, la nature établit entre eux les deux membranes, ne se bornant pas à les rattacher seulement par un seul lien de bon voisinage. En effet, un véritable milieu n’est pas milieu seulement par sa position, mais par sa nature. Or un milieu par nature est celui qui est à distance égale des extrêmes.

Les deux membranes ne différaient pas également de l’encéphale et du crâne. Ainsi la pie-mère tenait moins de la dureté de l’os que de la mollesse de l’encéphale. En revanche, la dure-mère était beaucoup plus dure que l’encéphale, et était un peu plus molle qu’un os. Si donc la nature eût créé seulement la pie-mère, les rapports de cette dernière membrane avec le crâne n’eussent pas été exempts de danger. Si la nature eût créé seulement la dure-mère, dans ce cas c’était l’encéphale même qui était exposé. En conséquence, pour que ni l’encéphale ni son enveloppe n’éprouvassent de lésion, la pie-mère a été établie la première, et sur elle la dure-mère, plus molle qu’un os dans la même proportion qu’elle est plus dure que la pie-mère. Celle-ci, de son côté, est plus molle que la dure-mère, dans la même proportion que l’encéphale est plus mou qu’elle-même.

La nature employant donc deux milieux, tout différents qu’ils sont de propriétés, a établi l’un près de l’autre sans danger le crâne et l’encéphale. Ainsi la membrane choroïde est l’enveloppe adhérente de l’encéphale, comme la peau est celle de l’animal. La dure-mère n’est pas une enveloppe adhérente à celle-ci, bien qu’en beaucoup de points elle soit unie avec elle. Cette dernière, à son tour est recouverte comme d’un casque par un os superposé extérieurement, que l’on nomme petit casque (κρανίον, crâne). Aucune de ces dispositions n’a été négligée par la nature.

Comme les bons ouvriers, qui, ne pouvant forger le casque adhérent à la tête, et qui veulent néanmoins que le casque la presse solidement sur toutes ses faces, préparent des attaches convenables aux endroits opportuns, et ainsi l’adaptent avec tant de précision qu’il semble ne le céder en rien à un casque naturel : de même la nature ne pouvant, à cause de la différence originelle des substances, ajuster de tous points la membrane au crâne, bien que cela fût utile, a inventé le seul expédient possible pour sa sûreté, imaginant plus de liens que Vulcain n’en a forgé. Ceux-ci ne pouvaient qu’attacher ; ceux-là, outre cet usage, en offraient d’autres encore plus importants.

Quels sont donc ces ligaments (adhér. de la dure-mère au niveau des sutures) ? comment s’attachent-ils autour du crâne ? comment le rattachent-ils à la dure-mère, et quelles autres utilités présentent-ils aux animaux ?

Les ligaments, minces membranes, naissent de la méninge même ; les sutures de la tête sont les chemins qu’ils suivent pour en sortir. Tendus chacun dans la direction de la région dont il est issu, ils se rencontrent les uns les autres au fur et à mesure qu’ils avancent, se relient, se rattachent, s’unissent complétement et, par leur réunion, engendrent une membrane commune nommée péricrâne. Que cette membrane rattache la dure-mère au crâne, même avant de le voir dans une dissection, la raison vous l’indique. Ce n’est pas maintenant le moment de dire quelles autres utilités elle offre aux animaux. (Cf. IX, i et xvii.) Déjà comme un cheval emporté, oubliant la borne, notre discours a franchi les limites convenables[25]. Revenant sur mes traces, je retourne à l’encéphale, d’où m’a écarté la suite des raisonnements tandis qu’aux explications, de la pie-mère je rattachais celles de la dure-mère, et à ces dernières celles du crâne et du péricrâne.

Chapitre x. — Utilités de l’existence de deux ventricules du cerveau. — L’utilité que Galien développe dans ce chapitre, c’est que si l’un des deux ventricules est lésé, l’autre le supplée. — Fait pathologique qui le prouve.


Maintenant nous traiterons d’abord des ventricules de l’encéphale, de la grandeur et de la position de chacun d’eux, de leur forme, de leurs communications entre eux, de leur nombre, puis des parties qui leur sont superposées ou qui les avoisinent. Les deux ventricules antérieurs (ventricules latéraux) opèrent l’inspiration, l’expiration et l’exsufflation de l’encéphale. Nous avons ailleurs démontré ces faits (Utilité de la respiration, I, v). Nous avons aussi démontré qu’ils préparent et élaborent pour lui le pneuma psychique[26]. De plus, nous avons dit tout à l’heure (chap. vii) que par leurs parties inférieures (lisez antérieures) qui communiquent avec les narines, ils sont à la fois un organe, de l’odorat, et un canal destiné à l’écoulement des superfluités.

Il était mieux qu’il existât deux ventricules et non pas un seul, attendu que l’ouverture inférieure a été créée double, que tous les organes des sens sont doubles, que l’encéphale lui-même est double. Cette gémination présente encore une autre utilité dont nous parlerons quand nous arriverons aux organes des sensations (IX, viii ; X, i ; XI, x). Mais la première utilité la plus générale des organes doubles, c’est que si l’un vient à être lésé, l’autre le supplée dans son office.

Nous avons été témoin à Smyrne, dans l’Ionie, d’un fait merveilleux : nous avons vu un jeune homme, blessé à l’un des ventricules antérieurs, survivre à cet accident, à ce qu’il semblait, par la volonté d’un Dieu. Il est certain qu’il n’eût pas survécu un instant si tous deux eussent été blessés à la fois. De même, si en laissant de côté les blessures, quelque mal survient à l’un d’eux, l’autre n’étant pas affecté, l’animal sera moins attaqué dans son existence que si tous les deux étaient à la fois malades. Or s’il existe deux ventricules et que tous deux soient atteints, c’est la même chose que si un seul existant dès le principe, ce ventricule unique est affecté. L’existence d’un organe double est donc, quand elle est possible, une garantie plus sûre que celle d’un organe simple. Mais cela n’est pas possible dans tous les cas. Ainsi l’existence de deux rachis sur un seul animal était complètement impossible ; par conséquent celle de deux moelles épinières ; par conséquent encore, il ne pouvait y avoir une double cavité dans le cervelet, puisque c’est de lui que sort la moelle épinière.


Chapitre xi. — Du nom du cervelet. — Utilité propre des diverses cavités ou ventricules de l’encéphale. — Du ventricule du cervelet, quatrième ventricule en particulier (quatrième des modernes). — Utilité de la réunion des deux ventricules antérieurs à un canal commun. — Utilité de la voûte du cerveau ; que son nom est en rapport avec cette utilité.


