Du traitement de l’hypospadias/Pathogénie

G. Carré et C. Naud (p. 13-19).

PATHOGÉNIE


Avant de rappeler en quelques mots, la symptomatologie de l’hypospadias, symptomatologie qu’il est nécessaire de connaître puisque c’est contre elle, que sera dirigée la thérapeutique chirurgicale, voyons comment se forme l’hypospadias et, pour comprendre cette pathogénie, rappelons les notions d’embryologie. Nous empruntons la description au traité d’Hertiwig, aux travaux de Tourneux, de Retterer. Nous ne nous occuperons ici naturellement que du développement des organes génitaux externes.

Chez l’embryon humain, nous savons que pendant les premières semaines de la vie, la partie intérieure de l’allantoïde, dans laquelle débouchent les canaux de Wollf et de Müller s’accole à l’intestin terminal, et tous deux débouchent dans une petite fossette impaire et médiane, le cloaque, qui s’ouvre à la surface du corps, sert à l’élimination des produits d’excrétion et persiste chez une foule de vertébrés.

Vers la fin du deuxième mois lunaire (embryon de 24 à 25 millimètres), le cloaque se divise en deux cavités, par l’apparition d’une cloison, qui s’élève du fond du cloaque au point où va se fermer le périnée. Une postérieure qui formera l’anus, une antérieure qui nous occupe : sinus uro-génital de Müller, conduit génital de Tourneux, canal uro-génital de Valentin, conduit allantoïdien de Violleton, et qui constituera les portions prostatiques et membraneuses de l’urèthre.

La partie inférieure et antérieure du sinus uro-génital est ouverte en bas sous forme d’une fissure antéro-postérieure appelée fente ou fissure uro-génitale.

À cette époque (8e semaine) se développe à la partie antérieure de cette fissure et un peu au-dessous, une saillie médiane, le tubercule génital, à la face inférieure duquel se trouve une petite dépression, sillon-génital. À droite et à gauche du tubercule génital, se sont développées deux autres saillies, les bourrelets génitaux.

Le tubercule génital, futur pénis, long de un à deux millimètres, renferme dans son épaisseur une lame épithéliale que l’on peut rattacher à la membrane cloacale, entraînée dans le soulèvement du tubercule. Cette lame médiane s’étend le long de la partie inférieure du tubercule génital, de la racine au sommet, prolongeant ainsi à l’extérieur l’épithélium du sinus uro-génital ; elle présente un bord profond, enfoui dans le tissu mésodermique du tubercule, et un bord superficiel ou cutané adhérent au revêtement épidermique. On voit, dans le même temps, la fente uro-génitale se prolonger graduellement en avant sous forme d’une gouttière qui se continue avec le sillon génital dans le bord cutané de la lame uréthrale. (Tourneux).

Ces modifications vont s’accentuer chez l’homme. Le tubercule génital est développé au commencement du troisième mois, la gouttière génitale règne dans toute sa longueur, à sa face inférieure, le gland seul est respecté. Nous voyons ainsi que, dès le deuxième mois, l’urèthre périnéal et l’urèthre membraneux sont formés, et que l’urèthre pénien est représenté par la gouttière, qui court à la partie inférieure du tubercule génital. Pendant le troisième mois, les deux lèvres de la fente uro-génitale, qui se continuent avec les deux lèvres du sillon génital, pour former la gouttière uréthrale, se fusionnent sur la ligne médiane et forment la portion pénienne du canal uréthral. La soudure des deux lèvres commence en arrière et s’étend progressivement en avant. M. Retterer compare ce mode d’occlusion à celui de la gouttière médullaire.

Il ne reste plus alors que la formation du gland et de la portion balanique de l’urèthre. À la région glandulaire, le sillon génital est continué par une crête épithéliale, mur ou rempart épithélial de Tourneux, qui n’est, en somme, que la terminaison du bouchon cloacal qui a pris le nom de lame uréthrale à la face inférieure du tubercule génital et a formé la région pénienne.

Ce mur épithélial se creuse d’une gouttière dont la fermeture constitue le canal balanique. La gouttière balanique apparaît vers la fin du 3e mois au moment où s’accuse le premier soulèvement préputial et où la gouttière pénienne s’est refermée d’arrière en avant jusqu’à la base du gland. Elle progresse graduellement en avant au fur et à mesure qu’elle se referme en arrière pour constituer la portion balanique. Le canal balanique se complique de deux organes situés l’un, en dedans, le sinus de Guérin, l’autre, en dehors, le filet préputial.

Pendant ce temps, le reste de l’appareil génital s’est formé ; les bourrelets génitaux unis, accolés ont formé le scrotum.

Chez la femme, des modifications moins importantes, se sont accomplies. Le tubercule génital ne s’est pas allongé, il n’y a pas eu formation de portion pénienne, seules les portions membraneuse et périnéale de l’urèthre se sont faites. Le reste du tubercule génital forme le clitoris ; les bords du sillon génital, les petites lèvres, les bourrelets génitaux, les grandes lèvres ; l’ouverture du sinus uro-génital, dans lequel s’arrête l’urèthre, se fusionne avec les canaux de Müller pour former le vagin.

