Esprit des lois (1777)/L26/C13


CHAPITRE XIII.

Dans quel cas il faut suivre, à l’égard des mariages, les lois de la religion ; & dans quel cas il faut suivre les lois civiles.


Il est arrivé, dans tous les pays & dans tous les temps, que la religion s’est mêlée des mariages. Dès que de certaines choses ont été regardées comme impures ou illicites, & que cependant elles étoient nécessaires, il a bien fallu y appeler la religion, pour les légitimer dans un cas & les réprouver dans les autres.

D’un autre côté, les mariages étant, de toutes les actions humaines, celle qui intéresse le plus la société, il a bien fallu qu’ils fussent réglés par les lois civiles.

Tout ce qui regarde le caractere du mariage, sa forme, la maniere de le contracter, la fécondité qu’il procure, qui a fait comprendre à tous les peuples qu’il étoit l’objet d’une bénédiction particuliere, qui n’y étant pas toujours attachée, dépendoit de certaines graces supérieures ; tout cela est du ressort de la religion.

Les conséquences de cette union par rapport aux biens, les avantages réciproques, tout ce qui a du rapport à la famille nouvelle, à celle dont elle est sortie, à celle qui doit naître ; tout cela regarde les lois civiles.

Comme un des grands objets du mariage est d’ôter toutes les incertitudes des conjonctions illégitimes, la religion y imprime son caractere, & les lois civiles y joignent le leur, afin qu’il ait toute l’authenticité possible. Ainsi, outre les conditions que demande la religion pour que le mariage soit valide, les lois civiles en peuvent encore exiger d’autres.

Ce qui fait que les lois civiles ont ce pouvoir, c’est que ce sont des caracteres ajoutés, & non pas des caracteres contradictoires. La loi de la religion veut de certaines cérémonies, & les lois civiles veulent le consentement des peres ; elles demandent en cela quelque chose de plus, mais elles ne demandent rien qui soit contraire.

Il suit de là que c’est à la loi de la religion à décider si le lien sera indissoluble, ou non : car si les lois de la religion avoient établi le lien indissoluble, & que les civiles eussent réglé qu’il se peut rompre, ce seroient deux choses contradictoires.

Quelquefois les caracteres imprimés au mariage par les lois civiles, ne sont pas d’une absolue nécessité ; tels sont ceux qui sont établis par les lois qui, au lieu de casser le mariage, se sont contentées de punir ceux qui le contractoient.

Chez les Romains, les lois Pappiennes déclarerent injustes les mariages qu’elles prohiboient, & les soumirent seulement à des peines[1] ; & le senatus-consulte rendu sur le discours de l’empereur Marc-Antonin, les déclara nuls ; il n’y eut plus[2] de mariage, de femme, de dot, de mari. La loi civile se détermine selon les circonstances : quelquefois elle est plus attentive à réparer le mal, quelquefois à le prévenir.


  1. Voyez ce que j’ai dit ci-dessus au chap. xxi du livre des lois, dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitans.
  2. Voyez les loi XVI, ff. de ritu nuptiarum ; & la loi III, §. I, aussi au digeste de donationibus inter virum & uxorem.