Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine depuis le concile de Trente I. Théologie protestante

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 391-399).

V. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION DEPUIS LE CONCILE DE TRENTE.

En proclamant définitivement la doctrine de l’Église en matière de justification, le concile de Trente avait terminé la cause ; mais il était loin d’avoir, par là-même, mis fin à l’erreur. Les protestants semblent n’avoir profité du décret conciliaire que pour élaborer plus fermement, de leur côté, leur propre doctrine. Œuvre d’ailleurs laborieuse et précaire, comme toutes les entreprises tentées en vue d’aboutir à une consolidation dogmatique de la Réforme, et qui n’allait pas tarder à subir, sous l’action combinée des divergences intestines, du temps et de la critique, une dissolution progressive, qui n’en laisse presque plus aujourd’hui subsister de traces. Elle n’en a pas moins amené, par réaction, la théologie catholique à défendre ce point capital toujours menacé et à l’enserrer de plus en plus dans cette armature technique que le génie de l’École a pour mission d’élever autour des vérités de la foi.

I. Théologie protestante. —

Par suite de la place centrale que la justification a toujours occupée dans le protestantisme, l’histoire de cette doctrine se confond avec celle des mouvements théologiques et religieux qui ont successivement agité la Réforme. Il suffira d’en noter ici les traits les plus généraux.

I. ÉLABORATION DU PROTESTANTISME OFFICIEL.

— Bien que déjà constituée dans toutes ses lignes essentielles, la doctrine protestante de la justification allait prendre, à l’occasion du concile de Trente, un surcroît de précision.

Polémique anti-catholique.

Elle a tout d’abord

développé cet aspect polémique dont Luther avait marqué ses origines, que l’Apologia de Mélanchthon lui avait conservé et qui reste, sinon sa principale ressource, du moins son caractère le plus constant. Adversarii… inopes urgumentorum et divites calumniarum, faisait observer déjà Bellarmin, De justifie, i, 3, Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, p. 152. Seulement aux pamphlets du premier jour ou aux batteries légères, improvisées plutôt pour les besoins de la propagande que construites suivant les exigences d’une méthode scientifique, allaient succéder les œuvres massives, où, pour établir la foi nouvelle sur les ruines de l’ancienne, la dialectique la plus insidieuse s’unirait à la plus imposante érudition.

1. Polémique spéciale contre le concile de Trente. — A cet égard, le décret du concile de Trente était un document dont les controversistes de la Réforme ne manquèrent pas de mesurer l’extrême importance et qu’ils ne voulurent pas laisser sans contrepoids.

Dès 1517, Calvin donnait l’exemple en publiant un volume intitulé : Acta synodi Trldeniinet evan untidoto, où sont, en effet, reproduits les décrets concilaires avec les aniinadversiones de l’auteur. Voir Joannis Calvini opéra, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. vii,

Brunswick, L868, p. xxxiv-xxxvii pour l’histoire littéraire de l’ouvrage et col. 360-506 pour le texte. Les actes de la VI* session y tiennent naturellement la -1

place centrale et 1’ « antidote » du réformateur genevois y est particulièrement étendu, col. 441-486. Une traduction française parut l’année suivante, précédée d’un prologue en vers contre

ces Pères Cornuz

Qui souz le nom de Dieu sont convenuz Pour dépraver la doctrine céleste. Qu’ilz sachent donc que par tout son tenuz Asnes masquez, et Antéchristz au reste.

Un avis également versifié mettait le lecteur en garde contre la « belle apparence » de ces « editz malheureux », qu’il comparait aux charmes suspects de la courtisane.

Parquoy, Amy, si tu sens ta pensée De tel venin quelque fois offencée Prens ce remède ou gist la guerison.

Chez les luthériens, Mélanchthon avait donné le branle à l’offensive, dès 1546, par ses Acta concilii

Tridentini… una cum annolationibus piis et lectu dignissimis, opuscule parfois confondu avec celui de Calvin. Op. cit., p. xxxvii. Mais la grosse attaque devait être fournie par Martin Chemnitz, voir t. H, col. 2354-2357, avec son Examen concilii Tridentini, fruit de huit années de travail, dont les quatre parties s’échelonnèrent de 1565 à 1573. L’ouvrage fut de bonne heure traduit en allemand, puis en français, et a connu de très nombreuses rééditions. Voir D. Reimbold, Historiée examinis conc. Tridentini spécimen, Leipzig, 1736. D’après les protestants modernes, « comme réfutation complète des canons de Trente, cet Examen conserve son intérêt encore aujourd’hui. » Lichtenberger, Encycl. des se. relig., art. Chemnitz, t. iii, p. 103. Aussi cet ouvrage est-il resté comme l’arsenal où les controversistes postérieurs viennent en général se ravitailler.