Comme tous les nerfs du corps qui se distribuent dans les parties inférieures à la tête doivent dériver ou du parencéphale (cervelet), ou de la moelle épinière, ce ventricule du cervelet (quatrième des modernes) doit être d’une grandeur considérable et recevoir le pneuma psychique élaboré dans les ventricules antérieurs ; il était donc nécessaire qu’il existât un canal (voy. p. 566, note 1) entre eux et lui. En effet, le ventricule paraît grand ; et le canal qui des ventricules antérieurs vient y déboucher, est fort grand aussi. Ce canal seul offre une communication du parencéphale avec l’encéphale. Tels sont en effet les noms qu’Hérophile[27] donne habituellement à l’une et à l’autre partie, appliquant par excellence à la partie antérieure, à cause de sa grandeur, la dénomination du tout.

L’encéphale étant double comme il a été dit, chacune de ses parties est beaucoup plus considérable que tout le parencéphale, mais la partie antérieure s’étant emparée du nom général, il n’était pas possible de trouver pour le parencéphale un nom plus convenable que celui qu’il porte. D’autres pourtant ne lui donnent pas ce nom, mais l’appellent encranis et encrane. Il ne faut pas les blâmer, si en vue d’un enseignement clair, ils ont créé quelque dénomination, quoique dans la vie beaucoup de choses soient désignées par excellence (κατ᾽ἐξοχήν), eu égard à leur grandeur, leur puissance, leur mérite ou leur valeur.

Dans l’état actuel, l’encéphale séparé du parencéphale, comme il a été dit précédemment, par le repli de la dure-mère (tente du cervelet), ayant besoin de lui être rattaché, du moins en un point, pour engendrer le susdit canal, a fait d’abord aboutir ses deux ventricules à un même endroit. C’est, au dire de certains anatomistes, le quatrième ventricule de tout l’encéphale. Il en est qui l’appellent ouverture des deux ventricules ; ils prétendent qu’on ne doit pas le considérer comme un ventricule particulier. Pour moi, qu’on regarde cette cavité comme commune aux deux ventricules, ou comme un troisième ventricule ajouté aux deux autres, je pense qu’il n’en résulte pour la suite des explications ni avantage, ni inconvénient.

Je veux me rendre compte de la jonction au même point des ventricules antérieurs : la cause en est la génération même du canal qui les rattache au parencéphale. En effet ce canal, issu de ce ventricule et recevant le pneuma qu’il renferme, le transmet au parencéphale. Quant à la partie de l’encéphale située au-dessus de la cavité commune, et modelée comme la cavité d’une sphère creuse, à l’instar du toit d’une maison, il semble qu’on a eu raison de l’appeler corps voûté cintré (voûte à trois piliers), attendu que les parties semblables des habitations sont habituellement appelées par les architectes voûtes et cintres. Ceux qui la considèrent comme un quatrième ventricule, prétendent que c’est le plus important de tous ceux de l’encéphale entier. Toutefois Hérophile paraît regarder comme plus important, non pas ce ventricule, mais celui du cervelet (quatrième des mod.). Pour nous, nous avons suffisamment déclaré, dans les Commentaires sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (VII, iii)[28], quelle opinion il faut avoir à ce sujet. Ici, nous nous bornerons à exposer seulement les utilités ; nous ne les exposerons même pas toutes avec démonstration ; pour toutes celles qui sont une conséquence nécessaire des principes démontrés dans cet ouvrage, nous les adopterons comme prouvées, en rappelant seulement les principes dont elles émanent.

L’utilité de ce corps voûté (ψαλιδοειδές) ne doit pas être réputée autre que celle des voûtes mêmes qui existent dans les maisons. De même, en effet, que ces voûtes sont plus propres que toute autre figure à porter le fardeau superposé, de même celle-ci soutient sans inconvénient toute la partie de l’encéphale qui pèse sur elle ; car un corps sphérique est sur tous ses points exactement semblable à lui-même, par conséquent c’est, de toutes les figures, la moins susceptible de lésion et en outre la plus grande de toutes celles qui ont un périmètre égal (cf. I, xi, xiv ; III, viii ; IV, vii ; VII, vii ; XI, xii). Ce n’est pas là un médiocre avantage pour les vaisseaux, les conduits, les ventricules et toutes les cavités engendrées pour recevoir quelques substances. En effet, de ces corps les plus excellents sont ceux qui, avec des dimensions moindres, ont la plus grande capacité.

Le canal (voy. p. 566, note 1) établi entre le ventricule qui s’étend sous le corps voûté et le ventricule du cervelet, vous permet de calculer les utilités mêmes de cette forme. En effet, le corps arrondi est le moins exposé aux lésions, et celui dont la capacité est la plus grande, le plus propre à supporter un fardeau. Il en est de même de tous les canaux qui parcourent le corps entier, de toutes les artères et veines et de toutes les cavités. En effet, tous sont sphériques, mais, à cause des apophyses, des épiphyses et des anastomoses mutuelles, l’exactitude de la sphère est détruite ; toutefois la figure demeure toujours arrondie[29]. Du reste, si vous examinez le centre même d’une cavité quelconque, vous trouverez que c’est là la portion la plus arrondie, parce que, n’étant pas encore altérée par les apophyses, elle conserve la forme naturelle à la figure. De même, si, par hypothèse, vous enlevez des ventricules antérieurs mêmes la voûte de la cavité centrale et les apophyses qui descendent vers le nez (nerfs olfactifs), et celles aussi qui se dirigent vers les parties latérales et inférieures (étage infér. des ventr. latéraux ?)[30], sur les utilités desquelles nous reviendrons, vous trouverez exactement sphérique l’espace qui reste. De même encore, si du ventricule postérieur du cervelet (quatrième ventricule), vous enlevez le lieu (extrém. ant. du quatrième ventr.) où s’insère le susdit canal (voy. p. 566, note 1) et son prolongement vers la moelle épinière, (région du calamus scriptorius ?) vous le trouverez également sphérique.


Chapitre xii. — Que la capacité des ventricules est en rapport avec les matières qu’ils contiennent. — Comme les parties postérieures du cerveau et le cervelet sont suffisamment durs par eux-mêmes, ils n’ont pas besoin que la pie-mère s’y enfonce pour les soutenir. — Réfutation de l’opinion de Praxagore et de Philotime qui regardent l’encéphale comme un épanouissement de la moelle et de certains anatomistes, suivant qui, le crâne est le moule du cerveau.


Il suffit de ces remarques sur la forme de ces cavités. Quant à leur étendue, non-seulement dans l’encéphale, mais dans toutes les parties du corps, celles qui reçoivent des substances plus épaisses sont, avec raison, plus grandes ; et moins grandes sont celles qui reçoivent des substances où les facultés prédominent pour ainsi dire sur la substance. Dans chacune des matières, en effet, il existe beaucoup de superfluités ; une fois que celles-ci sont séparées et expulsées et que la partie utile a été pourvue de la propriété convenable, on dirait avec raison que le Créateur a atteint le but qu’il se proposait. C’est pourquoi le ventricule du cervelet (quatrième des mod.) a été naturellement créé moins grand que les ventricules antérieurs. Si on regarde la région commune (ventricule moyen) à ces ventricules, comme un quatrième ventricule de l’encéphale, on trouvera que le ventricule du cervelet est plus petit que ce dernier.

