Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Transsept

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TRANSSEPT, s. m. (croisée). Mot dérivé du latin et que plusieurs écrivent transcept. Nous préférons adopter l’orthographe transsept, de trans et sepire, enclore au delà. En effet, dans les basiliques primitives et dans les anciennes églises conventuelles, la clôture du chœur est placée dans le transsept, l’abside étant réservée au sanctuaire.

La basilique romaine possédait parfois un transsept, c’est-à-dire un espace transversal entre le tribunal et les nefs. Dans la basilique du forum de Trajan (basilica Emilia), le tribunal occupait la largeur des cinq nefs ; les basses nefs se retournaient devant l’hémicycle[1] ; donc, ou ces basses nefs formaient une sorte de transsept, ou entre elles et le tribunal il restait un intervalle nécessaire à la construction de la couverture. Plusieurs basiliques chrétiennes des premiers siècles possédaient un transsept. C’est sur cette donnée qu’est construite la basilique de la Nativité à Bethléem, qui date du VIe siècle. La basilique de Saint-Paul hors des murs (Rome), commencée en 386 et achevée complètement sous le règne d’Honorius, restaurée à plusieurs reprises, et notamment au XIIIe siècle, possédait un vaste transsept, appartenant à la disposition théodosienne. Ce transsept primitif formait comme une œuvre à part qui, étudiée avec les textes relatifs à la première liturgie chrétienne, présente une disposition d’un grand intérêt, et que l’on retrouve dans les plans des basiliques de Saint-Pierre de Rome, de Saint-Jean de Latran, de Sainte-Marie Majeure et de Saint-Pierre ès liens (Rome)[2].

Le plan de la basilique de Saint-Paul hors des murs nous donne ce transsept de l’église chrétienne primitive bien marqué. La nef principale et les quatre nefs latérales (fig. 1) sont séparées de la croisée par un mur percé d’un arc triomphal et de quatre arcs secondaires. L’autel majeur, placé en A, avec sa clôture, sur la confession, séparait le chœur B, occupé par les principaux parmi le clergé, des fidèles placés dans la nef.

Les bras du transsept étaient remplis par les clercs et les personnes revêtues d’un caractère religieux. Il ne faut pas oublier que dans les premiers siècles du christianisme, l’autel était entouré de voiles qui n’étaient ouverts qu’à certains moments de l’office ; le transsept était ainsi le lieu sacré, la cella dans laquelle ne pénétraient point les laïques. Dernière tradition du culte païen et aussi des usages des juifs, que nous retrouvons conservée dans la liturgie des Grecs.

Le transsept, peu étendu, quand il existe, dans la basilique romaine, prend, dans les grandes basiliques chrétiennes primitives, une importance considérable : c’est le transsept qui donne à l’édifice chrétien son caractère religieux, car les nefs ne sont qu’un lieu d’assemblée. Aussi ne cesse-t-il d’être pratiqué dans les églises monastiques. Le plan de l’église de l’abbaye de Saint-Gall (Suisse) indique un transsept en avant de l’autel majeur, transsept qui contient le chœur des religieux et les ambons. Les restes de l’église abbatiale de Saint-Denis, bâtie par Dagobert et retrouvés par nous sous le dallage de l’église de Suger, montraient l’amorce d’un transsept devant l’abside semi-circulaire. Nous voyons une sorte de transsept accusé en avant du sanctuaire de la petite église de Vignory (Haute-Marne), dont la construction remonte au Xe siècle[3], Dans l’église abbatiale de Saint-Savin, près de Poitiers, qui date du XIe siècle, un transsept très-accusé sépare la nef du sanctuaire[4].

Toutefois le transsept ne se manifeste pas de la même manière et en même temps dans les écoles diverses d’architecture religieuse de l’ancienne Gaule. S’il semble inhérent au plan de l’église des provinces méridionales, il n’apparaît que plus tard et d’une manière moins franche dans les provinces du Nord. Quant aux églises abbatiales, les plus anciennes, elles sont toujours pourvues de transsepts étendus. Cette disposition était commandée impérieusement par le service religieux des moines bénédictins, et elle fut suivie par les cisterciens dans les constructions qu’ils élevèrent au XIIe siècle. L’abbaye de Cluny possédait même deux vastes transsepts séparés seulement par deux travées de nefs[5].

Avant l’adoption absolue des voûtes dans la structure des églises, la disposition des transsepts présentait déjà aux architectes de sérieuses difficultés ; car, s’il est facile de poser des fermes de comble sur les murs parallèles d’une nef, il est moins aisé de couvrir en charpente un espace carré en ne disposant que des angles comme points d’appui. Aussi, dans les basiliques les plus anciennes pourvues de transsepts, ou les murs de ces transsepts s’élèvent au-dessus de ceux de la nef haute, et la charpente repose alors sur des arcs-doubleaux qui franchissent la largeur de la nef ; ou au contraire les murs de la croisée sont plus bas que ceux de la nef, et c’est la charpente de celle-ci qui repose sur des arcs franchissant la largeur du transsept. Quelquefois aussi quatre arcs-doubleaux sont bandés à l’intersection de la nef avec le transsept ; sur ces arcs s’élève une sorte de tour carrée qui possède sa charpente spéciale avec deux pignons. Cette disposition est adoptée, par exemple, dans l’église conventuelle de Montreale, près de Palerme[6], et dans la cathédrale de Cefalù (Sicile), bâties toutes deux sous la domination normande, au XIIe siècle. Il y a tout lieu de croire que les églises construites en France, dans le Nord et particulièrement en Normandie, au XIe siècle, présentaient cette disposition. Des voûtes ayant remplacé, dans ces édifices, toutes les charpentes apparentes, pendant les XIIe et XIIIe siècles, on ne peut à cet égard que fournir des présomptions ; mais la voûte centrale du transsept normand, formant lanterne, semble être une tradition de la charpente relevée que nous trouvons encore à Cefalù et à Montreale, près de Palerme.

