Foucart - Éléments de droit public et administratif/Introduction

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 1-57).

INTRODUCTION
à l’étude du droit public positif français


CHAPITRE PREMIER

Base philosophie du droit public.


Sommaire.
1. De la loi en général.
2. De la loi divine ou naturelle.
3. De la loi humaine ou positive.
4. La législation positive repose sur la connaissance de l’homme et de sa destinée.
5. Différentes opinions sur la nature et la destinée de l’homme.
6. La base de la morale est le juste et non l’utile.
7. La société est de droit absolu. — Fausse théorie du Contrat social.
8. Des droits naturels. — De la liberté.
9. De l’égalité.
10. De la propriété.
11. Des doctrines socialistes.
12. De la souveraineté, de son origine et de sa nature.<
13. Souveraineté de droit divin.
14. Souveraineté féodale.
15. Souveraineté nationale ou du peuple.
16. Organisation et modification du pouvoir. — Révolutions sociales. — Révolutions politiques.
17. Des droits naturels et des droits politiques.
18. Résumé.
19. Différence du droit public païen et du droit public chrétien.

1. Quand l’homme réfléchit sur tout ce qui se passe autour de lui, il est frappé de la succession régulière de certains faits qui, soit dans l’ordre physique, soit dans l’ordre moral, se reproduisent d’une manière uniforme : d’un côté, le cours des astres, les phénomènes de la vie, de la végétation, etc. ; de l’autre, l’homme considéré comme être intelligent, la famille, la société : voilà, pour ainsi dire, deux mondes distincts, qui présentent, à un degré plus ou moins parfait, des idées d’ordre et d’harmonie. L’ordre et l’harmonie supposent des règles imposées à la matière et à l’intelligence ; ces règles, on les désigne sous le nom de lois.

2. Le suprême législateur est Dieu, créateur et conservateur de toutes choses ; c’est lui qui a donné à la matière des lois tellement admirables, que le plus grand effort de l’esprit humain a été d’en découvrir quelques-unes, et qu’une de ses plus grandes jouissances consiste à les étudier ; c’est lui qui a créé les lois plus merveilleuses encore et tout à fait impénétrables, en vertu desquelles l’esprit a été joint à la matière pour composer l’homme, chef-d’œuvre de la création visible ; c’est lui enfin qui révèle à la conscience humaine des lois qui, chez tous les peuples, dans tous les temps, ont été la règle de conduite des hommes vertueux.

L’ensemble de toutes les lois morales constitue le droit naturel, qu’on appelle aussi avec plus de justesse le droit divin, puisqu’il émane directement de Dieu qui lui a donné l’empreinte de sa sagesse et de son immutabilité : sagesse et immutabilité, tels sont les caractères qui distinguent le véritable droit divin des institutions passagères qu’on s’est souvent efforcé de revêtir de ce beau nom.

Malgré son double caractère, la loi naturelle n’est point à l’abri des violations : l’homme, déchu par la faute originelle, n’use trop souvent de sa liberté morale que pour satisfaire ses passions, et son intelligence obscurcie ne discerne plus les règles du vrai et du juste. Mais le droit, pour être méconnu, n’en existe pas moins ; il tend à reprendre son empire et reparaît avec son caractère divin pour être de nouveau éclipsé par les ténèbres que produisent les passions humaines. Cette lutte du droit et du fait, du bien et du mal, presque aussi ancienne que le monde, durera autant que lui, et jusqu’à la fin elle se perpétuera avec des chances diverses. Elle a lieu sur un double champ de bataille, le cœur de l’homme et la société ; pour vaincre sur le second, il faut que le droit ait vaincu d’abord sur le premier, car les hommes corrompus ne peuvent former qu’une société oppressive et tyrannique, et le perfectionnement intellectuel et moral est la seule base solide de la société.

3. En effet, l’homme, soumis à une loi qu’il n’a point faite, devient cependant législateur à son tour. Dieu qui le créait à son image a voulu que sur ce point aussi il eût avec lui quelque ressemblance ; mais la mission qu’il lui a donnée ne consiste qu’à faire l’application des principes du droit naturel. L’homme doit donc s’efforcer, d’abord, de découvrir ces principes, de les dégager des nuages que l’ignorance et les passions répandent autour d’eux ; aussi, plus il est éclairé et moral, mieux il comprend sa nature et sa destinée, mieux il découvre les moyens d’atteindre le type immortel du beau et du bon que son intelligence aperçoit et auquel son cœur aspire. Le produit imparfait de ses efforts reçoit le nom de droit positif.

4. Rien n’est plus funeste que de se tromper sur les principes dont on fait la base du droit positif, car la logique rigoureuse ne sert plus ensuite qu’à enchaîner les unes aux autres une longue série d’erreurs. Trop souvent des esprits distingués d’ailleurs, se laissant entraîner dans un système qui repose sur une observation incomplète, créent une morale privée et sociale qui n’est point la morale véritable ; leurs déductions pénètrent dans les masses, y sont reçues comme des axiomes à l’abri de toute critique, et y portent des fruits de désordre et de mort. L’objet principal du droit est l’homme ; il importe donc, avant tout, d’avoir des idées justes sur sa nature et sur sa destinée : car les lois qui doivent le régir ne sont que les conséquences de l’une et de l’autre. Ici nous emprunterons les résultats acquis par la philosophie, dont la science du droit n’est qu’une application.

5. La question de la nature et de la destinée humaines a reçu différentes solutions de la part des philosophes. Les uns, ne s’élevant pas au-dessus de l’horizon borné de la matière, se sont perdus dans l’étude des organes ; ils ont cru que là était tout l’homme, et que cet être merveilleux, placé si fort au-dessus des animaux par la raison, était cependant destiné comme eux à périr tout entier, après avoir éprouvé, pendant un temps plus ou moins long, une série de sensations agréables ou pénibles, D’autres, s’élançant bien au-dessus du monde physique, ont, par une sublime mais dangereuse abstraction, supprimé la matière, et n’ont vu dans l’homme qu’un être immatériel, jouet d’une série d’illusions qui forment ce que d’autres ont appelé matière.

Une école philosophique plus vraie a rappelé l’esprit humain à l’observation impartiale et complète des phénomènes extérieurs et intérieurs ; elle reconnait à l’homme, outre cette portion périssable de matière qui constitue le corps, une âme immortelle, capable de comprendre le bien et le mal, faite pour trouver son bonheur dans l’accomplissement du devoir, et appelée à recevoir dans une autre vie la récompense ou la peine qu’elle aura méritée par sa conduite dans ce monde ; l’homme, pour elle, est une intelligence servie par des organes. Nous allons voir quelles sont, à l’égard du droit, les conséquences de cette vérité.

6. L’observation des phénomènes intérieurs prouve que l’homme est doué de la faculté de comparer et de juger ; qu’il est libre dans ses déterminations, bien qu’il soit quelquefois tiré en sens contraire par des motifs différents. La victoire qu’il remporte sur ses passions fait le mérite de ses actions, la liberté qu’il conserve toujours, même lorsqu’il succombe, en fait la responsabilité. En donnant la liberté à l’homme, Dieu lui a tracé une règle de conduite, qu’il connaît par le sentiment, par le raisonnement et par la révélation, qu’il applique par la volonté. C’est la loi morale, que l’homme n’a pas faite, qu’il peut méconnaître ou violer, mais qu’il ne peut changer, et d’après laquelle il sera jugé un jour.

Quelle est la base de la loi morale ? Ici nous rencontrons un sophisme, séduisant dans sa forme, dangereux dans ses conséquences. Selon quelques-uns, la base de la loi morale est l’utile. À l’appui de cette proposition, on s’efforce de prouver que l’utilité bien entendue est une règle de conduite qui suffit aux individus, à la famille et à la société.

Au point de vue de la destinée dernière de l’homme, l’utile et le juste[1] se confondent, parce qu’il n’y a de vraiment utile que l’observation des règles qui doivent conduire à la possession du souverain bien. Mais, au point de vue de la destinée terrestre, l’observation de la loi divine, c’est-à-dire le juste, est bien souvent différent de l’utile. Nous ne pouvons, en effet, apprécier l’utile qu’avec nos vues bornées, et sous l’influence de nos passions et quelquefois même des besoins les plus légitimes en eux-mêmes. Confondre ici-bas le juste et l’utile, c’est substituer la volonté incertaine, ignorante, passionnée de l’homme, à la loi divine. Le principe de l’utile conduit dans la morale à la satisfaction de toutes les passions cupides, dans le droit public à la justification de toutes les tyrannies.

Pour éviter cette dangereuse confusion, sachons nous élever jusqu’aux véritables bases de toute morale. N’oublions pas que l’homme n’a été tiré du néant que pour aimer et servir son Créateur, et mériter ainsi la récompense qui lui est réservée dans une autre vie ; qu’aimer et servir Dieu c’est obéir à sa loi, et que notre obéissance doit aller jusqu’au sacrifice des biens de ce monde, puisque ce n’est pas dans ce monde que nous devons trouver notre destinée dernière.

7. L’homme n’a pas seulement de rapports avec Dieu, il en a encore avec ses semblables ; l’étude de ces rapports nous révèle la loi fondamentale de toute société. L’homme, après sa naissance, reste plus longtemps que tous les animaux hors d’état de pourvoir à sa subsistance, il a longtemps besoin des soins de ses parents ; son âme s’ouvre à des sentiments d’affection. qui survivent aux soins qu’il en reçoit ; parvenu à la plénitude de son développement, il est assailli de besoins moraux et physiques qu’il ne peut satisfaire qu’au milieu de ses semblables ; il faut qu’il communique ses idées, qu’il épanche ses sentiments ; il faut qu’il devienne à son tour chef d’une famille nouvelle qui, multipliant ses besoins et ses affections, multipliera les liens qui l’attachent aux autres hommes ; ce n’est que dans la société que ses facultés intellectuelles peuvent recevoir ce développement dont on ne connaît pas les limites. Enfin ce n’est qu’avec le concours des autres hommes qu’il peut se procurer, d’une manière constante, les choses les plus nécessaires à la vie : la nourriture, le vêtement, un abri, des soins dans ses maladies, une protection contre la violence et l’injustice. La plus simple observation démontre donc d’une manière incontestable que l’homme est créé pour vivre en société, et l’expérience du genre humain prouve qu’il a été fidèle à cette loi, puisque nulle part il n’a été trouvé dans l’état d’isolement qui est la manière d’être de la plupart des animaux.

La philosophie matérialiste, représentée par Hobbes, a imaginé dans le XVIIe un système de sociabilité conventionnelle développé par J.-J. Rousseau dans son Contrat social, et adopté par la plupart des philosophes du XVIIIe siècle. D’après ce système, l’état naturel de l’homme est la vie sauvage : chaque individu, dans l’origine, avait sur tous les autres un droit égal, absolu, inaliénable ; mais les hommes ont réfléchi on jour qu’il y aurait quelques avantages pour eux à vivre en société ; ils ont alors fait une convention synallagmatique, par suite de laquelle ils ont consenti à restreindre l’exercice de leurs droits primitifs, pour recevoir en échange la sûreté et les autres avantages sociaux. De telle sorte que l’état de société ne serait que le résultat de la volonté des hommes ; une de ces institutions du droit positif, qui pourrait exister ou ne pas exister ; un contrat dont les parties contractantes auraient à chaque instant, le droit de se désister.

Cette théorie est fausse dans sa base et dangereuse dans ses résultats. Fausse dans sa base, car elle suppose tous les hommes placés dans un état de guerre les uns vis-à-vis des autres, état de guerre essentiellement contraire à la conservation et au développement du genre humain, qui sont certainement dans les vues du Créateur. Elle admet un état chimérique dont nulle tradition historique ne fait mention, une convention impossible à former et plus impossible encore à exécuter ; car, le droit de chacun étant déclaré inaliénable, le contrat ne liera jamais personne, et chaque contractant pourra s’en affranchir quand il le jugera convenable.

