Fables originales/Livre II/Fable 10

Edouard Dentu (p. 43-44).

FABLE X.

La Médecine


Ne m’approche jamais,
Je te hais !
En ces mots, un vivant, d’une gaillarde mine,
Défendait à la Médecine,
L’accès de son logis. La dame respecta
L’ordre formel reçu. L’autre se délecta,
Savourant le bordeaux, chantant bock à Grégoire.
Un jour notre vivant éprouve après le boire

Au côté droit, devers le dos,
Douleur à lui briser les os.
Il n’est pas fier, pas à la fête,
La douleur montant à la tête.
L’endolori las de gémir,
De geindre qu’il allait mourir,
Coiffe le bonnet blanc, s’enferme dans sa chambre,
Chauffe devant le feu tout son corps membre à membre.
Le mal ne cède point ; que si qu’il cédera,.
L’huile de lin l’adoucira.
Holà ! Benoit, Lisbeth, Martine !
Courez quérir la Médecine.

 
Avec son savoir patenté,

Couronné, prôné, breveté,
La Médecine arrive en flacons, en flanelle.
— De vos airs arrogants qu’avez vous fait ? dit-elle.
Ne prétendiez vous pas
Préférer le trépas
À ma sombre venue… — Ô ma douce compagne,
Le goujat en santé bat un peu la campagne ;
Ce qu’on détestait hier on l’adore aujourd’hui…
— Parce qu’on a, mon cher, mis son espoir en lui,
Riposta durement l’altière Médecine.
L’autre baisse le chef, murmure : Va ! coquine !
Quand tu m’auras tiré de l’enclos du cercueil,
Je te jette à la porte et t’interdis mon seuil.
Ce genre de reconnaissance
Est bien plus commun qu’on ne pense.