Dictionnaire de théologie catholique/PÉCHÉ V. Du sujet du péché

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 12.1 : PAUL Ier - PHILOPALDp. 96-103).

V. Du sujet du péché.

Comme on établit de la moralité en général quelles parties de l’homme elle aflecte, on demande maintenant du péché où il se trouve répandu chez le pécheur. Cette nouvelle considération doit nous découvrir le péché dans l'âme qu’il souille, contaminant ave ; la volonté les puissances qui participent de celle-là. Elle doit, en outre, nous fournir des précisions, prises de cette notion du sujet, relatives à la gravité du péché.

La théologie classique est sur ce point abondante, car elle eut à organiser ce qui avait été l’une des spéculations favorites des anciens docteurs chrétiens, saint Augustin notamment, sur le péché. Il était assez naturel que l’on abordât cette réalité, non comme devant faire une étude postérieure, par l’essence (nous avons nous-même suivi ce plan métaphysique), mais. d’une manière psychologique et concrète, selon sa genèse et son développement dans l'âme du pécheur, depuis le premier émoi sensible où il commence, jusqu’au consentement de la volonté où il se consomme. La gravité du péché elle-même fut de préférence évaluée selon le point de développement où se tenait le péché ; longtemps la scolastique usa de cette méthode et se référa au sujet pour distinguer notamment les péchés mortels d’avec les péchés véniels. Histo rique de cette théologie, dans A. Landgraf, Parles anima norma gravitalis peccati. Inquisitio dogmalicoliistorica, Léopold, 102°), in-8°, 54 p. L’effort doctrinal a consisté ici dans un assouplissement progressif -des données traditionnelles, grâce à quoi l’on rendît mieux compte de la manifeste diversité du réel ; cependant que peu a peu s’affirme l’idée de genres de péchés », gênera peceatorum, et celle du péché mortel tenu pour une aversion loin de la fin dernière ; par là on transportait insensiblement le critère de la gravité du sujet, où on l’avait cherché d’abord, à l’objet, où il serait dorénavant fixé. En définissant que la gravité d’un péché se prend premièrement de l’objet, saint Thomas conclut vigoureusement les essais de ses prédécesseurs et donne à cette nouvelle méthode, incomparablement plus souple, sa consécration. Mais, comme les initiatives de saint Thomas ne l’ont jamais détaché de la tradition, on le voit qui fait une place, dans son traité du pé< hé, à cette question du sujet et des gravités qui s’y rapportent, la plus notable part de l'étude du péché dans la scolastique antérieure. Il n'était pas sans bénéfice de procéder ainsi. la laveur de cette convenance traditionnelle, on traite la question métaphysique du sujet qu’imposai) le système ; cependant que l’on se donne l’avantage de considérer le j>éché sous un aspect n< uveau et de recueillir les meilleurs résultats du passé. Il reste que cette pari ie <Iu traité, où saint I homas combine curieusement sa pensée originale avec les matériaux traditionnels, n’offre point la simplicité ni la net teté qu’elle eût obtenues dans le.is d’une spéculation Indépen dante.

I. /, L. bujbts di Nous savons déjà

que le péché se trouve seulement où il a acte volori

taire. C’est dire que la volonté est le principe propre du péché. Or, le péché est un acte immanent. Les actes moraux le sont tous ; ils ne passent point de leur principe à une matière extérieure dont ils deviennent l’acte, mais ils sont l’opération de la puissance qui agit (on dira ci-après en quel sens des actions transitives ont part à la moralité). De ce chef, la même puissance d’où procède l’acte, en tant que moral, en est aussi le sujet. La volonté, qui est le principe du péché, en est donc aussi le sujet. En d’autres termes, le péché se trouve dans la volonté. Il souille la puissance même d’où il est issu. Sum. theol., D-lf. q. lxxiv, a. 1.

Mais l’on sait aussi que les actes volontaires ne procèdent pas immédiatement de la seule volonté. Outre les actes dénommés élicites, il est ceux que la psychologie classique de l’acte humain dénomme les actes impérés. Dès lors, peuvent être sujets du péché toutes les puissances qui sont mobiles à la volonté, soit qu’elle les meuve, soit qu’elle les détourne d’agir. Où il apparaît assez que celle-ci, qui n’est point le seul sujet du péché, en demeure néanmoins le sujet universel et principal. Ibid., a. 2 ; Cajétan, in loc., a. 1.

Les théologiens ont énoncé, sur la participation des puissances au péché, telle que nous venons de la rapporter, de grandes précisions. Ils disent que l’acte mauvais de certaines puissances possède une malice intrinsèque, et distincte réellement de la malice qui est dans l’acte de la volonté ; il ajoute donc à la malice de celui-ci : mais parce que cette malice de surcroît dérive initialement de la volonté, on n’a pas deux péchés mais un seul. Cette doctrine revient à celle-là que les vertus et les vices ont pour sujet non la seule volonté mais aussi d’autres puissances. Et l’on déclare par là qu’il y a dans les puissances dont il s’agit une participation du volontaire qui consiste en ceci : que ces puissances, étant mobiles à la volonté, possèdent une opération propre. De leur opération, elles sont vraiment le principe ; cette opération, cependant, est en liaison avec la volonté : on trouve les deux conditions conjointes d’une opération qui n’appartient pas comme à son principe à la volonté, mais qui n’est pas soustraite à l’influence de la volonté. Agunl quodam modo et aguntur, dit saint Thomas de ces puissances. Mais il est de plus requis à la participation dont nous parlons que l’acte de ces puissances soit immanent : faute de quoi sa liaison avec la volonté ne le rendrait pas intrinsèquement volontaire ; car. dans le sujet où il se trouverait, il ne serait pas ab intrinseco, ce qui est l’une des conditions du volontaire. Une telle participation se vérifie pour des puissances comme l’appétit sensible et l’intelligence ; mais aussi pour les tsens internes » : l’Imaginative, la cogitative, la réminiscence. Il est vrai qne saint Thomas ne nomme pas ces dernières, mais on peut dire qu’il a seulement nommé les puissances où le péché s’achève et non relies ou il commence ; or, les péchés qui se trouvent dans les i sens internes n ne se consomment pas en eux, mais dans l’intelligence : puisque leur désordre consiste en ce qu’ils induisent en ignorance ou en erreur, lesquelles, comme la xérité. ne sont complètes que dans l’intelligence. Four le sens commun, il est malaise d’en décider : car a I il des opérations Inde

pendantes « les sensations actuelles'.' Salin., disp..

dub. i : cf. Cajétan. Ml », q. LXXIV, a. 2.

