Essai de cosmologie/Accord de différentes lois de la nature qui avaient jusqu’ici paru incompatibles

s. l. (p. 154-173).

Accord
de différentes Loix de la Nature qui avoient jusqu’ici parû incompatibles[1].



O
N ne doit pas exiger que les différens moyens, que nous avons pour augmenter nos connoiſſances, nous conduisent aux mêmes vérités, mais il ſeroit accablant de voir que des propoſitions, que la Philoſophie nous donne comme des vérités fondamentales, ſe trouvaſſent démenties par les raiſonnemens de la Géometrie, ou par les calculs de l’Algèbre.

Un exemple mémorable de cette contradiction tombe ſur un Sujet des plus importans de la Phyſique.

Depuis le renouvellement des Sciences, depuis même leur prémière origine, on n’a fait aucune découverte plus belle que celle des loix que ſuit la Lumière ; ſoit qu’elle ſe meuve dans un milieu uniforme, ſoit que, rencontrant des corps opaques, elle ſoit reflêchie par leur ſurface, ſoit que des corps diaphanes l’obligent de changer ſon cours en les traverſant. Ces loix ſont les fondemens de toute la Science de la Lumière & des Couleurs.

Mais j’en ferai peut-être mieux ſentir l’importance, ſi, au lieu de préſenter un objet ſi vaſte, je m’attache ſeulement à quelque partie, & n’offre ici que des objêts plus bornés & mieux connûs ; ſi je dis, que ces loix ſont les principes ſur lesquels eſt fondé cet art admirable qui, lorsque dans le vieillard tous les organes s’affoibliſſent, ſait rendre à ſon œil ſa prémière force, lui donner même une force qu’il n’avoit pas reçûe de la Nature ; cet art qui étend nôtre vuë jusques dans les derniers lieux de l’eſpace, qui la porte jusques ſur les plus petites parties de la matière ; & qui nous fait découvrir des objets dont la vuë paroiſſoit interdite aux hommes.

Les loix que ſuit la Lumière, lorsqu’elle ſe meut dans un milieu uniforme, ou qu’elle rencontre des corps qu’elle ne ſauroit pénétrer, étoient connues des Anciens : celle qui marque la route qu’elle ſuit, lorsqu’elle paſſe d’un Milieu dans un autre, n’eſt connue que depuis le Siécle paſſé ; Snellius la découvrit ; Deſcartes entreprit de l’expliquer, Fermat attaqua ſon explication. Depuis ce tems cette matière a été l’objêt des recherches des plus grands Géometres, ſans que jusqu’ici l’on ſoit parvenu à accorder cette Loi avec une autre que la Nature doit ſuivre encore plus inviolablement.

Voici les Loix que ſuit la Lumière.

La prémière eſt, que, Dans un milieu uniforme, elle ſe meut en ligne droite.

La ſeconde, que, Lorsque la Lumière rencontre un Corps qu’elle ne peut pénétrer, elle eſt reflêchie ; & l’Angle de ſa reflexion eſt égal à l’Angle de ſon incidence : c’eſt à dire, qu’après ſa réflexion elle fait avec la ſurface du corps un angle égal à celui ſous lequel elle l’avoit rencontré.

La troiſième eſt, que, Lorsque la Lumière paſſe d’un Milieu diaphane dans un autre, ſa route après la rencontre du nouveau Milieu, fait un angle avec celle qu’elle tenoit dans le prémier ; & le Sinus de l’angle de refraction eſt toûjours dans le même rapport au Sinus de l’angle d’incidence. Si, par exemple, un rayon de lumière paſſant de l’air dans l’eau s’eſt briſé de manière que le Sinus de l’angle de ſa refraction ſoit les trois quarts du Sinus de ſon angle d’incidence ; ſous quelqu’autre obliquité qu’il rencontre la ſurface de l’eau, le Sinus de ſa refraction ſera toûjours les trois quarts du Sinus de ſa nouvelle incidence.

Le prémière de ces loix eſt commune à la Lumière & à tous les corps ; ils ſe meuvent en ligne droite, à moins que quelque force étrangère ne les en détourne.