Mais c’est (nous l’avons déjà dit) dans les églises monastiques des Gaules que nous voyons le transsept s’accuser franchement dès une époque ancienne. Le plan de l’église primitive de Saint-Remi, à Reims, encore visible, malgré les modifications qu’il a subies, possède un transsept très-étendu et sur lequel, outre le sanctuaire, s’ouvraient cinq chapelles orientées. Ce transsept, ainsi que la nef, était primitivement couvert par une charpente avec quatre arcs-doubleaux à l’intersection des murs. Nous en donnons le plan (fig. 2)[7] qui ne diffère de celui de la grande basilique de Saint-Paul hors des murs de Rome que par le bas côté du chœur et l’adjonction des chapelles. Ici encore les religieux occupaient ce vaste croisillon, et la nef était réservée aux fidèles.

À Saint-Remi, le chœur des religieux était alors en A et l’autel en B ; la châsse de Saint-Remi en C. Les latéraux de l’église du Xe siècle étaient voûtés au moyen de berceaux portant sur des arcs-doubleaux et perpendiculaires aux axes de la nef et du transsept. Un triforium ou galerie couverte en charpente posée sur des arcs s’élevait au-dessus des collatéraux et sous les fenêtres hautes de la nef (voy. Travée, fig. 1).

Plus tard, le principe de la disposition primitive du transsept se perd, les fidèles envahissent les ailes ; un collatéral pourtourne le sanctuaire, sauf dans les églises peu importantes ; il se garnit de chapelles nombreuses ; les religieux n’occupent plus, pendant les offices, que le centre de la croisée et les dernières travées de la nef centrale. Alors le milieu de l’abside devient un lieu sacré, réservé au dépôt des reliques, des trésors, et où les fidèles ne sont point admis. Cette abside gagne en profondeur ; l’autel des religieux demeure sous son arc-doubleau d’entrée ou s’avance au milieu du transsept. Cette transformation eut lieu dans l’église abbatiale de Saint-Remi même, à la fin du XIIe siècle. Le chœur des religieux fut porté en D ; le rond-point, derrière l’autel, beaucoup plus profond, contenait encore la châsse du saint évêque, mais les fidèles tournaient autour de ce sanctuaire fermé par une clôture et avaient accès aux chapelles rayonnantes bâties sur une assez grande échelle. Lorsque vers la fin du XIe siècle, on décida de remplacer les charpentes des hautes nefs par des voûtes, on commença par établir des berceaux : on n’osait entreprendre de construire des voûtes d’arête d’une grande portée[8] ; mais au centre de la croisée, force était, ou de faire une voûte d’arête, à la rencontre des berceaux, ou une coupole. C’est à ce dernier parti que l’on s’arrêta, tant on se défiait de la solidité des grandes voûtes d’arête à la manière romaine.

Les jolies églises d’Auvergne, bâties toutes à peu près sur le même patron, vers 1100[9], nous fournissent plusieurs exemples de plans avec transsept très-judicieusement conçus. Le plan (fig. 3) de l’église d’Issoire sort des données primitives quant à la disposition du transsept.
Sur les quatre piles de la croisée sont bandés quatre arcs-doubleaux qui portent, dans les angles, des trompillons arrivant à l’octogone ; sur cet octogone s’élève une voûte en coupole, contre-butée latéralement en a et b par des demi-berceaux[10] ; au-dessus de la coupole se dresse un clocher. Le sanctuaire A est relevé de quelques marches au-dessus du pavé du transsept et du collatéral circulaire. Deux degrés descendent dans une crypte. Les fidèles avaient accès partout, hormis dans le sanctuaire, et, par le fait, les deux croisillons c, d, ne sont que les appendices des chapelles orientées e, f. Ce plan, si bien conçu, devait donner, en élévation, un motif d’une grande originalité et qui sortait des données admises jusqu’alors.
Voici (fig. 4) la vue perspective de l’abside de l’église d’Issoire avec son transsept. On voit que les deux extrémités du bras de croix, au droit des chapelles orientées, ne s’élèvent pas au-dessus de la nef et de l’abside ; mais les deux parties a, b, du plan, qui reçoivent les demi-berceaux destinés à contre-buter la coupole, forment un premier gradin, d’un grand effet, qui conduit l’œil au deuxième gradin enfermant la coupole et portant le clocher central. Malheureusement, ces parties supérieures ont été alourdies et défigurées à différentes époques, mais il est aisé de reconnaître, sur le monument même, et par l’examen des constructions, la disposition primitive sous les superfétations qui lui ôtent une partie de sa grâce. Des matériaux de diverses couleurs forment, en certaines places, des mosaïques qui donnent de la finesse et de l’élégance à cette structure adroitement étagée. Les plans auvergnats firent école et eurent des imitateurs jusque dans le Nivernais, au nord ; jusque dans le Limousin et le Languedoc, au sud. Toutefois, dans ces dernières provinces méridionales, ces imitations ne paraissent s’être appliquées qu’à des églises abbatiales.

La plus importante de toutes est, sans contredit, la célèbre église de Saint-Sernin (Saint-Saturnin), de Toulouse, dont le chœur et le transsept datent du commencement du XIIe siècle.