La membrane choroïde (prolongement de la pie-mère) qui, disions-nous (chap. viii), tapisse intérieurement les ventricules arrive jusqu’à la cavité du corps voûté (ventricule moyen). Les corps qui viennent à la suite et qui environnent le conduit ont déjà une consistance trop ferme pour avoir besoin de tunique. Il en est de même de ceux qui entourent tout le ventricule postérieur (vermis infér. et pédonc. du cervel.). En effet, nous avons dit précédemment (chap. vi, p. 541-2), que le cervelet tout entier dépasse de beaucoup en dureté l’encéphale.

À ce propos, je m’étonne quand je considère, non-seulement l’absurdité des dogmes de Praxagore et de Philotime[31], mais encore leur ignorance des faits démontrés par les dissections. Ils regardent, en effet, l’encéphale comme une sorte d’excroissance, de rejeton de la moelle épinière, et prétendent conséquemment qu’il est formé de longues circonvolutions ; cependant, le parencéphale, tout en étant le corps qui touche à la moelle épinière, participerait peu à une pareille structure, tandis que l’encéphale antérieur la montre à un degré très-prononcé et très-évident. En outre, erreur plus grave, ils ignorent que la moelle épinière fait suite seulement aux parties situées à la base de l’encéphale, lesquelles sont les seules parties dépourvues de circonvolutions, car, étant dures, elles possèdent par elles-mêmes une assiette solide et n’ont aucun besoin que la pie-mère les tapisse et les consolide. C’est ainsi que des hommes de mérite s’abaissent nécessairement lorsque, ayant dédaigné la vérité, ils s’obstinent à soutenir les opinions qu’ils ont établies a priori.

De même encore, ceux qui prétendent que le crâne est le moule de l’ encéphale, paraissent ignorer qu’il existe un espace entre l’encéphale et la dure-mère (cavité de l’arachn.), et que cette dernière, si elle est en contact avec le crâne, n’y adhère pas ; ils ne savent même pas non plus ni que la dure-mère devait être modelée d’abord, ni que le crâne lui-même est tel[32].

Chapitre xiii. — La pie-mère ne se comporte pas avec le cervelet comme avec le cerveau. — Différence de structure entre ces deux parties de l’encéphale. - Érasistrate a insisté avec raison sur cette différence, mais il a eu tort de croire que l’intelligence est d’autant plus développée que les circonvolutions de l’encéphale sont plus nombreuses.


Arrivé à ce point du discours, il ne faut pas laisser sans explication la forme du cervelet. Ce n’est pas de grandes circonvolutions séparées par la pie-mère, comme l’encéphale, qu’il est composé, mais de corps nombreux, de corps très-petits autrement disposés que dans celui-ci. En effet, si le pneuma psychique est renfermé dans toute la substance de l’encéphale et non pas dans ses ventricules seulement, comme nous l’avons démontré ailleurs (Dogmes d’Hipp. et de Platon, VII, iii), il faut croire que, dans le cervelet qui devait être le principe des nerfs du corps entier, ce pneuma se trouve en très-grande abondance et que les régions intermédiaires qui en relient les parties sont les chemins de ce pneuma.

Érasistrate démontre très-bien que l’épencranis (il nomme ainsi le parencéphale, voy. p. 558, note 1) est d’une composition plus variée que l’encéphale ; mais quand il prétend que l’épencranis, et avec lui l’encéphale, est plus complexe chez l’homme que dans les autres animaux, parce que ces derniers n’ont pas une intelligence comme l’homme, il ne me paraît plus raisonner juste, puisque les ânes mêmes ont un encéphale très-compliqué, tandis que leur caractère imbécile exigerait un encéphale tout à fait simple et sans variété. Il vaut mieux croire que l’intelligence résulte du bon tempérament du corps chargé de penser, quel que soit ce corps, et non de la variété de sa composition. Il me semble, en effet, que c’est moins à l’abondance qu’à la qualité du pneuma psychique qu’il faut rapporter la perfection de la pensée. Mais maintenant, si quelqu’un ne vient pour ainsi dire mettre un frein à ce discours, il va s’attaquer à des sujets plus hauts que ceux qu’il se propose, il se laissera entraîner à des digressions ; pourtant, se garder absolument de parler de la substance de l’âme quand on explique la structure du corps qui le renferme, est chose impossible ; mais, si cela est impossible, il est possible aussi de se détourner promptement d’un sujet sur lequel on ne doit pas insister.

Chapitre xiv. — Situation, forme, substance et utilité du conarium. Comme toutes les glandes, cette partie sert de soutien aux divisions des vaisseaux, et n’est pas le portier du pneuma-psychique. — Cette dernière fonction est justement dévolue à l’apophyse vermiforme. — Description de cette apophyse. — Rapport admirable de sa forme, de ses dimensions, de sa structure, de sa consistance avec les fonctions qu’elle a à remplir. — De ses connexions avec les cuisses et les testicules du cerveau.


Revenant aux parties qui viennent après le ventricule moyen, considérons le corps situé à l’entrée du canal (voy. p. 566, note 1), corps qui relie ce ventricule au cervelet, appelé conarium (glande pinéale) par ceux qui s’occupent de dissections, et cherchons en vue de quelle utilité ce corps a été créé. Par sa substance, c’est une glande ; par sa figure, il est très-semblable à une pomme de pin, d’où lui vient son nom.

Quelques-uns pensent que son utilité est la même que celle du pylore. Ils disent en effet que le pylore est une glande et qu’il empêche l’aliment de passer de l’estomac dans l’intestin grêle avant d’être élaboré. Ils prétendent que le conarium, situé à l’entrée du canal (voy. p. 566, note 1) qui du ventricule moyen transmet le pneuma dans le ventricule du cervelet, est le surveillant et comme l’économe qui décide de la quantité de pneuma qui doit être transmis. Pour moi, j’ai dit précédemment (IV, vii, p. 290) quelle opinion il faut avoir sur le pylore de l’estomac. Quant à cette glande conoïde qui ressemble à une pomme de pin et qui remplit la bifurcation de la grande veine (veines de Galien), d’où dérivent presque tous les plexus choroïdes des ventricules antérieurs, je crois qu’elle existe en vue de la même utilité que les glandes chargées de consolider les bifurcations des veines. En effet, la position du conarium est, sous tous les rapports, la même que celle des glandes analogues dont le sommet soutient les parties de la veine à l’endroit où elle se bifurque, tandis que tout le reste de la glande devient plus volumineux à mesure que s’éloignent les vaisseaux issus de la bifurcation, et les accompagne aussi longtemps qu’ils restent suspendus. Aussitôt que ces veines appuient sur le corps de l’encéphale même, le conarium les abandonne. Le corps de l’encéphale devient en cet endroit un appui pour le conarium lui-même et en même temps pour les veines.

