Foucart - Éléments de droit public et administratif/Partie I/Livre I/Chapitre 4/Section 2

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 177-184).
section II. — obligations et garanties spéciales aux fonctionnaires publics.
135. Exercice anticipé ou illégalement prolongé de l’autorité publique.
136. De la forfaiture. — Aggravation des peines pour crimes et délits commis par des fonctionnaires publics.
137. Divulgation des secrets du gouvernement. — Livraison de plans aux agents de l’étranger. — Soustraction, détournements d’actes par les dépositaires.
138. Corruption de fonctionnaires publics.
139. Défense aux fonctionnaires de prendre des intérêts dans les affaires dont ils ont l’administration ou la surveillance.
140. Défense aux préfets, sous-préfets, gouverneurs militaires, de faire le commerce de certaines denrées dans les lieux soumis à leur autorité.
141. Peines du déni de justice.
142. Résistance combinée de fonctionnaires publics.
143. Peine des empiétements d’autorité.
144. Autorité disciplinaire du Conseil d’Etat.
145. Protection spéciale des fonctionnaires publics. — Garantie. (Renvoi.) — Pensions de retraite. (Renvoi.)

135. Les fonctionnaires publics sont assujettis, par la nature de leurs fonctions, à certaines obligations toutes spéciales. Ils doivent être punis quand ils abusent de l’autorité qui leur a été confiée ; les crimes qu’ils commettent alors sont plus graves que ceux des autres citoyens, et doivent être réprimés plus sévèrement. Nous allons faire connaître les principales dispositions du Code pénal qui des concernent ; il en est d’autres qui trouveront leur place dans le cours de cet ouvrage, parce qu’elles se rapportent à quelques-unes des matières qui y sont traitées.

L’autorité des fonctionnaires publics, étant essentiellement déléguée, ne peut être exercée par eux qu’à partir du moment où ils ont été institués, et jusqu’au jour où ils sont révoqués, destitués, suspendus ou interdits. L’exercice anticipé de l’autorité publique peut être puni d’une amende de 16 à 150 fr. L’installation d’un fonctionnaire public consiste dans la prestation de serment de fidélité à l’Empereur, d’obéissance à la Constitution. C’est seulement à partir du moment où il a prêté ce serment qu’il a le droit d’exercer ses fonctions. Le fonctionnaire public qui a eu connaissance officielle de sa révocation, destitution, suspension ou interdiction, et qui cependant a continué ses fonctions, et celui qui, étant électif et temporaire, les a exercées après avoir été remplacé, sont punis d’un emprisonnement de six mois au moins, de deux ans au plus, et d’une amende de 400 à 500 francs. Ils sont interdits de l’exercice de toute fonction publique pour cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où ils ont subi leur peine, sans préjudice des peines plus fortes prononcées contre les commandants militaires par l’art. 93 du Code pénal (C. P. 196, 197).

136. Les art. 166, 167 et 168 du Code pénal qualifient de forfaiture tout crime, c’est-à-dire tout acte emportant peine afflictive ou infamante, commis par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions, et punissent de la dégradation civique toute forfaiture que la loi ne frappe pas d’une peine plus grave.

Comme les fonctionnaires publics qui participent aux crimes ou délits qu’ils étaient chargés de surveiller sont plus coupables que de simples citoyens, la peine est augmentée à leur égard par l’art. 198, qui s’exprime ainsi :

« S’il s’agit d’un délit de police correctionnelle, ils subiront toujours le maximum de la peine attachée à l’espèce de délit ;

Et s’il s’agit de crime, ils seront condamnés, savoir : à la réclusion, si le crime emporte contre tout autre coupable la peine du bannissement ou de la dégradation civique ;

Aux travaux forcés à temps, si le crime emporte contre tout autre coupable la peine de la réclusion ou de la détention ;

Et aux travaux forcés à perpétuité, lorsque le crime emportera contre tout autre coupable la peine de la déportation ou celle des travaux forcés à temps.

