Essai de cosmologie/Recherche mathématique des lois du mouvement et du repos

Recherche Mathematique
Des Loix du Mouvement & du Repos.



L
Es Corps ſoit en repos, ſoit en mouvement, ont une certaine Force pour perſiſter dans l’état où ils ſont : cette Force appartenant à toutes les parties de la Matière, eſt toûjours proportionnelle à la quantité de Matiére que ces Corps contiennent, & s’appelle leur Inertie.

L’Impénétrabilité des Corps, & leur inertie, rendoient néceſſaire l’établiſſement de quelques loix, pour accorder enſemble ces deux proprietés, qui ſont à tout moment oppoſées l’une à l’autre dans la Nature. Lorsque deux Corps ſe rencontrent, ne pouvant ſe pénétrer, il faut que le Repos de l’un & le Mouvement de l’autre, ou le Mouvement de tous les deux ſoient altérés : mais cette altération dépendant de la Force avec laquelle les deux Corps ſe choquent, examinons ce que c’eſt que le Choc ; voyons de quoi il dépend ; & ſi nous ne pouvons avoir une idée aſſés claire de la Force, voyons du moins les circonſtances qui le rendent le même.

On ſuppoſe ici, comme l’ont ſuppoſé tous ceux qui ont cherché les loix du Mouvement ; que les Corps ſoient des Globes de Matière homogène ; & qu’ils ſe rencontrent directement, c’eſt à dire, que leurs centres de gravité ſoient dans la ligne droite qui eſt la direction de leur mouvement.

Si un Corps ſe mouvant avec une certaine vîteſſe, rencontre un autre Corps en repos ; le Choc eſt le même que ſi ce dernier Corps ſe mouvant avec la vîteſſe du premier, le rencontroit en repos.

Si deux Corps ſe mouvant l’un vers l’autre ſe rencontrent ; le Choc eſt le même que ſi l’un des deux étant en repos, l’autre le rencontroit avec une vîteſſe qui fût égale à la Somme des vîteſſes de l’un & de l’autre.

Si deux Corps ſe mouvant vers le même côté ſe rencontrent ; le Choc eſt le même que ſi l’un des deux étant en repos, l’autre le rencontroit avec une vîteſſe qui fût égale à la différence des vîteſſes de l’un & de l’autre.

En général donc : ſi deux Corps ſe rencontrent, ſoit que l’un des deux ſoit en repos, ſoit qu’ils ſe meuvent tous les deux l’un vers l’autre, ſoit qu’ils ſe meuvent tous deux du même côté : quelles que ſoient leurs vîteſſes, ſi la ſomme ou la différence de ces vîteſſes (ce qu’on appelle la vîteſſe reſpective) eſt la même, le Choc eſt le même. La grandeur du Choc de deux Corps donnés, dépend uniquement de leur vîteſſe reſpective.

La vérité de cette propoſition eſt facile à voir, en concevant les deux Corps emportés ſur un plan mobile, dont la vîteſſe détruiſant la vîteſſe de l’un des deux, donneroit à l’autre la ſomme ou la différence des vîteſſes qu’ils avoient. Le Choc des deux Corps ſur le plan, ſeroit le même que ſur un plan immobile, où l’un des Corps étant en repos, l’autre le viendroit frapper avec la ſomme ou la différence des vîteſſes.

Voyons maintenant la différence que la Dureté ou l’Élaſticité des Corps cauſe dans les effets du Choc.

Les Corps parfaitement Durs ſont ceux, dont les parties ſont inſéparables & inflexibles ; & dont, par conſéquent, la figure eſt inaltérable.

Les Corps parfaitement Élaſtiques ſont ceux, dont les parties, après avoir été pliées, ſe redreſſent, reprennent leur prémière ſituation, & rendent au corps ſa prémière figure. Quant à la nature de cette Élaſticité, nous n’entreprenons pas de l’expliquer ; il ſuffit ici d’en connoître l’effet.

Je ne parle point des Corps Moûs, ni des Corps Fluides ; ce ne ſont que des amas de Corps Durs ou Élaſtiques.

Lorsque deux Corps Durs ſe rencontrent, leurs parties étant inſéparables & inflexibles, le Choc ne ſauroit altérer que leurs vîteſſes. Les deux Corps ſe preſſent & ſe pouſſent, jusqu’à ce que la vîteſſe de l’un ſoit égale à la vîteſſe de l’autre. Les Corps Durs, après le Choc, vont donc enſemble d’une vîteſſe commune.

Mais lorsque deux Corps Élaſtiques ſe rencontrent, pendant qu’ils ſe preſſent & ſe pouſſent, le Choc eſt employé auſſi à plier leurs parties, & les deux corps ne demeurent appliqués l’un contre l’autre, que jusqu’à ce que leur reſſort, bandé par le Choc autant qu’il le peut être, les ſépare en ſe débandant ; & les faſſe s’éloigner avec autant de vîteſſe qu’ils s’approchoient : car la vîteſſe reſpective des deux Corps étant la ſeule cauſe qui avoit bandé leur reſſort, il faut que le débandement reproduiſe un effet égal à celui, qui comme cauſe avoit produit le bandement : c’eſt à dire une vîteſſe reſpective, en ſens contraire, égale à la prémière. La vîteſſe reſpective des Corps Élaſtiques eſt donc, après le Choc, la même qu’auparavant.

