Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Chausses

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 272-278).
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CHAUSSES, s. f. (chauces, chauches), habillement de mailles pour les jambes.

Après sarma Robers, li dus de Normendie.
Il a lachié ses cauches, la maile en est treslie :
Tost isnelement a sa broigne vestie,
Et lacha .1. vert elme, qui fu fais à Pavie[1].


Lor chauces lor lacha Antiaumes et Morans[2].

En effet, au commencement du xiiie siècle, les chausses de mailles sont habituellement lacées derrière les mollets[3].

On lit aussi dans le Roman de Gaydon, ces vers :

« Les chauces lace sus esperons d’ormier[4]. »

Et plus loin :

« Les chauces chauce, onques meillors ne vi[5]. »

« Chauces li chaucent blanches com .1. argent[6]. »

Le poème de Gaydon étant du commencement du xm" siècle, l’auteur emploie indifféremment le verbe lacer ou chausser, parce qu’en effet, à ce moment, on avait des chausses de mailles ou lacées, ou passées comme on passe de longs bas. Plus tard, vers le commencement du xive siècle, les chausses de mailles furent réunies à la ceinture comme un caleçon à pieds (fig. 1[7]), et étaient ainsi de véritables braies. Les maillons, disposés verticalement de la ceinture en haut des cuisses, sont, à partir de ce point jusqu'en bas, rangés horizontalement. En A, est tracé, grandeur d’exécution, l’enlacement de ces maillons rivés à grains d’orge. Les maillons passent sous la plante des pieds, et le bas de jambe est fendu de a en b, pour faciliter l’introduction du pied.

Ces chausses ou braies de mailles sont adoptées pendant la première moitié du xive siècle, sous les grèves que l’on voit apparaître vers 1270, et jusqu'au moment où le harnais de jambes est complété par la molletière d’acier et les cuissots. Dès que l’armure des jambes est complète, les chausses sont faites de peau, avec partie de mailles au défaut des jarrets.

Merlin de Cordebeuf, dans son petit traité de l'Ordonnance et matière des chevaliers errans[8] recommande l’ancien harnais, et, par conséquent, les chausses de mailles. Voici ce qu’il en dit : « Item, le harnoys de jambes et de pié, il sera fait des chausses de maille ou de flandresques destaille pour estre plus âgée et mieux ressembler lancienne faczon, sinon endroit le genoil, ou quel endroit y aura ung poullain (genouillère) fait de blanc harnoys, ainsi que plus à plain le sauray bien diviser. » Ces chausses flandresques ou à la façon de Flandres, étaient faites de peau piquée longitudinalement, et
étaient fort usitées vers la fin du xive siècle (fig. 2[9]). Ce personnage porte sur ses chausses flandresques des
ARMURE MIXTE, CHAUSSE FLANDRESQUES (fin du xive siècle)
genouillères avec plates à recouvrement sur les cuisses, une cotte de mailles à manches courtes, et par-dessous, des manches de peau piquée avec cubitières ; puis, sur le tout, une cotte rouge sans manches, avec la ceinture militaire. Il est coiffé d’un chapel de cuir bouilli de forme singulière. On portait aussi, vers le milieu du xive siècle, des hauts-de-chausses
de peau piquée par-dessus des bas-de chausses de mailles (fig. 3[10]). Les hauts-de-chausses que donne cette figure sont découpés au-dessous du genou, garanti par un poulain ou genouillère. Bien entendu, les bas-de-chausses de mailles ne se prolongeaient pas sous les hauts-de-chausses de peau, mais étaient attachés à une sorte de caleçon de toile ; ainsi n’était-on pas assis sur la maille en montant en selle. La statue à laquelle nous empruntons ce vêtement date de 1344 (voy. Armure, fig. 31). Vers la fin du xive siècle, on voit assez fréquemment adopter pour l’habillement militaire des plaques de fer rivées entre elles ou sur de la peau. L’armure de plates n’était pas encore admise d’une manière absolue, elle était très-chère ; et tout en renonçant aux mailles, si ce n’était pour couvrir les défauts, on cherchait des moyens de protection qui
eussent la souplesse de ces maillons, mais qui pussent opposer aux coups une plus grande résistance, sans présenter les difficultés de forge et de façon qu’offraient les armures de plates. Ce genre d’armures composées de petites plaques d’acier à recouvrement en manière de tuiles n’eut pas une longue durée,
ARMURE MIXTE, CHAUSSE DE PLATES (fin du xive siècle)
et n’apparaît guère que pendant les dernières années du xive siècle. On fit alors des corsets, des camails et même des chausses, composés en grande partie de ces petites lames d’acier.