Au delà des cas qui viennent d’être exprimés, la peine commune sera appliquée sans aggravation… »

Les articles 145 et 146 punissent des travaux forcés à perpétuité tout fonctionnaire public qui, dans l’exercice de ses fonctions, a commis un faux, soit par fausses signatures, soit par altération des actes, écritures ou signatures, soit par supposition de personnes, soit par des écritures faites ou intercalées sur des registres ou autres actes publics, depuis leur confection ou leur clôture ; ou qui, en rédigeant des actes de son ministère, en a frauduleusement dénaturé la substance ou les circonstances, soit en écrivant des conventions autres que celles qui auraient été tracées ou dictées par les parties, soit en constatant comme vrais des faits faux, ou comme avoués des faits qui ne l’étaient pas.

137. Le fonctionnaire public qui livrerait aux agents d’une puissance étrangère ou de l’ennemi le secret d’une expédition ou d’une négociation dont il aurait été instruit officiellement, commettrait une trahison que la loi punit de la peine de mort. Il en serait de même de celui qui, chargé, à raison de ses fonctions, d’un dépôt des plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades, aurait livré un seul de ces plans à l’ennemi ou aux agents de l’ennemi. La peine ne serait que celle de la détention, s’il avait livré ces plans aux agents d’une puissance étrangère neutre ou alliée (art. 80 et 81). Celui qui a détruit, supprimé, soustrait ou détourné les actes et titres dont il était dépositaire en cette qualité, ou qui lui ont été remis à raison de ses fonctions, est puni des travaux forcés à temps (art. 173).

136. L’une des qualités essentielles des fonctionnaires publics est le désintéressement ; ils ne peuvent, sans se rendre coupables, recevoir des dons ou des présents, agréer des promesses pour faire un acte de leurs fonctions, même juste, mais non sujet à salaire, ou pour s’abstenir de faire un acte qui entre dans l’ordre de leurs devoirs. L’infraction à cette règle est punie de la dégradation civique et d’une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, et qui ne peut être moindre de 200 francs. Dans le cas où la corruption a pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que celle de la dégradation, cette dernière peine est appliquée au coupable. (Art. 177, 178.)

139. Le citoyen qui accepte des fonctions publiques doit se dévouer à l’intérêt général ; s’il est juste qu’il reçoive une indemnité de son temps et de ses travaux, il ne doit pas spéculer sur les avantages que lui donne sa position pour en tirer un profit pécuniaire. Il lui est interdit de faire, à cause de sa qualité de fonctionnaire public, des actes, licites d’ailleurs pour tout autre, mais qui pourraient le placer entre son devoir et son intérêt. Ainsi, tout fonctionnaire public qui, soit ouvertement, soit par actes simulés, soit par interposition de personnes, a pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont il avait, au temps de l’acte, en tout ou en partie, l’administration ou la surveillance, est puni d’un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et est condamné à une amende qui ne peut excéder le quart des restitutions et des indemnités, ni être au-dessous du douzième. Il est de plus déclaré à jamais incapable d’exercer aucune fonction publique. Ces dispositions sont applicables à tout fonctionnaire qui a pris un intérêt quelconque dans une affaire dont il était chargé d’ordonnancer le payement ou de faire la liquidation. (Art. 175 Cod. pén.)

140. La loi pousse les précautions jusqu’à défendre le commerce des denrées de première nécessité aux fonctionnaires revêtus d’une grande autorité, et qui pourraient abuser de leur position pour se procurer des bénéfices illicites. Aussi est-il défendu aux commandants des divisions militaires, aux commandants de places et villes, aux préfets ou aux sous-préfets, de faire le commerce de grains, grenailles, farines, substances farineuses, vins ou boissons, autres que ceux provenant de leurs propriétés, dans l’étendue des lieux où ils exercent leur autorité. Ce commerce, fait ouvertement, ou par des actes simulés, ou par interposition de personnes, est puni d’une amende de 500 fr. au moins et de 10,000 fr. au plus, et de la confiscation des denrées qui y sont employées. (C. pén., 176.)