Les membres extérieurs échappent a la participa

tion que nous avons décrite. Leur acte n’est point Intrinsèquement volontaire et. s’il est déréglé, il n’est point Formellement mauvais, ils manquent, en effet,

aux conditions susdites, car. s il est rai qu’ils sont

mobiles a la volonté, ils ne sont point cependant les principes, mais les organes de leurs actes, lesquels

sont des effets plutôt 1 que des opérations. gunlUT sed

non ayunt, dirait-on à la manière de saint Thomas. Par là, ils manquent à la première condition d’un principe libre, qui est d'être actif. Ils manquent à la seconde, en ce que leurs actes sont transitifs et non immanents. Mais, parce qu’ils sont mobiles à la volonté, leur acte est libre et volontaire, quoique non intrinsèquement. Et. s’il est desordonné, on l’appellera justement un péché, mais de dénomination extrinsèque, et dans un sens très di lièrent de celui que nous disions tout à l’heure de l’appétit sensible, etc. Salin., ibid. ; cf. Cajétan, [a-Il 88, q. i.xxiv, a. 1.

Les actes des sens extérieurs et des puissances comme la nutritive, la végétative, etc., échappent plus manifestement encore au volontaire. Il ne reste plus ici à la volonté que d’appliquer la matière : ouvrir les yeux, prendre un aliment. Cela fait, le sens, ou la puissance, agit selon sa nature et d’une manière déterminée. A la différence de l’acte des membres extérieurs, celui-ci n’est plus libre en lui-même, mais seulement dans sa cause, — à chaque fois du moins qu’il a dépendu de la volonté que le sens ou la puissance entrât ou non en exercice. A cause de ce rapport avec la volonté, on appellera cet acte, s’il est désordonné, un péché, mais on n’entend point désigner par là une malice intrinsèque et formelle dans cet acte lui-même. Salm., ibid. Ni ces puissances déterminées, ni les sens extérieurs, ni les membres extérieurs ne sont donc proprement sujets de péchés. Ils ne sont pas atteints par cette souillure. Ils ne retiennent pas assez d’humain.

On voit que cette étude des sujets des péchés n’est que l’analyse de l’extension du volontaire dans l’homme. Elle applique au péché une doctrine du règne de la moralité en nous. Il relèverait donc d’une étude sur la moralité proprement dite de considérer les dissentiments de certains théologiens par rapport aux thèses que nous venons de rapporter.

II. LES PÉCHÉS DANS LEURS SUJETS.

Ces points

établis et cette extension reconnue à la malice du péché, on peut considérer distinctement les péchés de l’appétit sensible et de l’intelligence, les seules puissances qui, outre la "volonté, sont formellement et définitivement sujets' de péchés. Saint Thomas le fait en traitant de ce qu’il nomme les péchés de la sensualité et les péchés de la raison.

Ces seuls vocables annoncent l’origine des matériaux ici assumés. Nous aurions introduit à cet endroit un aperçu de la psychologie de saint Augustin et du symbolisme emprunté à l’histoire du premier péché, par quoi ce docteur décrit le développement des péchés actuels, ainsi que l'évaluation qu’il propose quant k la gravité des péchés ainsi présentés. Cette doctrine connue permet de mieux comprendre la théologie que nous devons ici rapporter et de discerner les modifications que la spéculation scolastique et saint Thomas ont imposées à leurs données originales. Mais ces informations ont été fournies déjà sous le mot Consentement, col. 1184-1185.

Le péché de la sensualité.

On a suffisamment

établi ci-dessus que l’appétit sensible peut être sujet de péché. Le mot de sensualité sera désormais employé en cette matière de préférence au vocable aristotélicien d’appétit sensible, lequel signifie les deux puissances de l’irascible et du concupiscible. tandis que le mot augustinien (sensualitas n’est pas adopté par saint Augustin, mais il dérive immédiatement d’une expression qu’il accuse De Trinitate. XII, xii, P. L., t. xlii, col. 1007) évoque cet appétit par l’endroit où il est proprement sensible et docile aux suggestions des sens. Sum. theol.. I a, q. lxxxi, a. 1 et 3 ; cf. III », q. xviii, a. 2, corp. et ad 2um ; Salmanticenses, disp. XVI, dub. iv. Il est assuré que le péché s’introduit dans la sensibilité à chaque fois que

celle-ci émet à l’endroit de son objet propre un acte déréglé, en vertu d’une intervention volontaire, sotl que la volonté ait commandé cet acte, soit qu’ensuite

d’une délibération raisonnable elle ne l’ait pas empêché. Mais ce péché, qui a indubitablement pour sujet, en théorie thomiste, l’appétit sensible, est tenu néanmoins pour péché de la raison, car il est dû à une défaillance actuelle des puissances supérieures : nous le retrouverons ci-dessous. On réserve le nom de péché de la sensualité à l’acte déréglé de l’appétit sensible émis sans l’intervention d’aucune délibération raisonnable.

Il n’est pas contestable que saint Thomas a reconnu l’existence d’un tel péché ; il s’en explique trop clairement à maintes reprises : Sum. theol., l'-II*, q. i.xxiv. a. 3 et 4, et les textes allégués dans les travaux qui suivent : K. Schmid, Die menschliche Willensfreiheit in ihrem Verhaltnis ; u den Leidenschajlen nach der Lehre des hl. Thomas, Engelberg, 1925, spécialement p. 212-221 : Th. Pègues, Comm. franc, lilt. de la Som. théol., t. vin. 1913, p. 498-509 ; Lumbreras, De sensualitatis peccato. dans Divus Thomas, Plaisance. 1929, p. 225-240 ; Th. Deman, Le péché de sensualité. dans Mélanges MandonnelJ. i, Paris, 1930, p. 265-283.

Par rapport à saint Augustin, cette notion est nouvelle, encore que saint Thomas — avec beaucoup d’autres — ait cru pouvoir invoquer pour elle ce patronage. Mais Pierre Lombard l’avait déjà avancée, II Sent., dist. XXIV, et elle avait obtenu depuis lors chez les théologiens de nombreux et importants suffrages, quoique non l’adhésion unanime. Voir : A. Landgraf, op. cit. : Recherches de théologie ancienne cl médiévale, 1930, p. 399 et n. 11 ; Th. Deman, art. cit. ; O. Lottin, La doctrine morale des mouvements premier* de l’appétit sens it if aux xiie et xiiie siècles, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, Paris, 1931, p. 49-173.