Mais penser que ce conarium règle le passage de l’esprit, c’est méconnaître la fonction de l’apophyse vermiforme (vermis inferior du cervelet)[33], et attribuer à une glande plus d’importance qu’il n’est juste. En effet, si elle faisait partie de l’encéphale même, comme le pylore fait partie de l’estomac, elle pourrait, obéissant aux contractions et aux dilatations de cet encéphale, en vertu de sa position favorable, ouvrir et fermer tour à tour le conduit. Comme cette glande, au contraire, ne fait en aucune façon partie de l’encéphale, et n’est pas rattachée à l’intérieur du ventricule, mais qu’elle s’y attache extérieurement, comment pourrait-elle avoir une action si puissante sur le conduit quand elle ne se meut pas par elle-même ? Qui empêche, dira-t-on peut-être, qu’elle n’ait un mouvement propre ? Une seule chose : c’est qu’à ce compte, la glande tiendrait à nos yeux le rang d’encéphale, et que l’encéphale lui-même serait seulement un corps divisé par de nombreux canaux comme un organe propre à obéir à celui qui naturellement peut se mouvoir. Ce sont là, qu’est-il besoin de le dire, les suppositions d’un esprit ignorant et qui refuse de s’instruire.

Quand on imagine, en effet, qu’il doit nécessairement exister près du canal du cerveau une partie propre à surveiller et à régler l’entrée de l’esprit ; cette partie qu’on ne peut découvrir, ce n’est pas le conarium, mais cette apophyse semblable à un ver qui s’étend dans tout le conduit. Les anatomistes habiles lui donnant un nom tiré de sa seule figure, l’appellent apophyse vermiculaire.

Voici quelles sont sa situation, sa nature et ses relations avec les parties voisines. De chaque côté du conduit, il existe des éminences minces et allongées de l’encéphale appelées fesses (tuberc. quadrijumeaux). Leur jonction ne peut mieux se comparer qu’aux cuisses d’un homme qui se touchent l’une l’autre [par leur partie supérieure]. Il en est qui, les comparant aux testicules, aiment mieux les appeler testicules que fesses. Quelques-uns nomment testicules les corps (nates des mod. ou tuberc. quadrij. ant.) qui sont en rapport avec le conarium, et fesses les corps situés en arrière de ceux-ci (testes ou tub. quadr. postér.). Les parties gauches et droites du canal[34] appartiennent à ces corps mêmes ; les parties supérieures sont recouvertes par une membrane mince, assez forte cependant, qui se rattache aux fesses de chaque côté ; la membrane qui s’étend jusqu’au ventricule postérieur est l’extrémité inférieure de l’épiphyse vermiculaire (arachnoïde et débris de la valvule de Vieussens) laquelle ne ressemble en rien aux testicules et aux fesses. En effet, l’épiphyse présente des articulations de diverses formes, tandis que les fesses et les testicules sont semblables dans toutes leurs parties et n’ont pas une composition variée.

Outre qu’elle a des articulations de diverses formes et paraît se composer de parties très-nombreuses rattachées par de minces membranes, l’épiphyse vermiculaire offre encore une particularité : son extrémité, située dans le ventricule postérieur (celui du cervel.) à l’endroit où elle aboutit, disions-nous, à la membrane superposée, est convexe et mince. À partir de cet endroit, elle augmente en volume, s’élargit et a presque la surface supérieure égale à l’intervalle des fesses. Par là, en s’allongeant sur le canal, elle le bouche complètement, et quand elle se replie en arrière, elle tire en même temps la membrane (valvule de Vieussens ?) qui adhère à ses parties convexes et rouvre le conduit dans la même proportion qu’elle recule. En effet, comme elle s’arrondit en se repliant et se contracte sur elle-même, autant elle perd en longueur, autant elle gagne en largeur. Ainsi naturellement, si elle se replie peu, comme elle ne s’élargit que peu aussi, ses extrémités inférieures ne peuvent pénétrer que dans les parties si étroites de la base du conduit ; si sa contraction est plus forte, et que sa largeur par conséquent augmente, l’ouverture du conduit s’agrandira et ira toujours en croissant à mesure que diminue la convexité qui doit y entrer.

Aucune de ces choses n’eût eu lieu convenablement si la nature avait fait l’apophyse même de très-peu plus épaisse ou plus mince qu’elle n’est. Plus épaisse, en effet, elle n’aurait pas fermé complétement le conduit, puisque avec ses parties les plus minces, elle n’aurait pu atteindre les parties les plus étroites de celui-ci. Plus mince, non-seulement elle n’aurait pas fermé complétement le conduit, mais elle ne l’aurait pas même ouvert convenablement. En effet, pendant qu’il se fermerait, il s’échapperait une partie du pneuma, toute la largeur du conduit n’étant pas occupée, à came du peu d’épaisseur de l’épiphyse. Pour s’ouvrir, il faudrait auparavant qu’il s’opérât une rétraction considérable, ou bien les extrémités convexes ne se relèveraient pas et ne s’écarteraient pas de la base du conduit.

Or, si avec une épiphyse vermiculaire un peu plus épaisse, ou plus mince, le conduit ne pourrait s’ouvrir que d’une manière démesurée ou incommode, que faudrait-il attendre si elle dépassait de beaucoup sa consistance actuelle. Est-ce que l’harmonie générale ne serait pas complètement bouleversée et détruite ? Vous ne sauriez trouver de combinaison artistique plus achevée et plus brillante que celle dont la précision est telle, que la moindre substitution en détruirait l’ensemble. En effet, si vous pouvez enlever ou ajouter beaucoup de pièces à un appareil, et que toute son utilité subsiste encore, l’artisan n’a pas besoin d’une habileté suprême. Les œuvres au contraire où la plus petite omission entraîne la destruction du tout, vous offrent le modèle d’un art consommé. Mais si un défaut dans la masse seulement de l’épiphyse [vermiculaire] détruisait la valeur de l’œuvre, tandis que le reste de l’œuvre reste intact et ne petit être ni très-utile, ni très-préjudiciable, peut-être attribuerait-on cet accident non moins à la fortune qu’à l’art.