La ſeconde eſt encore la même que ſuit une Balle élaſtique lancée contre une ſurface inébranlable. La Méchanique démontre, qu’une Balle qui rencontre une telle ſurface, eſt reflêchie par un Angle égal à celui ſous lequel elle l’avoit rencontrée, & c’eſt ce que fait la lumière.

Mais il s’en faut beaucoup que la troiſième loi s’explique auſſi heureuſement. Lorsque la Lumière paſſe d’un Milieu dans un autre, les phénomènes ſont tout différens de ceux d’une balle qui traverſe différens Milieux ; & de quelque manière qu’on entreprenne d’expliquer la Refraction, on trouve des difficultés qui n’ont point encore été ſurmontées.

Je ne citerai point tous les grands hommes qui ont travaillé ſur cette matière ; leurs noms feroient une liſte nombreuſe qui ne ſeroit qu’un ornement inutile à ce Mémoire, & l’expoſition de leurs Syſtèmes ſeroit un ouvrage immenſe : mais je reduirai à trois claſſes toutes les explications que ces Auteurs ont données de la Reflexion & de la Refraction de la lumière.

La prémière claſſe comprend les explications de ceux qui n’ont voulu déduire la Refraction que des principes les plus ſimples & les plus ordinaires de la Méchanique.

Le ſeconde comprend les explications qui, outre les principes de la Méchanique, ſuppoſent une Tendance de la Lumière vers les corps, ſoit qu’on la conſidère comme une Attraction de la matière, ſoit comme l’effet de telle cauſe qu’on voudra.

La troiſième claſſe, enfin, comprend les explications qu’on a voulu tirer des ſeuls principes métaphyſiques ; de ces loix auxquelles la Nature elle même paroît avoir été aſſujettie par une Intelligence ſupérieure, qui dans la production de ſes effets, la fait toûjours procéder de la manière la plus ſimple.

Descartes & ceux qui l’ont ſuivi, ſont dans la prémière claſſe ; ils ont conſidéré le mouvement de la lumière comme celui d’une Balle qui rejailliroit à la rencontre d’une ſurface qui ne lui cede aucunement ; ou qui, en rencontrant une qui lui cede, continueroit d’avancer, en changeant ſeulement la direction de ſa route. Si la manière, dont ce grand Philoſophe a tenté d’expliquer ces phénomènes, eſt imparfaite, il a toûjours le mérite d’avoir voulu ne les déduire que de la Méchanique la plus ſimple.

Pluſieurs Mathematiciens relevèrent quelque paralogiſme qui étoit échappé à Descartes ; & firent voir le défaut de ſon explication.

Newton déseſpérant de déduire les phénomènes de la refraction de ce qui arrive à un corps qui ſe meut contre des obſtacles, ou qui eſt pouſſé dans des Milieux qui lui reſiſtent différemment, eut recours à ſon Attraction. Cette Force répandue dans tous les corps à proportion de leur quantité de matière une fois admiſe, il explique de la manière la plus exacte & la plus rigoureuſe les phénomènes de la refraction. M. Clairaut dans un excellent Mémoire qu’il a donné ſur cette matière, non ſeulement a mis dans le plus grand jour l’inſuffiſance de l’explication Cartéſienne, mais admettant une tendance de la Lumière vers les corps diaphanes, & la conſidérant comme cauſée par quelque atmoſphère qui produiroit les mêmes effets que l’Attraction, il en a déduit les phénomènes de la Refraction avec la clarté qu’il porte dans tous les ſujets qu’il traitte.

Fermat avoit ſenti le prémier le défaut de l’explication de Descartes ; il avoit auſſi déseſpéré apparemment de déduire les phénomènes de la refraction de ceux d’une balle qui ſeroit pouſſée contre des obſtacles ou dans des Milieux réſiſtants ; mais il n’avoit eu recours ni à des Atmoſphères autour des corps, ni à l’Attraction, quoiqu’on ſache que ce dernier principe ne lui étoit ni inconnu ni désagréable ; il avoit cherché l’explication de ces phénomènes dans un principe tout différent & purement métaphyſique.

Tout le monde ſait, que, lorsque la Lumière ou quelque autre corps va d’un point à un autre par une ligne droite, ils vont par le chemin & par le tems le plus court.