On ne serait surpris de cette doctrine que si l’on n’apercevait pas en quel sens vigoureux maints théologiens scolastiques, et saint Thomas notamment, ont conçu les rapports de l’appétit sensible avec la raison chez l’homme. Natus est obedire rationi, < il est de sa nature d’obéir à la raison ». Que des mouvements désordonnés lui échappent, ils accusent une insoumission de l’appétit sensible à sa règle naturelle, ce qui ne va pas sans péché. Il est vrai que de tels mouvements sont pratiquement inévitables, mais il suffît à leur nature morale que sur chacun d’eux en particulier la raison puisse exercer son empire, prévenant ce débordement où se répand, selon sa nature propre, notre sensualité corrompue. La thèse, on le voit, ne peut concerner ces mouvements de l’appétit sensible sur lesquels la raison ne détient pas autorité, c’està-dire notamment sur tous ceux qui sont en relation nécessaire avec les mouvements incontrôlables de la nature corporelle. D’autre part, quand ces péchés ont lieu, ils ne peuvent être que véniels, étant consommés en dehors de toute intervention actuelle, soit positive, soit négative de la raison ; la raison seule a pouvoir de détourner de la fin dernière, en quoi consiste le péché mortel, voir infra. La gravité n’en change pas chez l’infidèle, de qui la concupiscence habituelle conserve raison de péché, n’ayant pas été purifiée par le baptême ; saint Thomas l'établit expressément contre certains théologiens (Henri de Gand, Quodlibct. VI. q. xxxii, est le plus célèbre d’entre eux), selon qui les premiers mouvements de sensualité, véniels chez les fidèles, étaient mortels chez les infidèles. Dans la théologie de saint Thomas, la doctrine du péché de la sensualité n’est que l’effet d’une analyse de l’acte humain, poursuivi et reconnu en quelque façon jusque dans les mouvements propres de l’appétit sensible. On prendra garde que toutes les passions, et non les seuls mouvements charnels, comme le ferait penser ce

mot de « sensualité », tombent sous l’appréciation que nous venons de dire.

La doctrine que nous venons d'évoquer n’est point passée sans vicissitudes dans la théologie postérieure. Il n’y a lieu de relever ici que les principales d’entre celles-ci. On est d’abord favorable à cette notion d’un péché de la sensualité, telle que saint Thomas l’avait entendue : ainsi Durand de Saint-Pourçain, In IIum Sent., dist. XXIV, q. v, éd. de Lyon, 1556, p. 149c, Capréolus, In II<" m Sent., dist. XL, a. 3, ad arg. Durandi contra l hm eoncl., éd. de Tours, t. iv, 1903, p. 459. Cajétan se rallie nettement à la même opinion et il passe chez des théologiens postérieurs, comme B. Médina et Vasquez (loc. infra cit.), pour l’auteur de la doctrine sur la participation de la liberté dans l’appétit sensible. In / am -/7 îe, q. lxxiv, a. 3-4 ; cf. In l& m -II £, q. i.xxx, a. 3, où il promet de poursuivre plus loin le débat ; mais à l’endroit annoncé, III a, q. xli, il oublie de revenir sur cette question.

Un texte du concile de Trente, comme les théories abusives de la concupiscence qu’il condamnait, obtient, semble-t-il, une influence marquante sur cette tradition théologique, soit que plusieurs l’abandonnèrent, soit qu’elle ne se perpétua qu’avec des affaiblissements chez ceux qui la soutinrent. Le concile enseigne (sess. v, Decretum super peccato originali, can. 5) que la concupiscence demeurant chez le baptisé n’est pas un péché, et que cette concupiscence, qui nous est laissée pour le combat, ne saurait nuire à qui n’y consent pas, mais y résiste par la grâce de Jésus-Christ. En vérité, cet enseignement n’atteignait en rien la doctrine que nous avons rapportée, laquelle, on a pu le voir, fait abstraction de la qualité morale de la concupiscence habituelle, comme elle ne dénonce un péché de la sensualité que pour avoir observé une défaillance, quoique antérieure à toute délibération. de la raison en cet empire qu’elle délient sur l’appétit sensible ; il est par ailleurs certain qu’au moment où la raison se reprenant combat ce mouvement déréglé, le péché cesse, et quand même l’appétit inférieur résisterait à cette opposition.

Contre H. Médina, I a -ll a ', q. lxxiv, a. 3. éd. de Venise, 158(1. p. 388-390. contre Vasquez, IMI », disp. CIV, c. i, éd. cit. p. 599-600, contre Suarez, Tract, de vitiis et peccatis, disp. V, sect. v, éd. Vives, t. iv. 1856, p. 562-563, et plusieurs autres, les carmes de Salamanque, assurés du sens authentique du texte conciliaire, ont vigoureusement défendu et savamment expliqué cette doctrine de saint Thomas. Disp. X. dub. h. Ils ont mis tout leur soin a éclairer cette participation du volontaire dans l’appétit sensible, qui es| le fondement véritable de la thèse ; pur quoi il est facile fl écarter les conséquences, eu ellct inacceptables, que les adversaires liraient de ce principe, celle-ci notamment que, dans le cas ou la Sensualité infligerait une opposition à la laison prétendant la détourner d’un objet déréglé, il y aurait a la f >is mérite et péché dans l'âme : mérite pour l’acte de la raison, péchépout la résistance de la sensualité. Mais quand ils entreprennent (ibid., dut), un. et à juste raison, de marquer les limites où doit s’entendre la doctrine de suint Thomas, ces commentateurs exceptent de la moralité non seulement les mouvements de l’appétll sensible

que l’on peut appeler nat urels. mais eeu là encore qui, évilables en eux mêmes, surfissent a l’instl de la raison et auxquels celle ci. distraite ou occupée, n’est pas attentive.

En cela, ils restreignent, croyons nous, la pensée authentique de saint Thomas, pour qui même les mouvements imprémédités, (liez un sujet en pusses siou actuelle de sa liberté, a moins qu’ils ne soient par nature inévitables, prennent valeur morale. Comme il leur advient en des occasions pareilles, les

carmes de Salamanque en sont ici réduits à solliciter en leur faveur des textes qui ne sont pas pour eux, comme le si prsesentiat de saint Thomas, Sum. theol.. I a -II ; e, q. lxxiv, a, 3, ad 2um, que la suite impose d’entendre d’une faculté que l’on avait de prévenir le mouvement déréglé et non d’une excuse à l’inattention ; comme un endroit de Capréolus (tiré du texte mentionné ci-dessus), où cet auteur, il est vrai, soustrait au genre moral les mouvements naturels de l’appétit sensible, mais n’invoque pas le moins du monde l’inattention de la raison. En introduisant cette considération, les carmes de Salamanque reviennent, en dépit de leur conclusion précédente, à cette pensée qu’une influence actuelle de la volonté, au moins selon un mode interprétatif, est nécessaire au péché de la sensualité. De Gonet, qui les imitera en ce point, comme il les avait justement imités sur la thèse principale (CJypeus, t. iii, tract. V, disp. V, a. 2-3, éd. de Lyon, 1681, p. 395-401), Contenson. qui ne tient pas pour le péché de la sensualité, pourra blâmer ironiquement l’inconséquence. Theol. mentis et cordis, De peccatis. diss. II. c. i, éd. Vives, t. m. 1875, p. 330342. Selon cette restriction que nous critiquons, il ne resterait point d’avantage à l’homme vertueux qui. s'étant soumis par l’etïort de sa raison son appétit sensible, ne subirait plus qu’un nombre relativement restreint de mouvements déréglés, sur l’homme négligent qui en subirait beaucoup mais sans y avoir pris garde, puisqu’aussi bien ils ne seraient pas chez lui des péchés. Saint Thomas tient au contraire que les péchés non délibérés de l’homme vertueux (car ils sont péchés en lui comme en quiconque) sont moins graves, toutes choses égales d’ailleurs, comme étant plus inévitables et plus rebelles aux précautions de la raison : nous l’avons dit ci-dessus. Il est une certaine responsabilité dans l’indiscipline de l’appétit sensible que fait valoir la doctrine de saint Thomas et dont il n’est plus tenu compte chez ces commentateurs. Avec leur interprétation, les carmes de Salamanque ont contribué à accréditer la distinction des motus primo-primi et des motus secundo-primi telle qu’on l’entend encore de nos jours. Saint Thomas connaissait bien cette distinction, mais, sous le premier membre, il entendait les mouvements naturels, dus à une altération organique, sous le second, les mouvements de sensualité propre-, ment dits. In II"'" Seul., dist. WIY. q. m. a. 2 : cf. Qiuest. disp. de malo, q. ri, a. 6, ad 8um. En Introduisant sous le premier membre tous les mouvements Imprévus, quelle qu’en soit l’origine, pour ne réserver le péché de sensualité qu’aux cas de semi -délibération ou de semi-attention, on déplace très notablement et l’appréciation morale et l’analyse de l’acte humain.

telles que les avait liées saint Thomas.