La justification et les questions connexes y occupent la moitié de la première partie, édition in-folio, Francfort, 1596, p. 107-188. Chemnitz y reproche au concile d’avoir cédé à l’esprit scolastique et couvert sous une avalanche d’anathèmes la doctrine de tous les apôtres et prophètes, p. 128. Il s’attache donc à rétablir cette pure doctrine des Écritures, non sans y joindre également un petit dossier de veterum lestimonia, p. 141-144 ; puis il se livre à la critique méthodique des articles du décret sur la justification elle-même, la foi et les œuvres. Son dernier mot est pour prier le Saint-Esprit de préserver contre les ténèbres pontificales la lumière de sa parole allumée dans nos Églises, p. 188. Pour la genèse et l’analyse de l’ouvrage voir H. Hachfeld, Martin Chemnitz nach seinem Leben und Wirken, Leipzig, 1867, p. 229-252 ; pour l’appréciation de ses méthodes et de sa valeur du côté protestant, voir R. Mumm, Die Polemik des Martin Chemnitz gegen dus Konzil von Trient, Leipzig, 1905, p. 32-78.

Au cours des xviie et xviiie siècles, le concile de Trente fut encore l’objet de nombreuses attaques. Voir la liste bibliographique dressée par R. Mumm, op. cit., p. 79-104, qui ne comprend pas moins de cent vingt-sept numéros. Une des plus appréciées chez les luthériens est la Consideratio doctrines pontificise juxta duclum concilii Tridentini, œuvre posthume de Georges Calixte, Helmstadt, 1659-1672 ; chez les calvinistes, la Concilii Tridentini anatome historicotheologica, 1672, de J. H. Heidegger, reprise et augmentée par l’auteur, en 1690, sous le titre funèbre de Tumulus concilii Tridentini. La vi c session y est longuement ensevelie sous une masse compacte de questions et d’arguments, 1. 1, p. 243-548.

2. Polémique générale.

Sans être moins agressifs, d’autres prenaient une forme plus sereine. Des compilations érudites revendiquaient pour la foi nouvelle

I>ICT. DE THÉOL. CATHOL.

le témoignage du passé : tels le Calalogus leslium vert’tatis, Bâle, 1556, de Flacius Illyricus, voir ici t. vi, col. 1-12, et, spécialement en matière de justification, l’ouvrage de Herm. Hamelmann intitulé : Unanimis omnium Patrum ex apostolica Ecclesia, ex Media JEtale et qui postremis vixerunt seculis consensus de vera juslifieatione hominis coram Deo, Ursel, 1562.

Des théologiens se chargeaient de mettre en œuvre ces matériaux. La tradition de Mélanchthon, qui rééditait encore en 1559 ses Loci communes avec de nombreuses additions, Corpus Re/orm., t. xxi, col. 601-1106 — ouvrage désormais classique et qui a connu des traductions dans presque toutes les langues européennes, ibid., t. xxii — a largement inspiré les docteurs de la Réforme. Qu’il suffise de rappeler les Loci communes de Victorin Strigel, 1581-1584, de Chemnitz, 1591, de Léonard Hutter, 1619, de Henri Hôpfner, 1673, ceux surtout de Jean Gerhard, 16101622, suivis d’une Confessio catholica de même caractère, 1634-1637, et ceux d’Abraham Calov, 1655-1661 et 1677, voir ici t. ii, col. 1376-1377, dont on a dit qu’ils sont « la plus importante production dogmatique du siècle, avec celle de Gerhard, et dépassent même sous plusieurs rapports les Loci de ce dernier. » Kunze, art. Calovius, dans Realencyclopàdie, t. iii, p. 651.

Le double esprit de ces œuvres est bien exprimé par le titre donné par Jean André Quenstedt à sa Theologiadidactico-polemica, 1685, et il est inutile de faire observer que le problème de la justification ne cesse pas d’en faire les principaux frais. Aperçu de cette abondante littérature par Zscharnack, art. Orthodoxie, dans Gunkel-Scheel, Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. iv, col. 1056-1068 ; histoire méthodique dans W. Gass, Geschichte der protestantischen Dogmalik, Berlin, 1854, 1. 1, p. 147-378.

