Esprit des lois (1777)/L24/C24


CHAPITRE XXIV.

Des lois de religion locales.


Il y a beaucoup de lois locales dans les diverses religions. Et quand Montésuma s’obstinoit tant à dire que la religion des Espagnols étoit bonne pour leur pays, & celle du Mexique pour le sien, il ne disoit pas une absurdité ; parce qu’en effet les législateurs n’ont pu s’empêcher d’avoir égard à ce que la nature avoir établi avant eux.

L’opinion de la métempsycose est faite pour le climat des Indes. L’excessive chaleur brûle[1] toutes les campagnes ; on n’y peut nourrir que très-peu de bétail ; on est toujours en danger d’en manquer pour le labourage ; les bœufs ne s’y multiplient[2] que médiocrement, ils sont sujets à beaucoup de maladies : une loi de religion qui les conserve, est donc très-convenable à la police du pays.

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz & les légumes y croissent heureusement, par les eaux qu’on y peut employer : une loi de religion qui ne permet que cette nourriture, est donc très-utile aux hommes dans ces climats.

La chair[3] des bestiaux n’y a pas de goût ; & le lait & le beurre qu’ils en tirent, fait une partie de leur subsistance : la loi qui défend de manger & de tuer des vaches, n’est donc pas déraisonnable aux Indes.

Athenes avoit dans son sein une multitude innombrable de peuple ; son territoire étoit stérile : ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offroient aux dieux de certains petits présens, les honoroient[4] plus que ceux qui immoloient des bœufs.


  1. Voyage de Bernier, tom. II. pag. 137.
  2. Lett. édif. douzieme recueil, pag. 95.
  3. Voyage de Bernier, tome II. pag. 137.
  4. Euripide dans Athénée, liv. II. pag. 40.