Elle est dangereuse dans ses conséquences, car, malgré tous les sophismes, les hommes sentent fort bien que l’état de société peut seul leur donne la tranquillité et le bien-être. Or ceux qui ont quelque chose à conserver s’entendront nécessairement pour maintenir dans l’obéissance ceux qui, n’étant pas satisfaits de leur part dans les avantages de la société, voudront s’emparer du pouvoir. La société alors sera le théâtre d’une lutte continuelle dans laquelle il n’y aurait d’autre droit que la force, d’autres règle de gouvernement que la raison d’État. Aussi, avec la théorie du Contrat social, on ne peut échapper à l’oppression que par l’anarchie, et à l’anarchie que par l’oppression.

Disons donc que l’homme vit en société non pas en vertu d’une loi qu’il s’est faite, mais en vertu d’une loi qui lui est imposée ; disons que le Créateur a voulu que le bien-être de chaque individu dépendit de ses semblables, pour constituer par cet échange de services et de bienfaits une société toute fraternelle, et que la loi morale de la société, comme la loi morale de l’individu, est le juste et non l’utile.

8. Puisque la société n’est que la réalisation d’une volonté providentielle, nous trouverons dans l’étude des facultés de l’homme les bases sur lesquelles doit reposer l’ordre social. Nous connaîtrons ainsi les droits et les devoirs des individus vis-à-vis la société et de la société vis-à-vis des individus.

Nous avons déjà posé comme point de départ de la morale la liberté humaine, et repoussé la dégradante doctrine du fatalisme, qui détruit toute responsabilité et appelle le despotisme dans le gouvernement. La liberté morale conduit à la liberté politique ; la société doit respecter chez l’individu cette faculté qu’il tient de Dieu même ; elle doit en assurer l’exercice à tous ses membres, afin que tous puissent accomplir ici-bas leur destinée. Aussi avons-nous placé la liberté au premier rang des droits naturels qu’une bonne organisation politique doit garantir à tous les citoyens,

Mais qu’entend-on par ce mot de liberté, qui a tant de fois, et récemment encore, été invoqué à l’appui des théories les plus monstrueuses ? Est-ce, ainsi que les masses paraissent le croire, le droit de faire tout ce qu’on veut ? Évidemment ni l’homme ni la société ne résisteraient à un tel principe commenté par les mauvaises passions, et la liberté se détruirait elle-même par ses propres excès. En effet, dans l’état de liberté sans frein et sans bornes qu’on imagine, il arriverait à chaque instant que la satisfaction des désirs d’une partie des citoyens ne pourrait se réaliser que par le froissement des intérêts d’une autre partie. De là conflit, lutte et désordre ; et lorsque dans ce combat l’un des côtés l’emporterait, il y aurait oppression pour l’autre, oppression qui serait rendue plus dure par les querelles antérieures, en sorte que la liberté illimitée n’aboutirait en définitive qu’à la tyrannie. Nous conclurons donc en adoptant la définition qu’a donné de la liberté un homme qui est mort sous le poignard de l’anarchie. M. Rossi a dit : « La liberté ne peut être que l’exercice des facultés de l’homme mise en harmonie avec les nécessités et les exigences du corps social. »

9. Les hommes ont tous même origine, même nature, même destinée ; ils doivent donc être par rapport au droit public dans une position d’égalité. Mais les facultés physiques et morales varient avec les individus ; il y a là une cause d’inégalité qui ne provient pas de la loi humaine, et que celle-ci ne peut pas détruire. Cette cause d’inégalité est dans les vues de la Providence, qui, en créant les hommes pour la société, leur a donné des aptitudes différentes, de telle sorte que chacun d’eux pût concourir, dans la mesure de sa capacité, au bien général. Ainsi se trouve établie une hiérarchie indispensable à la conservation de la société. La seule égalité possible est donc l’égalité devant la loi, c’est-à-dire l’absence de privilèges ; chaque homme restant d’ailleurs maître de sa destinée et pouvant, par son travail, par son esprit de conduite, arriver aux conditions sociales les plus élevées. Voilà la seule égalité qu’il soit possible d’obtenir dans la société ; toute autre est impossible ; car, ainsi que le dit un publiciste moderne, « l’inégalité est la loi de ce monde, et les jouissances de la richesse ne sont pas les seules auxquelles chacun n’ait point part. Loin de là. — Voyez la santé ! c’est le premier des biens, celui sans lequel la vie n’a que des amertumes. Hé bien ! la santé n’est pas même accordée à tous !… — Dans l’ordre affectif et moral, dans cet ordre d’où nous viennent les joies et les peines les plus vives qu’il nous soit donné de ressentir, même discordance, même contraste. Là tout est motif de contentement pour les uns et sujet de chagrin pour les autres… » (M. H. Pasey, Causes de l’inégalité des richesses.) Mais, en établissant cette inégalité que l’homme ne peut détruire, Dieu a inspiré aux hommes la charité pour adoucir les maux de leurs semblables, la résignation pour supporter les leurs, et il a promis une autre vie dans laquelle les souffrances bien supportées recevront une ample compensation.

10. L’homme n’est pas seulement en rapport avec ses semblables, il l’est aussi avec les autres objets de la création. Le droit public règle la mature de ces rapports ; il consacre notamment le droit privatif et absolu que les hommes peuvent acquérir sur les choses et par suite duquel ils en disposent, en un mot il protège le droit de propriété. On oppose à ce droit des théories qui ne sont pas nouvelles, mais qui, reproduites dans ces derniers temps, ont failli bouleverser l’Europe.

On a prétendu donner au droit de propriété une origine conventionnelle. Partant de l’hypothèse que la société n’est qu’un état accidentel résultant d’un contrat, on est arrivé à ne voir dans la propriété qu’une institution de droit positif. Suivant ce système, chaque homme, dans l’état d’isolement et d’indépendance originaires, a un droit individuel à chaque chose, et ce ne peut être que par suite d’une convention expresse ou tacite qu’un individu acquiert un droit privatif en échange de ce droit indivisible qu’il a sur la terre entière. On voit sur-le-champ à quoi mène ce système du Contrat social appliqué à la propriété. Si l’on admet qu’elle ne soit qu’une institution purement humaine, la création d’une loi positive, ce ne sera plus qu’un droit précaire laissé à la discrétion du législateur ; celui-ci l’organisera comme il le jugera convenable et, par exemple, il pourra réserver le droit de posséder les terres à une classe privilégiée ; il pourra, quand il le voudra, changer la répartition qu’il aura faite, prendre aux uns pour donner aux autres ; rien ne s’opposera même à ce qu’il anéantisse la propriété individuelle, pour réunir tout dans ses mains et se faire le dispensateur arbitraire et absolu des richesses de l’association.

Aux yeux de qui réfléchit, la propriété a une autre base qu’une convention sociale ; elle est une nécessité de la nature humaine, une loi de Dieu. L’examen de la nature de l’homme fournit des arguments sans réplique à l’appui de cette proposition que l’histoire de tous les peuples vient confirmer. Si nous mettons en présence l’homme et la matière, nous voyons que l’homme a des besoins et que la matière a des qualités propres à les satisfaire. Il y a là un de ces rapports providentiels qui servent de base à la loi positive, et dont cette loi ne doit être que l’application et le développement. L’homme sent le désir de posséder ces objets de ses besoins ; il a la conscience intime de son droit d’appropriation personnelle, il se sent appelé à conquérir les choses indispensables, la nourriture, le vêtement ; le fruit pour le manger, la bête fauve pour se nourrir de sa chair et se couvrir de sa dépouille. Cet instinct de l’homme, ce penchant, ce sentiment profond et immuable, constituent une des preuves les plus solides de la légitimité du droit de propriété.

S’il n’était excité par le sentiment de la propriété, l’homme perdrait toute émulation ; il ne travaillerait qu’autant qu’il le faudrait pour subsister misérablement. Trouver une caverne, cueillir quelques fruits sauvages, épuiser dans la chasse des animaux son adresse et sa force, voilà ce à quoi se borneraient ses efforts. Mais l’homme, tant qu’il ne sortirait point de cet état, n’aurait qu’une vie précaire et misérable ; ses moyens d’existence, qui dépendraient du hasard, lui manqueraient souvent, et il courrait toujours le risque de périr de besoin et de misère. On a dit, il est vrai, que, n’eût-il point l’appropriation personnelle en vue, l’homme travaillerait par sentiment d’honneur ; c’est là une hypothèse fort belle dans un livre, mais tout à fait irréalisable dans le train ordinaire de la vie. Il faut traiter humainement les choses humaines ; on donne sa vie pour ce qu’on appelle l’honneur, mais on ne se voue pas pour lui à la fatigue, aux souffrances, aux soucis de tous les instants. Chez les peuples chasseurs et les chez les peuples pasteurs eux-mêmes, le défaut d’appropriation individuelle et de culture du sol est un obstacle aux progrès de la civilisation. La société ne peut recevoir les développements dont elle est susceptible que par la culture des terres, qui multiplie les produits. La culture exige des soins continuels et la certitude que celui qui a semé récoltera. Il est donc conforme aux principes du droit naturel que l’appropriation s’applique aux immeubles comme aux meubles, puisque les immeubles ont, comme les meubles, des qualités qui sont en rapport avec nos besoins, et puisqu’on ne peut en tirer tous les avantages qu’ils peuvent procurer que par l’exercice du droit privatif et absolu qui constitue la propriété.

Aussi voyons-nous que chez tous les peuples la propriété individuelle est la base de la société. Sans doute on a pu, dans la spéculation, imaginer un état de choses par suite duquel les biens restés en commun sont cultivés pour tous et produisent pour tous. Mais les systèmes disparaissent devant l’autorité des faits ; il n’est pas dans l’histoire un peuple, sorti de Ia barbarie, qui ait vécu sans reconnaître la propriété individuelle, et les essais isolés qui ont été tentés quelquefois pour sortir de cette loi commune n’ont jamais abouti qu’à de promptes et sanglantes catastrophes[2].

La législation positive, s’emparant du principe de la propriété, en tire toutes les conséquences sociales. Si après chaque récolte le droit privatif venait à cesser, la société serait dans un état de guerre intestine continuelle ; il faut donc garantir la stabilité des propriétés : alors chaque possesseur, rassuré pour son avenir, se livre à des travaux d’amélioration qui, en augmentant les produits, augmentent aussi le bien-être de la société tout entière.

La reconnaissance d’un droit absolu sur là chose emporte pour celui qui en jouit la faculté de la céder à un autre. De là toutes les lois sur la transmission de la propriété entre-vifs, à titre gratuit ou onéreux. La mort rompt tous les rapports matériels de l’homme avec ce monde ; cependant l’homme ne meurt pas tout entier, et l’immortalité de l’âme est la base de la théorie qui fait persister au delà de cette vie, comme l’âme elle-même, les conséquences des dispositions que l’homme a faites de son vivant, et qui donne force à celles qui ne devaient se réaliser qu’après sa mort. La loi civile, venant ici confirmer ou suppléer la volonté de l’homme, tantôt sanctionne les dispositions que le défunt a faites de ses biens pour le temps où il n’existera plus, tantôt investit de leur propriété les personnes qui tenaient au défunt par les liens du sang ou de l’affection. (V. C. Nap., I. 3, t. 1 et 2.)

