Esprit des lois (1777)/L23/C22


CHAPITRE XXII.

De l’exposition des enfans.


Les premiers Romains eurent une assez bonne police sur l’exposition des enfans. Romulus, dit Denys d’Halicarnasse[1], imposa à tous les citoyens la nécessité d’élever tous les enfans mâles & les aînées des filles. Si les enfans étoient difformes & monstrueux, il permettoit de les exposer, après les avoir montrés à cinq des plus proches voisins.

Romulus ne permit[2] de tuer aucun enfant qui eût moins de trois ans ; par-là il concilioit la loi qui donnoit aux peres le droit de vie & de mort sur leurs enfans, & celle qui défendoit de les exposer.

On trouve encore dans Denys d’Halicarnasse[3], que la loi qui ordonnoit aux citoyens de se marier & d’élever tous leurs enfans, étoit en vigueur l’an 277 de Rome : on voit que l’usage avoit restreint la loi de Romulus, qui permettoit d’exposer les filles cadettes.

Nous n’avons de connoissance de ce que la loi des douze tables, donnée l’an de Rome 301, statua sur l’exposition des enfans, que par un passage de Cicéron[4], qui parlant du tribunat du peuple, dit que d’abord après sa naissance, tel que l’enfant monstrueux de la loi des douze tables, il fut étouffé : les enfans qui n’étoient donc conservés, & la loi des douze tables ne changea rien aux institutions précédentes.

« Les Germains, dit Tacite[5], n’exposent point leurs enfans ; & chez eux, les bonnes mœurs ont plus de force que n’ont ailleurs les bonnes lois ». Il y avoit donc chez les Romains des lois contre cet usage, & on ne les suivoit plus. On ne trouve aucune loi[6] Romaine, qui permette d’exposer les enfans : ce fut sans doute un abus introduit dans les derniers temps, lorsque le luxe ôta l’aisance, lorsque les richesses partagées furent appelées pauvreté, lorsque le pere crut avoir perdu ce qu’il donna à sa famille, & qu’il distingua cette famille de sa propriété.


  1. Antiquités Romaines, liv. II.
  2. Ibid.
  3. Liv. IX.
  4. Liv. III, de legib.
  5. De morib. Germ.
  6. Il n’y a point de titre là-dessus dans le digeste, le titre du code n’en dit rien, non plus que les novelles.