Plus hardi, mais aussi plus conséquent que les carmes de Salamanque, Billuart, qui peut citer pour lui Contenson (loc cit.) et Sylvius (I » -II « , q lxxiv,

a. 3. éd. d’Anvers, 1584, p. 338 344), énonce sa posi lion en ces termes : Aucun pêche, au sens formel. même Véniel, ne peut être dans et du seul appétit sensible, sans une Influence actuelle, au moins interprétative, de la Volonté. » De peccatis, diss IV, a. 2, éd. cit.. t. iv, p. 320. Avec le mol <ii<lucl. c’est échapper a la thèse de saint Thomas. Nous ne différons que par le

seul moi de consentement Interprétatif, proteste

Billuart. Non pas ; sans compter que saint 'Thomas a écarté le mot (Dr VeritOie, q. XXV, a 5, i « l "'um >, toute la doctrine est ici engagée, Billuart ne reconnaît aucun

péché là oii le mouvement sensible est excité a ant toute attention de la raison h consomme la rupture entre

saint Thomas et ses plus lidèles commentateurs, la thèse en prévaut encore, el les plus thomistes de nos

manuels l’ont adoptée : ainsi Prummer, Monnaie thee loglm matait », i i, n 26 Mais un retour se dessine <

l’authentique doctrine de saint Thomas (voir les (nivaux cités plus haut et celui de H. Bernard, col. 185) : par-dessus ses commentateurs et les inévitables déformations du temps, le maître est îetrouvé dans son texte original et dans son milieu historique. Si la doctrine du péché de la sensualité devait être à jamais méconnue, il faudrait déplorer avec cette perte un appauvrissement dans l’analyse de l’acte humain, au total, un recul de l’humanisme.

Les pèches de la raison.

On a dit déjà que la

raison est un sujet du péché. L'étude en doit être aussitôt distinguée selon les deux fonctions communément reconnues à la raison, celle de connaître et celle de diriger.

1. Comme directrice des actes humains, la raison est sujet de péché. — Elle exerce sa direction par l’acte du commandement, à quoi peut se réduire, pour ce qui concerne le présent objet, l’omission délibérée du commandement. Cet acte, s’il a un objet mauvais, ne peut manquer d'être affecté d’une malice morale propre, puisqu’il vérifie les conditions que nous avons dites plus haut ; on observera seulement qu’il est de la nature même de cet acte d'être volontaire : il est l’acte de la raison, mais de la raison mue par la volonté. Sum. theol., I » -II®, q. xvii, a. 1. Comme la raison exerce son commandement à l’endroit de plusieurs puissances, ibid., a. 5-7, en celles-ci assurément se répand son péché : mais en le signalant comme péché de la raison, on dénonce la culpabilité du principe directeur d’où l’action a tiré sa malice. Ainsi apparaît notamment la différence entre le péché de l’appétit sensible commis sur l’intervention de la raison et le péché de la sensualité que nous avons décrit. Ces dénominations distinctes expriment heureusement le caractère propre de chacun de ces deux péchés. Sum. theol., I a -Ipe, q. lxxiv, a. 5.

La direction de la raison concerne les passions intérieures comme les actes extérieurs. Quant aux passions intérieures, son péché a lieu selon les deux manières que nous avons plus haut alléguées, soit que la raison commande une passion déréglée, comme lorsqu’on provoque en soi, après délibération, un mouvement immodéré de colère ou de concupiscence ; soit qu’elle ne réprime pas, en ayant reconnu le dérèglement, un mouvement immodéré de passion surgi de lui-même. Avec ce dernier péché, l’analyse rencontre ce que la théologie a nommé la deleclatio morosa, devenue, en notre langue, par une traduction fâcheuse et amusante à la fois, « la délectation morose ».

Ce péché est celui que saint Augustin appelait le péché de la femme, c’est-à-dire de la raison en son office pratique. Saint Thomas l’attribue pour son compte à la raison qu’il nomme inférieure. Et il s’en explique d’une manière qui n’est pas sans introduire ici quelque complication. La « délectation morose » dans le développement d’un acte n’est de soi qu’une phase intermédiaire, le terme étant l’exécution" de l’acte. Aussi peut-on n’en délibérer que sur des considérations subordonnées, celles qui sont prises de la loi humaine et de l’ordre temporel des choses : or, ce sont ces considérations dont saint Thomas fait l’objet de la raison inférieure. Il adviendra du reste que l’on consente à la délectation après délibération sur la loi de Dieu ou, en général, sur les raisons éternelles ; auquel cas, ce péché se trouve appartenir de fait à la raison supérieure. On peut même dire que, dans tous les cas, il appartient à la raison supérieure, au moins négativement, car la raison inférieure reçoit sa règle de la supérieure. Un commentateur aussi perspicace et respectueux que Cajétan estime que ces explications, assez laborieuses, n’ont d’autre fin que de fournir une justification systématique aux propositions de saint Augustin. In I am -II x q. lxxiv,

a. 6 et 7. On observera, en outre, dans toute cette discussion, l’attribution à la raison de l’acte du consentement, qui appartient proprement à la volonté : d’où de nouvelles explications. Sum. theol., I » -II », q. lxxiv, a. 7, ad lum.

Le péché de la délectation morose est un péché mortel, car il peut y avoir péché mortel dans la raison inférieure. Cette appréciation, où saint Thomas sanctionne Pierre Lombard, introduit une précision dans les évaluations de saint Augustin : voir Consentement, t. iii, col. 1185-86 (i'6/'rf., a. 6, 8). Il y aurait lieu de rapporter ici la démonstration qui, chez saint Thomas, fonde cette conclusion, comme d’indiquer les questions qu’elle soulève ; on trouvera le tout à l 'art. Délectation morose. Quant à la question précise de l’attention et du consentement nécessaires au péché mortel, nous la traiterons ci-dessous dans l'étude du péché mortel. On retiendra que, dans son jugement sur la gravit de la délectation morose, la théologie s’est conformée au sentiment évangélique et chrétien qui dénonce avec sévérité même les péchés intérieurs.