Quelquefois une chose est possédée en commun par plusieurs, quoique l’administration du tout revienne à un seul. Les règles de ces communautés sont tracées par la loi, comme dans la communauté légale entre époux (C. Nap., I. 3, t. 5, ch. 2, 1re partie), ou par la loi et les conventions particulières, comme dans la communauté conventionnelle (id., 2e partie), ou dans les sociétés civiles (C. N., I. 3, t. 9) et commerciales (C. de com., I. 1, t. 3). Ces différentes associations constituent des personnes morales de droit privé. Il existe aussi des collections d’individus reconnues par la loi, qui en reçoivent le caractère de personnes morales de droit public et ont, en cette qualité, le droit de posséder des propriétés dont l’usage est consacré à l’utilité commune, ou dont les revenus profitent à tous : tels sont l’État, les départements, les communes, les fabriques, les hospices, etc. ; mais entre ces modifications du droit de propriété et la communauté comme base de la société il y a une distance immense.

11. Toutes les exagérations que nous venons de combattre sur l’égalité, la liberté, la propriété, se sont fait jour dans les dernières commotions qu’a subies notre pays. Leurs différentes combinaisons ont formés ces théories qu’on qualifie dans leur ensemble de socialisme, et qui, malgré quelques variétés de détail, ont toutes un but commun, le renversement de la vieille société et sa reconstruction sur des bases différentes de celle qui lui ont servi de fondement depuis qu’elle existe. Nous leur opposons le sentiment intime, l’observation du cœur humain, les traditions de tous les siècles et la révélation chrétienne, qui sont d’accord pour démontrer que le genre humain ne s’est pas trompé quand il a pris pour base de la société la famille, pour soutien de la famille la propriété ; que les publicistes ne se trompent pas quand ils cherchent à organiser l’État à l’instar de la famille, à établir un pouvoir respecté, une société dans laquelle chacun puisse remplir la mission qui lui a été donnée par la Providence et jouir en paix des droits qu’il tient de sa qualité d’homme.

12. Nous avons vu que l’état de société est la conséquence non de la volonté des hommes, mais de la volonté de Dieu qui a créé les hommes sociales. Nous devons en conclure que les conditions essentielles à la société dérivent de la même volonté. Or on ne comprend pas la société sans un pouvoir, qu’on qualifie dans sa plus haute expression de souveraineté. La souveraineté dérive donc de Dieu comme la société elle-même : omnis potestas a Deo. L’homme, en effet, n’a pas de son chef de pouvoir sur son semblable ; celui qu’il se donnerait à lui-même serait fondé sur la force et non sur le droit. Le pouvoir n’est juste qu’autant qu’il dérive de la source de toute justice. Telles sont l’autorité du père dans la famille ; du chef de l’État et des magistrats dans la société. Mais le pouvoir, ainsi que la liberté, n’est attribué à l’homme que d’une manière relative, son exercice est toujours subordonné aux lois éternelles du juste. Repoussons donc la doctrine de ceux qui veulent ériger en loi toutes les volontés du souverain, doctrine professée par les despotes de l’Orient comme par les démagogues de la Convention nationale. Que le souverain soit un homme ou une multitude, son pouvoir est limité par le droit. Il est vrai qu’au milieu même de ses excès, la tyrannie invoque le droit ; mais elle en déplace la source, elle le fait découler d’elle-même, au lieu de s’y soumettre comme à une autorité qui la domine. Pour nous qui reconnaissons l’existence d’une loi morale supérieure à l’homme, qui pensons que cette loi doit être la source de toutes les lois positives, nous disons que la souveraineté absolue ne réside qu’en Dieu ; que la souveraineté humaine est nécessairement relative et subordonnée à la loi divine. Nous allons examiner maintenant quels sont les organes de cette souveraineté ici-bas.

13. D’après certains publicistes, la souveraineté réside dans un homme revêtu d’un caractère sacré, chargé d’une mission divine qu’il transmet à ses héritiers ; lui seul a le droit de faire des lois, lui seul peut mettre quelques bornes à son pouvoir, et les concessions qu’il octroie, il peut toujours les reprendre. Ce système suppose une origine de droit divin non-seulement à la souveraineté, mais encore au mode d’organisation de la souveraineté. Il nous paraît erroné sur ce dernier point. Si Dieu avait voulu revêtir une personne de ce pouvoir, il aurait fait connaître d’une manière certaine, soit en marquant cette autorité d’un signe facile à reconnaître pour tous les hommes à l’aide des lumières de la raison, soit par une révélation formelle, semblable à celle qui a régi le peuple hébreu ; or la raison nous dit qu’aucun homme, aucune famille, aucune caste n’est nécessairement revêtu du pouvoir ; la révélation, en recommandant le respect du pouvoir en général, ne décide rien sur son organisation ; et toutes les formes de gouvernement peuvent être légitimes suivant les temps et les lieux.

14. Rapetissant l’idée de la souveraineté, le système féodal l’avait confondue avec la propriété. Le sol et les hommes qui l’habitaient appartenaient au seigneur, qui en disposait comme de sa chose ; tout se traduisait pour lui en droits lucratifs ; tout était matière à contrat ; les droits de la souveraineté eux-mêmes étaient dans le commerce et vendus en détail avec les offices. Le droit public moderne relève l’idée de la souveraineté et la dégage de celle de la propriété.

15. La souveraineté n’a pas été communiquée d’une manière permanente à une personne, à une famille, à une caste, par celui de qui elle émane ; elle ne peut être non plus la propriété de personne. Dieu, en créant les hommes sociables, en leur donnant le sentiment et la raison qui leur font comprendre leur destinée dans ce monde et dans l’autre, ne leur à prescrit aucune forme absolue de gouvernement, et leur a donné le droit d’organiser la société de la manière la plus convenable pour atteindre ses fins légitimes. Chaque nation trouve donc en elle-même le droit de créer et de modifier la forme de son gouvernement, qui peut varier suivant les temps et les lieux : c’est ce qu’on appelle la souveraineté nationale.

Les mots de souveraineté du peuple représentent la même idée que ceux de souveraineté nationale ; mais comme ils sont plus susceptibles que ceux-ci de porter des idées fausses dans les esprits, et qu’on en a étrangement abusé, il ne faut les employer qu’avec des explications qui en fassent connaître le véritable sens. Ainsi il n’est pas vrai de dire que chaque individu soit souverain, parce que chaque individu est soumis d’abord à la loi qui l’oblige à vivre en société, et par suite aux lois que cette société s’est données à elle-même ou qu’elle a acceptées. Il ne peut donc ni prétendre modifier la société à sa guise, ni s’insurger contre ses lois. L’individu, sous ce rapport, est sujet et non souverain. Il ne faut pas dire non plus que la majorité a le droit de décider ce qu’elle veut et de le rendre juste en l’approuvant, parce que le souverain, quel qu’il soit, est subordonné aux lois divines, et ne peut rendre juste ce qui ne l’est pas ; ni à plus forte raison que le mot peuple exprime une partie de la nation qui a le droit de commander à l’autre, parce que ce mot chez nous, comme le mot populus chez les Romains, comprend tout le monde, et que, sous ce rapport, il est synonyme du mot nation. Ainsi les mots souveraineté nationale ou souveraineté du peuple expriment seulement cette idée, que le droit public et le droit privé doivent être une émanation des besoins, des vœux et de la volonté d’une nation ou d’un peuple dans la limite du juste. Nous allons voir maintenant comment se manifestent ces besoins, ces vœux, cette volonté.

16. L’organisation et les modifications du droit public ont souvent lieu d’elles-mêmes, par suite de la loi naturelle de la formation et du développement des sociétés, parce que l’homme sent avant que de raisonner. Le droit se produit alors sous la forme de coutume avec l’assentiment général. D’autres fois la personne ou le corps en qui réside le pouvoir proclame les lois nouvelles qui sont considérées comme étant l’expression des besoins et des vœux de la nation. Ce n’est qu’aux époques de civilisation déjà avancées qu’on voit une nation fonder ou modifier son droit public au moyen de déclarations positives sur lesquelles chaque individu est appelé à manifester sa volonté ; ce fait a eu lieu lors de la fondation de la colonie anglo-américaine, qui a été le germe des États-Unis d’Amérique ; nous l’avons vu se reproduire il y a peu d’années, non pas pour fonder, mais pour modifier le droit public, lorsque le peuple français, appelé à émettre son vote, a aboli par 7, 824, 189 suffrages la forme républicaine, qui lui avait été imposée par une insurrection, a rétabli l’Empire et adopté les principes qui servent de base à la constitution actuelle. Mais l’intervention de tout un peuple est un cas nécessairement exceptionnel ; le plus ordinairement les modifications sont faites par des corps politiques régulièrement organisés, qui prennent au nom de la nation des mesures que celle-ci ratifie formellement ou tacitement.

Toutes les modifications de cette nature, pour être utiles et durables, ne doivent être que la transformation en loi des besoins et des vœux populaires. Il faut d’abord qu’une modification soit faite dans les esprits, pour pouvoir être réalisée dans les faits, que la révolution sociale précède la révolution politique[3]. Quelquefois, à l’action lente mais sûre de l’idée, l’homme substitue celle de la force, voulant dans son impatience intervertir l’ordre naturel des choses, et faire découler les modifications sociales des modifications politiques. Quelquefois aussi une résistance aveugle ou bien des attaques imprudentes soulèvent une tempête qui renverse tous les obstacles, mais ébranle en même temps la société jusque dans ses fondements. Ces grandes crises sont les maladies de l’ordre social : heureuse la nation qui ne les a point subies, et chez laquelle le progrès s’est paisiblement accompli par le seul effet du développement naturel de l’intelligence ; car la force compromet toujours le droit, et les révolutions violentes laissent après elles des dangers auxquels on n’échappe qu’à l’aide de secours extraordinaires que Dieu n’accorde pas toujours aux peuples.

17. La participation à l’organisation des pouvoirs, à la législation, à l’administration du pays, constitue les droits politiques. Ces droits appartiennent-ils aux membres de la société au même titre que les droits naturels, qui consistent dans l’égalité, la liberté, la propriété ? La plus simple observation signale entre eux une grande différence : les uns sont partout subordonnés à la double condition du sexe et de l’âge ; les autres sont l’apanage de tous sans distinction. Les premiers, en effet, supposent dans ceux qui les exercent l’intelligence des questions qu’ils ont à résoudre ; la jouissance des autres est indépendante de toute condition spéciale d’aptitude. Il est nécessaire d’être citoyen pour avoir des droits politiques, il suffit de faire partie de l’espèce humaine pour exercer les droits naturels.

Mais tous les hommes majeurs auront-ils les droits et le titre de citoyens ? Oui, dans une société assez homogène pour qu’il n’y ait plus dans son sein ni lutte de races, ni jalousie de classes, ni intérêts divergents des différentes parties du territoire, ou du moins pour que toutes ces causes de divisions soient dominées par l’amour et l’intelligence du bien public. Chez un peuple qui n’est point arrivé à ce degré de maturité, les droits politiques, s’ils étaient conférés à tous, seraient des armes livrées à des ennemis qui se combattent, et non des moyens d’atteindre le but de la société. L’étendue des droits conférés aux citoyens dépendra aussi nécessairement du niveau de l’intelligence moyenne, car s’il se trouvait entre la difficulté des affaires et la capacité des individus une disproportion évidente, la société serait compromise ; le but serait sacrifié aux moyens.

Ainsi la qualité de citoyen existe virtuellement chez tous les hommes majeurs qui composent une nation ; mais l’exercice des droits attachés à cette qualité ne peut appartenir à tous qu’autant que cette nation est devenue homogène ; c’est ce que démontre l’histoire. Même dans ce cas, les droits des citoyens sont plus ou moins étendus, suivant l’aptitude générale, et c’est seulement lorsque la moyenne des intelligences dépasse un certain niveau, que tous peuvent être admis à la participation des droits politiques. Le suffrage universel est une des formes de l’exercice des droits politiques, mais n’en est, pas la forme unique et absolue.

