Éditions Prima (Collection gauloise ; no 80p. 1-4).
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I


— Oh ! moi, j’ai de bonnes raisons d’y croire, à ces choses-là, je sais.

— Comment, toi, Pompette, une femme raisonnable et équilibrée, tu admettrais ces bêtises ?…

— Bêtises ! Bêtises ! Tu vas fort. Mais je te le répète, c’est précisément parce que mon esprit est clair et logique que j’y crois.

— Enfin, c’est à mourir de rire ! Ces esprits désincarnés et réincarnés, ces évocations de l’au delà, tu veux me faire supposer que tu t’inclines devant de telles inventions saugrenues ? C’est impossible.

— Non seulement je m’incline, mais c’est pour moi aussi évident que ma propre existence. Et à celle-ci, crois-le, je crois une dizaine de fois.

— Ah ! Décidément, tu deviens folle.

— Mais tais-toi donc, malheureuse ! Il y a peut-être des esprits qui t’écoutent et vont te punir.

— Zut, alors, tu vas maintenant me faire claquer de rigolade.

— Ma pauvre amie ! Moi aussi, dans une autre vie, j’ai douté comme tu fais. Je sais aujourd’hui quel crime c’était. J’en ai été terriblement châtiée. Et quel châtiment !

— Raconte, Pompette, ma belle, raconte. Justement nous avons envie de nous égayer…

— Tu vas vite cesser de rire quand tu sauras mes triste aventures.

— Préparons nos mouchoirs à toutes fins !

— J’ai vécu quatorze existences, et la présente est la première qui me donne un peu de bonheur depuis le jour déplorable où je provoquai la malédiction de l’au-delà… Douze fois j’ai changé d’être et fus incarnée dans autant de réalités.

— Dans quoi ?

— Tu vas le savoir ; j’étais, sous François Ier, une jolie — j’ose le dire — femme de la cour. Le roi m’aima. Il était bon, généreux et amant distingué. Toutefois, il se trouvait aussi malade. Tu sais quelle maladie, bien gênante pour un ami des jeux galants ?

J’étais bien satisfaite de le connaître pourtant, et malgré mes craintes, car le mal du roi ne laissait pas d’être connu, je m’abandonnais à ces amours magnifiques. Seulement, un jour, je crus surprendre sur ma gorge une rougeur suspecte. Je courus chez une sorcière. Elle se nommait Gypsy-la-Rousse. Certes, elle montrait tout de suite ses relations avec le diable, car son poil flambait comme n’a jamais lui l’or pur. Lorsque son regard tombait sur vous, elle semblait même vous percer le corps jusqu’à l’âme.

Elle me dit :

— Madame, tu es en train d’avoir la vérole.

Je répondis :

— Guéris-moi, sorcière, toi qui possèdes des secrets.

Elle se mit à rire :

— Oui, je le puis, mais il faut recourir à Satan, car seul il est qualifié.

Je ne croyais ni à Dieu, ni au diable, pour sauver les femme adultères. Je plaisantai donc Gipsy-la-Rousse.

— Hé, que ce soit par l’intervention du Cornu ou par celle de Mahomet, que me chaut ! Dis-moi, tout de suite, magicienne, comment guérir ?

— Commence par faire tes dévotions au maître des Ténèbres.

— Il n’existe pas, voyons. Sois sérieuse, Gipsy |

— Comment, il n’existe pas ! Maudite sois-tu de nier l’existence de mon maître !

Je m’esclaffai alors, de tout mon cœur. Mais soudain la scène changea. Le diable devait écouter notre entretien. Il fut vexé de ce que je lui refusais les attributs de la vie, et d’un coup, il apparut.

Figure-toi un âne énorme, avec un groin de cochon, des pattes de rhinocéros, des oreilles de King-Charles, une queue verte longue de six pieds, qui faisait le tour trois fois de son ventre et une voix de mêlé-cassis qui me causa une peur atroce.

— Tu doutes de moi, femme, dit-il caverneusement, eh bien ! tu seras châtiée pendant trois cents ans.

Je commençais à ne plus être rassurée et me sentis trembler. Il reprit :

— Tu as peur, misérable, mais c’est trop tard. Tes paroles impies sont inscrites au grand livre des malédictions. Tu vas en porter le poids longtemps.

Il jetait le feu par les naseaux, le nombril et les oreilles, je me sentis accablée. Sa voix épouvantable se fit encore entendre.

— Tu seras changée treize fois de forme et ne te réincarneras dans une femme belle, heureuse et sage qu’après douze transformations humiliantes. Puisque ton vice est l’amour, tu connaîtras tous les dessous et les bassesses que l’amour entraîne. Douze fois tu expieras aussi d’avoir pour l’autre sexe une délectation trop complète. À la fin, je ne sais encore si tu seras corrigée de tes passions, mais je sais que tu ne douteras plus de Belzébuth…

Et le diable disparut en laissant une ignoble odeur à la fois scatologique et soufrée…

— Et puis ?

— Hé bien, j’avais à peine les derniers mots du maudit dans l’oreille, que je me découvris…

— Mais quoi donc ?

— Caleçon… Ensuite, je fus clysopompe, puce, savonnette, oreiller, ceinture de chasteté, jupon, serviette, éponge, bidet, lexicon (ce sont de petits chiens familiers qu’on nommait ainsi jadis) et boîte à poudre. C’est après cette dernière transformation qu’ayant racheté mes doutes sur Satan, le terrible diable me permit de redevenir femme, ce que je suis, révérence due, assez bien, avouez-le !

— Et tu te souviens de tout ce qui t’arriva, comme caleçon, serviette ou canule ?

— À savoir.

— Ça doit être… piquant ? Conte-nous ça ?

— Je veux bien. Vous allez donc entendre l’histoire de mes nombreuses transformations. Voici :