Quant aux actes extérieurs, saint Thomas attributce péché à la raison supérieure, sans exception. Parce qu’un tel acte représente la consommation et l’achèvement du péché, il y a lieu d’en délibérer en considérant les règles les plus élevées de l’action humaine : car, en tout jugement, on ne prononce en dernier ressort qu’en se référant aux suprêmes principes. Des commentateurs, comme les carmes de Salamanque, devaient longuement expliquer et justifier cet argument où saint Thomas trouve une raison de l’attribution augustinienne. In 7 am -// æ, q. lxxiv, a. 7. Quant à la gravité de ce péché, de même que la préoccupation de saint Thomas avait été de montrer la possibilité pour la raison inférieure d'être le sujet d’un péché mortel, son soin ici est de signaler qu’il puisse y avoir un péché véniel dans la raison supérieure. Il faut voir si l’objet emporte ou non une contrariété avec la loi éternelle. Nous saisissons ici sur le vif ce déplacement sur l’objet du critère de gravité, dont nous parlions plus haut, et la coexistence, dans la même théologie, des catégories traditionnelles avec les initiatives d’une spéculation plus expérimentée. Sum. theol., Ï & -Il x, q. lxxiv, a. 7, 9. D’une façon générale, on peut dire peut-être, que saint Augustin a fortement signalé aux théologiens, quant au péché de la raison, et la gravité de la seule complaisance intérieure et l’importance décisive du consentement.

2. Par rapport à son objet propre, et dans l’acte même de connaître, la raison peut être sujet de péché. — Nous quittons ici les analyses de saint Augustin, qui ne signalent de péché dans la raison que celui qu’elle commet dans la direction de l’acte humain.

a) Cependant, et dès l’abord, nous retrouvons, en cette matière même, un effet de l’influence augustinienne. Car ce fut une préoccupation de la théologie scolastique de savoir si la raison supérieure, et par rapport même à son objet propre, ne pouvait être sujet de péché véniel. En quoi elle poursuivait sur les données traditionnelles son œuvre de discernement. La même question est posée chez saint Thomas, et elle est l’occasion de dégager un péché intellectuel, que nous devons d’abord relever. Ibid.. a. 10.

On ne peut attribuer, en effet, un péché véniel à la raison supérieure agissant sur son objet propre, où Dieu lui-même est engagé, qu’en invoquant une imperfection de son acte. Or, tandis qu’elle n’accomplit sa fonction pratique qu’en des actes parfaits (puisqu’il s’agit alors de décider un acte après délibération portant sur les raisons éternelles), en sa fonction spéculative, il se peut que la raison supérieure émette des actes imparfaits.

Voici comment on les représente. Il s’agit, pour

l’esprit, de donner son adhésion à une vérité non évidente pour lui, mais que le témoignage de Dieu garantit. En cette conjoncture, il advient que l’esprit, considérant selon sa pente naturelle la vérité proposée, par exemple la résurrection des morts, l’estime inacceptable ; mais, après réflexion, on se rend compte que Dieu révèle cette vérité et l’on y adhère. Ces mouvements subits et furtifs de la raison, en présence de l’objet de foi, constituent le péché véniel d’infidélité. La matière y est grave, mais elle donne lieu à un péché véniel à cause de l’imperfection de l’acte. Cette notion d’un péché véniel d’infidélité est commune chez les théologiens scolastiques ; elle suppose l’idée d’un certain pouvoir que l’on avait de retenir ces rebellions éphémères ; elles sont le fait d’un esprit qui ne se laisse point subjuguer sans résistance par la vérité divine. Les commentateurs en sont venus à distinguer l’objet de la raison supérieure en objet primaire, les raisons éternelles et, en objet secondaire, ce qui de soi, ou par institution, appartient à l’ordre surnaturel ou s’y réduit, comme les sacrements. Ils ont pu dire ainsi que la raison supérieure, même en un acte délibéré, peut ne commettre qu’un péché véniel, mais c’est dans le cas où n’est en cause qu’un objet secondaire : comme de dire délibérément un mensonge léger dans la confession sacramentelle. Salm., In y » m_//æ ( q. lxxiv, a. 10. Sur toutes les matières que nous avons jusqu’ici traitées dans ce chapitre, on lira avec intérêt la seconde des notes doctrinales de la traduction du traité du péché, éd. de la Revue des jeunes, par le P. Bernard, t. i, p. 315-335.

b) Nous quittons décidément les catégories augustiniennes avec ces péchés de la raison que sont l’ignorance et l’erreur. Il n’est plus guère question à leur propos de raison supérieure ou inférieure. Et, s’il fallait trouver une origine aux spéculations de la théologie classique en cette matière, on signalerait plutôt quelques lignes d’Aristote. qui énoncent expressément un péché d’ignorance : Eth. Nie, t. III, 1113 b 3011 1-1 a 2 ; cꝟ. 1110 b 32-33 ; ces brèves indications ont agi sur la pensée de saint Thomas. Nous distinguons, dans l’exposé qui suit, l’ignorance et l’erreur.

a. Le péché d’ignorance. — Commet un péché l’homme qui ignore ce qu’il peut et doit savoir. Pour l’éclaircissement de cette règle, les théologiens ont avancé maintes distinctions qui ont été rapportées à l’art. Ionorance. Il est seulement opportun de signaler ici en regard de la doctrine générale du péché, de quelle manière l’ignorance coupable vérifie les conditions d’un péché.

Elle est un péché de l’intelligence, où elle consiste dans la privation de ce que l’on peut et doit savoir. Sum. Iheol., I » -II iL’, q. i.xxiv, a. 5. Elle se range parmi les péchés d’omission. Assurément, le péché de l’esprit, comme tout péché, a son origine dans la V0 lonté, soit que l’on ait directement voulu l’ignorance, comme c’est le cas pour l’ignorance affectée, soit que l’on ait négligé d’acquérir la connaissance, comme C’est le cas pour l’ignorance négligente ; là où l’on ne peut discerner soit cette volonté positive d’ignorer, soit négligence d’apprendre, on ne peut non plus dénoncer un péché d’ignorance Mais OU se gardera de confondre cette origine première du pèche avec le

sujet où il s’établit. L’ignorance est un péché Intellec

tuel.

Elle prive en effet du connaître, lequel, en l’espèce, était formellement un bien La science 'l<>m elle prive était requise, et la science a pour sujet l’intelligence.