La figure 4[11] montre un chevalier (Lancelot du Lac) ainsi armé : ses jambes sont entièrement protégées par des chausses composées de lamelles d’acier rivées ; des grèves et genouillères garantissent en outre les tibias et genoux. Ce chevalier porte une sous-cotte de mailles, mais les arrière-bras sont couverts de même de lamelles d’acier avec rondelles sur les épaules. Des cubitières garantissent les coudes sur les manches de mailles. Par-dessus la cotte de mailles est posée une cotte d’étoffe blanche avec bandes rouges brodées d’or et d’argent. Ces chausses de lamelles étaient bouclées par derrière.

Vers cette époque aussi, on pointait des hauts et bas-de-chausses de peau, avec semis plus ou moins serré de bosselles d’acier en manière de rivets (fig. 5). Dans cet exemple, les bas-de-chausses de peau sont renforcés par des lanières longitudinales de même étoffe, avec semis à têtes ornées, de bronze probablement. Les hauts-de-chausses, aussi de peau, sont couverts de bossettes hémisphériques ; ils tombent au-dessous des poulains ou genouillères d’acier, et se terminent en pointes. Les solerets sont d’acier, avec doublure de peau. Ce harnais de jambes paraît avoir été particulièrement usité en Angleterre vers la fin du xiv" siècle ; la peau en était teinte de couleurs vives et les rivets dorés. Il est rare qu’on trouve ces chausses figurées sur nos monuments français. Pendant le xv" siècle, en France, les hommes d’armes portaient toujours le harnais de jambes complet d’acier.

Quant aux piétons, ils mettaient le plus souvent des chausses de peau ou d’étoffe épaisse, ou de toile en double et triple épaisseur, avec grèves, souliers ou bottines (fig. 6[12]).

Ce fantassin, armé d’une vouge, est vêtu de chausses de peau avec bottines de même. Des molletières d’acier, avec cuissots et poulains, couvrent les jarrets, le haut des tibias, les genoux et le devant des cuisses. Il porte un jacque de mailles et par-dessus une brigantine avec lame d’acier sous les omoplates et petites rondelles de métal. La partie supérieure de la brigantine qui protège les épaules et les omoplates est couverte de velours orange ; la partie formant dossière, de velours vert ; la jupette est faite de satin cramoisi. Une boce est attachée à la poignée de l’épée, dont le fourreau est couvert de velours saumon. Il est coiffé d’une salade avec couvre-nuque articulé.

  1. La Conquête de Jérusalem, chant vii, vers 7246 et suiv., publ. par C. Hippeau.
  2. Ibid, vers 7310.
  3. Voyez Armure, fig. 13 et 15.
  4. Vers 3099.
  5. Vers 5883.
  6. Vers 6399.
  7. Ancienne collect. de M. le comte de Nieuwerkerke.
  8. xve siècle, publié par M. René de Belleval, Du costume militaire des Français en 1446.
  9. Manuscr. Biblioth. nation., latin, n°757, vignettes de facture italienne.
  10. Statue d’Ulrich, landgrave d’Alsace, église Saint-Guillaume à Strasbourg.
  11. Manusrr. Biblioth. nation., Lancelot du Lac, français, livr. ii (1390 environ).
  12. Manuscr. Biblioth. nation., Quinte-Curce, trad. française, dédié à Charles le Téméraire.