Ces études du développement nous permettent de résumer ainsi la formule embryogénique de l’hypospadias avec Carpentier, l’urèthre se développant en trois parties, comme nous venons de le voir :

En arrière, l’urèthre profond, membrano-prostatique dérive de la partie inférieure du conduit uro-génital.

L’urèthre spongieux et pénien formé sous le tubercule génital par la soudure des replis génitaux.

La portion glandulaire à laquelle concourt la crête épithéliale de Tourneux.

Ces différentes portions se soudant entre elles constituent le canal uréthral.

On conçoit, par suite, comment un arrêt dans l’évolution de l’une de ces trois parties va constituer une des formes d’hypospadias et l’on peut affirmer que, suivant en cela le développement, plus la lésion portera sur un point rapproché de la portion développée la première, plus la cause aura agi de bonne heure.

Si la clôture des replis génitaux est empêchée dès le début l’on aura à faire, à une forme d’hypospadias périnéal qui s’accompagne de troubles du côté du reste de l’appareil génital, rapprochant l’embryon de l’état indifférent, et c’est cette forme que Dugué a décrite sous le nom d’hypospadias vulviforme ; l’on se rapproche alors des cas confondus avec l’hermaphrodisme vrai. C’est lorsque ces troubles portent chez un sujet du sexe féminin que l’on observe les cas d’hypospadias décrits chez la femme (cas de Retterer). Si, au contraire, la cause survient un peu plus tardivement, alors que l’urèthre postérieur est presque formé, et qu’elle empêche la réunion des bourgeons génitaux externes, on observe l’hypospadias périnéo-scrotal.

Le travail organique continuant, l’arrêt de développement ne se produit qu’après que les bourgeons se sont réunis sur la ligne médiane. C’est à l’angle péno-scrotal que s’ouvre l’orifice de l’urèthre-hypospade péno-scrotal. Enfin l’absence de réunion des lèvres de la gouttière uréthrale donnera lieu à une des formes de l’hypospadias pénien ou de l’hypospadias balanique.

Et de cette étude embryologique ressort l’étude pathogénique. Quelle autre cause déterminante invoquer, en effet, qu’un arrêt de développement ? Si, encore, comme pour toutes les malformations, les études tératologiques de M. Dareste et de M. Duval, sont venues apporter un appoint considérable, et ont montré que c’est la seule explication plausible surtout dans les formes graves de l’hypospadias. Une théorie mécanique, théorie de l’éclatement avait été soutenue par Kauffmann, après Dionis et Haller. Cette théorie fut défendue par Duncan, Müller et Thiersch. Pour ces auteurs, l’hypospadias était le résultat d’une imperforation du gland, suivie d’une rupture de l’urèthre, par suite de l’accumulation de l’urine en amont. Il ne rentre pas dans notre sujet de critiquer cette théorie passible de bien des objections ; en admettant même qu’elle fut plausible pour les formes glandulaire et pénienne, elle est insoutenable pour les formes péno et périnéo-scrotale. Lors de la formation de ces fœtus, c’est-à-dire au deuxième mois de la vie intra-utérine, les recherches faites à ce sujet ont montré qu’il n’y avait pas encore d’urine formée ; et l’on ne peut, par suite, invoquer cette dernière comme facteur premier.

Si les causes déterminantes, comme pour les malformations, sont encore peu précises et fort nombreuses (choc-intoxications), les causes prédisposantes nous sont plus connues et l’hérédité joue ici encore un grand rôle. Nous rappellerons les cas de Frank, de Brière, de Rigoud, de Taxel, de Lepelletier, qui cite trois frères atteints d’hypospadias, de Lesserer, qui fut appelé à donner ses soins à deux frères atteints d’hypospadias et dans la famille desquels on trouvait onze cas de cette malformation entre la deuxième et la quatrième génération. Frank a vu, pendant trois générations, l’hypospadias exister dans une famille.

Notons enfin que souvent il est accompagné d’autres malformations, soit de l’appareil génito-urinaire, soit d’autres organes, et à ce sujet une observation de Camargo est des plus typiques. Dans une famille brésilienne, sur 15 enfants, deux étaient hypospades, trois avaient une perforation de la voûte palatine, un sixième un bec de lièvre.

Fréquence. — Comme toutes les malformations, l’hypospadias est relativement rare. Si nous relevons les statistiques des auteurs, nous voyons que :

Bouisson, l’a rencontré une fois sur 300 soldats. Il est, en cela, de tous points d’accord avec Reures, qui, lui, dit l’avoir vu 10 fois sur 3000 sujets examinés au conseil de révision et, dans les mêmes circonstances, la statistique récente de M. le Professeur Forgues nous montre : 135 à 165 hypospades sur 265 000 à 280 000 sujets.