Disons donc avec l’un des premiers publicistes de notre époque :

« Il y a des droits permanents et des droits variables, des droits universels et des droits qui ne le sont point. Tout individu possède et porte partout les premiers, à ce titre seul qu’il est né de l’homme et dresse son front vers les cieux. Les seconds ne s’attribuent à l’individu qu’à d’autres conditions, et il peut, sans que la raison ni la justice en soient offensées, faire partie d’une société où il ne les possède point.

Les droits permanents et universels aboutissent tous au droit de n’obéir qu’à des volontés justes et sages. Les droits variables sont tous contenus dans le droit de suffrage, c’est-à-dire le droit de juger, directement ou indirectement, de la sagesse des lois et du pouvoir. » (Guizot, Revue française, 11e livraison.)

18. Ainsi, en résumé, l’homme est un être intelligent et libre, régi par des lois générales qui émanent de Dieu même, et dont la violation est punie soit dans ce monde, soit dans l’autre.

La loi divine, c’est-à-dire le jute, doit être la règle de conduite de chaque individu, le principe générateur du droit public et du droit privé.

L’état de société est imposé aux hommes par le Créateur. La société ne peut exister sans un pouvoir ; mais ce pouvoir n’est la propriété de personne ; chaque nation peut adopter une forme particulière pour l’exercice et l’organisation du pouvoir.

Les droits naturels sont : la liberté, l’égalité, la propriété.

Les droits politiques consistent dans la participation à la législation et à l’administration du pays.

Les premiers sont le but de la société ; ils appartiennent à tous ses membres.

Les seconds sont des moyens d’atteindre le but social ; ils supposent la capacité[4].

19. Telles sont, dans leur plus grande généralisation, les principes fondamentaux du droit public, principes que les hommes ont suivis à leur insu dans les temps reculés, où ils possédaient encore l’innocence des mœurs et la simplicité du cœur. La famille a été la première société, et les rapports naturels que Dieu a établis entre le père et les enfants et entre les descendants du même père ont été le point de départ, comme ils sont restés le modèle le plus parfait du droit public. L’autorité paternelle d’un gouvernant, la soumission filiale des gouvernés, l’affection fraternelle des membres de la même famille, telles étaient les idées qui devaient présider à la réunion des familles en nations ; mais la corruption humaine a troublé le développement régulier du droit public ; l’homme a oublié Dieu et la loi naturelle qui lui avait été révélée dès l’origine du monde ; il a divinisé ses passions et n’a plus connu d’autres règles que le désir de les satisfaire. Le monde alors est devenu un champ de bataille où les sociétés comme les individus se sont efforcés de faire prévaloir les intérêts de leur cupidité. Au milieu des ténèbres du paganisme, on a vu l’homme s’arroger sur ses semblables un pouvoir que Dieu ne lui avait donné que sur les animaux. La force a remplacé le droit et fondé l’esclavage et la tyrannie.

Enfin la lumière de l’Évangile s’est levée sur le monde, et a fait briller de tout l’éclat d’une révélation nouvelle les principes que les passions avaient obscurcis. Le christianisme a opéré la plus pacifique et la plus étonnante de toutes les révolutions. Dans le monde païen, c’était l’homme physique avec toutes ses passions qui prédominait. Le christianisme a développé l’homme moral ; a l’intérêt qui était sa règle de conduite il a substitué le devoir qui va jusqu’au sacrifice ; il a condamné l’orgueil et l’esprit de révolte, et commandé l’humilité et la soumission ; en rendant à la femme sa dignité d’épouse et de mère, il a recomposé la famille ; en montrant à chaque homme dans son semblable un frère racheté par le même Dieu et appelé aux mêmes destinées que lui, il a créé la charité, amené l’abolition de l’esclavage, et jeté les bases de la société telle qu’elle est, ou plutôt telle qu’elle deviendra un jour, quand elle sera dégagée de tous les débris de paganisme qui l’encombrent encore aujourd’hui. C’est le christianisme qui a fait entrer dans le droit public la liberté et l’égalité pour tous ; c’est lui seul qui peut tirer toutes les conséquences de ces principes féconds, et les réaliser sans secousses, parce qu’il tend sans cesse à l’amélioration des individus, et qu’en même temps qu’il proclame les droits, il proclame aussi les devoirs.

Avant d’entre dans l’étude du droit public positif, il faut connaître la nation que ce droit est destiné à régir. Les nations, en effet, sont soumises, comme les individus, à des influences physiques et morales dont il faut tenir compte, soit qu’on veuille créer des lois positives, soit qu’on se contente d’étudier celles qui existent ; et le droit public de la France ne peut être bien compris qu’autant que l’on a des idées justes sur sa position géographiques, sur le caractère et les mœurs de ses habitants, sur les différentes phases de son histoire. C’est là une science qui doit précéder celle de la législation, et à laquelle nous nous contenterons d’emprunter quelques résultat qui feront l’objet du chapitre suivant.



CHAPITRE II.

élément historique du droit public français.


Sommaire.
20. Coup d’œil général sur la position physique de la France.
21. Différents peuples qui ont contribué à former le peuple français, — Les Gaulois.
22. Conquête romaine et droit romain.
23. Invasion et lois barbares.
24. La féodalité et le droit féodal.
25. Le clergé et le droit canon.
26. La royauté et ses institutions.
27. Les communes et leurs institutions. — Le tiers état.
28. Destruction du pouvoir politique de la noblesse féodale.
29. Monarchie absolue suivie de l’intervention régulière de la nation dans l’exercice du pouvoir.
30. Situation de la France à l’époque de la révolution de 1789. — Division en provinces.
31. Défaut d’unité dans le droit public et privé.
32. Morcellement et confusion des pouvoirs.
33. Principales institutions administratives, — Intendances, généralités, communes.
34. Etat des personnes. — Le clergé, la noblesse, le tiers état.
35. Etat des terres.
36. Etats généraux et Assemblée nationale.
37. Abolition définitive et complète du régime féodal.
38. Constitution du 3 septembre 1791.
39. Vices de la Constitution de 1791.
40. Assemblée législative. — Suspension de la royauté.
41. Convention nationale. — Abolition de la royauté.
42. Constitution du 24 juin 1793.
43. Gouvernement révolutionnaire.
44. Constitution du 5 fructidor an III. — Directoire.
45. Constitution du 22 frimaire an VIII. — Consulat.
46. Consulat à vie. — Sénatus-consulte du 16 thermidor an X.
47. Empire.
48. Sénatus-consultes organiques du 28 floréal an XII et du 19 août 1807.
49. Première restauration. — Charte du 4 juin 1814.
50. Empire des Cent-Jours. — Acte additionnel du 22 avril 1816.
51. Seconde restauration.
52. Révolution de juillet ; Charte constitutionnelle du 14 août 1830.
53. Révolution de février 1848. — République.
54. Constitution du 4 novembre 1848.
55. Impuissance de la Constitution de 1848.
56. Appel au peuple du président de la république.
57. Constitution du 14 janvier 1852.
58. Sénatus-consulte du 7 novembre 1852 accepté par le peuple et décret du 2 décembre 18652 qui rétablissent l’Empire.


20. La France, dont la superficie embrasse cinquante-deux millions sept cent soixante-huit mille six cent dix-huit hectares, ou vingt-six mille sept cent quatorze lieues carrées[5], réunit toutes les conditions qui peuvent rendre un peuple heureux, libre et puissant. Défendue presque de tous côtés par d’admirables fortifications naturelles, elle ne redoute pas les invasions subites et générales qui pourraient la livrer par surprise aux nations étrangères, et la bravoure de ses enfants la place au premier rang parmi les peuples guerriers de l’Europe. Les productions variées d’un sol fertile suffisent à tous ses besoins, et lui permettent de se livrer à un commerce d’exportation rendu facile par le voisinage de deux mers. Sa population, qui est susceptible d’un grand développement intellectuel, a de tout temps donné naissance à des hommes qui ont poussé très-loin la pratique des beaux-arts, l’étude des lettres et des sciences morales et physiques.

La France cependant est bien loin d’avoir tiré le meilleur parti possible de tous ces éléments de prospérité : un grand nombre de terres encore en friche ou mal cultivées la laisse tributaire des étrangers pour des matières qu’elle-même pourrait produire ; le crédit n’est pas populaire, les capitaux manquent trop souvent à l’agriculture et à l’industrie, qui, sur une grande partie du territoire, sont encore privées, malgré les immenses travaux qu’on a faits depuis trente ans, des voies de communication nécessaires à leur développement ; enfin, une grande partie de ses habitants, n’ayant d’autre moyen de subsistance qu’un travail précaire, dénués de tout esprit d’ordre et d’économie, sont exposés à l’entraînement de toutes les passions, et présentent un danger toujours imminent pour la société. C’est que, dans notre pays, une faible partie seulement de la population a fait de grands progrès dans la carrière de la civilisation ; les masses sont restées en arrière, entravées dans leur marche par des obstacles de toute nature dont elles ne sont point encore affranchies aujourd’hui.

21. L’histoire nous apprend que la population de la France se compose d’éléments empruntés à trois peuples : les Gaulois, les Romains et les Germains, qui différaient entre eux de caractère, de lumières, de principes politiques. Ces éléments divers, superposés d’abord les uns aux autres, se sont ensuite confondus et mêlés de manière à ne plus former qu’un seul peuple qui a conservé dans ses mœurs, dans ses lois, dans sa langue, des traces de sa triple origine.

Les Gaulois, comme tous les peuples dans l’enfance, avaient de grandes qualités et de grands défauts ; à la bravoure s’alliait la cruauté, à la religion la superstition ; ils paraissent avoir connu les arts nécessaires à la vie, et les avoir pratiqués avec succès ; la littérature et les sciences morales étaient le partage d’une classe de prêtres qui unissaient souvent le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Cependant l’organisation politique n’était pas uniforme chez eux ; elle variait suivant les temps et suivant les lieux ; on la voit tantôt sacerdotale, tantôt aristocratique, tantôt démocratique. L’idée la plus juste qu’on puisse se faire des Gaulois est celle d’un grand nombre de peuplades réunies quand il le fallait pour la défense commune, mais différant entre elles par leurs usages, leurs mœurs et leur gouvernement[6].

22. Lorsque les Romains eurent soumis les Gaules, ils transportèrent au milieu de ces populations intelligentes, mais encore peu éclairées, les produits d’une civilisation avancée ; les vainqueurs s’assimilèrent les vaincus, plus facilement subjugués par le charme des beaux-arts et des lettres qu’ils ne l’avaient été par la force des armes. Les institutions changèrent comme les mœurs, et la Gaule devint province romaine ; un pouvoir unique, celui de la métropole, succéda aux petits gouvernements qui se partageaient le territoire : mais à l’ombre de ce pouvoir naquirent les villes municipes et leurs administrations locales ; le droit romain régla les rapports des particuliers entre eux, et laissa des traces profondes qui ne sont point encore effacées aujourd’hui.

23. Affaibli par son étendue, amolli par la corruption, l’empire romain laissa envahir les Gaules par les nations du Nord[7], qui mêlèrent leur législation, leurs mœurs, leur sang à la législation, aux mœurs, au sang des Gallo-Romains. Ce contact intime de la barbarie et de la civilisation produisit d’abord le chaos ; tout pouvoir central disparut, les grandes voies de communication établies par les Romains furent coupées et détruites, tout le territoire fut divisé en peuplades diverses de langage, de lois et de mœurs. Cependant au sein de ce chaos vivaient des éléments de la civilisation nouvelle. Le premier pas vers un ordre de choses politiques meilleur fut l’établissement de l’unité administrative tenté par Charlemagne ; mais l’ordre que l’empereur avait créé disparut avec lui. Telle était la déplorable situation dans laquelle la barbarie des mœurs et l’anarchie avaient jeté la France, qu’on peut considérer comme un progrès l’établissement de ces petites souverainetés qui surgirent sur tous les points en l’absence d’une autorité centrale, et qui furent les éléments du système féodal.