La figure 5 donne en A la moitié du plan de son abside avec le transsept et l’amorce de la nef. Ici le transsept n’est plus réservé aux religieux, ceux-ci se tenaient dans le chœur placé en C, tandis que l’autel était établi en a sur la crypte renfermant le tombeau de Saint-Saturnin. En b était un autel de retro, réservé à certaines solennités. Aux deux extrémités nord et sud du transsept sont percées de larges portes p, p, dont nous montrons le complément extérieur en P ; portes faites pour les fidèles ou plutôt les pèlerins qui affluaient en grand nombre, à certains jours, dans l’église de Saint-Sernin. La nef est pourvue de doubles collatéraux, et l’un des deux pourtourne complètement les bras du transsept et le sanctuaire. Un triforium voûté surmonte ces collatéraux. Cette disposition grandiose fut suivie vers la même époque, lors de la construction de l’église de Conques (Aveyron). Nous donnons en B, de même, la moitié du plan de son abside et de son transsept. Les religieux occupaient, dans l’église de Conques, la même place qu’à Saint-Sernin. À Conques, les fidèles n’avaient point accès dans l’église par les extrémités des bras de croix, mais seulement par les portes latérales m. Ces plans font assez ressortir l’importance que prenait le transsept dans les églises conventuelles. Réservé primitivement aux religieux, aux clercs, il est livré aux fidèles dès le XIIe siècle ; à ce moment, il occupe même une surface plus étendue, afin de permettre aux pèlerins qui se rendaient dans ces églises abbatiales d’assister en grand nombre aux cérémonies du culte et de voir facilement les corps-saints sortis des cryptes à certaines époques de l’année et exposés au milieu de l’église[11]. Ce programme tracé pour la construction des églises bénédictines et cisterciennes, vers le commencement du XIIe siècle, fut rigoureusement suivi pendant les siècles suivants. Au contraire, nous voyons les plans des cathédrales s’élever en France, suivant les provinces, sur des plans variés, et, dans ces édifices, le transsept, si franchement et universellement adopté pour les églises bénédictines et cisterciennes, ne se montre que çà et là ou à une époque relativement récente. Certaines églises méridionales et du centre, comme la cathédrale d’Angoulême, comme celles d’Angers, du Mans (ancienne), de Langres d’Autun, ont seules le privilège de posséder des transsepts accusés[12] ; mais ces monuments sont antérieurs au mouvement qui, dans le Nord, fit reconstruire toutes les églises épiscopales. Nous avons suffisamment expliqué ailleurs la nature et l’importance de ce mouvement politique pour qu’il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet. Il nous suffira de constater ce fait : que la majeure partie de ces cathédrales commencées pendant la seconde moitié du XIIe siècle, dans le domaine royal, ont été primitivement élevées sans transsept. Les cathédrales de Senlis, de Meaux, n’avaient point de transsepts ; celle de Paris fut certainement projetée sans cet appendices[13] ; celle de Bourges n’en a point, et à Sens il est facile de reconnaître comment il fut établi longtemps après la construction de l’église cathédrale. Des fouilles récemment faites dans cet édifice, sur notre demande, par M. Lance, architecte diocésain, et relevées avec le plus grand soin par M. Lefort, inspecteur des travaux, ont mis à découvert non-seulement les fondations, mais les assises basses des piles anciennes dans l’axe du transsept actuel. La figure 6 donne le plan de la partie postérieure de la cathédrale de Sens.
Ce plan, restitué d’après les fouilles, ne laisse voir qu’un embryon de transsept indiqué par les deux chapelles, C, C[14]. La nef et les collatéraux sont divisés par travées égales sans interruption, les espacements entre les piles sont même d’une régularité parfaite. Alors (à la fin du XIIe siècle) la cathédrale de Sens se rattachait donc au plan qui semblait adopté pour les églises épiscopales du domaine royal, comme disposition générale, bien qu’elle conservât des points de rapports avec les monuments de Champagne, et notamment avec la cathédrale de Langres[15]. La place de l’archevêque était en A et celle du maître autel en B. À la fin du XIIIe siècle, on commença la construction d’un pignon de bras de croix en ba. Ces travaux semblent avoir été longtemps suspendus, car ce n’est qu’au commencement du XVIe siècle que ce pignon fut achevé et que celui e f s’éleva au nord[16]. Alors les travées g, h, de l’église ancienne furent abattues, ainsi que les piles i, k, et l’on refit de grandes voûtes pour couvrir ce transsept trouvé aux dépens de ces deux anciennes travées. Ce fut probablement à cette époque que le chœur du chapitre s’allongea jusqu’aux piliers p, p ; car lorsque le transsept était à peine accusé par les deux chapelles orientées C, C, le clergé se tenait dans le rond-point ; la nef, jusqu’au devant de l’autel, était laissée aux fidèles.

Ne perdons pas de vue que les grandes cathédrales élevées à cette époque, c’est-à-dire de 1150 à 1200, s’éloignaient, par leur programme, autant que faire se pouvait, de la donnée des églises monastiques. Dans les cathédrales de la fin du XIIe siècle, pas de clôtures, peu ou pas de chapelles, le chœur de plain-pied avec le collatéral, relevé seulement de deux ou trois marches au-dessus de la nef[17]. L’évêque se réservait l’abside, tout le reste du monument était livré au public. Cette façon de démocratiser l’église, d’en faire la basilique de la cité, paraît surtout avoir été adoptée dans l’Île-de-France, et appartenir aux dernières années du XIIe siècle, car les cathédrales rebâties au commencement du XIIIe siècle, comme celles de Reims, de Laon, d’Amiens, de Chartres, ont été conçues avec des transsepts. Toutefois, jamais ces transsepts des cathédrales du Nord n’atteignent les dimensions relatives des transsepts d’églises conventuelles ; ils sont d’ailleurs moins variés dans leurs dispositions, en considérant comme des exceptions les rares transsepts dont les extrémités sont terminées en rond-point. Citons ceux des cathédrales de Tournay, de Noyon, de Soissons, qui ne sont pas postérieurs à la moitié du XIIe siècle[18].