Elle était requise soit à cause de l’opération qui. sans

cette connaissance, ne pouvait être bien réglée : telle

est la connaissance des circonstances de l’action : en

is, l’ignorance est un péché dans l’intelligence

ratione operalionit. Soit pour elle même, et Indépen

damment d’une opération que l’ignorance pourrait compromettre ; et, dans ce cas, elle est un péché de l’intelligence ratione sui. Ce dernier péché est, dans toute la force du terme, un péché intellectuel : car il n’a pas seulement l’intelligence pour sujet, mais tout son mal est de porter atteinte au bien de l’intelligence. « Dès lors, en effet, expliquent les Salmanticenses. disp. XIII, dub. ii, n. 37, que l’homme est intelligent et raisonnable, en vertu de la loi de la raison elle-même et indépendamment des opérations de quelque autre puissance, il est tenu d’orner et de disposer son intelligence par la connaissance de quelque vérité ; grâce à cela, il pourra se distinguer des bêtes et se comporter en être raisonnable. Du fait, surtout, que la connaissance de la vérité est de soi un bien excellent et pour soi-même excellemment désirable, la droite raison dicte que l’homme recherche une telle connaissance pour elle-même ; surtout à l’égard de certains principes, grâce auxquels seront exclues au moins les plus grossières erreurs. Bien plus, l’erreur étant proprement le mal de l’intelligence et l’ignorance étant la mère de l’erreur, du seul principe que l’on évitera par ce moyen beaucoup d’erreurs peut se tirer l’obligation de savoir quelque chose, de ne pas tout ignorer, et bien que l’on doive quelquefois apprendre ainsi en raison d’autres vertus, à quoi de telles erreurs s’opposeraient, cependant, quand elles s’opposent immédiatement à la seule science ou studiosité, l’obligation susdite sera due à raison d’elle-même. »

Quant à la matière d’une telle obligation, continuent nos commentateurs, les théologiens pensent communément que tous les chrétiens sont tenus de connaître, et sans considérer aucune autre fin que la connaissance elle-même, en vue seulement de l’illumination et perfection de l’intelligence, les articles de foi. La plupart des théologiens rangent, en outre, sous la même catégorie la connaissance des préceptes du décalogue et des sept sacrements : « il ne convient pas, en effet, qu’un chrétien, interrogé sur ces choses, ne sache point s’en expliquer, indépendamment de. toute autre raison. » Et bien que ces connaissances, comme celle des articles de foi, ne soient pas sans effet pratique, néanmoins elles sont requises indépendamment d’un tel effet, et sur la seule considération du bien de l’intelligence. A mesure qu’il s’agit de personnes plus élevées, et qui détiennent des fonctions doctrinales, l’obligation susdite s’étend à un plus grand nombre de connaissances.

Nous ne voyons pas qu’il y ait lieu de ne pas appliquer à l’homme comme tel ce que les théologiens disent du chrétien, car la raison de leurs conclusions se tire. on l’a vii, de la nature intellectuelle de l’homme et du bien humain de la connaissance. Il y a un fondement moral de l’instruction obligatoire, et le texte que nous avons ci-dessus traduit d’un vieux livre de disputes théologiques, le découvre excellemment.

S’il advenait que ce péché d’ignorance ratione sui fut la cause d’un autre péché, on obtiendrait deux péchés spécifiquement distincts : le péché d’ignorance et le péché commis à cause de celui-là. par exemple une fornication. Tandis que le péché d’ignorance ratione operis ne constitue, spécifiquement et numériquement,

qu’un seul péché avec celui dont il est la cause (Salm..

ibid., n. 391 : d’où sont tirées quelques conséquences

subtiles que l’on peut Volt chez ces théologiens (n

Celte dernière Ignorance s’oppose aux vertus contre

lesquelles s’inscrit l’acte ou l’omission dont elle est la (anse : elle n’est point un péché d’un genre détermine, mais qui se répand dans tous les genres dont l’ignorance peut être l’origine. Nous avons donc ici un péché qui atteinl l’intelligence, dont on dit justement

qui’l’Intelligence est le sujet : mais ((ni s’achève dans

la puissance de laquelle relève l’acte ou l’omission consécutifs Nous savons qu’il n a pas d’inconvé L87

PÉCHÉ. PÉCHÉS DE LA RAISON

188

nient à ce qu’un seul et même péché se trouve répandu en plusieurs puissances.

Pour l’ignorance qui est péché ratione sui, des théologiens comme les Salmanticenses, ibid., n. 45-46, cf. n. 23, l’opposent à la vertu de sludiosité. Mais cette vertu est dans la volonté et ce péché dans l’intelligence. Pour cette raison, reconnaissant que la négligence, d’où vient à L’ignorance sa condition volontaire, s’oppose à la sludiosité, n : >us estimons que ce péché s’oppose dans l’intelligence, comme l’erreur elle-même, voir in/ra, aux différents habitus bons préposés à la rectitude des connaissances requises de nous. La morale de saint Thomas nomme l' hébétude et la cécité, qui sont des ignorances contraires au don d’intelligence, Sum. theol., II a -II a ;, q. xv ; mais, d’une façon générale, on opposera l’ignorance au don de science, ainsi que l’indique saint Thomas lui-même, ibid., prol. quæst. ; cf. q. ix, a. 3 : si l’ignorance concerne les choses de la foi, elle s’opposera au don de science directement ; si elle concerne des matières étrangères à la foi, elle s’y opposera d’une manière qu’on peut appeler réductive. Cajétan, ne découvrant point à'habitus moral à quoi s’opposât formellement l’ignorance, en était venu à dire que l’ignorance n’est pas un péché par elle-même : secundum se non est peccaturn. In 7 am //*, q. lxxvi, a. 2. Si l’on voulait dire par là que le mal de ce péché, d’origine volontaire assurément, ne siège point dans l’intelligence, la conséquence serait irrecevable ; et bien plutôt devrions-nous taxer de défaillante une morale dépourvue d’un tel habitus. La morale de saint Thomas le mentionne, encore qu’elle ne s’attarde pas sur cette considération. Les théologiens postérieurs ont débattu ce problème et se sont répandus en des opinions divergentes. Outre les commentateurs que nous avons nommés, on peut voir : Vasquez, op. cit., disp. CXVIII-CXIX, éd. cit. p. 640644 ; Suarez, tr. cit., disp. V, sect. ii, éd. cit. p. 557-558. Dans tous les cas, on prendra garde que l’ignorance, qui est un péché, est l’ignorance actuelle. Il est vrai que ce mot d’ignorance évoque plutôt cette condition ou cet état où l’on se trouve de ne pas savoir. Un tel état, néanmoins, ne peut être que l’effet d’un péché et non pas le péché lui-même. Celui-ci est encouru au moment où il était requis de considérer cela dont l’ignorance constitue le péché ; on l’appellerait assez heureusement du nom d’inconsidération. Sum. theol., I^-II 86, q. lxxvi, a. 2, ad 5um, ad 3um. On peut préciser que, pour l’ignorance ralione operis, le moment de considérer est celui-là où l’on doit commencer de régler l’action ; pour l’ignorance ratione sui, le péché est encouru quand on a la faculté d’apprendre ce que l’on est tenu de savoir ; et si l’occasion s’en renouvelle, le péché lui-même se multiplie à proportion. Salmanticenses, ibid., n. 40.

6. Le péché d’erreur.

L’homme commet un péché d’erreur quand il se trompe alors qu’il pouvait ne passe tromper. Tandis que l’ignorance consiste dans la privation de la connaissance, l’erreur consiste dans un jugement faux qu'énonce l’esprit.