24. Le système féodal était un progrès, car il établissait un peu d’ordre au milieu du désordre ; mais, d’un autre côté, il augmentait le morcellement du pays, en organisant une foule de petits États indépendants les uns des autres ; il couvrait le sol de despotes qui se prétendaient les propriétaires des biens et des personnes ; il donnait lieu à des guerres intérieures de province à province, de seigneurie à seigneurie, et nuisait ainsi au développement intellectuel, industriel et agricole.

25. Le clergé, riche et nombreux, exerçant par la supériorité de ses lumières et par l’influence que donne la religion un empire bien légitime dans des temps de barbarie, avait sa législation préférable à toutes les lois grossières, à tous les usages tyranniques de cette époque ; il avait aussi ses juges plus éclairés que ceux des seigneurs, une procédure intelligente : il était donc naturel que ses tribunaux fussent préférés aux juges séculiers trop souvent ignorants ou corrompus.

Ainsi le morcellement était partout, dans le territoire, puisque la France n’était qu’une agglomération de petites souverainetés ; dans les personnes, puisque des races diverses se trouvaient mêlées, mais non confondues ; dans la souveraineté, que s’attribuait tout seigneur féodal ; dans les lois et dans les juridictions, qui variaient non pas seulement d’un pays à l’autre, mais dans le même pays, d’une personne à l’autre. Le droit canon, le droit romain, le droit féodale, les ordonnances royales, les coutumes, étaient appliqués simultanément par les juges ecclésiastiques, par les baillis, les sénéchaux, les prévôts, les viguiers, les échevins, au milieu des difficultés de toute nature que faisait naître la lutte de tant de juridictions.

26. Au-dessus de toutes ces institutions planait le pouvoir royal, qui, faible d’abord et souvent méconnu, devant cependant prévaloir plus tard, parce qu’il représentait l’unité dans le pouvoir, dans la législation, dans l’administration. La royauté devait l’emporter sur la féodalité, car elle avait un intérêt unique, qui se transmettait toujours le même d’une génération à l’autre ; tandis que la féodalité se dévorait elle-même par des luttes intestines. Le roi, appelé par les parties belligérantes, s’empressait d’intervenir, certain que le résultat serait toujours l’affaiblissement d’un de ses adversaires. Il ne négligeait aucune occasion de réunir un fief à la couronne, par confiscation en cas de félonie, par déshérence, par des alliances qui apportaient immédiatement une province ou donnaient l’espoir de l’acquérir un jour à titre successif. Le pouvoir royal alla s’implanter au sein même de la féodalité, au moyen de l’appel au roi créé par les Établissements de saint Louis[8]. La législation coutumière fut battue en brèche par le droit romain, que la barbarie n’avait pu complétement étouffer, dont l’étude sous Philippe-Auguste, avait pris une extension nouvelle, et qui fut déclaré, par Philippe le Bel et Louis X, droit commun dans le silence des coutumes ; par les ordonnances des rois de France, qui, faites d’abord pour les domaines du roi, s’étendirent peu à peu, imposèrent des règles à la féodalité elle-même, et préparèrent les voies à un droit public et privé uniforme. Appuyée sur les parlements composés de magistrats versés dans l’étude du droit, la juridiction royale s’étendit partout ; elle rencontra la juridiction ecclésiastique, lutta avec elle, et finit par s’enrichir des attributions que celle-ci avait enlevées à la féodalité.

27. La noblesse, le clergé et la royauté ne furent pas seuls acteurs dans cette grande lutte : d’anciennes villes municipales romaines avaient conservé leur liberté, d’autres villes s’étaient peuplées de serfs affranchis. Laborieux artisans, commerçants industrieux, les bourgeois étaient parvenus à acquérir des richesses ; leur nombre imposait aux seigneurs féodaux, qui avaient intérêt à les ménager et à les laisser jouir d’une sorte d’indépendance. Mais, dans ces temps de confusion, des luttes s’élevaient quelquefois entre les villes et les seigneurs : ces luttes se terminaient par des traités (paces) ordinairement à l’avantage des villes. Le bien-être dont jouissaient les bourgeois qui vivaient ainsi en commun, gouvernés par des magistrats de leur choix, défendus contre toutes les vexations féodales, eut un effet contagieux ; dans toutes les cités où se trouvaient réunis les éléments d’une commune, les habitants sollicitaient de leur seigneur des institutions semblables, et quand on les leur refusait, ils les arrachaient par la force. Ce mouvement d’émancipation se propagea surtout dans le commencement du XIIe siècle : Louis le Gros et ses successeurs surent en profiter pour créer à la royauté un puissant appui contre la féodalité. La plupart des seigneurs suivirent l’exemple des rois de France ; ils concédèrent aux villes sous leur domination des franchises communales, ou ils fondèrent des villes nouvelles, dans lesquelles ils attirèrent des habitants par les privilèges qu’ils leur accordèrent. Ainsi se forma une classe nouvelle de personnes qui reçut le nom de tiers état lorsqu’en 1302 on l’appela pour la première fois aux états généraux, après le clergé et la noblesse.

28. La noblesse féodale ainsi attaquée de toute part, décimée par les guerres intestines, par les croisades, par les luttes contre les Anglais ; affaiblie par les réunions successives des principales provinces à la couronne ; tenue en bride par le pouvoir royal qui s’appuyait sur des armées permanentes, sur les communes, sur les parlements, perdit la plupart de ses prérogatives, et, après avoir été définitivement vaincue par Louis XI et par Richelieu, se transforma sous Louis XIV en noblesse de cour.

29. À partir de Louis XIV, la royauté victorieuse voulut régner sans partage. La monarchie absolue s’appuyait sur des classes privilégiées désormais subordonnées au pouvoir royal ; les restes des franchises municipales furent détruits, et la main puissante du grand roi parvint à maintenir l’ordre dans un royaume où manquait encore l’unité de territoire et de législation, et où la société reposait sur des inégalités choquantes. Mais le tiers état, qu’on ne consultait plus parce qu’on croyait n’en plus avoir besoin, et que l’on avait dépouillé de tous ses anciens droits, fini par faire prévaloir les principes qui étaient autrefois la base des chartes communales, et parvint à faire jouir la France tout entière des droits qui jusqu’alors avaient été considérés comme des privilèges.

Ainsi, de tous les éléments qui se trouvaient en lutte pendant des siècles, la féodalité, élément matérialiste appuyé sur la force, fut vaincue par le spiritualisme du droit canon et du droit civil. L’esprit de morcellement et d’individualisme, conséquence de la féodalité, disparut devant le principe de l’unité que représentait le pouvoir royal. Mais ce pouvoir, étant devenu absolu, mit obstacle pendant quelque temps au développement des principes de liberté et d’égalité que le christianisme a apportés au monde, et dont le tiers état était le conservateur. Ces principes ont enfin prévalu et ont formé, avec l’unité dont le pouvoir royal était le représentant, les bases de notre droit public actuel. — Jetons maintenant un coup d’œil rapide sur les différentes phases de la révolution commencée en 1789, et qui vient à peine de se terminer.

30. En 1789, lorsque la révolution sociale devint une révolution politique, la France était partagée en trente-trois provinces, savoir : huit au septentrion : 1o la Flandre française, 2o l’Artois, 3o la Picardie, 4o la Normandie, 5o l’Île-de-France, 6o la Champagne, 7o la Lorraine, 8o l’Alsace ;

Treize dans le milieu : 1o la Bretagne, 2o le Maine, 3o l’Anjou, 4o la Touraine, 5o l’Orléanais, 6o le Berri, 7o le Nivernais, 8o la Bourgogne, 9o la Franche-Comté, 10o le Poitou, 11o l’Aunis, 12o la Manche, 13o le Bourbonnais ;

Douze vers le midi : 1o la Saintonge qui comprenait aussi l’Angoumois, 2o le Limousin, 3o l’Auvergne, 4o le Lyonnais, 5o le Dauphiné, 6o la Guienne, 7o le Béarn, 8o le comté de Foix, 9o le Roussillon, 10o le Languedoc, 11o la Provence, 12o la Corse.

On comptait encore sept petits gouvernements dont les gouverneurs ne recevaient d’ordres que du roi ; ils ne comprenaient pour la plupart qu’une ville ; c’étaient : 1o Paris, 2o le Boulonnais, 3o le Havre-de-Grâce, 4o Saumur avec le Saumurois, 5o Metz et le pays Messin, 6o Verdun et le Verdunois, 7o Toul et le Toulois. (Géographie de Lacroix, t. 1, p. 70)

Ces diverses provinces avaient été réunies successivement au royaume de France, qui ne comprenait d’abord que les pays situés entre la Picardie, la Champagne, l’Orléanais et le pays Chartrain. Quelques réunions étaient encore toutes récentes à la fin du dernier siècle. Ainsi la Flandre, l’Artois, la Franche-Comté, l’Alsace ne sont devenues françaises que sous Louis XIV, la Lorraine sous Louis XV, la Corse en 1769, et le comtat Venaissin en 1791 (voir le décret du 14 septembre 1791). Il résultait de ce mode de formation successif, et pour ainsi dire fortuit, un défaut d’harmonie dans l’ensemble, nulle proportion entre la population, le territoire, la richesse des différentes circonscriptions.

31. Mais ce qui était beaucoup plus grave, c’est que chacun de ces petits États, en devenant province française, avait conservé son droit public et privé. En 1789, il y avait en France, outre le droit romain qui régissait les provinces du midi et qui était le droit commun dans les autres, une multitude de législations locales, connues sous le nom de coutumes : on en comptait soixante générales, c’est-à-dire observées dans tout le territoire d’une province, et quatre cent quatre-vingt-dix locales, c’est-à-dire propres à une ville, quelquefois même à un village.

32. Le pouvoir législatif était exercé par le roi ; mais il trouvait une limite dans les privilèges des provinces, dans les prétentions des parlements, qui refusaient quelquefois d’enregistrer les édits, et dont la résistance, vaincue par des lettres de jussion ou par des lits de justice, protestait contre la non-convocation des états généraux dont ils prétendaient être les représentants. Le pouvoir exécutif reposait aussi dans les mains du roi ; mais il se trouvait limité, comme le pouvoir législatif, par les privilèges des provinces, des villes et des communautés. L’autorité judiciaire et l’autorité administrative étaient souvent confondues entre les mains des parlements et des autres corps judiciaires.

33. Des institutions purement administratives, connues sous le nom de bureaux des trésoriers de France, étaient chargées de la gestion du domaine royal, de l’intendance des finances, des tailles et gabelles, et aussi de la réparation des chemin, ponts, chaussés, pavés, cours d’eau, etc. ; enfin de la juridiction en matière de voirie.

Les généralités, circonscriptions financières créées par l’ordonnance de 1542, étaient devenues aussi des circonscriptions administratives, à la tête desquelles étaient placés les intendants, qui avaient des attributions analogues à celles des préfets actuels, quoique plus étendues et surtout moins bien limitées. Au-dessous des intendants étaient des subdélégués, qui remplissaient les fonctions analogues à celles de nos sous-préfets. Les sénéchaussées et bailliages, bien que circonscriptions judiciaires, avaient cependant une certaine importance administrative sous le rapport de la police locale.