Cherchons maintenant les Loix, ſelon lesquelles le Mouvement ſe diſtribue entre deux Corps qui ſe choquent, ſoit que ces Corps ſoient Durs, ſoit qu’ils ſoient Élaſtiques.

Nous déduirons ces Loix d’un ſeul Principe, & de ce même Principe nous déduirons les Loix de leur Repos.

PRINCIPE GÉNÉRAL

Lorsqu’il arrive quelque changement dans la Nature, la Quantité d’Action, néceſſaire pour ce changement, eſt la plus petite qu’il ſoit poſſible.

La Quantité d’Action eſt le produit de la Maſſe des Corps, par leur vîteſſe & par l’eſpace qu’ils parcourent. Lors qu’un Corps eſt tranſporté d’un lieu dans un autre, l’Action eſt d’autant plus grande, que la Maſſe eſt plus groſſe ; que la vîteſſe eſt plus rapide ; que l’eſpace, par lequel il eſt tranſporté, eſt plus long.

Problème I.
Trouver les Loix du Mouvement des Corps Durs.

Soient deux Corps Durs, dont les Maſſes ſont AB, qui ſe meuvent vers le même côté, avec les vîteſſes ab : mais A plus vîte que B, en ſorte qu’il l’atteigne & le choque. Soit la vîteſſe commune de ces deux corps après le choc = x < ax > b. Le changement arrivé dans l’Univers, conſiſte en ce que le corps A, qui ſe mouvoit avec la vîteſſe a, & qui dans un certain tems parcouroit un eſpace = a, ne ſe meut plus qu’avec la vîteſſe x, & ne parcourt qu’un eſpace = x : Le corps B, qui ne ſe mouvoit qu’avec la vîteſſe b, & ne parcouroit qu’un eſpace = b, ſe meut avec la vîteſſe x, & parcourt un eſpace = x.

Ce changement eſt donc le même qui ſeroit arrivé, ſi pendant que le corps A ſe mouvoit avec la vîteſſe a, & parcouroit l’eſpace = a, il eût été emporté en arrière ſur un plan immatériel, qui ſe fût mû avec une vîteſſe a − x par un eſpace = a − x : & que le corps B ſe mouvoit avec la vîteſſe b, & parcouroit l’eſpace = b, il eût été emporté en avant ſur un plan immatériel, qui ſe fût mû avec une vîteſſe x − b par un eſpace = x − b.

Or, que les corps AB ſe meuvent avec des vîteſſes propres ſur les plans mobiles, ou qu’ils y ſoient en repos, le mouvement de ces plans chargés des corps, étant le même : les Quantités d’Action, produites dans la Nature, ſeront A (ax & B (xb ; dont la ſomme doit être la plus petite qu’il ſoit poſſible. On a donc

Aaa − 2AaxAxxBxx − 2BbxBbbMinimum.
Ou
− 2Aa dx + 2Ax dx + 2Bx dx − 2Bb dx = 0.

D’où l’on tire pour la vîteſſe commune

x = Aa + Bb/A + B.

Dans ce cas, où les deux corps ſe meuvent du même côté, la quantité de mouvement détruite & la quantité produite, ſont égales : & la quantité totale de mouvement demeure, après le choc, la même qu’elle étoit auparavant.

Il eſt facile d’appliquer le même raiſonnement au cas, où les corps ſe meuvent l’un vers l’autre : ou bien il ſuffit de conſidérer b comme négatif par rapport à a : & la vîteſſe commune ſera

x = AaBb/A + B.

Si l’un des corps étoit en repos avant le choc, b = 0 ; & la vîteſſe commune eſt

x = Aa/A + B.

Si un corps rencontre un obſtacle inébranlable, on peut conſidérer cet obſtacle comme un corps d’une Maſſe infinie en repos : Si donc B eſt infini, la vîteſſe x = 0.

Voyons maintenant ce qui doit arriver, lorsque les Corps ſont Élaſtiques. Les Corps dont je vais parler, ſont ceux qui ont une parfaite Élaſticité.

Problème II.
Trouver les Loix du Mouvement des Corps Élaſtiques.

Soient deux Corps Élaſtiques, dont les Maſſes ſont AB qui ſe meuvent vers le même côté, avec les vîteſſes ab : mais A plus vîte que B, en ſorte qu’il l’atteigne & le choque : & ſoient ab les vîteſſes des deux corps après le choc : la ſomme ou la différence de ces vîteſſes après le choc, eſt la même qu’elle étoit auparavant.