Cette différence entraîne aussitôt la conséquence que le péché d’erreur se vérifie en toute matière, et non pas seulement en cela que l’on est tenu de savoir. On pèche certes par erreur si, non content d’ignorer ce que l’on est tenu de connaître, on en vient à juger ce qu’on ignore ; mais l’on pèche aussi par erreur quand l’ignorance d’où celle-là procède n'était en rien coupable. La raison en est que le faux, objet de l’erreur, est proprement le mal de l’intelligence, comme la vérité est proprement son bien. Or, ce mal de l’intelligence, qui lèse l’homme en l’un de ses biens naturels, s’il est volontaire, ne peut manquer de déterminer un péché. Nous n’avons point le droit de cultiver l’erreur, non plus que nous n’avons le droit de nous donner la

mort. A cet argument tiré du bien naturel de l’homme, on peut ajouter cette considération spéciale que la connaissance de la vérité, fût-ce même des vérités participées, représente une anticipation de notre béatitude, laquelle consiste dans la connaissance de la première vérité. Il ne semble pas que nous puissions contrarier cette béatitude anticipée, puisque la béatitude, en définitive, ne fait que représenter la suprême exigence de notre nature, que nous ne pouvons d’aucune façon offenser. En quelque matière donc que ce soit, nous n’avons point la liberté de juger à notre gré, sans souci du vrai ni du taux. Le bien de la vérité est loin d'être le moins impérieux qui s’impose à nous. Et parce, que l’erreur est la ruine de la vérité, elle ne peut manquer, étant volontaire, d'être un péché.

Saint Thomas allègue en maints endroits le péché d’erreur. Il signale un péché dans l’erreur relative à ce que l’on peut et doit savoir. Sum. theol., I a -II a q. xix, a. 6 ; q. lxxiv, a. 5. L’infidélité n’est que le plus considérable des péchés d’erreur. II » - II*, q. x, a. 2. Le péché de sottise consiste dans un jugement inepte et grossier sur les choses divines qu’un précepte exprès nous fait obligation de connaître. IIa-IIæ q. xi.vi. Mais saint Thomas reconnaît aussi un péché dans l’erreur, indépendamment de la matière qu’elle touche. De malo, q. iii, a. 7. Et il n’excuse expressément que l’erreur relative aux qualités morales du prochain : car il demande qu’en cas de doute l’on en juge en bien, dût-on se tromper. II*-II æ, q. lx, a. 4, ad 2um. Les commentateurs n’ont fait sur ce point qu’accuser la pensée du maître. Pour Cajétan, qui est net à souhait, l’erreur a raison de péché quand on pouvait savoir ou ne point juger : « Il n’est pas en effet sans péché que l’on ait sciemment une opinion fausse au sujet du triangle cependant qu’on peut l’avoir vraie ou n’en pas avoir du tout, en suspendant l’adhésion, puisque c’est un mal de l’intelligence qu’une fausse opinion en quelque matière que ce soit. » In l* m -IIæ, q. lxxiv, a. 5. Selon les carmes de Salamanque, dont la décision n’est pas moindre, « l’erreur actuelle, à moins qu’elle ne soit invincible, est toujours formellement un péché, non seulement quand elle concerne ces matières dont nous avons dit que l’ignorance est un péché, soit d’elle-même, soit à raison de l’effet ; mais, en quelque matière que ce soit, fût-elle même purement spéculative ». Disp. XIII, n. 47. Ces derniers commentateurs ajoutent que l’erreur précisément spéculative, à moins qu’elle ne touche les choses de la foi, n’excède point la faute vénielle, puisqu’elle ne s’oppose pas à la charité de Dieu ni du prochain, et qu’elle n’apporte pas un grand dommage à celui qui se trompe. Ibid. Nous croyons que saint Thomas se fût montré plus sévère ; à propos du mensonge, il taxe de mortel en lui-même le mensonge portant sur quelque chose dont la connaissance intéresse le bien de l’homme, pula quæ pertinent ad perfectionem scientiæ et in/ormalionem morum : car un tel mensonge, in quantum infert damnum falsæ opinionis proximo. contrariatur caritati quantum ad dilectionem proximi. II 1 - II*', q. ex, a. 4. Ne peut-on s’infliger aussi à soimême un grave dommage en versant dans de certaines erreurs ? Pour autant qu’elles sont volontaires, ces erreurs-là contrarient la charité que l’on doit à sa propre personne et sont des péchés mortels.

Sur cette question du péché d’erreur, les théologiens en général n’abondent pas : l’ignorance a retenu tous leurs soins. La plupart se contentent de la nommer en passant, et sans en faire l’objet d’un débat spécial. Outre les commentateurs de saint Thomas allégués ci-dessus, on peut citer l’opinion de Durand de Saint-Pourçain favorable au péché d’erreur : In II" m Sent., dist. XXXIX. q. ii, éd. cit., p. 169 b-c ; et ce passage de Suarez, où se trouve confirmée la doc.

trine que nous avons agréée : « Cajétan signale une différence entre l’ignorance et l’erreur : l’ignorance, en effet, n’est un péché que si l’on ignore ce que l’on doit savoir ; mais l’erreur volontaire, en quelque matière que ce soit, est toujours tenue pour péché. Et ceci semble exact… Et la preuve en est que l’erreur de soi est objet mauvais et un défaut contraire à la nature de l’homme, qui ne peut être ordonné à aucune fin bonne : donc on ne peut l’aimer honnêtement. Confirmation : le mensonge est de soi mauvais ; donc un jugement faux est davantage mauvais. D’où il ressort que c’est toujours un péché de s’exposer témérairement aux erreurs, soit véniel, soit mortel, selon la qualité de la matière. Il en irait autrement si l’on se bornait à avoir une opinion probable, puisqu’alors on ne se trompe pas volontairement. » De peccalis, disp. V, sect. ii, éd. cit., p. 557.

Que l’erreur soit volontaire, cela arrive de plusieurs façons. Elle peut l'être directement : si l’erreur est elle-même l’objet de l’acte de la volonté ; par comparaison avec l’ignorance pareillement volontaire, on peut appeler ce péché l’erreur affectée. Elle peut être volontaire indirectement : si l’on se trompe pour avoir négligé d’apprendre ce que l’on doit savoir. Sum. Iheol., I » -II æ, q. xix, a. 6. Dans le cas où, ne voulant pas directement me tromper, cependant je juge en une matière que j’ignore n’ayant pas d’ailleurs à la connaître, il reste que je fais preuve de présomption ; mon erreur est par là volontaire : Non enim est absque præsumptione quod aliquis de ignoratis sententiam ferai, et maxime in quibus perieulum exislil. De malo, q. iii, a. 7.