Évidemment, le programme des églises monastiques, en ce qui regardait le transsept, varia suivant les ordres, suivant les provinces et le temps ; car, dans ces monuments, en France, nous découvrons des dispositions de transsepts très-différents, et c’est surtout dans les provinces de l’Ouest que les transsepts d’églises abbatiales prennent un développement relatif extraordinaire. Dans l’église abbatiale de Saint-Front de Périgueux (fin du Xe siècle), le transsept est égal, comme surface, à la nef et au chœur, c’est-à-dire que le plan présente une croix, dite grecque[19]. Le transsept de l’église abbatiale de Saint-Hilaire de Poitiers, qui datait du XIe siècle, était très-vaste. Une nef centrale et six collatéraux y aboutissaient[20]. Les rares églises bénédictines rebâties au XIIIe siècle occupent encore des transsepts développés, bien qu’alors les nouveaux ordres prédicants et mendiants élevassent des églises dépourvues de transsepts[21].

Il demeure acquis que les transsepts étaient considérés par les anciens ordres et par les cisterciens comme nécessaires au service du culte. Les églises antérieures aux ordres mendiants, les plus simples comme composition de plans, possèdent toutes des transsepts relativement étendus. Nous choisirons un spécimen parmi ces derniers monuments élevés avec parcimonie, l’église d’Obazine (Corrèze), dépendant de l’abbaye fondée par saint Étienne d’Obazine et reconstruite au XIIe siècle ; d’autant que le plan de cet édifice présente une disposition assez rare en France (fig. 7). Outre le sanctuaire, six chapelles orientées donnent sur le transsept, dont les croisillons débordent de beaucoup la nef. Le degré a communiquait au premier étage des bâtiments du cloître. Le tombeau de saint Étienne est placé en b. Il est évident que ce transsept était réservé aux religieux et que la clôture était posée en cc. La figure 8 donne la coupe sur ef de ce transsept, couronné, sur la croisée, par un clocher. Ainsi, du bas chœur, les religieux pouvaient sonner les cloches ; ils officiaient aux chapelles sans sortir de leur clôture, et la nef n’était que le lieu de réunion des fidèles, complètement indépendant des parties réservées au culte. Les églises cisterciennes présentent des dispositions analogues, permettant aux fidèles d’assister aux cérémonies sans pénétrer dans les clôtures.

Il ne paraît pas qu’au XIIIe siècle, du moins, les bénédictins aient tenu à conserver ces usages claustraux.

Le plan de l’église abbatiale de Saint-Denis nous en fournirait la preuve, soit que l’exemple des évêques qui avaient livré toute la surface des nouvelles cathédrales aux fidèles ait fini par modifier les règles monastiques, soit que les bénédictins, en présence de ces dispositions libérales de l’épiscopat, et peut-être aussi de l’affluence que les moines prêcheurs attiraient dans leurs vastes églises ouvertes à tous et dépourvues de clôtures, aient senti la nécessité de ne plus se séparer des fidèles, habitués à circuler librement dans les églises ; toujours est-il que les religieux de Saint-Denis semblent avoir cherché (lorsque leur église fut en grande partie reconstruite vers le milieu du XIIIe siècle) à provoquer l’affluence du public dans leur basilique par de larges dispositions, bien éloignées des habitudes claustrales des siècles précédents.

Il fallait lutter contre la vogue qui entraînait les populations vers ces moines prêcheurs dont les églises n’étaient que de larges salles de conférences, et ce n’était pas certes en maintenant ces obstacles nombreux, qui, dans les églises clunisiennes mêmes, gênaient la vue et la circulation, que l’on pouvait espérer ramener la foule vers les reliques dont le prestige se perdait tous les jours. Aussi n’est-ce plus dans le fond des cryptes que les châsses sont conservées ; elles sont placées dans les sanctuaires, entourées d’objets précieux. On les exhibe d’autant plus, que le peuple perd peu à peu la vénération qu’il leur portait. La pompe des cérémonies, les facilités données aux fidèles d’y assister, remplacent chez les bénédictins la discipline sévère maintenue jadis dans leurs églises ; à défaut de la foi qui s’endort ou vacille, on excite du moins la curiosité.

Or, les plans successifs de l’église de Saint-Denis nous font, pour ainsi dire, toucher du doigt cette modification dans les habitudes religieuses des grandes abbayes. Ils méritent donc une étude attentive. Voici (fig. 9) ces plans présentés les uns sur les autres et tels que les fouilles et les traces de constructions encore existantes ont pu les faire reconnaître.
On voit en a les restes des soubassements de l’abside et du transsept de l’église de Dagobert, bâtie avec des débris de monuments gallo-romains[22]. Pendant la période carlovingienne, l’église fut très-allongée en b au delà de l’abside de Dagobert[23] ; puis viennent s’implanter les constructions de Suger[24], encore visibles au-dessus du sol en c. Alors les deux descentes aux cryptes plus anciennes furent ménagées en e[25] ; le sanctuaire se développa largement au-dessus des caveaux de l’église carlovingienne, et l’on dut y monter par des degrés établis en g, des deux côtés de l’autel, et en h.

Un caveau voûté qui existe encore entier en f montre clairement que le mur i donnait sur le dehors, puisqu’il possède une fenêtre relevée ; les murs j du fond du collatéral du transsept existent encore, et l’on retrouve en K les fondations qui indiquent que les constructions de Suger ne s’étendaient pas au delà des pignons actuels.