On ſait auſſi, ou du moins on peut facilement ſavoir, que, lorsque la lumière eſt reflêchie, elle va encore par le chemin le plus court & par le tems le plus prompt. On démontre qu’une balle qui ne doit parvenir d’un point à un autre qu’après avoir été reflêchie par un plan, doit, pour aller par le plus court chemin & par le tems le plus court qu’il ſoit poſſible, faire ſur ce plan l’angle de reflexion égal à l’angle d’incidence : que ſi ces deux angles ſont égaux, la ſomme des deux lignes par lesquelles la balle va & revient, eſt plus courte & parcourue en moins de tems que toute autre ſomme de deux lignes qui feroient des angle inégaux.

Voilà donc le mouvement direct & le mouvement reflêchi de la Lumière, qui paroiſſent dépendre d’une Loi métaphyſique qui porte, que la Nature dans la production de ſes effets agit toûjours par les moyens les plus ſimples. Si un corps doit aller d’un point à un autre ſans rencontrer nul obſtacle, ou s’il n’y doit aller qu’après avoir rencontré un obſtacle invincible, la Nature l’y conduit par le chemin le plus court & par le tems le plus prompt.

Pour appliquer ce principe à la Refraction, conſidérons deux Milieux pénétrables à la Lumière, ſéparés par un plan qui ſoit leur Surface commune : ſuppoſons que le point, d’où un rayon de lumière doit partir, ſoit dans un de ces Milieux, & que celui, où il doit arriver, ſoit dans l’autre ; mais que la ligne, qui joint ces points, ne ſoit par perpendiculaire à la Surface des Milieux : poſons encore, par quelque cauſe que cela arrive, que la lumière ſe meuve dans chaque Milieu avec différentes vîteſſes ; il eſt clair, que la ligne droite, qui joint les deux points, ſera toûjours celle du plus court chemin pour aller de l’un à l’autre, mais elle ne ſera pas celle du tems le plus court ; ce tems dépendant des différentes vîteſſes que la Lumière a dans les différens Milieux, il faut, ſi le rayon doit employer le moins de tems qu’il eſt poſſible, qu’à la rencontre de la ſurface commune il ſe briſe de manière, que la plus grande partie de ſa route ſe faſſe dans le Milieu où il ſe meut le plus vîte, & la moindre dans le Milieu où il ſe meut le plus lentement.

C’eſt ce que paroît faire la Lumière lorsqu’elle paſſe de l’air dans l’eau ; le rayon ſe briſe de manière, que la plus grande partie de ſa route ſe trouve dans l’air, & la moindre dans l’eau. Si donc, comme il étoit aſſés raiſonnable de le ſuppoſer, la Lumière ſe mouvoit plus vîte dans les Milieux plus rares que dans les plus denſes, ſi elle ſe mouvoit plus vîte dans l’air que dans l’eau, elle ſuivroit ici la route qu’elle doit ſuivre pour arriver le plus promptement du point d’où elle part au point où elle doit parvenir.

Ce fut par ce principe que Fermat reſolut le Problème, par ce principe ſi vraiſemblable, que la Lumière qui dans ſa propagation & dans ſa reflexion va toûjours par le tems le plus court qu’il eſt poſſible, ſuivoit encore cette même loi dans ſa refraction ; & il n’héſita pas à croire, que la Lumière ne ſe mût avec plus de facilité & plus vîte dans les Milieux les plus rares que dans ceux où, pour un même eſpace, elle trouvoit une plus grande quantité de matière : en effet, pouvoit-on croire au premier aſpect que la Lumière traverſeroit plus facilement & plus vîte le Cryſtal & l’Eau que l’Air & le Vuide ?

Auſſi vit-on pluſieurs des plus célèbres Mathematiciens embraſſer le ſentiment de Fermat ; Leibnitz eſt celui qui l’a le plus fait valoir, & par ſon nom & par une analyſe plus élégante qu’il a donnée de ce problème : il fut ſi charmé du principe métaphyſique, & de retrouver ici ſes Cauſes finales, auxquelles on ſait combien il étoit attaché, qu’il regarda comme un fait indubitable que la lumière ſe mouvoit plus vîte dans l’air que dans l’eau ou dans le verre.

