Éditions Prima (Collection gauloise ; no 80p. 4-8).
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ii


On n’est pas transformée comme ça, de jolie femme en caleçon, sans y trouver quelque ahurissement. Voilà pourquoi, dès le début et quand je repris connaissance, j’eus un mal infini à comprendre ma nouvelle situation. Je me trouvais jetée négligemment sur un fauteuil, à demi couverte par une chemise. À côté de moi, gisaient deux bas de soie. Il était — je le jugeai à la pendule qui me faisait face — trois heures après midi. Un jour clair et ensoleillé entrait par la fenêtre.

Il ne pouvait subsister aucun doute, me contemplant avec soin et exactitude, j’en acquis la certitude, j’étais un caleçon de soie rouge…

— Comment, un caleçon ? Un pantalon ou une culotte, plutôt ?

— Ma chère amie, cela se passait en 1702, car il m’a fallu du temps pour toutes ces réincarnations, et on ne nommait point alors les Knickers des femmes, comme aujourd’hui, du nom de culotte. La première syllabe de ce mot passait avec raison pour inconvenante. Quant au pantalon, c’est un vêtement d’homme… J’étais, selon le vocabulaire du temps, un authentique caleçon… Cependant, j’aperçus à droite, un lit et dans ce lit une forme vivante. C’était ma propriétaire.

— La peste du vidame ! dit la personne couchée, si jamais je l’attends encore au lit !

En même temps, elle se levait et venait se contempler devant une glace haute,

J’étais, peu auparavant, presque aussi jolie qu’elle, et cela ne put, comme pour moi-même, que m’encourager à l’admirer. Elle semblait blonde, de ce blond inimitable qu’il appartient aux coiffeurs de créer par des teintures savantes. Pourtant, soit que sa pudeur naturelle lui eût interdit de se soumettre au blondissement partout, ou pour la joie d’être bicolore, elle gardait encore çà et là quelques coins nocturnes, et, ma foi, du plus gracieux effet. Son regard bleu possédait une chasteté charmante et la couleur d’une chair abondamment répartie illuminait toute la pièce. J’en fus si heureuse que le désespoir d’être désormais transformée en un colifichet de toilette devenait moins pénible.

Le bas de soie, mon voisin, se mit alors à ricaner.

— Caleçon, tu es tout neuf, mais tu ne vivras pas longtemps.

— Pourquoi ça ? répondis-je à l’insolent.

— Regarde, regarde donc, malheureux ! Crois-tu pouvoir contenir sans accident ce postérieur pareil à deux fois le dôme de Sainte-Sophie ?

Je devinai que ce bas avait voyagé et ne répondis point. Mais l’inquiétude naquit en ma nouvelle âme. J’étais certes au désespoir de me découvrir, après avoir été le contenu, une sorte de trop petit contenant. Surtout je ne voulais pas mourir, même caleçon, tout de suite !

— Allons ! Je n’attends plus. Tant pis pour le vidame. Ce sera le tour du baron…

Ainsi s’exprimait l’impatiente beauté. Et elle commença de s’habiller.

De plus près, je ne pus qu’admirer mieux encore tout le détail de ses charmes.

Enfin, vint le tragique moment. Elle me prit, me leva à bout de bras et fit jouer la lumière sur ma soie.

— Il est joli, ce petit-là. Je vais le rendre heureux…

Et elle me fit vêtir ses grâces les plus harmonieuses, dont, il faut l’avouer, j’eus un peu de mal à faire le tour sans éclater.

Par bonheur, ma soie de bonne qualité se tenait un peu, et j’eus le bonheur étant juste, d’être suffisante…

Ah ! quels doux moments je passai ainsi, constituant une sorte de seconde prison, presque aussi étroite que la peau de chair, à celle qui allait et venait maintenant par la chambre en me permettant de me trouver belle sous ma nouvelle forme.

Elle se parfuma partout exquisement, et j’étais assez proche d’elle pour n’en rien perdre. Comme je regrettais pourtant l’époque où, être humain, j’avais dix doigts que j’eusse pu, cette fois, si savamment utiliser ! Par malencontre, je n’étais qu’un caleçon… Bientôt la lumière disparut. Une jupe me recouvrait, et la tristesse revint en mon âme. Pas pour longtemps, heureusement, car comme nous allions sortir, on annonça le vidame de Mangerose. Il entra aussitôt en s’excusant par mille paroles aimables dont je n’entendais — c’est si lourd, le tour des robes — que des fragments.

En moi-même, je pensais : « Maudit vidame, donne-moi donc de l’air ! »

Cependant, nous nous étions assis côte à côte, le vidame et ma maîtresse, et la conversation prenait un ton plus galant. Enfin, avec un soupir de joie, je revis le soleil. Une main, une main d’homme, parfumée à la bergeronnette, glissait sous la robe crissante et fanfreluchée. Elle vint jusqu’à moi, et nous fûmes face à face. Ah ! s’il m’avait été possible de me faire entendre !…

— Chère marquise, dit enfin le vidame, quelle exquise idée vous avez eue d’acquérir ce joli caleçon de soie rouge.

En même temps, il me pinçait malicieusement et expertement. Parfois, il prenait même la chair avec… Alors, la marquise le repoussait avec des petits gloussements irrités et heureux.

Cependant, grâce à l’habileté du vidame, je me trouvai peu à peu tout à l’air. Ces deux personnages s’occupaient beaucoup de moi, l’un pour m’attaquer, l’autre pour se défendre ; et ce avec tant de soin que l’orgueil, je l’avoue, m’envahit…

Hélas ! L’orgueil est une chose maléfique et qui causa toujours aux humains les plus grands malheurs. Le diable voulut m’en punir, et…

… Mais que dirai-je encore. Le vidame devenait si rouge et si enflammé qu’il contenait difficilement ses désirs. La marquise elle-même ne résistait plus que d’une main affaiblie. Le sopha qui nous portait tous les trois vit ses coussins un peu bousculés et la marquise au lieu d’être assise fut insensiblement étendue…

Hélas, trois fois hélas ! le malheur approchait à grands pas. Le vidame, qui pourtant m’avait si respectueusement admiré un moment plus tôt ne se contint plus. Il voulut voir de plus près les grâces cachées de son adorée. Pour cela, il m’empoigna d’une main brutale. Nous étions, les formes de ma maîtresse et moi, si étroitement unis que je résistai, autant par affection pour elles que par la force des choses, et le malheur naquit… Je me déchirai d’un coup du haut en bas… Avec un cri d’agonie, mon âme s’envola et je ne vis pas la suite. La première réincarnation était terminée…