Mais puisque ce qu’on observe à propos des dimensions de l’épiphyse vermiforme se voit aussi dans toutes les autres parties, (en effet, tout autre changement d’arrangement nuira à la fonction, ainsi que nous le démontrerons immédiatement), comment ne serait-on pas ridicule en venant nier l’art de la nature ? En effet, les fesses sont assez élevées au-dessus du canal (voy. p. 566, note 1) pour porter l’épiphyse repliée sur elles, et si l’ensemble du conduit a été créé allongé, c’est pour qu’il jouisse d’une grande variété de mouvement : c’est l’utilité même que présentent les parties composées de corps nombreux et petits. En effet, pour qu’une différence considérable en plus ou en moins existe dans le mouvement, la nature l’a créé capable d’avoir plusieurs replis et flexions. Comme toutes ces dispositions devaient lui donner un mouvement facile et varié, et qu’il était à craindre que portée sur la partie convexe des fesses elle n’en glissât et n’abandonnât le conduit, la nature a imaginé de l’attacher aux fesses par des ligaments que les habiles en anatomie nomment tendons (racines des nerfs pathétiques ?) et qui les serrant et les retenant des deux côtés, empêchent les fesses de s’écarter.

La nature aussi l’a faite dure pour qu’elle résistât aux lésions, mais pas assez dure pour qu’elle cessât d’être une partie de l’encéphale. Là encore, mesurant l’utilité avec une précision rigoureuse, elle lui a donné le degré de dureté convenable pour qu’elle restât une partie de l’encéphale.

Si avec toutes ces précautions la nature lui eût attribué, par suite de sa composition, des plis obliques ou droits, et non pas transverses, comme ils le sont effectivement, il n’en résulterait aucun avantage. En effet, elle ne s’arrondirait pas de la façon que nous avons dite, si par des flexions transverses, elle ne se repliait en arrière, et elle ne pourrait, comme il a été démontré, ouvrir et fermer peu à peu le conduit. L’absence d’un seul corps rendrait inutiles tous ces corps nombreux et variés qui environnent le canal (voy. p. 566 et note 1).

Il est maintenant évident pour ceux qui ont prêté leur attention à ce discours que si quelqu’une des parties énoncées était altérée, il en résulterait, en beaucoup de cas, seulement une gêne pour la fonction, mais parfois la destruction complète de cette fonction. Aussi ne puis-je concevoir de quelle façon l’on peut s’y prendre pour démontrer que ce ne sont pas là les œuvres de l’art le plus parfait.


