Esprit des lois (1777)/L26/C8

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CHAPITRE VIII.

Qu’il ne faut pas régler par les principes du droit appelé canonique, les choses réglées par les principes du droit civil.


Par le droit[1] civil des Romains, celui qui enleve d’un lieu sacré une chose privée, n’est puni que du crime de vol : par le droit[2] canonique, il est puni du crime de sacrilege. Le droit canonique fait attention au lieu, le droit civil à la chose. Mais n’avoir attention qu’au lieu, c’est ne réfléchir, ni sur la nature & la définition du vol, ni sur la nature & la définition du sacrilege.

Comme le mari peut demander la séparation à cause de l’infidélité de sa femme, la femme la demandoit autrefois[3] à cause de l’infidélité du mari. Cet usage, contraire à la disposition des lois[4] Romaines, s’étoit introduit dans les cours[5] d’église, où l’on ne voyoit que les maximes du droit canonique ; & effectivement, à ne regarder le mariage que dans des idées purement spirituelles & dans le rapport aux choses de l’autre vie, la violation est la même. Mais les lois politiques & civiles de presque tous les peuples, ont avec raison distingué ces deux choses. Elles ont demandé des femmes un degré de retenue & de continence, qu’elles n’exigent point des hommes ; parce que la violation de la pudeur suppose dans les femmes un renoncement à toutes les vertus ; parce que la femme, en violant les lois du mariage, sort de l’état de sa dépendance naturelle ; parce que la nature a marqué l’infidélité des femmes par des signes certains ; outre que les enfans adultérins de la femme sont nécessairement au mari & à la charge du mari, au lieu que les enfans adultérins du mari ne sont pas à la femme, ni à la charge de la femme.


  1. Leg. V. ff. ad leg. Juliam peculatûs.
  2. Cap. Quisquis xvii, quæstione 4 ; Cujas, observat. Liv. XIII, ch. xix, tome III.
  3. Beaumanoir, ancienne coutume de Beauvoisis, chap. xviii.
  4. Leg. I, cod. ad leg. Jul. de adult.
  5. Aujourd’hui, en France, elles ne connoissent point de ces choses.