Les communes avaient perdu la plus grande partie de leurs franchises, presque partout les maires et les échevins étaient nommés par le roi, et leur juridiction était à peu près anéantie.

34. L’état des personnes, au moment de la révolution de 1789, se ressentait des différentes révolutions qu’avait subies l’ordre social. À l’esclavage antique avait succédé d’abord le colonage, puis le servage féodal ; celui-là même avait presque disparu en 1789, et les serfs affranchis, réunis aux bourgeois des communes, constituaient le tiers état, c’est-à-dire la masse de la nation. Au-dessus du tiers état se trouvait placée la noblesse, image décolorée de l’antique et puissante féodalité dont elle avait conservé une foule de droits et de privilèges. Le clergé, qui avait été longtemps à la tête de la civilisation en France, et qui avait acquis par là une légitime prépondérance, formait encore le premier ordre de l’État ; mais il n’avait plus de son ancienne puissance qu’un grand nombre de privilèges et d’immenses richesses qui furent une des causes de sa ruine en tant que corps politique. La liberté n’était pas plus respectée que l’égalité ; elle était entravée dans son exercice par une législation qui laissait une large place à l’arbitraire, et les lettres de cachet pouvaient encore atteindre et faire emprisonner sans jugement les personnages les plus éminents de l’État.

35. C’est une loi constante que, dans les États où règne l’inégalité, à une classe politique de personnes corresponde une classe de terres : au clergé, à la noblesse, au tiers état correspondaient trois classes d’immeubles ; les deux premières étaient affranchies de la plupart des charges publiques que supportait la troisième. La législation était conçue dans le but de conserver et d’augmenter la richesse territoriale des deux classes privilégiées ; elle établissait l’inaliénabilité des biens de mainmorte, l’inégalité dans les partages, les substitutions, etc.

À la fin du XVIIIe siècle, toute la partie intelligente de la France sentait vivement les inconvénients de l’ordre de choses qui existait alors, et de toutes parts les bons esprits appelaient des réformes. Il y avait désaccord complet entre le fond et la forme de la société ; on se trouvait dans une de ces circonstances graves où, la révolution sociale étant opérée, il faut qu’elle passe dans les lois et que la révolution politique ait lieu. L’on était arrivé à cette époque de la civilisation où une nation ne se contente plus d’un droit incertain et variable, mais où elle veut une constitution écrite qui détermine d’une manière précise l’organisation du pouvoir, les droits et les devoirs des gouvernants et des gouvernés.

36. C’est à l’histoire à raconter par quelle suite d’événements les états généraux se déclarèrent Assemblée nationale constituante ; adire quels furent les erreurs, les fautes et les crimes qui entraînèrent dans une déplorable déviation une réforme pure dans son but primitif et féconde dans ses résultats[9] ». Nous devons seulement constater que, malgré les reproches fondés qu’on peut lui adresser, l’Assemblée nationale a reconnu ou posé la plupart des principes qui servent aujourd’hui de base à notre droit public positif. Si elle s’est trompée quelquefois dans leur application, l’expérience nous a permis de corriger ses erreurs et d’améliorer son œuvre.

37. Le premier soin de l’Assemblée nationale fut de déblayer le terrain sur lequel elle avait à construire. Dans la fameuse nuit du 4 août 1789, sur la proposition de deux membres de la noblesse, le vicomte de Noailles et le duc d’Aiguillon, l’Assemblée arrêta, au milieu de l’enthousiasme général :

L’abolition du servage ;

La faculté de rembourser les droits seigneuriaux ;

L’abolition des juridictions seigneuriales ;

La suppression des droits exclusifs de chasse, de colombiers, de garennes ;

Le rachat de la dîme ;

L’égalité des impôts ;

L’admissibilité de tous les citoyens aux emplois civils et militaires ;

L’abolition de la vénalité des offices ;

La destruction de tous les priviléges des villes et provinces ;

La réformation des jurandes,

Et la suppression des pensions obtenues sans titre[10].

38. L’Assemblée nationale ne fut pas aussi puissante pour édifier que pour détruire. L’inexpérience des publicistes théoriciens qui composaient sa majorité, les préjugés philosophiques du XVIIIe siècle dont ils étaient imbus, les préoccupations de la lutte au milieu de laquelle ils se trouvaient, la méfiance qu’ils nourrissaient contre l’autorité, ne leur permirent pas de créer une constitution qui pût résister aux agitations que la première phase de la révolution avait soulevées. Cette constitution, élaborée par l’Assemblée au milieu des immenses travaux que nécessitait la position transitoire dans laquelle on se trouvait, fut adoptée le 3 septembre 1791, et promulguée le 14 du même mois. Elle contient d’abord une déclaration dogmatique des droits de l’homme et du citoyen, théorie philosophique qui pouvait être développée dans un préambule, mais qui, formulées en articles de loi, avait l’immense inconvénient de prêter à des interprétations dangereuses. Telle était la situation d’esprit des constituants, que cette déclaration ne parlait pas des devoirs, qu’il était cependant essentiel de faire connaître aux nouveaux citoyens[11].

Cette constitution rappelle ensuite et confirme les abrogations déjà prononcées par les décrets de 1789, énumère les droits qu’elle garantit à tous les Français, puis établit l’unité du royaume, qu’elle divise en départements, districts, cantons et communes. Après avoir posé le principe que la souveraineté réside dans la nation, et que le pouvoir ne peut être exercé que par sa délégation, elle distingue le pouvoir législatif du pouvoir exécutif. Le premier est confié à un Corps législatif, composé d’une Chambre unique, dont les membres, nommés par une élection à deux degrés, sont renouvelés tous les deux ans. Cette Chambre a l’initiative de toutes les lois ; elle vote l’impôt, fixe les dépenses, fait les déclarations de guerre sur la proposition du roi, etc., etc. Les électeurs et le Corps législatif se réunissent de plein droit aux époques déterminées par la constitution. L’assemblée a la plénitude du pouvoir législatif ; car, bien que le consentement du roi soit nécessaire pour que ses décrets acquièrent force de loi, son refus n’est que suspensif, et la sanction est censée donnée lorsque trois législatures consécutives ont représenté le même décret dans les mêmes termes. Le pouvoir exécutif est confié au roi, qui ne règne que par la loi et ne peut exiger l’obéissance qu’en son nom. La royauté se transmet héréditairement de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion des femmes et de leurs descendants. La personne du roi est inviolable et sacrée ; mais aucun ordre de lui ne peut être exécuté s’il n’est contre-signé par un ministre qui en supporte la responsabilité.

39. Tout en voulant un gouvernement monarchique, l’Assemblée constituante, entraînée par des théories mal comprises et par des craintes exagérées, ouvrait la porte la plus large à la démocratie. La constitution de 1791, en effet, mettait en présence, sans aucun intermédiaire, deux pouvoirs animés l’un contre l’autre de cet esprit de méfiance et d’hostilité qui est inséparable des moments de crise politique ; et, par une déplorable imprudence, au lieu de fortifier le pouvoir constitutionnel de la royauté, elle le livrait faible et désarmé à l’action de la force populaire soulevée par les passions les plus violentes. Le roi ne pouvait dissoudre l’Assemblée, quand il le jugeait convenable ; il n’avait pas le droit de proposer des lois ; il ne pouvait opposer à celles qui lui paraissaient dangereuses qu’un refus momentané qui avait pour résultat d’éveiller des animosités et de mettre au grand jour l’insuffisance de son pouvoir.

40. L’Assemblée nationale, malgré ses bonnes intentions, fit une chose imprudente en décidant, au moment où elle se séparait, qu’aucun de ses membres ne pouvait faire partie de l’Assemblée législative qui allait lui succéder, Cet acte de désintéressement ou de découragement eut sur le sort de la révolution les plus déplorables conséquences. Des hommes nouveaux arrivèrent au pouvoir, dépourvus d’expérience, et souvent animés d’intentions qui n’étaient point celles de l’assemblée dont ils devaient compléter l’œuvre.

L’Assemblée législative, dominée par les masses populaires, détruisit la constitution dont elle était chargée de développer les principes. Le 10 août 1792, par un décret rendu au bruit du canon qui assiégeait les Tuileries, elle suspendit le roi, et convoqua une Convention nationale, afin de prendre les mesures pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l’égalité. Un autre décret décida que, pour former la Convention nationale, tout Français âgé de 21 ans, domicilié depuis un an, vivant du produit de son travail, serait admis à voter dans les assemblées primaires, et que tout citoyen âgé de 25 ans pourrait être nommé électeur et député[12].

41. L’un des premiers actes de la Convention nationale fut l’abolition de la royauté, décrétée dès le lendemain de l’ouverture de ses séances, sans discussion, et lorsqu’un grand nombre de députés n’avait pu encore se rendre à l’Assemblée (Lanjuinais, Const. fran., tome 1, page 42). Après la chute du trône et le supplice du roi, la Convention fut déchirée par des luttes intestines ; elle ne respecta pas plus l’inviolabilité de ses membres qu’elle n’avait respecté l’inviolabilité royale. Les Girondins, vaincus dans la journée du 31 mai 1793 par les sections insurgées, furent mis en état d’arrestation, en vertu d’un décret du 2 juin, et portèrent bientôt leur tête sur l’échafaud. La révolution fut compromise, parce que le pouvoir était descendu dans les classes ignorantes et passionnées, qui, à défaut de la supériorité de l’intelligence, employaient, pour dominer, celle de la force ; on vit alors la terreur et l’échafaud devenir des moyens de gouvernement.

42. Le principe démagogique essaya de se formuler dans la constitution du 24 juin 1793 : à la souveraineté nationale, proclamée en 1791, on substitua la souveraineté du peuple, c’est-à-dire le droit égal de tous les citoyens de concourir à la formation de la loi et à la nomination de leurs mandataires ou de leurs agents[13]. On poussa même ce principe jusqu’à sa dernière conséquence, en établissant que le Corps législatif nommé immédiatement par le peuple n’avait que l’initiative des lois ; il votait un simple projet : aux termes de l’art. 10, la délibération appartenait au peuple. Voici comment on avait organisé le mode de délibération : « Le projet, dit la constitution, est imprimé et envoyé à toutes les communes de la république, sous le titre de Loi proposée. Quarante jours après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux régulièrement formées n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. S’il y a réclamation, le Corps législatif convoque les assemblées primaires. » (Const. du 24 juin 4793, art. 56, 57, 58, 59, 60.)

Le pouvoir exécutif était confié à un conseil qu’on formait de la manière suivante : les assemblées primaires nommaient des électeurs ; tous les électeurs d’un département nommaient un candidat ; sur la liste générale, le Corps législatif choisissait 24 personnes qui composaient le conseil, lequel était renouvelé par moitié à chaque législature. Des électeurs nommés par les assemblées primaires choisissaient les administrateurs, les arbitres publics, les juges criminels et de cassation[14].

43. Cette constitution, complétement impraticable, et qui cependant ne satisfaisait pas encore la partie la plus exagérée de la Convention, ne fut jamais appliquée. Un décret du 9 vendémiaire an II (octobre 1793) déclare le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix[15], et soumis le conseil exécutif, les généraux, les corps constitués, à la surveillance du comité de salut public, qui mit la terreur à l’ordre du jour, battit les ennemis de la France, et fit couler au dedans des flots de sang. La Convention, pendant toute la durée de son règne, confondit en elle le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et alla même jusqu’à exercer l’autorité judiciaire. Ne pouvant suffire à tout et être présente partout, elle fut obligé de délégué une partie de son pouvoir à ses comités, qui prirent des décisions relatives à l’exécution des lois, et prononcèrent sur les questions du contentieux administratif. Les simples députés en mission dans les départements eurent un pouvoir encore plus étendu : leurs arrêtés sont qualifiés, par un décret du 17 juillet 1793, de lois provisoires ; ils ne pouvaient être rapportés que par la Convention. Un tel régime était trop violent pour durer longtemps : Robespierre, qui en était en quelque sorte la personnification, vaincu à son tour le 9 thermidor an II, monta avec ses partisans sur l’échafaud où il avait envoyé tant de ses collègues. Ce qui restait de la Convention s’occupa d’une constitution nouvelle qui fut promulguée le 3 fructidor an III.