Divisions intérieures.

Tandis que les réformateurs

faisaient front contre l’Église, ils ne laissaient pas d’éprouver, au sein de leurs propres Églises, les plus graves dissensions. On en peut saisir les germes dès les premiers jours de la Réforme, voir plus haut col. 2148 sq : l’activité doctrinale suscitée par le concile de Trente fournit à ces querelles l’occasion de prendre un développement imprévu et qui ne tarda pas à devenir menaçant.

1. Conditions de la justification : Nouvelle controverse antinomiste. — Déjà discutées du vivant de Luther, les conditions de la justification le furent beaucoup plus encore après sa mort. L’influence de Mélanchthon devint prépondérante et se traduisit par ce qu’on a appelé le « philippisme ». Voir Realencyclopàdie, t. xv, p. 322-331. Un des éléments du système ou un des aspects de la tendance était une plus grande confiance faite à la nature humaine. D’où devait suivre une place plus considérable accordée aux œuvres dans le processus de la justification.

Cet esprit se manifeste dans le célèbre Intérim de Leipzig (22 décembre 1548), où il est question d’une justice communiquée et de la nouvelle obéissance qui en est la suite en des termes qui pouvaient s’accorder avec la doctrine catholique. Loofs, Dogmen geschichte, p. 867-868. Un de ses principaux artisans, George Major, voir Realencyclopàdie, t. xii, p. 85-88, se mit à soutenir (1552-1558) que les œuvres sont nécessaires pour le salut. Non qu’elles aient une nécessitas merili, mais il faut leur reconnaître une nécessitas regenerationis, mandali et debiti. Loofs, p. 898. Il fut soutenu par Juste Ménius, Realencyclopàdie, t. xii, p. 577-581, qui prenait la défense de la nova obedientia.

De telles propositions ne pouvaient que choquer les vieux luthériens et une vive controverse s’ensuivit. Résumé par G. Kawerau, ibid., p. 88-91, et Loofs, p. 898-900. Publiquement et violemment dénoncés par Amsdorf, voir ici t. i, col. 1123-1124, les novateurs se

VIII. — 70

défendirent. Il y eut un assaut général de pamphlets théologiques, de dénonciations politiques, de censures ecclésiastiques, que, pour le bien de la paix, Mélanchthon s’efforçait vainement d’arrêter. Voir sa lettre du 6 septembre 1552. Corpus Re/oim., t. vii, col. 1061. Le combat ne cessa qu’en 1558 par la mort de Ménius et le silence de Major.

Au point de vue doctrinal, les thèses des deux docteurs représentaient évidemment une réaction dans le sens catholique contre l’orthodoxie reçue. Elles entraînèrent par répercussion une crise aiguë d’antinomisme. Voir G. Kawerau, dans Realencyclopàdie, t. i, p. 590591. Car Amsdorf, soutenu par André Poach d’Erfurt et Antoine Otto de Nordhausen, défendait la thèse radicale que la loi n’a plus, pour le chrétien justifié, d’utilité pratique ni de valeur obligatoire. Il mit le comble au scandale quand il publia un opuscule, en 1559, pour établir que « les bonnes œuvres sont nuisibles au salut. »

Entre ces deux tendances extrêmes la position des luthériens orthodoxes était assez difficile. Les principaux représentants en furent Hesshusen, Westphal et surtout l’impétueux Flacius Illyricus, qui s’efforcèrent de montrer, non sans quelque embarras, que, si les auvres sont le fiuit de la justification, elles n’en sont à aucun titre la cause. Néanmoins, Flacius devait at corder que la foi est plus que « la main du mendiant », qu’elle est en elle-même une nova vita, voire n.in.e une ouvre bonne, encore que le croyant le doive oublier. Voir Y. Preger, Matthias Flacius Illyricus, Erlangen, 1859, t. i, p. 354-417. Même « chez les épargnes, l’intelligence du protestantisme réformateur tl-ispaiaissait de plus en plus. » Loofs, p. 897.