C’eſt cependant tout le contraire ; Descartes avoit avancé le premier, que la Lumière ſe meut le plus vîte dans les Milieux les plus denſes ; & quoique l’explication de la Refraction, qu’il en avoit déduite, fût inſuffiſante, ſon défaut ne venoit point de la ſuppoſition qu’il faiſoit. Tous les Syſtèmes qui donnent quelque explication plauſible des phénomènes de la refraction, ſuppoſent le paradoxe, ou le confirment.

Or ce fait poſé, que La Lumière ſe meut le plus vîte dans les Milieux les plus denſes, tout l’edifice, que Fermat & Leibnitz avoient bâti, eſt détruit : la Lumière, lorsqu’elle traverſe différens milieux, ne va ni par le chemin le plus court, ni par celui du tems le plus prompt ; le rayon qui paſſe de l’air dans l’eau faiſant la plus grand partie de ſa route dans l’air, arrive plus tard que s’il n’y faiſoit que la moindre. On peut voir dans le Mémoire que M. de Mairan a donné ſur la Reflexion & la Refraction, l’hiſtoire de la diſpute entre Fermat & Descartes, & l’embarras & l’impuiſſance où l’on a été jusqu’ici pour accorder la Loi de la refraction avec le principe métaphyſique.

En méditant profondément ſur cette matière, j’ai penſé que la Lumière, lorsqu’elle paſſe d’un Milieu dans un autre, abandonnant déja le chemin le plus court, qui eſt celui de la ligne droite, pouvoit bien auſſi ne pas ſuivre celui du tems le plus prompt : en effet, quelle préférence devroit-il y avoir ici du tems ſur l’eſpace ? la Lumière ne pouvant plus aller tout à la fois par le chemin le plus court, & par celui du tems le plus prompt, pourquoi iroit-elle plûtôt par l’un de ces chemins que par l’autre ? auſſi ne ſuit-elle aucun des deux ; elle prend une route qui a un avantage plus réel : Le chemin qu’elle tient eſt celui par lequel la Quantité d’action eſt la moindre.

Il faut maintenant expliquer ce que j’entens par la quantité d’action. Lorsqu’un corps eſt porté d’un point à un autre, il faut pour cela une certaine Action : cette action dépend de la vîteſſe qu’a le corps & de l’eſpace qu’il parcourt[2], mais elle n’eſt ni la vîteſſe ni l’eſpace pris ſéparément. La quantité d’action eſt d’autant plus grande que la vîteſſe du corps eſt plus grande, & que le chemin qu’il parcourt eſt plus long ; elle eſt proportionnelle à la ſomme des eſpaces multipliés chacun par la vîteſſe avec laquelle le corps les parcourt.

C’eſt cela, c’eſt cette quantité d’action qui eſt ici la vraie dépenſe de la Nature, & ce qu’elle ménage le plus qu’il eſt poſſible dans le mouvement de la lumière.

Démonstration du principe de Fermat par l’intermédiaire du principe de moindre action Soient deux Milieux différens, ſéparés par une ſurface repréſentée par la ligne CD tels que la vîteſſe de la Lumière dans le Milieu qui eſt au deſſus, ſoit comme m, & la vîteſſe, dans le Milieu qui eſt au deſſous, ſoit comme n.

Soit un Rayon de Lumière qui, partant d’un point donné A, doit parvenir au point donné B : pour trouver le point R où il doit ſe briſer, je cherche le point où le Rayon ſe briſant, la Quantité d’Action eſt la moindre : & j’ai

m.AR + n.RB qui doit être un Minimum :

Ou, ayant tiré ſur la Surface commune des deux Milieux, les perpendiculaires AC, BD ;

m√(AC²+CR²) + n√(BD² + DR²) = Min.

ou AC & BD étant conſtants

m.CR dCR/√(AC²+CR²)n.DR dDR/√(BD²+DR²) = 0.

Mais, CD étant conſtant, on a dCR = −dDR. On a donc

m.CR/AR − n.DR/BR = 0. &
CR/AR : DR/BR :: n : m.

c’eſt à dire : Le ſinus d’incidence, au ſinus de refraction, en raiſon renverſée de la vîteſſe qu’a la Lumière dans chaque Milieu.