44. Les rudes leçons de l’expérience ne furent pas perdues pour les législateurs ; ils séparèrent avec soin le pouvoir législatif du pouvoir exécutif. Le premier fut attribué à un corps composé de deux conseils électifs : l’un, appelé le conseil des Cinq-Cents à cause du nombre de ses membres, avait l’initiative de lois qui étaient votées par le second conseil, qualifié de conseil des Anciens, et composé de 250 membres âgés d’au moins 40 ans. Le pouvoir exécutif était confié à un directoire de cinq membres, nommés par le conseil des Anciens sur une liste de 50 noms formée par le conseil des Cinq-Cents, et pris parmi les citoyens ayant été membres du Corps législatif ou ministres. Le Directoire se renouvelait par cinquième tous les ans. (Const. du 8 fructidor an III, art. 44, 73, 95, 96, 132, 133, 134, 135, 135, 136, 137.)

Cette constitution compliquée fonctionna mal. Le pouvoir exécutif, confié à cinq directeurs, manquait d’unité ; il n’avait ni la force ni l’autorité nécessaire pour comprimer les partis toujours menaçants ; il employa la violence, et se mutila lui-même en envoyant un de ses membres en exil ; il fut bientôt complétement discrédité par l’immoralité de l’un de ses membres et l’insuffisance des autres. La nation, exposée aux plus grands dangers, trouva un sauveur dans le général Bonaparte, qui, aux applaudissements de toute la France, opéra le coup d’État du 18 brumaire. Ce qui restait du Corps législatif rendit, le 19 brumaire, une loi qui remplaçait le Directoire exécutif par une commission consulaire exécutive, et les conseils des Cinq-Cents et des Anciens par deux commissions composées chacune de 15 membres. Les deux commissions exercèrent en effet le pouvoir législatif et constituant jusqu’à la promulgation de la constitution nouvelle.

45. La nouvelle constitution, datée du 22 frimaire an VIII, se ressent de la fatigue que devait éprouver la France à la suite de tant de révolutions ; elle cherche des garanties de durée dans l’établissement d’un Sénat conservateur, composé de 80 membres inamovibles, qui se recrute lui-même en choisissant ses nouveaux membres entre trois candidats présentés par les autres pouvoirs de l’État. Le Sénat élit, sur des listes formées au moyen d’élections à plusieurs degrés, les juges à la Cour de cassation, les commissaires à la comptabilité, les législateurs et les agents du pouvoir exécutif ; il maintient ou annule tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels. (Const. du 22 frimaire VIII t. 2, 3, 4.) Trois consuls, nommés pour 10 ans, exercent le pouvoir exécutif, et ont l’initiative des lois. Un Conseil d’État est chargé, sous la direction des consuls, de rédiger les projets de loi et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative. Les projets de loi doivent d’abord être communiqués à un corps nommé Tribunat, composé de 100 membres élus par le Sénat et renouvelés par cinquième. Le Tribunat discute les projets de loi et en vote l’adoption et le rejet ; mais la résolution définitive est prise par une assemblée qualifiée de Corps législatif, qui est com posée de 300 membres nommés par le Sénat et renouvelés par cinquième : le Corps législatif vote au scrutin secret, mais sans aucune discussion de la part de ses membres, sur les projets de loi débattus devant lui par les orateurs du Tribunat et du gouvernement.

La constitution de l’an VIII avait été rédigée sous l’influence du général Bonaparte, qui venait de renverser le gouvernement du Directoire ; il se réservait, comme premier consul, la promulgation des lois, le droit de nommer et de révoquer à volonté les membres du Conseil d’État, les ministres, les ambassadeurs et autres agents extérieurs, les officiers de terre et de mer, les membres des administrations locales et les commissaires du gouvernement près les tribunaux, les juges criminels et civils autre que les juges de cassation ; dans les autres actes de gouvernement, il admettait l’intervention de ses deux collègues avec voix consultative, et la faculté de consigner, si cela leur plaisait, leur opinion sur un registre. (Const.  du 22 frimaire an VIII, 41, 42.)

46. Le premier consul avait été réélu par anticipation dès le 18 floréal an X ; mais un pouvoir dont le terme est connu perd une grande partie de sa force. Un arrêté des consuls du 20 floréal an X porte que le peuple français sera consulté sur la question de savoir si Napoléon Bonaparte sera consul à vie, qu’il sera ouvert des registres dans chaque commune, aux secrétariats de toutes les administrations, aux greffes de tous les tribunaux, chez tous les maires et tous les notaires, sur lesquels les citoyens seront invités à consigner leur vœu dans un délai déterminé. Le 14 thermidor an X, le Sénat conservateur constate que 3, 577, 259 citoyens ont donné leur suffrage, et que 3, 568, 885 citoyens ont voté pour que Napoléon Bona parte soit nommé premier consul à vie. En conséquence, un sénatus-consulte porte que le peuple français nomme, et que le Sénat proclame Napoléon Bonaparte premier consul à vie. Le lendemain 16 thermidor, le Sénat, en vertu de l’art. 54 de la Constitution, publie un sénatus-consulte organique qui est un appendice important à la Constitution de l’an VIII.

41. Un pouvoir viager livre l’État aux crises politiques les plus dangereuses chaque fois qu’il s’agit de le renouveler. Pénétré de cette vérité, le 28 floréal an XII, en vertu de son pouvoir organique, le Sénat créa le gouvernement impérial, proclama empereur Napoléon Bonaparte, et décida que l’on soumettrait à l’acceptation du peuple, dans les formes déterminées par l’arrêté du 20 floréal an X, une proposition ainsi conçue : « Le peuple veut l’hérédité de la dignité impériale dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte et de Louis Bonaparte. » Le 15 brumaire an XII, un nouveau Sénatus-consulte, sur le vu du procès-verbal constatant que 3, 524, 254 citoyens ont donné leur suffrage, et que 3, 521, 675 citoyens ont adopté la proposition, déclara que la dignité impériale était héréditaire.

48. Le 19 août 1807, un nouveau sénatus-consulte réorganisa le Corps législatif, et décida que la discussion préalable des lois, qui était faite par les sections du Tribunat, le serait à l’avenir par des commissaires du Corps législatif. Le Tribunat, qui était un des organes du pouvoir législatif établis par la constitution de l’an VIII, fut ainsi implicitement supprimé, et ses membres furent fondus dans le Corps législatif. Tous ces changements s’exécutaient avec l’approbation de la grande majorité des Français, effrayés encore des crimes de la Convention, fatigués de l’anarchie du Directoire. Le consulat et les premières années de l’empire furent une époque de prospérité générale. Napoléon Ier, reprenant l’œuvre interrompue de l’Assemblée constituante, compléta l’organisation administrative par la loi du 18 pluviôse an VIII, créa et réforma dans le sens monarchique la plupart des grandes institutions qui existent encore aujourd’hui. Les chances malheureuses de la guerre attristèrent les dernières années de son règne ; toutes les forces de l’Europe coalisée contre une seule puissance l’emportèrent enfin. Lorsque la capitale fut tombée en leur pouvoir, l’Empereur, afin de ne pas prolonger une lutte sanglante, abdiqua le 14 avril 1814 à Fontainebleau, et se retira à l’île d’Elbe, dont la souveraineté lui fut attribuée par des conventions diplomatiques. Dès le 3 du même mois, le Sénat avait prononcé sa déchéance à laquelle avait adhéré le Corps législatif.

49. Louis XVIII, frère de Louis XVI, rétabli sur le trône qu’avaient occupé ses ancêtres, comprit la nécessité d’une constitution nouvelle qui déterminât la division des pouvoirs, les droits et les obligations des gouvernants et des gouvernés. Mais, tout en donnant une grande influence à la Chambre des Députés, qui représentait la nation, cette constitution portait des principes de l’omnipotence royale. « Nous avons considéré, est-il dit dans le préambule, que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du Roi, nos prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice suivant les différences des temps ; que c’est ainsi que les communes ont dût leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l’extension de leurs droits à St Louis et à Philippe le Bel. » Notre droit public n’a jamais admis comme principe incontestable que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du Roi. Les communes n’ont pas dû leur affranchissement à Louis le Gros, ni aux autres rois de France, qui ont bien favorisé cette affranchissement, mais qui ne l’ont pas primitivement et spontanément accordé. (V. Lettres sur l’Histoire de France, de M. Augustin Thierry.) C’était donc en s’appuyant sur une théorie qui était en opposition avec les principes du droit public plus spécialement proclamés depuis 1789 que Louis XVIII disait : « Nous avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons, fait concession et octroi à nos sujets… de la charte constitutionnelle qui suit, etc. »

50. Il n’y avait pas encore un an que Louis XVIII était rétabli sur le trône, lorsque Napoléon, profitant des inquiétudes inspirées par les prétentions des partisans de l’ordre de choses que la révolution avait aboli, quitta l’île d’Elbe, traversa rapidement la France, et vint à Paris reprendre les rênes du gouvernement. Le 22 avril 1815 il publia un acte additionnel aux constitutions de l’empire, qui n’a eu qu’une existence éphémère. Les désastres de Waterloo entraînèrent la chute de l’Empereur, qui abdiqua pour la seconde fois le 22 juin 4815, et qui, étant allé demander un asile à l’Angleterre, fut transporté à l’île Ste-Hélène, où il mourut en 1821.

51. Louis XVIII, rétabli de nouveau sur le trône, parvint à surmonter les difficultés que laissent toujours après elles les révolutions ; il gouverna avec habileté, s’efforçant de renfermer dans de justes limites les prétentions souvent exagérées de tous les partis. Son règne n’apporta aucune modification aux principes généraux du gouvernement. Charles X, qui lui succéda en 1823, n’hérita pas de sa prudence ; attaché de cœur aux idées et aux hommes de l’ancienne monarchie, il ne voyait, comme eux, dans les principes posés par la charte que des concessions dangereuses qu’il fallait s’efforcer de limiter et de reprendre même s’il était possible.

52. Vers la fin de 1830, les circonstances politiques étaient devenues très-graves ; le ministère n’avait pas la confiance de la chambre, qui dans l’adresse au roi avait annoncé un refus de concours ; la chambre fut dissoute, et des élections générales eurent lieu, Mais la chambre nouvelle s’annonçait comme plus hostile encore que la précédente ; dans le sein de la nation s’ourdissaient des trames secrètes dont le but était le renversement de la monarchie et l’établissement de la république. Charles X, invoquant l’omnipotence royale, publia, le 25 juillet : 1o une ordonnance qui suspendait la liberté de la presse périodique et semi-périodique, rapportant ainsi la loi du 28 juillet 1828 ; 2o une ordonnance qui dissolvait la Chambre des Députés non encore réunie ; 3o une ordonnance qui rapportait la loi d’élection et créait un système électoral ; 4o une ordonnance portant convocation des collèges électoraux et des chambres : ces ordonnances étaient accompagnées d’un rapport au Roi qui les présentait comme le seul moyen de sauver la monarchie. Le coup d’État du pouvoir provoqua la résistance de la nation ; Charles X tomba du trône et alla finir sa vie dans l’exil.