Toute erreur n’est-elle pas volontaire, au moins en cette dernière façon ? Dès lors, toute erreur n’estelle pas un péché? La question a fait l’objet d’un récent débat. L’analyse psychologique de l’erreur ayant conduit le R. P. Roland-Gosselin à cette conclusion qu’au principe du jugement faux et forçant contre sa nature l’adhésion de l’esprit il y a une intervention de la volonté, on pouvait se demander si, de sa nature même, l’erreur n'était pas dans tous les cas coupable. Voir Roland-Gosselin, La théorie thomiste de l’erreur, dans Mélangea thomistes, 1923, p. 253-274 ; Henry, l.'imputubililé de l’erreur d’après saint Thomas, dans Revue néo-scolaslique, t. xxvii. 1925, p. 225-242 ; Roland-Gosselin, Erreur et péché, dans Revue de philosophie, t. xxviii, 1928, p. 460-17K ; compte rendu critique des précédents dans Bulletin thomiste, 1929, p. 180-190 ; cf. J. de Blic, Erreur et péché d’après saint Thomas, dans Revue de philosophie, t. xxix, 1929, p..'il 0-31 4 ; Dcleruc, Le système moral de saint Alphonse de Ligorj, Saint-Éticnne, 1929. p. 109-115.

Il est certain que saint Thomas reconnaît au principe de l’erreur de l’ange comme du premier homme un désordre volontaire sans lequel jamais cette erreur n’eût été possible. De main. q. xvi, a. (i ; Sum. Iheol., I*, q. lviii. a. 5 ; De ver Haie, q. wm. a. ', ; Sum, theol., I*. q. xr : iv, a. 1. Il est certain qu’en l’absence de l’objet évident, qui est son motif propre, l’intelligence d’elle-même s’abstiendrait de Juger ; aussi le premier homme, dans l'état d’innocence, n’avait-il pas

d’opinions. De ver.. Inr. cit. Mais, s’il faut recon naître une déchéance dans cette condition où nous sommes de juger, même en dehors de la foi siirnalu relie, sur l’intervention de la volonté, on n’y peut voir, « lans tous les cas, un mal de faute, Car l’homme a la (acuité de mesurer l’adhésion de son esprit selon les indices de vraisemblance qu’il a recueillis : soupçon, opinion, tous les degrés qui ont du doute ; i l.i irili lude ; il n’en est pas réduit infailliblement a ces deux i nies. Sous réserve que l’enquête ail été loyale el diligente, l’adhésion de l’intelligence, si elle est pro portionnée aux Indices, n’est p.is une faute. Il se peut

qu’on fasse erreur, il se peut que l’on juge vrai : il n’importe ; la démarche intellectuelle a été irréprochable. La formido errandi, qui subsiste en son jugement, sauve l’homme d’avoir mal usé de son intelligence, en ce cas où son objet propre faisait à celle-ci défaut. On peut établir que saint Thomas, dans les textes où il condamne l’erreur, ne vise pas cette opinion craintive. Bull, thom., loc. cit., p. 487-488.

Il semble même que, dans l’ordre pratique, la nécessité d’agir permette que l’on change en certitudes pratiques des jugements qui, absolument, ne devraient être que des opinions, si l’on a fait l’enquête loyale et diligente que comporte la situation. Sum. theol., I^-II 86, q. xix, a. 6 ; autres textes cités dans Bull, thom., loc. cit., p. 488. Mais, hors l’ordre pratique, la volonté peut-elle appliquer l’intelligence à une adhésion entière et, sans qu’il y ait motif de certitude, à savoir l'évidence (ou le témoignage divin), imposer la foi ? Absolument, il faut dire qu’en dépassant les garanties intellectuelles, la volonté impose un jugement injustifié ; et l’homme pèche contre ce bien de la vérité dont nous avons dit qu’il est inviolable. Notre appréciation rencontre exactement ici un énoncé de Cajétan : [opinio est illicita] dum nimis ftrmiter inhæretur opinioni et asseritur ut certum et indubitatum quod tamen est infra latiludinem opinabilium. Et hinc sœpe erratur ex nimio affeclu ad noslra et minore quam opus fuerit examine, resolutione ac judicio, dum probabilia accipiuntur ut demonstrata. Cajétan, Summa de peccalis, au mot Opinio. Néanmoins, on éviterait ce péché si l’on croyait invinciblement posséder l'évidence de ce dont on juge. Or, cet état est possible. Si l’on pouvait réduire ce jugement aux premiers principes évidents, on verrait bien qu’il est intenable. Mais celui qui l'énonce peut, en ce qui le concerne, être persuadé de sa vérité ; il a mis tous ses soins à bien comprendre cet objet ; il se croirait déloyal s’il en jugeait autrement ; en réalité, il se trompe, mais au principe de son jugement faux il y a une ignorance invincible. La considération d’une ignorance invincible s’introduisant au principe d’un jugement faux et sincère nous semble en cette matière d’une grande importance. L’analyse psychologique de l’esprit nous convainc que cet homme juge par le secours de sa volonté ; mais une telle interven lion de la volonté ne crée pas le volontaire : puisqu’il est à son principe une ignorance qui est l’ennemie do volontaire. On ne peut croire que l’on se trompe. Nous n’insistons pas sur les conditions de parfaite loyauté « lui sont ici requises, non seulement à Tins tant où l’on prononce le jugement, mais tout au long des informations qui l’ont préparé, sans laquelle l’erreur dont nous parlons ne sciait pas excusée d'être un péché. Nous signalons seulement le cas possible de l’intègre et résolue bonne foi. Aristote, pour ce cas, nous appuie, cal il est difficile, dit-il, de savoii si l’on sait ; se méprenant sur les principes de sa connaissance, on leur attribue une valeur qu’ils n’ont pas ni Analytiques, I. I. c. ix. 70 a. 26-30). Il faut prendre garde aussi que les hommes professent main les opinions sans mesurer exactement le degré d’adhésion qu’ils leur accordent ; ils en font usage soit pour l’action, soit même pour la spéculation et l’entretien de leur esprit, comme s’ils en étaieid certains, mais ils ii sont pas. en fait, attachés comme a des certitudes. On évite en somme le péché d’erreur dés qu’on n’entretient pas en faveur d’un jugement incertain un attachement sciemment démesure. De cette appré dation, nous rapprochons un texte « le saint Thomas

qui n’a pas été'. croyonS-nOUS, versé au débat ; en dehors des matières de foi et de nurui’s. lit on. les disciples peuvent lUiVn l’opinion de tel ou tel maître ISUIS verser dans le pèche d 'erreur : C8T en ce cas s’applique le mit de I polre / 'nusqutsque in suo sensu abnndel. Quodlibel, iii, a. 10. Nous avons ainsi retrouvé le jugement commun des théologiens et de saint Thomas qui distinguent l’erreur coupable et l’erreur innocente selon que ce jugement est volontaire ou involontaire. Il suffisait de signaler que la volonté peut s’introduire ici comme partout en des conditions qui sauvent l’involontaire. Ainsi est dénoncé le péché d’erreur. sans que soient incriminées cependant nombre de nos erreurs. Il est superflu de recommander la belle discipline intellectuelle qui ressort de cette morale, où règne, par dessus tout, le sentiment de l’excellence de la vérité.