2. Controverse, syneryistique. — A peine assoupie, la t-c ntioverse allait renaître sur le problème spéculatif Ce la liberté et de son concours à la grâce. Voir (j. Kawerau, ait. Syneryismus, dans Realencyclopàdie, t. xix, p. 229-235, et Loofs, op. cit., p. 900-902.

Le synergisme de Mélanchthon avait trouvé un défenseur en la personne de Jean Pfeflinger, De liberIule icluntatis humanw. puis De libero arbitrio, 1555. Trois ans plus tard, Amsdorf d’abord, puis, avec sa violence coutumière, Flacius Illyricus, prirent position contre lui. Voir Preger, op. cit., t. ii, p. 113-166. Mélanchthon dut intervenir, Corp. Rejorm., t. xii, col. 651-654, et fut secondé par un ancien lieutenant de Flacius, Victorin Strigel. Celui-ci eut une conférence tontradictoire avec Flacius, à la cour de Weimar (2-8 août 1560), qui tourna contre ce dernier. Preger, t. ii, p. 195-227. Strigel dut cependant quitter Iéna ; mais 1-lacius en fut banni à son tour (1561), Preger, t. il, p. 109-180, et Strigel y retrouva son poste en 1562. Il fallut un changement de règne pour rétablir les affaires des vieux-luthériens.

Tout au moins avaient-ils nettement posé leurs principes. Contre ses adversaires, qui soutenaient le ooncours du libre arbitre, Flacius défendait notre entière passivité : Sicut truncus aut saxum se mère I assive Iwbet erga slatuarium aut lapicidam, sic et berna in conversion* et regeneratione erga Dcum. Le temps était proche ou cette doctrine, momentanément vaincue, reprendrait sa revanche et où le synergisme m i ait taxé d’erreur.

3. Essence de la justification : Jastite inhérente ou imputée. — Entre temps un nouveau débat avait surgi sur la nature nu nie de la justi Qcation. Il l’ut occasionné par le réformateur de Nuremberg, André Osiander.

I i s [549, ii Un ci s'élevait enotre l’Intérim où ne se trouvait pas, à son sens, la notion du la vraie jus.1 Ice, il lonna une pn mdère esquisse « le ses idées sur ce point dans une petite dissertation, De lege et evani (5 avril 1549), puis encore, le 24 octobre 1 550, dans ane Disputatio de justi ftcatione traduite en allemand

l’année suivante. En réponse aux critiques qu’il reçut, il s’expliqua dans un ouvrage plus étendu. Von dem einiyen Millier Jhesu Christo und Rechtfertigung des Glaubens, Kônigsberg, 1551, traduit en latin quelques mois après sous ce titre : De unica mediatore Jesu Christo et justi ficatione fidei. Voir V. Millier. Andréas Osiander, Elberfeld, 1870, p. 379-409. Ces publications allaient susciter une des plus violentestempêtes qu’ait connues le premier âge de la Réforme, à laquelle put seule mettre un terme la mort de l’auteur (17 octobre 1552). Pour le détail de la controverse, voir Môller, ibid., p. 410-522.

Osiander soutenait que, grâce aux mérites du Rédempteur, la justice de Dieu devient nôtre et se traduit en ce que le Christ habite en nous. Dès lors « être justifiés » signifie pour nous devenir réellement justes. Ce qui se produit par ce fait que la présence du Christ en nous et la divine justice qu’il y apporte nous sont imputées comme mitres. Mais cette imputation répond à une vérité objective : car Dieu, qui est un juste juge, ne peut nous déclarer justes sans nous rendre effectivement tels. Il faut donc entendre que nos péchés nous sont vraiment remis et que la justification se traduit par une rénovation intérieure. La foi en est l’instrument, non pas comme une bonne œuvre, mais parce qu’elle l’ait habiter le Christ en nous. Voir Mdller, p. 398-408, et A. Ritschl, Die Rerhl/crligungslehre îles Andréas Osiander, dans Jahrbùcher fur deulsche Théologie, 1857, t. ii, p. 795829, résumé dans Die christliche Lehre von der Rechtjertigung und Verso hnung, 1. 1, p. 235-240.