  1. Comme les livres du traité De l’utilité des parties, où il est question de l’encéphale, de la moelle et des nerfs, ont une très-grande importance ; comme d’un autre côté je donne dans le troisième volume une traduction des livres inédits du Manuel des dissections sur le même sujet, je réserve pour la Dissertation sur l’anatomie et la physiologie l’examen de toutes les questions que soulève l’étude du système nerveux, questions qui m’avaient déjà occupé en 1841 dans ma Thèse inaugurale.
  2. Aristote (Part. Anim., III, iii, init. ; cf. aussi IV, x, init.) dit : « Le cou est situé sous la tête, chez les animaux qui ont un cou ; car tous les animaux n’ont pas un cou ; mais ceux-là seulement qui possèdent les parties en vue desquelles le cou a été formé ; or ces parties sont le pharynx (trachée-artère), qu’on nomme aussi artère, et ce qu’on appelle l’œsophage. Le pharynx a été formé en vue du poumon ; car c’est à travers ce conduit que les animaux attirent et expulsent l’air, en insufflant et en exsufflant. Aussi les animaux qui n’ont pas de poumon, n’ont-ils pas non plus de cou : tel est le genre des poissons. L’œsophage est le conduit par lequel la nourriture chemine vers l’estomac ; de sorte que les animaux dépourvus de cou n’ont évidemment pas d’œsophage. L’œsophage n’existe pas nécessairement en vue de la nourriture ; car ce n’est pas à cause d’elle qu’il a été préparé. L’estomac peut venir immédiatement après la bouche ; mais cela n’est pas possible pour le poumon, car il doit exister une certaine espèce de passage commun, au moyen duquel l’air est distribué à travers les artères dans les canaux (cellules pulmonaires ?) ; comme ce passage est double (division de la trachée en bronches), il accomplit ainsi très-bien l’aspiration et l’expiration. Puisque l’organe de la respiration a nécessairement une certaine étendue, nécessairement aussi l’œsophage est placé entre la bouche et l’estomac. » — On voit que Galien n’a guère fait que paraphraser Aristote ; il le suit également pour tout ce qui regarde la position respective de l’œsophage et de la trachée.
  3. Tout ceci est encore tiré d’Aristote (Part. Anim., IV, xii, init.). Cet auteur nous apprend que, chez les animaux autres que l’homme, la longueur du cou est toujours en raison de celle des jambes. Cette disposition dépend de ce que les animaux n’ont pas de mains pour prendre leur nourriture, et qu’ordinairement ils la saisissent immédiatement avec la bouche.
  4. Toute cette réfutation sur le rapport de la tête avec l’encéphale et sur le rôle que joue le cerveau dans l’acte de la réfrigération du cœur, est dirigée contre Aristote que Galien semble d’abord ne pas oser nommer. Aristote dit formellement (Part. Anim., IV, x, init.) que la tête a été faite principalement en vue du cerveau (ἡ μὲν κεφαλὴ μάλιστα τοῦ ἐγκεφάλου χάριν). Hoffmann (l. l., p. 169, suiv.) a longuement discuté sur la question de savoir si Aristote a pensé que le cerveau était chargé de refroidir le cœur. Comme cette question se rattache à un ensemble de doctrines sur les usages du cœur, j’en réserve l’examen pour la Dissertation sur la physiologie. Là je rassemblerai et je discuterai tous les passages d’Aristote relatifs à ce sujet. — Galien a fait l’abus le plus étrange qui se puisse imaginer du raisonnement et des théories a priori, quand il soutient que la tête n’a pas été créée en vue du cerveau. La tête n’existe pas chez tous les animaux : chez un certain nombre le centre nerveux est logé dans le thorax ou dans l’abdomen ; mais le cerveau proprement dit n’existe pas plus sans la tête que la tête n’existe sans le cerveau ; d’où il résulte nécessairement que la tête a été créée pour l’encéphale, quand il y a un encéphale, et non pas seulement pour les yeux, comme le prétend Galien ; ou plutôt il y a coexistence constante de la tête et du cerveau. Quant à l’existence de l’encéphale lui-même, elle se rattache à un ensemble de dispositions organiques que nous exposerons ailleurs. C’est aussi pas suite de l’existence même d’une tête, dans laquelle est logé le centre nerveux, que les sens spéciaux y ont trouvé leur place ; donc ce n’est pas à cause des yeux que la tête a été primitivement créée, mais c’est parce que la tête existe que les yeux y ont été attachés. Aristote a donc complétement raison contre Galien.
  5. « Si cerebrum refrigeraret cor, non tam longe invicem abessent. Respond. : cerebrum non descendit ad cordis refrigerium : sed sanguis, e corde in cerebrum delatus, refrigeratur ibi, ut sensus, qui in corde fieri debebant (non poterant autem fieri propter motum caloris) fiant in cerebro, ubi quies est. Quamobrem iterum dici potest : non est sermo Aristoteli de refrigerio κατὰ συνάφειαν per contactum, sed de refrigerio κατὰ συμπάθειαν per consensum. Et utitur hac voce (ne arguteris, hujus vocis συζύγῳ, conjugato, aut si mavis, condeclineo). Part. anim., II, vii. Hoc si displicet, vide Costæi explicationem, lib. VI. Disp. physiol. » Hoffmann, l. l., p. 163. Voilà, sans contredit, un des plus curieux spécimens de la critique scientifique du XVIIe siècle !
  6. « Huic (sc. Galeno) pulchre respondet Accorambonus : Distinguendum esse, an loquamur de aere, in se considerato, an potius, ut permiscentur illi vapores ? Aer in se consideratus est calidus et humidus |θερμόν τι ὄν καὶ ὑγρόν| teste quoque Hippocrate initio libri De carnibus [§ 2, t. VIII, p. 584]. Non est igitur ψευδῶς εἰρημένον, mendax assertio, aut mendacium, sed ipsissima veritas. Nec pugnat ut ipse putat (Galenus) : Aer est calidus, et tamen refrigerat cor ! » Voilà par quels solides arguments Hoffmann (l. l., p. 164) défendait au xviie siècle Aristote contre Galien !
  7. Τούτῳ (τοῦτο 2154) γὰρ ἂν ἔτι δείζειέ τις θερμὸν τὸν πνεύμονα μὴ πιστεύων τῇ ἁφῇ (τὴν ἁφὴν, ibid.), τῷ δὲ ἂν ἔτι καὶ αὐτὴν τὴν καρδίαν εἴν πιστεύων (πιστευτέον αὐτὴν, ibid.), πῶς ὀυχὶ καὶ ἐγκέφαλος (—λον ibid.) θερμότερος (—ρον ibid.) ἀέρος, ᾧ γε καὶ θάνατός, ἐστιν ὁμοίως ἀέρι γενέσθαι ψυχρῷ ; Tel est le texte vulgaire de ce passage extrêmement embarrassant ; j’ai mis entre parenthèse les leçons du manuscrit 2154, leçons qui sont presque toutes évidemment mauvaises, et qui ne facilitent en rien l’interprétation. Daleschamps traduit : « Car si quelqu’un monstre au toucher d’un tel personnage (de celui qui n’ajoute pas foi aux sens), que le cerveau est chaud, et il ne le croit, pourquoy croira-il plustost du poulmon, et du cœur. De plus comment le cerveau ne seroit-il pas plus chaud que l’air, veu que c’est un accident mortel quand il est refroidy autant que l’air. » À la marge de cette traduction, on lit : Ce passage est restitué au grec et au latin. Je ne sais où Daleschamps a pris sa restitution ; je n’en trouve point de traces dans aucun manuscrit, et d’ailleurs elle ne fournit pas un sens régulier. Comme ce passage me paraît jusqu’à présent désespéré, j’ai tâché, sans trop m’écarter du grec, de trouver une interprétation qui fût autant que possible en harmonie avec la suite du raisonnement.