Tous les phénomènes de la Refraction s’accordent maintenant avec le grand principe, que la Nature dans la production de ſes effets agit toûjours par les voies les plus ſimples. De ce principe ſuit, que, Lorsque la Lumière paſſe d’un Milieu dans un autre, le ſinus de ſon angle de refraction eſt au ſinus de ſon angle d’incidence en raiſon inverſe des vîteſſes qu’a la Lumière dans chaque Milieu.

Mais ce fonds, cette Quantité d’action que la Nature épargne dans le mouvement de la Lumière à travers différens Milieux, le ménage-t-elle également lorsqu’elle eſt reflêchie par des corps opaques & dans ſa ſimple propagation ? oui, cette quantité eſt toûjours la plus petite qu’il eſt poſſible.

Dans les deux cas de la reflexion & de la propagation, la vîteſſe de la Lumière demeurant la même, la plus petite Quantité d’action donne en même tems le chemin le plus court, & le tems le plus prompt ; mais ce chemin le plus court & le plus tôt parcouru n’eſt qu’une ſuite de la plus petite Quantité d’action ; & c’eſt cette ſuite que Fermat & Leibnitz avoient priſe pour le principe.

Le vrai principe une fois découvert, j’en déduis toutes les loix que ſuit la Lumière, ſoit dans ſa propagation, dans ſa reflexion, ou dans ſa refraction.

Je connois la répugnance que pluſieurs Mathematiciens ont pour les Cauſes finales appliquées à la Phyſique, & l’approuve même jusqu’à un certain point ; j’avoue que ce n’eſt pas ſans péril qu’on les introduit : l’erreur où ſont tombés des hommes tels que Fermat & Leibnitz en les ſuivant, ne prouve que trop combien leur uſage eſt dangereux. On peut cependant dire que ce n’eſt pas le principe qui les a trompés, c’eſt la précipitation avec laquelle ils ont pris pour le principe ce qui n’en étoit que des conſéquences.

On ne peut pas douter que toutes choſes ne ſoient réglées par un Être ſuprème qui, pendant qu’il a imprimé à la matière des Forces qui dénotent ſa puiſſance, l’a deſtinée à exécuter des effets qui marquent ſa ſageſſe ; & l’harmonie de ces deux attributs eſt ſi parfaite, que ſans doute tous les effets de la Nature ſe pourroient déduire de chacun pris ſéparément. Une méchanique aveugle & néceſſaire ſuit les deſſeins de l’Intelligence la plus éclairée & la plus libre ; & ſi nôtre eſprit étoit aſſés vaſte, il verroit également les cauſes des effets phyſiques, ſoit en calculant les proprietés des corps, ſoit en recherchant ce qu’il y avoit de plus convenable à leur faire exécuter.

Le prémier de ces moyens eſt le plus à nôtre portée, mais il ne nous mêne pas fort loin. Le ſecond quelquefois nous égare, parceque nous ne connoiſſons point aſſés quel eſt le but de la Nature, & que nous pouvons nous méprendre ſur La Quantité que nous devons regarder comme ſa Dépenſe dans la production de ſes effets.

Pour joindre l’étendue à la ſûreté dans nos recherches, il faut employer l’un & l’autre de ces moyens. Calculons les mouvemens des corps, mais conſultons auſſi les deſſeins de l’Intelligence qui les fait mouvoir.

Il ſemble que les anciens Philoſophes ayent fait les prémiers eſſais de cette eſpèce de Mathematique ; ils ont cherché des rapports métaphyſiques dans les proprietés des nombres & des corps ; & quand ils ont dit que l’occupation de Dieu étoit la Géometrie, ils ne l’ont entendu ſans doute que de cette ſcience qui compare les ouvrages de ſa puiſſance avec les vuës de ſa ſageſſe.

Trop peu Géometres pour l’entrepriſe qu’ils formoient, ce qu’ils nous ont laiſſé eſt peu fondé, ou n’eſt pas intelligible. La perfection qu’a acquiſe l’Art depuis eux, nous met mieux à portée de réuſſir & fait peut-être plus que la compenſation de l’avantage que ces grands génies avoient ſur nous.


  1. Ce Mémoire fut lû dans l’Aſſemblée publique de l’Academie R. des Sciences de France le 15 Avril 1744 & fut inſeré dans le Recueil de 1744.
  2. Comme il n’y a ici qu’un ſeul corps on fait abſtraction de ſa Maſſe.