En présence du parti républicain menaçant, la Chambre des Députés, qui avait nommé le duc d’Orléans lieutenant général du royaume, se hâta de sortir du provisoire ; elle déclara le trône vacant en fait et en droit (Décl. du 7 août 1830), modifia la charte constitutionnelle dans le sens des théories libérales, en faisant disparaître son préambule et la disposition de l’art. 14 sur laquelle Charles X avait basé ses ordonnances, et proclama, moyennant l’acceptation de la nouvelle charte, Louis-Philippe Ier roi des Français (Décl.  du 7 août 1830, procès-verbal de séance de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés du 9 août 1830.)

53. Le parti républicain, trompé dans ses espérances, profita de l’ébranlement qu’avait reçu le principe d’autorité par la révolution de 1830 ; il continua à organiser des associations qui embrassèrent la France dans un vaste et puissant réseau, et dont le centre principal était Paris. À plusieurs reprises et sous différents prétextes, il prit les armes et essaya de renverser le gouvernement attaqué sans cesse par une opposition habituellement malveillante. Vaincu chaque fois, ce parti puisait dans ses défaites mêmes une force nouvelle. Enfin, le 24 février 1848, sous un prétexte nouveau et sous l’apparence d’une protestation légale, il reparut armé dans les rues de Paris, envahit les Tuileries et la Chambre des Députés, chassa le Roi et sa famille, et installa à l’hôtel de ville un gouvernement provisoire. Une Assemblée nationale, composée de neuf cents membres nommés par le suffrage universel, se réunit le 4 mai ; elle substitua au gouvernement provisoire une commission exécutive de cinq membres. (Décr. des 9 et 10 mai 1848), et s’occupa d’une nouvelle constitution. Mais déjà les masses insurgées ne se contentaient plus de la république ; elles poursuivaient l’idéal d’un gouvernement préconisé d’abord secrètement dans les associations politiques, puis ouvertement dans les clubs et les journaux ; il leur fallait la jouissance immédiate de tous les biens qu’on leur avait promis et à la place desquels elles ne trouvaient que la misère. Le 15 mai, elles envahirent l’Assemblée, mais elles furent repoussées. Le 24 juin, une formidable insurrection qui tint le pouvoir en échec pendant trois jours faillit livrer la société aux mains des insensés qui dirigeaient cette multitude furieuse. Le général Cavaignac vainquit les rebelles, et resta seul chargé du pouvoir exécutif jusqu’au 20 décembre, jour auquel la constitution nouvelle fut mise complétement en activité.

54. Cette constitution, promulguée le 4 novembre 1848, est précédée d’un préambule qui témoigne des bonnes intentions de ses auteurs. Ils se proposent de faire marcher la France plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d’augmenter l’aisance de chacun par la réduction graduée des dépenses publiques et des impôts, de faire parvenir tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l’action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de bien-être. Comme meilleur moyen d’arriver à ce résultat, ils constituent la France en république (art. 1). Mieux avisés que les constituants de 1789, ils parlent plus des devoirs que des droits : — devoirs des citoyens, qui doivent aimer la patrie, servir la république, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’Etat en proportion de leur fortune, s’assurer par le travail des moyens d’existence, et par la prévoyance des ressources pour l’avenir ; concourir au bien-être commun en s’aidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois civiles qui régissent la société, la famille et l’individu ; — devoirs de la république, qui doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, etc., etc. C’est en présence de Dieu que l’Assemblée nationale proclame sa constitution, en tête de laquelle elle reconnaît qu’il existe des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives, et qu’elle pose pour principes de la république la liberté, l’égalité, la fraternité, et pour bases, la famille, le travail, la propriété, l’ordre public. (Art. 3, 4 et 5.)

55. Les bons principes sont stériles quand ils ne se trouvent que dans la loi et non dans le cœur de ceux auxquels ces lois sont destinées. Les bonnes intentions du législateur sont impuissantes quand elles ne rencontrent pas les bons principes chez ceux auxquels elles s’adressent. En vain formulera-t-on des règles de morale en articles de loi, on ne fera pas naître une seule vertu, on ne déracinera pas un seul vice. C’est à la religion seule qu’il est donné de former les âmes et de les préparer par la pratique des vertus privées à l’exercice des vertus publiques ; il n’y a de bons citoyens que les hommes de bien. Il faut aux autres non des conseils, mais des ordres ; non une exhortation à la vertu, mais un frein légal pour neutraliser l’effet de leurs passions. La constitution de 1848 ne sut pas trouver le moyen de contenir les passions politiques ; l’organisation qu’elle adopta eut au contraire pour résultat de les exciter et de leur ouvrir une issue périodique. Après avoir aboli le principe monarchique, qui est puissant parce qu’il est un dans son action comme dans sa durée, elle sépara complétement l’un de l’autre et mit en présence le pouvoir législatif, représenté par une assemblée unique et permanente, et le pouvoir exécutif, confié à un président ; ne comprenant pas qu’il faut un accord habituel entre la pensée et l’exécution, et qu’une division absolue entre leurs organes amène nécessairement un antagonisme et entraîne l’absorption de l’un par l’autre. Non-seulement elle affaiblit le pouvoir en le morcelant, mais encore en ne le déléguant que pour un temps fort court : le Président était élu pour quatre ans (45), l’Assemblée pour trois ans (31). Ainsi se trouvait indiqué à toutes les passions politiques, à toutes les cupidités de la multitude travaillée par les clubs et les journaux, le moment précis où, par suite du changement de ses organes, le pouvoir désuni pouvait être attaqué avec avantage. Par une imprévoyance plus grande encore, les quatre années de pouvoir du Président, élu au mois de décembre 1848, et les trois années de l’Assemblée législative, élue en 1849, expiraient en même temps. Les partis vaincus annonçaient hautement que le moment où ils pourraient prendre une revanche approchait,

56. Pour protéger la France contre le socialisme qui était partout organisé et qui ne dissimulait pas ses sinistres projets, il y avait une Assemblée dont les pouvoirs allaient expirer à un jour déterminé, et dont la majorité se divisait entre plusieurs partis politiques irréconciliables. Il est évident que là ne se trouvait pas le moyen de salut, et que cette Assemblée divisée et expirante laissait exposée la France aux plus grands dangers. Le prince Louis-Napoléon, élu président de la république par six millions de suffrages, sentit que la France se trouvait dans une de ces circonstances exceptionnelles où la légalité, dans les liens de laquelle on l’avait enfermée, la conduisait à une ruine certaine et immédiate. Par un décret du 2 décembre 1851, il prononça la dissolution de l’Assemblée nationale, rétablit le suffrage universel que la loi du 31 mai avait restreint, et, s’adressant à la nation tout entière, il convoqua le peuple dans ses comices et l’appela à voter sur le plébiscite suivant : « Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour faire une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre. » (Décr. du 2 déc. 1854 et du 4 décembre qui prescrit le vote secret). La nation répondit à l’appel qui lui était adressé, et ratifia l’acte sauveur du Président par 7,239,416 votes affirmatifs sur 8,1146,773 votants. (Décr. du 31 déc. 1851.)

57. La constitution faite en vertu des pouvoirs délégués à Louis-Napoléon a été promulguée le 14 janvier 1852. Elle a pour base, conformément à la proclamation du 2 décembre acceptée par le peuple :

1o Un chef responsable nommé pour dix ans ;

2o Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ;

3o Un Conseil d’État formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps législatif ;

4o Un Corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel sans scrutin de liste qui fausse l’élection ;

5o Une seconde Assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques. (Procl. du 2 déc. 1851.)

58. Le rétablissement d’un pouvoir fort et régulier, la victoire remportée sur le socialisme qui prit les armes à Paris et dans plusieurs départements, la confiance dans le chef de l’Etat, développèrent tous les germes de prospérité publique que la révolution de 1848 et l’état de lutte et d’incertitude qui en était la suite avaient paralysés. La France, monarchique par sentiment et par raison, voulut s’assurer d’une manière permanente les bienfaits d’un ordre de choses si en rapport avec ses besoins ; elle le témoigna d’une manière éclatante pendant un voyage que fit le Président de la république dans l’automne de 1852, et le 7 novembre un sénatus-consulte, rendu conformément aux art. 31 et 32 de la constitution, présenta à l’acceptation du peuple la proposition suivante : « Le peuple français veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime, adoptive, et lui donne le droit de régler l’ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi qu’il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852. » Cette proposition fut adoptée par 7,824,189 votes affirmatifs contre 253,145 négatifs, et promulguée comme loi de l’État par le décret du 2 décembre 1852. Un sénatus-consulte en date du 25 décembre modifia dans le sens du nouveau plébiscite la constitution du 14 janvier précédent et organisa le gouvernement impérial. Nous exposerons dans le livre suivant avec détail les dispositions de la constitution et des lois organiques.

  1. Nous croyons devoir faire observer que nous entendons ici le mot juste dans son sens le plus général, comme indiquant ce qui est conforme au droit absolu, et non dans le sens restreint que lui donne l’école matérialiste, qui ne voit dans le juste que la conformité d’une action avec le droit positif, ce que nous exprimons par légalité.
  2. Tel a été notamment le résultat des essais faits par les anabaptistes au XVIe siècle.
  3. Nous prenons ici le mot révolution dans le sens général d’un changement dans les idées et dans la forme politique, et non dans le sens restreint d’un changement subit et violent.
  4. Nous n’avons point à nous occuper des droits civils, dérivant des rapports des individus entre eux, qui prennent en général leur source dans le droit naturel, mais qui ont besoin d’être réglementée par le droit positif, ; l’étude de ces droits appartient au droit civil et non au droit public.
  5. Documents statistiques publiés par le ministre du commerce en 1835, t. 1, p. 108.
  6. Voir l’Histoire des Gaulois, par M. Amédée Thierry.
  7. L’invasion ne fut complète qu’au commence du Ve siècle.
  8. V. Ord. de 1260-1270 • 1274.
  9. Voici comment les résultats de la révolution de 1789 sont appréciés par une publiciste qu’on ne peut suspecter de partialité en sa faveur : « Les ennemis de la France ont voulu la détruire par la révolution, et la France deviendra plus puissante par la révolution, si la révolution établit l’unité dans sa constitution, l’uniformité dans son administration, l’union entre toutes ses parties. Triple unité, ciment le plus indestructibles des sociétés, moyen le plus puissant de leur développements et de leurs progrès. Une société fondée sur cette triple base n’est plus la chose de l’individu, mais la chose du public, non res privata sed publica ; et alors comme dit J.-J. Rousseau au Contrat social, la monarchie elle-même est république. (De Bonald, Du Traité de Westphalie, t. 4 de ses œuvres, p. 418-419.)
  10. V. les décrets des 4, 9, 7, 8 et 11 août, sanctionnés le 21 septembre 1789.
  11. L’invention de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’était, comme tout ce que les hommes appellent erreur, qu’une vérité incomplète, et elle avait sa raison d’être dans une grande pensée. (Bonald, Discours préliminaire de la législation primitive, p. 185.)
  12. Dans ce décret, l’Assemblée nationale, considérant qu’elle n’a pas le droit de soumettre à des règles impératives l’exercice de la souveraineté, se contente d’inviter les citoyens à se conformer aux règles qu’elle indique.
  13. V. art. 25, 29 de la déclaration des droits, et art. 4 de la constitution du 24 juin 1793 : « Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français ; il nomme immédiatement ses députés, il délibère sur les lois » (Id., art. 7, 8, 10.)
  14. Art. 9, 62, 63, 64, etc. Une nouvelle déclaration des droits de l’homme et des citoyens précédait cette constitution, le mot devoir n’y était prononcé qu’une fois dans l’art. 36, ainsi conçu : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
  15. Le gouvernement révolutionnaire, établi par le décret du 19 vendémiaire an II, fut organisé par un décret du 17 frimaire suivant.