La nef de l’église de Suger était plus étroite que celle de l’église actuelle, ainsi qu’il est aisé de le reconnaître à l’entrée occidentale et par des fouilles pratiquées en l. Donc le transsept de l’église abbatiale du XIIe siècle, muni d’un bas côté vers le sanctuaire, comprenait l’espace mnop. Ce bas côté AA était d’ailleurs nécessaire pour recevoir les emmarchements qui montaient au sanctuaire et ceux qui descendaient aux cryptes.

Ces constructions, en partie établies sur les restes assez mal bâtis de l’église de Dagobert, ou sur des fondations insuffisantes, ainsi qu’il est aisé de le reconnaître, menaçaient ruine très-probablement vers le milieu du XIIIe siècle. Que cette raison ait été déterminante, ou que l’édifice ne répondit plus parfaitement aux nécessités du moment, on se résolut à le rebâtir presque entièrement, et notamment toutes les parties du transsept, sous le règne de saint Louis (1230 à 1240).

Notre figure indique, en noir, toutes les constructions refaites alors. Un coup d’œil sur ce plan fait comprendre l’importance nouvelle que l’on donne au transsept et aux collatéraux qui l’accompagnent. La nef fut sensiblement élargie et se raccorda avec le sanctuaire, dont les écartements de piles furent conservés, par des biais, qui paraissent fort étranges si l’on ne se rend compte de l’état des constructions antérieures que l’on prétendait conserver vers l’abside.

Les piles B du sanctuaire furent refaites à neuf, celles T du rond-point sur des socles du XIIe siècle. Celles B furent fondées à nouveau dans la crypte, en passant à travers les voûtes carlovingiennes. On se contenta de rebâtir sur la vieille fondation les piles qui portent sur l’angle de l’abside mérovingienne ; mais au lieu des trois travées D, on n’en fit que deux, et les emmarchements montant au sanctuaire furent reportés en E. Des chapelles furent établies en F au niveau du sol du sanctuaire. Une des portes de l’ancien transsept de Suger fut remontée en G[26]. Saint Louis voulut refaire à neuf les tombeaux de ses prédécesseurs. Ces tombeaux furent disposés en H, c’est-à-dire sur l’emplacement qu’ils avaient occupé dans les églises précédentes. Celui de Dagobert s’éleva en L, très-probablement sur le lieu où la tradition plaçait sa sépulture[27]. Alors le chœur des religieux s’étendit dans la nef depuis le transsept jusqu’au point M, et le public put circuler dans les collatéraux et traverser les bras de croix. Des chapelles furent dédiées en N et en P. Beaucoup plus tard cette dernière fut occupée par le tombeau de François Ier. Au XIVe siècle, on éleva d’autres chapelles le long du collatéral nord en R. Les sépultures des abbés remplirent le croisillon S.

Ces plans superposés ont cela d’intéressant, qu’ils nous font reconnaître les modifications que le temps apporta dans les usages monastiques de l’une des plus puissantes abbayes de France. D’abord, comme dans l’église primitive, le transsept, très-étendu, relativement à la largeur de la nef, est fait pour contenir et enclore les religieux qui n’ont, avec les fidèles, aucune communication. Puis, sous les carlovingiens, tout en maintenant la disposition du transsept primitif, on y ajoute un sanctuaire profond, qui fait comme une seconde église propre à l’exhibition des reliques. Sous Suger, ce sanctuaire s’élargit, se garnit de chapelles nombreuses et le transsept s’ouvre davantage sur la nef. Enfin, au XIIe siècle, la clôture monastique, dans l’église, n’est plus absolue ; le chœur des religieux est complètement entouré des fidèles, qui ont accès partout comme dans les cathédrales, excepté dans le sanctuaire occupé par les reliques, et dans le chœur entouré de stalles, clos par un jubé vers la nef, et par des grilles basses sur les deux croisillons. On observera que, dans cette église particulièrement vénérée, ce qui se modifie le moins, c’est le transsept ; jusqu’aux derniers travaux entrepris, il demeure à la même place. L’autel reste encore au XIIIe siècle, en V, au-dessus du point consacré par la tradition[28]. Ce transsept est mis en communication avec les bâtiments de l’abbaye, par une large porte. Il s’ouvre également du côté extérieur, donnant sur l’ancien cimetière, dit des Valois. D’amples emmarchements permettent aux fidèles de circuler dans le collatéral du sanctuaire et d’assister aux offices des chapelles.

Mais si le transsept a conservé sa position et presque ses dimensions primitives, il ne se trouve plus au XIIIe siècle dans les conditions où il se trouvait au VIe et même au XIIe. Autour de lui, l’église s’est développée, et cela au profit de l’assistance.

Cependant ces transformations ne se manifestaient que dans les églises des grandes abbayes, les petits établissements religieux conservaient à peu près les dispositions anciennes du transsept réservé aux moines. L’église de Saint-Jean aux Bois, près de Compiègne, est un exemple d’une de ces constructions monastiques élevées au XIIIe siècle sur de petites dimensions. Dépourvue de collatéraux, cette église se compose d’une large nef et d’un sanctuaire, séparés par un transsept dont les croisillons sont chacun divisés par une colonne sur le prolongement des murs latéraux[29]. Cette jolie disposition, si convenable pour une petite église conventuelle, est présentée dans la vue perspective (fig. 10).
On aperçoit dans cette figure la trabes de l’entrée du sanctuaire[30]. Les stalles des religieux étaient adossées aux croisillons, et ceux-ci, derrière ces stalles, laissaient des espaces libres pour les hôtes ou les personnages qui avaient accès dans le monastère. La nef était ainsi réservée aux gens du dehors. On ne pénétrait dans les croisillons que par de petites portes donnant dans l’enceinte du couvent.