Le changement arrivé dans l’Univers, conſiſte en ce que le corps A, qui ſe mouvoit avec la vîteſſe a, & qui dans un certain tems parcouroit un eſpace = a, ne ſe meut plus qu’avec la vîteſſe α, & ne parcourt qu’un eſpace = α : le corps B, qui ne ſe mouvoit qu’avec la vîteſſe b, & ne parcouroit qu’un eſpace = b, ſe meut avec la vîteſſe β, & parcourt un eſpace = β.

Ce changement eſt donc le même qui ſeroit arrivé, ſi pendant que le corps A ſe mouvoit avec la vîteſſe a, & parcouroit l’eſpace = a, il eût été emporté en arrière ſur un plan immatériel, qui ſe fût mû avec une vîteſſe a − α par un eſpace = a − α : & que le corps B ſe mouvoit avec la vîteſſe b, & parcouroit l’eſpace = b, il eût été emporté en avant ſur un plan immatériel, qui ſe fût mû avec une vîteſſe β − b par un eſpace = β − b.

Or, que les corps AB ſe meuvent avec des vîteſſes propres ſur les plans mobiles, ou qu’ils y ſoient en repos, le mouvement de ces plans chargés des corps, étant le même : les Quantités d’Action, produites dans la Nature, ſeront A (a − α)² & B (b − β)² ; dont la ſomme doit être la plus petite qu’il ſoit poſſible. On a donc

Aaa − 2AaxAxxBxx − 2BbxBbbMinimum.
Ou
− 2Aadα + 2Aα dα + 2Bβ dβ − 2Bbdβ = 0.

Or, pour les Corps Élaſtiques, la vîteſſe reſpective étant, après le choc, la même qu’elle étoit auparavant ; on a β − α = a − b ou β = α + a − b, & dβ = dα : qui étant ſubſtitués dans l’Équation précédente, donnent pour les vîteſſes

α = AaBa + 2Bb/A + B & β = 2AaAb + Bb/A + B.

Si les corps ſe meuvent l’un vers l’autre, il eſt facile d’appliquer le même raiſonnement : ou bien il ſuffit de conſidérer b comme négatif par rapport à a, & les vîteſſes ſeront

α = AaBa − 2Bb/A + B & β = 2Aa + AbBb/A + B.

Si l’un des corps étoit en repos avant le choc, b = 0 ; & les vîteſſes ſont

α = AaBa/A + B & β = 2Aa/A + B.

Si l’un des corps eſt un obſtacle inébranlable, conſidérant cet obſtacle comme un corps B d’une Maſſe infinie en repos ; on aura la vîteſſe α = −a : c’eſt à dire, que le corps A rejaillira avec la même vîteſſe qu’il avoit en frappant l’obſtacle.

Si l’on prend la ſomme des Forces vives, on verra qu’après le choc elle eſt la même qu’elle étoit auparavant : c’eſt à dire, que

Aαα + Bββ = Aaa + Bbb.

Ici la ſomme des Forces vives ſe conſerve après le choc ; mais cette conſervation n’a lieu que pour les Corps Élaſtiques, & non pour les Corps Durs. Le Principe général, qui s’étend aux uns & aux autres, eſt que la Quantité d’Action, néceſſaire pour cauſer quelque changement dans la Nature, eſt la plus petite qu’il eſt poſſible.

Ce Principe eſt ſi univerſel & ſi fécond qu’on en tire la Loi du Repos, ou de l’Equilibre. Il eſt évident qu’il n’y a plus ici de différence entre les Corps Durs & les Corps Élaſtiques.

Problème III.
Trouver la Loi du Repos des Corps.

Je conſidère ici les Corps attachés à un Levier : & pour trouver le point, autour duquel ils demeurent en équilibre, je cherche le point, autour duquel, ſi le Levier reçoit quelque petit mouvement, la Quantité d’Action ſoit la plus petite qu’il ſoit poſſible.

Soit c la longueur du Levier, que je ſuppoſe immatériel, aux extrémités duquel ſoient placés deux Corps, dont les Maſſes ſont AB. Soit z la diſtance du corps A au point cherché, & c − z la diſtance du corps B : il eſt évident que, ſi le Levier a quelque petit mouvement, les corps AB décriront de petits Arcs ſemblables entr’eux, & proportionnels aux diſtances de ces corps au point qu’on cherche. Ces Arcs ſeront donc les eſpaces parcourus par les Corps, & repréſentent en même tems leurs vîteſſes. La Quantité d’Action ſera donc proportionelle au produit de chaque corps par le quarré de ſon arc ; ou (puisque les arcs ſont ſemblables) au produit de chaque corps par le quarré de ſa diſtance au point, autour duquel tourne le Levier : c’eſt à dire, à Azz & & B (cz ; dont la ſomme doit être la plus petite qu’il ſoit poſſible. On a donc

Azz + Bcc − 2BczBzzMinimum.
Ou
2Azdz − 2Bcdz + 2Bzdz = 0.
D’où l’on tire
z = Bc/A + B.
Ce qui eſt la Propoſition fondamentale de la Statique.