Esprit des lois (1777)/L28/C39


CHAPITRE XXXIX.

Continuation du même sujet.


Les formes judiciaires introduites par S. Louis cesserent d’être en usage. Ce prince avoit eu moins en vue la chose même, c’est-à-dire la meilleure maniere de juger, que la meilleure maniere de suppléer à l’ancienne pratique de juger. Le premier objet étoit de dégoûter de l’ancienne jurisprudence, & le second d’en former une nouvelle. Mais les inconvéniens de celle-ci ayant paru, on en vit bientôt succéder une autre.

Ainsi les lois de Saint-Louis changerent moins la jurisprudence Françoise, qu’elles ne donnerent des moyens pour la changer ; elles ouvrirent de nouveaux tribunaux, ou plutôt des voies pour y arriver ; & quand on put parvenir aisément à celui qui avoit une autorité générale, les jugemens, qui auparavant ne faisoient que les usages d’une seigneurie particuliere, formerent une jurisprudence universelle. On étoit parvenu par la force des établissemens, à avoir des décisions générales, qui manquoient entiérement dans le royaume : quand le bâtiment fut construit, on laissa tomber l’échafaud.

Ainsi les lois que fit Saint Louis eurent des effets qu’on n’auroit pas dû attendre du chef-d’œuvre de la législation. Il faut quelquefois bien des siecles pour préparer les changemens ; les événemens mûrissent, & voilà les révolutions.

Le parlement jugea en dernier ressort de presque toutes les affaires du royaume. Auparavant il ne jugeoit que de celles qui étoient entre les ducs[1], comtes, barons, évêques, abbés, ou entre le roi & ses vassaux[2], plutôt dans le rapport qu’elles avoient avec l’ordre politique, qu’avec l’ordre civil. Dans la suite, on fut obligé de le rendre sédentaire, & de le tenir toujours assemblé ; & enfin, on en créa plusieurs, pour qu’ils pussent suffire à toutes les affaires.

À peine le parlement fut-il un corps fixe, qu’on commença à compiler ses arrêts. Jean de Monluc, sous le regne de Philippe le bel, fit le recueil qu’on appelle aujourd’hui les registres Olim[3].


  1. Voyez Dutillet, sur la cour des pairs. Voyez aussi la Roche-Flavin, liv. I, ch. iii ; Budée & Paul-Emile.
  2. Les autres affaires étoient décidées par les tribunaux ordinaires.
  3. Voyez l’excellent ouvrage de M. le président Hénault, sur l’an 1313.