Les églises paroissiales subissaient l’influence des abbayes ou cathédrales voisines. Dès une époque reculée, elles possédaient, la plupart, des transsepts, principalement dans les provinces du Nord, du Centre et de l’Est. Dans le Poitou, la Saintonge et l’Angoumois, au contraire, il n’est pas rare de trouver des églises paroissiales des XIIe et XIIIe siècles dépourvues de transsepts. Le centre de la croisée de ces églises paroissiales est habituellement surmonté de tours dans les provinces de l’Île-de-France, de la Normandie, de la Bourgogne et de l’Auvergne. Les croisillons sont, ou percés de portes, ou fermés, surtout quand ils s’ouvrent sur des chapelles orientées, afin que les entrants et sortants ne puissent gêner les fidèles. Nous avons un bel exemple de ces croisillons fermés, de transsepts paroissiaux, dans l’église si remarquable de Notre-Dame de Dijon (fig. 11).


Ici la galerie du triforium s’interrompt pour laisser la place de la rose, simplement garnie d’une armature de fer[31]. Le passage sous cette rose est porté sur deux colonnettes et trois arcs bombés.

Un autre passage inférieur se trouve entre ces colonnes et le fenestrage du rez-de-chaussée. La chapelle du croisillon s’ouvre en face du collatéral de la nef qui ne pourtourne pas le sanctuaire, de telle sorte que chacun de ces croisillons laisse un espace libre et tranquille pour les fidèles assistant aux offices dits dans ces chapelles. C’est bien là une disposition convenable pour une église paroissiale de peu d’étendue. Le plan horizontal explique parfaitement l’heureuse composition du transsept de l’église paroissiale de Notre-Dame de Dijon.

Mais ce plan est, à un autre point de vue, intéressant à étudier. Quand on veut connaître une architecture, il ne suffit pas d’en apprécier le style, d’en analyser les formes et les moyens pratiques ; il est nécessaire de découvrir les principes généraux qui ont servi à la constituer, à lui donner l’homogénéité résultant de l’emploi d’une méthode. C’est en prétendant étudier l’architecture des anciens, indépendamment de ces lois primordiales, que l’on est tombé dans les plus graves erreurs et que l’anarchie s’est emparée des esprits en raison même de l’étendue de ces études. On nous dit parfois, il est vrai, que ce que nous appelons anarchie, absence de méthode, n’est autre chose qu’une inspiration pleine de promesses, et que l’art de l’avenir sortira tout armé, quelque jour, de ce chaos de styles et de formes adoptés sans critique et sans examen. Cette espérance n’est, suivant notre sentiment, qu’illusion ; car les travaux de l’esprit n’atteignent un développement qu’autant qu’ils reposent sur un principe ayant toute la rigueur d’une formule. Quand cette base est bien établie, que l’artiste se livre à l’inspiration

« S’il a reçu du ciel l’influence secrète. »

C’est pour le mieux ; mais il lui faut s’appuyer sur un terrain solide, pour pouvoir s’élever.

Quand il s’agissait de couper les nefs d’une basilique par ce transsept et de couvrir le tout avec des charpentes, ou bien quand des rangs de piliers étaient destinés à porter des berceaux de voûtes, le tracé d’un transsept ne présentait point de sérieuses difficultés : il en était autrement lorsque le système français d’architecture à voûtes en arcs d’ogive fut définitivement adopté au commencement du XIIIe siècle ; alors ces tracés demandaient une attention particulière. Il fallait songer aux poussées qui allaient agir en tous sens ; dégager ces espaces qui demandaient des points d’appui d’autant plus solides, qu’ils étaient plus larges ; combiner l’arrivée des bas côtés dans cette grande nef transversale de manière que leur ordonnance s’accordât avec les croisillons ; penser aux retours des galeries supérieures, à un éclairage qui fût en rapport avec l’étendue du vaisseau ; proportionner la dimension du chœur à celle du transsept ; ordonner, soit les chapelles orientées des croisillons, soit la reprise du collatéral autour du chœur, etc.

Quand, pour remplir ces conditions si diverses, on n’a pour toute méthode que sa propre inspiration, ou le vague souvenir de ce qui a été fait en ce genre avant nous, qu’il faut saisir le crayon et le compas, convenons franchement qu’on ne sait guère par quel bout s’y prendre, et que l’on ne peut arriver à un résultat à peu près satisfaisant qu’après de longs tâtonnements ; encore n’a-t-on pas l’esprit bien tranquille, et peut-on craindre que cette inspiration derrière laquelle s’abritent tant de vagues esprits n’ait failli sur quelque point.

Or, si nous prenons des plans d’églises de cette époque, nous reconnaissons que les méthodes de tracés adoptés généralement alors, non sans raison, sont suivies avec plus d’attention encore lorsqu’il s’agit de planter les transsepts.

Nous choisirons donc pour exemple d’une méthode de tracé le plan du transsept de Notre-Dame de Dijon (fig. 12).

Soit en E une échelle de six toises. Toute la partie de l’église, depuis le transsept jusqu’à l’abside, est comprise dans un triangle équilatéral dont la moitié est abc. Les côtés de ce triangle équilatéral ont chacun quatorze toises ; donc, la moitié ab a sept toises. Suivant la nécessité imposée par le système d’architecture voûtée, c’est le tracé des voûtes qui détermine le tracé des piles. L’épaisseur du mur b′ du transsept étant fixée à trois pieds, la ligne ab, déduction faite de cette épaisseur de mur, a été divisée en trois parties égales : la première ligne de division donnant l’axe p des piles de la nef, et la seconde l’axe des piles de recoupement de la voûte du bras de croix. Le tracé des piles a été arrêté ainsi qu’on le voit en A pour les grosses piles, et en B pour celles de la nef. Bien entendu (voyez Trait), ces tracés de piles résultent de la forme et de la dimension des arcs des voûtes, dimensions et formes fixées tout d’abord en raison de la portée de ces arcs. La pile, dont un quart est tracé en A, étant connue, il ne s’agit plus que de faire courir la ligne d’axe de cette pile sur la ligne d’axe p de division, suivant le cas, ainsi que nous allons le voir.