  8. « Le cerveau, dit Aristote (Part. anim., II, viii, init.), n’a aucune connexion avec les parties sensitives, cela est prouvé avec évidence par la vue ; cela ressort surtout de ce qu’il n’éprouve aucune sensation quand il est touché, pas plus que le sang, pas plus qu’un des autres excréments des animaux. » — Dans le chapitre x du même livre, il est cependant forcé de reconnaître que la vue et l’ouïe ont leur siège dans la tête : quant au tact et au goût, ils ont leur principe dans le cœur. L’olfaction est entre les deux autres séries de sens. Après avoir indiqué les passages précédents, Hoffmann (l. l., p. 164) ajoute avec grande raison : « Hæc loca Argentarius valde urget De somno, II, ii. Ego dixi ex Averroë Paraphr. in Part. II, vii, imperitiam anatomiæ non debere obstare Aristoteli, quo minus recipiantur ea quæ alias recipienda videbantur. Quid enim ? Et Galenus quædam (il fallait dire multa) ignoravit : ideone rejiciemus ea quæ bene ab illo docta sunt ? Profecto, æquum est, ut quæ recte a priscis tradita sunt, cum gratiarum actione accipiamus : in quibus autem hallucinati sunt, cum pudore et reverentia (in quam sententiam fere loquitur Gal. heic) transiliamus, non autem curiose et cum voluptate quædam refricemus ulcuscula ipsorum. »
  9. Galien considère les nerfs olfactifs, non comme une véritable paire de nerfs, mais comme des prolongements de l’encéphale : ce sont les nerfs optiques qui constituent pour lui la première paire. Cf mon Exposition des connaissances de Galien sur l’anat., la physiol. et la pathol. du système nerveux, Paris, 1841, in-4, p. 44 ; et sur les motifs de cette manière de voir, recourez à la Dissertation sur l’anatomie de Galien. — Voy. aussi dans la même Dissertation ce qui regarde les nerfs moteurs des yeux, nerfs que Galien ne paraît pas avoir parfaitement connus.
  10. En d’autres termes, si l’encéphale n’est pas le principe des nerfs, et si le cœur n’est pas celui des artères, cœur et encéphale sont des viscères complétement inutiles. Ainsi, contrairement à toute la doctrine d’Aristote, la nature aurait fait quelque chose en vain.
  11. Philotime était contemporain et probablement disciple de Praxagore, lequel florissait entre Aristote et la fondation de l’école d’Alexandrie. Voy. la Dissert. sur l’anat. de Galien.
  12. Ἣν οὐκ ἀνάλογον τῷ ἐγκεφάλῳ χρὴ καλεῖν vulg. ; le manuscrit 2154 et le texte que Hoffmann avait sons les yeux portent ἢν οὐκ, κ. τ. λ.. Hoffmann (l. l., p. 165, et Append. var. lect.) propose ἤ που ἀνάλ., et dans les Variæ lectiones il interprète : « An hoc opportet analogum cerebro dicere ? Ita per interrogationem interpretari oportet. Hoc enim vult Galenus : Cum ibi sit principium sensus et motus in his, cur principium illud appelletur non cerebrum, sed analogum cerebro. » C’est bien, en effet, le sens qui résulte de toute la discussion à laquelle Galien se livre dans ce chapitre, mais il n’est pas nécessaire, pour trouver ce sens, de changer le texte vulgaire, comme le veut Hoffmann, bien que la construction soit un peu embarrassée dans tout le passage qui nous occupe. — En résumé, pour Galien le centre nerveux, qu’il soit situé dans la tête ou dans la poitrine, est une même substance ; il doit donc porter le même nom ; mais, suivant lui, le nom grec est mal choisi, puisqu’il dérive d’une circonstance accessoire, la position, et qu’il est irrégulier pour le langage de dire que l’encéphale est dans la poitrine. Aussi faut-il préférer, soit le nom latin cerebrum, soit un autre, comme scindapsus, mot qui, en grec, ne signifiait par lui-même pas plus que chose en français, mais qui pouvait prendre un sens de convention. Toutefois si on conserve le mot encéphale, ne dites pas du centre nerveux, quand il est dans la poitrine, que c’est l’analogue de l’encéphale, car dans la poitrine ou dans la tête, c’est une même substance.
  13. Aristote (Hist. anim., I, xvi, init.) dit aussi : « L’encéphale est partagé en deux chez tous les animaux, et sur cet encéphale se trouve ce qu’on appelle le parencéphale. C’est la partie la plus postérieure. Elle a une forme différente de l’encéphale, eu égard à la consistance et à l’apparence. » Il me semble que, dans ce passage, Aristote parle à la fois de la division du cerveau proprement dit en deux hémisphères, et de celle de tout l’encéphale en deux parties, le cerveau et le cervelet. Quant à Galien, il ne parle ici que de la seconde espèce de division. Voy. aussi Hippocrate, De la maladie sacrée, § 3, t. VII, p. 366. — Hoffmann (l. l., p. 168) a longuement discuté sur la différence de dureté que Galien signale entre le cerveau et le cervelet. Je reprends cette question dans la Dissert. sur l’anat.
  14. Dans son traité De libris propriis, chap. iii, Galien attribue cette dénomination à Hérophile et à Eudème. Plus bas (IX, xi), et dans le traité De symptom. causis, I, ii, il l’attribue à Hérophile seul.
  15. Voy. pour cette proposition la Dissertation sur la physiologie de Galien.
  16. Voy. la Dissertation précitée pour cette question et pour tout ce qui regarde les théories anciennes sur la vision. Je renvoie à la même dissertation pour tout ce qui concerne l’organe de l’ouïe et l’acoustique.
  17. « Par rapport au sens dont les narines sont l’organe, dit Platon (Timée, p. 179, de l’éd. de M. H. Martin), il n’y a point d’espèces déterminées ; car toute odeur est une chose à moitié formée, et il n’y a aucune espace de corps dont les proportions soient telles qu’il ait une odeur quelconque. Les vaisseaux [voy. Dissertation sur l’anatomie de Galien] qui nous servent pour l’odorat sont trop étroits et trop resserrés pour les parties de terre et d’eau, et trop larges pour celles de feu et d’air, de sorte que jamais personne n’a trouvé à ces parties aucune odeur. Mais les odeurs naissent toujours de corps qui se mouillent, se putréfient, se fondent ou se volatilisent. En effet, quand l’eau se change en air ou l’air en eau, les odeurs se forment comme intermédiaires entre ces deux corps, et toutes sont de la fumée ou de la vapeur ; ce qui passe de l’état d’air à celui d’eau, c’est de la vapeur ; ce qui passe de l’état d’eau à celui d’air, c’est de la fumée. Ainsi, les odeurs sont toutes plus déliées que l’eau et plus grossières que l’air. Cela devient évident lorsque quelqu’un s’obstrue le passage de la respiration et qu’un autre homme aspire avec force le souffle qui s’échappe, car alors aucune odeur ne se glisse avec l’air qui sort, et le souffle vient seul, dégagé de toute odeur. On a donc distingué seulement deux genres d’odeurs, dont les variétés sont restées sans nom et qui ne se composent point de plusieurs espèces distinctes et simples ; mais on a donné des noms, ceux d’agréable, de désagréable, à ces deux genres seuls qui sont très-apparents, et dont l’un irrite et tourmente toute la cavité qui est en nous depuis le sommet de la tête jusqu’au nombril, et l’autre adoucit ces mêmes parties et les rétablit d’une manière agréable dans leur état naturel. »