141. Enfin, l’administrateur comme le juge ne peut se dispenser de s’acquitter de ses fonctions et de rendre justice à ceux qui la réclament, même sous prétexte de silence ou d’obscurité de la loi. Celui qui, après les réquisitions légales et l’avertissement on l’injonction de ses supérieurs, persiste dans son déni de justice, est puni d’une amende de 200 fr. au moins et de 500 fr. au plus, et de l’interdiction des fonctions publiques depuis cinq ans jusqu’à vingt. Il y a un crime plus grand encore à se décider par faveur pour une partie, ou par animosité contre elle ; il constitue la forfaiture et entraîne la dégradation civique. (C. pén., art. 183 et 185.)

142. Lorsque des fonctionnaires publics oublient leurs devoirs jusqu’à opposer à l’autorité supérieure une résistance combinée, ils commettent une faute que le Code pénal prévoit et punit en ces termes :

« Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d’un emprisonnement de deux mois au moins, et de six mois au plus, contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l’interdiction des droits civiques, et de tout emploi public, pendant dix ans au plus. (Art. 123.)

Si, par l’un des moyens exprimés ci-dessus, il a été concerté des mesures contre l’exécution des lois où contre les ordres du gouvernement, la peine sera le bannissement.

Si ce concert a eu lieu entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, ceux qui en seront les auteurs ou provocateurs seront punis de la déportation ; les autres coupables seront bannis. (Art. 124.)

Dans le cas où ce concert aurait eu pour objet ou résultat un complot attentatoire à la sûreté intérieur de l’État, les coupables seront punis de mort. (Art. 125.)

Seront coupables de forfaiture, et punis de la dégradation civique, les fonctionnaires publics qui auront, par délibération, arrêté de donner des démissions dont l’objet ou l’effet serait d’empêcher ou de suspendre soit l’administration de la justice, soit l’accomplissement d’un service quelconque. » (Art. 126.)

143. Les agents de l’administration doivent respecter les attributions du pouvoir législatif et de autorité judiciaire ; ils seraient punis de la dégradation civique s’ils s’immisçaient dans l’exercice du pouvoir, soi en faisant des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou suspendant l’exécution d’une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront publiées on exécutées. (C. pén., 130, 131.) Le crime serait plus grave, et la peine serait plus forte, si un fonctionnaire public avait requis ou ordonné, fait requérir ou ordonner l’action ou l’emploi de la force publique contre l’exécution d’une loi ou contre la perception d’une contribution légale, ou contre l’exécution soit d’une ordonnance ou mandat de justice, soit de tout autre ordre émané de l’autorité légitime : ce fonctionnaire serait alors puni de la réclusion, et le maximum de la peine devrait être prononcé, si la réquisition ou l’ordre avait été suivi de son effet ; sans préjudice des peines plus graves méritées par d’autres crimes qui seraient la suite des ordres et des réquisitions, et qu’on devrait appliquer au fonctionnaire coupable d’avoir donné ces ordres ou fait ces réquisitions : le tout sauf l’excuse résultant des ordres donnés par les supérieurs dans la hiérarchie sur des choses de leur ressort. (C. pén., 189, 190, 491.)

144. Enfin les actes des fonctionnaires peuvent être déférés par l’Empereur au Conseil d’Etat, qui peut, après une instruction réglée par le décret du 14 juin 1806 (art. 45 et suiv.), ou proposer des poursuites judiciaires qui sont ordonnées par l’Empereur, ou prononcer, encore sous l’approbation de l’Empereur, la réprimande, la censure, la suspension où même la destitution du fonctionnaire. (Id., 19, 22, 23.)

145. S’ils sont assujettis à des obligations plus rigoureuses que les autres citoyens, les fonctionnaires publics sont, d’un autre côté, protégés d’une manière particulière contre les outrages publics dont ils sont l’objet à raison de leurs fonctions par l’article 6 de la loi du 25 mai 1822. Nous verrons plus loin comment ils sont garantis contre les poursuites civiles et criminelles qui peuvent être exercées contre eux à raison de leurs fonctions. (V. nos 172 et suiv.) Ils ont droit aussi, après un certain temps de service, à des pensions de retraite réglées aujourd’hui par la loi du 9 juin 1853.