L’épaisseur du mur e de l’abside étant fixée à trois pieds, on a prétendu d’abord obtenir les ouvertures gh, hi, ij, jk, des formerets de la voûte absidale, égales. Pour ce faire, la moitié lj du décagone a été tracée de manière que les rayons i′o soient égaux à la moitié op de la nef, déduction faite de l’épaisseur rs (voyez le détail A), la colonnette r′ étant destinée à l’arcature basse et au formeret de la voûte haute. Alors de j en k, on a porté un côté égal à ij. Ce point k connu, le patron de la pile A a été présenté, le point k étant le centre de la colonnette r′, toujours l’axe s sur l’axe p. On a eu ainsi l’axe de l’arc-doubleau q. Sur la base ab, à sa rencontre avec l’axe p, le patron de la pile A a été présenté. Restait à déterminer la position de l’axe t. Or, la distance de cet axe à la base ab est égale à la distance de cette base à l’axe V d’un arc-doubleau de travée de la nef, travée qui est plus longue que large de quelques pouces ; c’est-à-dire que tu égale uV. Le reste de la plantation s’ensuit naturellement. La distance tq est plus courte que celle tu, ce qui était la conséquence du mode de tracé et ce qui donne d’ailleurs une meilleure proportion que si ces distances eussent été égales, car alors le chœur eût paru trop profond pour le transsept.

Un autre monument de la même époque (1230 à 1240) et de la même province, présente une disposition de transsept fort remarquable, c’est l’église de Notre-Dame de Semur (Côte-d’Or). Mais à Semur le bas côté pourtournant le chœur, l’architecte a établi des chapelles latérales parallèlement aux parties droites de ce bas côté, de manière à laisser (la nef étant très-étroite) la place nécessaire aux fidèles les jours de fêtes[32]. Il est rare de rencontrer dans nos églises paroissiales ou collégiales de l’Île-de-France, de la Champagne, de la Picardie et de la Normandie des partis aussi larges et bien appropriés au service. Dans ces dernières provinces, les transsepts des églises paroissiales du XIIe siècle et du commencement du XIIIe sont peu étendus, encombrés par des piliers épais, eu égard aux vides, et ce n’est qu’en 1250 que ces édifices religieux du second ordre prennent de l’ampleur.

Par compensation, les dispositions des transsepts de nos cathédrales du Nord qui en sont pourvues, comme Laon, Reims, Amiens, Chartres, sont tracées avec une largeur et une entente des grandes réunions publiques qui ne laissent rien à souhaiter (voyez à l’article Cathédrale les plans de ces édifices). Largement éclairés par les roses qui s’ouvrent dans les pignons des croisillons et par des galeries ajourées, donnant entrée, du côté du chœur, dans de doubles collatéraux, percés le plus souvent de portes sur les voies publiques, ces transsepts de nos grandes cathédrales sont la plus belle disposition qui ait jamais été adoptée pour réunir sur un point une grande affluence de monde. Aussi les XIVe et XVe siècles n’apportèrent-ils aucun changement à ces dispositions.

Les doubles transsepts, avec doubles absides, l’une à l’orient, l’autre à l’occident, adoptés assez fréquemment par l’école rhénane pendant la période romane et jusqu’au XIIe siècle, ne se trouvent en France que dans les provinces de l’Est. Les cathédrales de Verdun et de Besançon possédaient de doubles transsepts, avec tours dans les angles rentrants des absides, celles-ci n’étant point entourées de bas côtés (voyez Architecture Religieuse, fig, 39 ; voyez aussi le plan de l’abbaye de Saint-Gall, Architecture Monastique, fig. 1).

En France, beaucoup de nos églises abbatiales et cathédrales du Nord avaient des tours élevées sur les ailes des transsepts. Cette disposition existe à Notre-Dame de Reims, à Chartres, à Laon, aux églises abbatiales de Saint-Denis, de Cluny, de Vézelay, etc. Quelquefois de vastes porches s’ouvrent sur les extrémités des bras de croix, mais ce parti, si franchement adopté à la cathédrale de Chartres, est postérieur de quelques années à la construction du transsept. Après les désastreuses guerres contre les Albigeois, la plupart des églises que l’on rebâtit dans le Languedoc furent élevées sans transsepts. Telle est la cathédrale d’Alby. Les églises de la ville nouvelle de Carcassonne, celles de Montpezat, de Moissac (Tarn-et-Garonne), etc., ne se composent que d’une nef avec chapelles. C’est qu’en effet la construction d’un transsept nécessite des dépenses considérables, et que si l’on prétend élever une église à l’aide de faibles ressources, il faut éviter ces appendices.

Il est rare de trouver dans les églises postérieures à 1250 des dispositions nouvelles dans la construction des transsepts. Cependant une église champenoise, Saint-Urbain de Troyes, fait exception. Son transsept, très-ingénieusement conçu, satisfait entièrement au programme de l’église paroissiale[33]. Deux porches abritent, à l’extrémité de chacun des croisillons, des portes doubles, et à l’intérieur les voûtes de ces croisillons sont tracées sur une donnée nouvelle.