  18. Les commentateurs ne sont pas d’accord sur le passage d’Hippocrate, auquel se rapporte cette allusion de Galien. Les uns pensent qu’il a en vue cette phrase du traité De l’aliment, p. 382, l. 14-15, éd. de Foës, « les principes de la nutrition du pneuma sont les narines et la bouche, » phrase citée aussi par Galien dans De usu respirat., cap. v. Les autres sont d’avis qu’il renvoie indirectement au traité De la maladie sacrée, dans lequel on lit : « Le sujet perd la voix parce que le phlegme, descendant tout à coup dans les veines, intercepte l’air qui n’est plus reçu, ni dans le cerveau, ni dans les veines caves, ni dans les cavités, la respiration étant interceptée. En effet, quand on aspire le souffle par la bouche et les narines, ce souffle va d’abord au cerveau… l’air qui va dans le poumon et dans le cerveau, concourt et produit ainsi l’intelligence, et dans les membres le mouvement. » § 7, trad. de M. Littré, t. VII, p. 373. Comme ce passage est beaucoup plus explicite que celui du traité De l’aliment, je pense que Galien l’avait dans la pensée quand il affirme qu’Hippocrate admettait une respiration du cerveau. Hoffmann, l. l., p. 175-189 et 192 suiv., a longuement examiné cette théorie. Sur les divers usages assignés par Galien aux ventricules du cerveau , voy. ma Dissertation sur la physiologie.
  19. « Aux narines il n’y a pas de pertuis, mais il y a quelque chose de mou comme une éponge. » Des lieux dans l’homme, § 2, t. VI, p. 278. — Le cerveau… s’étend dans les cavités des narines. De ce côté, aucun os ne lui oppose une barrière, et il n’est borné que par un cartilage mou comme une éponge et qui n’est ni chair ni os. » Des chairs, § 16, t. VIII, p. 605.
  20. « Per τὸ ὕδωρ ἐν αὐτοῖς περιεχόμενον, intelligo ὀῤῥὸν φλέγματος, quem supra nominavit, libr. VII, cap. VII, [p. 471, l. 1] ; hoc est tenuem et aquam pituitam, quæ sæpe per nares extillat. » Hoffmann, l. l., p. 189.
  21. Voy. pour la définition de l’ἐκφύσησις et de l’ἀθρόα ἐκπνοή, liv. VII, chap. v, p. 466, note 3.
  22. On verra, dans la Dissertation sur l’anatomie, que Vésale, VII, iii, prend la défense de ces anatomistes.
  23. J’ai déjà discuté cette opinion dans mon Exposition des connaissances de Galien sur l’anatomie, la physiologie du système nerveux, mais j’y reviens avec plus de détails dans la Dissertation sur l’anatomie.
  24. « C’est de feu et de terre que Dieu, commençant à construire le corps de l’univers, dut le former. Mais il est impossible de bien unir deux corps seuls sans un troisième ; car il faut qu’entre eux se trouve un lien qui les rapproche tous deux, et le meilleur des liens est celui qui réunit le plus parfaitement en un seul corps et lui-même et les deux corps qu’il unit. Or, il est de la nature de la proportion d’atteindre parfaitement ce but… Comme il convenait que le corps de l’univers fût un solide et que les solides ne peuvent jamais être unis par un seul moyen terme, mais toujours par deux, Dieu a placé l’eau et l’air entre le feu et la terre, et c’est ainsi qu’il a construit par cette union ce ciel visible et tangible. » Traduction de M. Henri Martin, p. 91. — Voy. aussi pour l’explication de ce passage, Macrobe, Songe de Scipion, I, vi, § 32 suiv., t. I, p. 43 ; suiv., ed. de L. Janus. Lipsiæ, 1848.
  25. Ce passage paraît imité de Platon, Lois, III, p. 701 où on lit : « Il me semble qu’il est nécessaire de tenir de temps en temps ce discours en bride comme un cheval, de peur que perdant son frein, il ne nous emporte bien loin de notre sujet, et qu’il ne nous fasse, ainsi que dit le proverbe, tomber de dessus un âne. » Cette locution proverbiale Ἀπό τινος ὄνου πεσεῖν, signifie faire les choses tout de travers, ne pouvoir pas même se tenir sur un âne, bien loin de savoir monter sur un cheval. Voy. aussi la Collection des Parémiographes, de Schneidewin et Leutsche, Gœtt., 1839-51, t. I et II, p. 47 et 219.
  26. Hoffmann (l. l., p. 197) veut qu’il s’agisse ici, non des ventricules, mais du rets admirable. J’examine cette question dans la Dissertation sur la physiologie.
  27. On a vu plus haut par la note 1 de la p. 542, que ce nom se trouve déjà dans Aristote. — On verra plus bas. par le chap. xiii et par un passage du traité Des dogmes d’Hippocrate et de Platon, VII, iii, t. V, p. 602-3, que c’est Érasistrate qui a inventé le mot ἐγκρανίς.
  28. Voyez la Dissertation précitée.
  29. Καὶ εἴγε τὸ μέσον αὐτὸ κοιλίας ἡστινοσοῦν ἐπισκοποῖς τίνος ἂν μάλιστα εὔροις αὐτὸ σφαιροειδέστερον. κ. τ. λ. vulg. Le ms. 2154 donne un texte de beaucoup préférable en supprimant τινος avant ἀυ. μάλ. et en donnant σφαιροειδέστατον.
  30. Voyez sur ce passage capital pour la forme des ventricules, la Dissertation sur l’anatomie.
  31. Voy. la Dissertation précitée.
  32. Ἀλλὰ καὶ ὅσοι πρὸς τοῦ κρανίου διατετυπῶσθαί φασι τὸν ἐγκέφαλον, οὔθ᾽ ὅτι τῆς σκληρᾶς μήνιγγος ἀφέστηκεν αὐτὸς, οὔθ᾽ ὡς ἐκείνη τοῦ κρανίου ψαὑει μὲν, οὐ συμπέφυκε δὲ γινώσκειν ἐοίκασιν, ἀλλ᾽ οὐδὲ ὡς ἐκείνην ἐχρῆν ἐντετυπῶσθαι πρότερον, οὐδ᾽ ὡς αὐτὸ τὸ κρανίον ἐστὶ τοιοῦτον. Vulg. et ms. 2154. Daleschamps traduit : « Ceux aussi qui disent le cerveau être formé sur ce crâne, comme sur un moûle, ne semblent avoir connu que le cerveau est séparé de la dure-mère, et qu’icelle touche bien le crâne et toutesfois ne luy ait adhérente. Et de plus, n’ont point entendu qu’il eût fallu que la dure-mère eût été formée devant le cerveau ; tellement que le cerveau seroit plutôt formé sur icelle que sus le crâne : ny aussi que le crâne n’est pas semblable au cerveau [pour ce qu’il n’a aucune figure des replis et entortillures du cerveau à la marge] ny contenir devant lui. » Daleschamps dit à la marge que ces mots : tellement… sus le crâne, sont adjoutés paraphrastiquement. Mais ici comme plus haut (p. 532, note), il nous donne une traduction de fantaisie ; le fait est que Galien s’est exprimé à la fin de ce paragraphe d’une façon si obscure, ou que le texte a subi de telles altérations, qu’il est impossible, du moins pour moi, de trouver un sens certain. J’ai dû me contenter du mot à mot, sauf à trouver plus tard, à l’aide d’autres manuscrits, une explication satisfaisante.
  33. Galien, du moins d’après les textes imprimés (car le ms. 2154 a, je crois, toujours épiphyse) appelle le corps vermiforme tantôt épiphyse, tantôt apophyse. Hoffmann (l. l., p. 204) a discuté ce fait de lexicologie anatomique. Il croit qu’il faut lire partout ἀπόφυσις. Comme la question doit être décidée aussi bien à l’aide des mss. que par l’étude même du corps dont il est question, je réserve cet examen pour la Dissertation sur l’anatomie.
  34. Au niveau de la grande fente cérébrale de Bichat, au milieu de laquelle est située la glande pinéale (conarium), on trouve l’espace désigné par M. Magendie sous le nom de confluent du liquide céphalo-rachidien. Cet espace a pour parois, en bas et latéralement, les tubercules quadrijumeaux, en haut, l’arachnoïde qui se jette en manière de pont du cerveau sur le cervelet ; c’est cet espace (voy. aussi p. 561 et 564) et non l’aqueduc de Sylvius, comme je l’avais cru d’abord, que Galien considère comme le canal de communication entre les ventricules du cerveau et celui du cervelet. Ce canal s’ouvre antérieurement dans le ventricule moyen par la partie moyenne de la grande fente cérébrale, et en arrière, il communiquerait, d’après Galien, avec le ventricule du cervelet au niveau de la valvule de Vieussens. Si Galien paraît croire que cette communication existe, c’est que la valvule de Vieussens est si délicate, qu’elle se rompt au moindre contact, et qu’il se forme alors une communication artificielle ; aussi, lorsqu’il dit un peu plus loin (voy. aussi p. 568) que le conduit est ouvert ou fermé, c’est qu’il a vu la valvule rompue dans le premier cas et intacte dans le second. (Les éléments de cette note m’ont été fournis par M. le docteur Rouget.)