La vue intérieure (fig. 13) de l’un de ces croisillons explique la disposition originale de ce transsept. Divisé par un trumeau éclairé dans le pignon par deux fenêtres percées au-dessus du porche extérieur et par deux autres fenêtres ouvertes dans les murs latéraux au-dessus du bas côté de la nef et de la chapelle qui flanque le chœur, chacun de ces croisillons est, dans sa partie supérieure, une véritable lanterne. L’aspect du transsept de Saint-Urbain est saisissant. L’architecte a su éviter la pauvreté de ces revers de pignons éclairés ordinairement par des roses au-dessus de murs pleins percés seulement de portes à rez-de-chaussée. Ce parti nous paraît préférable à celui qui fut adopté dans quelques édifices, tels que les cathédrales de Metz et de Soissons[34], l’église de Moret, etc., et qui consiste à remplacer les roses par d’immenses verrières s’ouvrant sous les formerets des pignons et descendant jusqu’aux archivoltes des portes[35], ou à considérer les roses elles-mêmes, avec la galerie à jour qui les supporte, comme de véritables fenêtres comprenant la largeur totale du croisillon. Mais il faut ajouter que l’église de Saint-Urbain de Troyes est un chef-d’œuvre, que l’on considère la conception générale ou l’entente des détails.

Très-rarement les transsepts des églises du moyen âge possèdent-ils des tribunes à l’intérieur des pignons des croisillons ; et quand ils existent, comme à la cathédrale de Laon et dans l’église d’Eu, par exemple, ces ouvrages datent d’une époque postérieure à celle de la construction primitive de l’édifice.

On doit aussi considérer comme une exception les porches de transsepts surmontés d’une tour. Le croisillon sud de la cathédrale du Mans nous en fournit un exemple datant de la fin du XIIIe siècle.

  1. Voyez les fragments du plan du Capitole.
  2. Nous engageons nos lecteurs à consulter, à ce sujet, l’excellent ouvrage de M. Henri Hubsch : Monuments de l’architecture chrétienne, traduit par M. l’abbé Guerber (1866, Morel éditeur). Ce recueil d’églises des premiers siècles, fait avec un soin rare, montre comme nos voisins d’outre-Rhin sondent scrupuleusement le champ des études archéologiques.
  3. Voyez Architecture Religieuse, fig. 2.
  4. Voyez ibidem, fig. 11.
  5. Voyez Architecture Monastique, fig. 2.
  6. Voyez l’ouvrage du duc de Serradifalco : Del duomo di Montreale. Palerme, 1838.
  7. Dans ce plan, toutes les parties teintées en noir existent encore ; celles hachées sont remplacées par des constructions datant de la fin du XIIe siècle et ne sont plus visibles que dans les fondations. Les parties anciennes datent du Xe siècle.
  8. La nef de l’église abbatiale de Vézelay, bâtie vers 1100, fait exception. Là on essaya de construire des voûtes d’arête (voyez Architecture Religieuse, fig. 21, et Travée, fig. 4), qui sont plutôt des coupoles avec plis aux retombées.
  9. Notre-Dame du Port, Saint-Nectaire, Issoire, Ébreuil ; l’église Saint-Étienne de Nevers doit être rangée parmi les monuments religieux de cette belle école auvergnate.
  10. Voyez Architecture Religieuse, fig. 10 bis.
  11. Voyez à ce sujet l’article Architecture Monastique.
  12. Voyez Cathédrale, fig, 41 et 43, 27, 28 et 34.
  13. Nous en avons acquis la preuve dans les fondations et au-dessus des voûtes de la croisée. Très-probablement on ne se décida, à Paris, à donner un transsept à la cathédrale qu’après l’achèvement du chœur, c’est-à-dire après la mort de Maurice de Sully.
  14. Les parties du plan qui ont été modifiées pendant les XIIIe, XIVe et XVIe siècles sont huchées.
  15. Voyez Cathédrale, fig. 28 et 30.
  16. Voyez Cathédrale, fig. 30.
  17. À Notre-Dame de Paris, primitivement, le sanctuaire était de plain-pied avec son collatéral.
  18. Voyez la Monographie de la cathédrale de Noyon, par MM. Vitet et D. Ramée. Voy. aussi Architecture Religieuse, fig. 30 et 31 ; Cathédrale, fig. 7 et 10.
  19. Voyez Architecture Religieuse, fig. 4.
  20. L’église abbatiale de Saint-Hilaire de Poitiers fut dédiée en 1049. Voyez Notes of a tour in the west of France (Parker, London, 1852).
  21. Voyez Architecture Monastique.
  22. Les hachures de gauche à droite indiquent ces restes.
  23. Les hachures larges, de droite à gauche, indiquent ces constructions encore visibles dans les cryptes.
  24. Les hachures serrées, de droite à gauche, indiquent ces ouvrages.
  25. Ces descentes existent encore.
  26. Une opération analogue fut faite à la cathédrale de Paris, à celles de Bourges et de Chartres. Les sculptures du XIIe siècle furent jugées dignes d’être conservées et furent remontées dans les constructions du XIIIe.
  27. En fouillant tout le centre du transsept, nous avons trouvé, au-dessous du sol de l’église de Dagobert, de nombreux sarcophages mérovingiens. (Voyez Tombeau , fig. 1.)
  28. Pour se rendre compte de la disposition ancienne du transsept qui composait en partie le chœur des religieux de Saint-Denis, voyez l’article Chœur, fig. 2. Aujourd’hui les monuments sont rétablis dans le transsept, suivant la disposition adoptée sous saint Louis.
  29. Voyez les plans et élévations de ce joli édifice dans l’ouvrage de M. de Baudot : Églises de bourgs et villages (Morel, éditeur).
  30. Voyez Trabes.
  31. Voyez Armature, fig. 6 et 7.
  32. Voyez, Archives des monuments historiques, les plans et les coupes de cet édifice.
  33. Voyez le plan de cette église à l’article Construction, fig. 102.
  34. Bras de croix nord.
  35. Voyez Pignon.