Cette nouvelle doctrine ne rencontra guère de suffrage favorable que chez le Wurtembergeois Jean Brenz, voir t. ii, col. 1128-1130, dont la pensée sur ce point a été étudiée par C. W. von Kiigelgen, Die Recht/erligungslehre des Joh. Brenz. Leipzig. 1899. Mais luthériens et philippistes s’unirent contre elle dans une commune et violente opposition. Non seulement Flacius Illyricus, toujours sur la brèche pour la bonne cause, voir Preger, op. cit., t. i. p. 205-297, mais les théologiens de Weimar, Ménius, Strigel et Schnepf, suivis par Amsdorf et Jouas, soutenus par le surintendant Pollicarius, prirent parti contre lui. Môller, op. cit., p. 478-491. Consulté par le duc Albert, Mélanchthon lui-même se prononça publiquement contre Osiander. Corp. Rejorm., t. vii, col. 892-902. Le grand reproche qu’on lui faisait était de s'écarter de Luther pour revenir à la doctrine catholique. Loofs, p. 870-872. Ce qui caractérise assez bien l’esprit de cette tentative doctrinale et dit en même temps' la raison de son insuccès.

3° Fixation de l’orthodoxie : Les derniers symboles. — Toutes ces divisions intestines firent sentir le besoin de resserrer les liens déjà flottants de l’orthodoxie C’est à quoi pourvurent les derniers symboles, qui ont donné leur physionomie officielle, sinon définitive, aux Églises issues de la Réforme.

1. Églises luthériennes : Formule de concorde (15771580). — En Allemagne, surtout, l’intérêt politique s’unissait à l’intérêt doctrinal pour faire souhaiter un accord si gravement compromis jusque-là. L’entrée en scène d’une seconde génération de théologiens, les protagonistes de la Réforme ayant tour à tour disparu, rendit possible l’u’uvrc nécessaire.

Sous l’action de Jacob Andréa, de Chemnitz et de Seinecker, un formulaire d’union fut élaboré, qui rallia les Églises de Souabe et de Saxe au cours des années 1574 et 157."). De nouvelles tractations, auxquelles

prirent pari Chytræus, Vtusculus et Kôrner, aboutirent, en mars 1577, a l’actuelle Formate de concorde,

qui lut successivement souscrite par presque tous les

États germano-évangéliques et publiée en allemand le

25 juin 158, 1. en attendant de l'être en lai in quatre ans -J2197

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, THÉOLOGIE PROTESTANTE MODERNE

2198

plus tard. Voir R. Seeberg, art. Koncordicnformel, dans Realencyclopàdie, t. x, p. 732-745. Texte dans J. T. Millier, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lutherischen Kirche, p. 513-730.

Ce document capital se compose, de deux parties complémentaires, qui diffèrent surtout par la longueur. La première s’intitule : Epitome arliculorum de quibus controversiæ orlse sunt, p. 515-561 ; la seconde : Solida, plana, et perspicua repetitio et declaratio quorumdam arliculorum auguslanee Confessionis de quibus aliquandiu inler nonnullos theologos eidem addictos disputalum fuit, p. 563-730. Dans les deux s’affiche l’intention de résoudre ces points de controverse par un accord unanimement reconnu.

La justification y tient naturellement une place importante. Après avoir posé en principe que le péché originel est en nous quiddam essenliale cdque substantiale, on y affirme que l’homme est, en conséquence, « purement passif » dans l’affaire de sa conversion et que son libre arbitre y reste deterior lapide aut trunco quia répugnât verbo et voluntati Dei. Solida declar., ii, 59 et 89, Mùller, p. 602 et 609. C’était la revanche de la stricte orthodoxie luthérienne, dans les termes de Flacius encore aggravés, contre le synergisme de Mélanchthon. Voir pour l’étude détaillée Fr. H R. Frank, Die Théologie der Concordienformel, Erlangen, 1858, t. i, p. 118-145.

En elle-même, la justification se ramène au pardon des péchés : justificare… idem signiftcare quod absolvere a peccatis, et la rénovation spirituelle n’y entre à aucun titre. Ce pardon nous est accordé ex mera gratia ubsque ullo respectu nostrorum operum et consiste en ce que Dieu nous impute les mérites du Christ : donal algue imputai nobis juslitiam obedientim Christi. Pour obtenir cette grâce, nous n’avons pas à réaliser d’autre condition que la foi : Solam fidem esse illud médium et inslrumentum quo… Christum apprehendimus ; propter Christum enim fides illa nobis ad juslitiam imputatur. On insiste spécialement pour que soient maintenues les « particules exclusives » dont se sert l’apôtre Paul pour ramener au Christ toute la gloire de notre salut. Sans doute « la vraie foi n’est jamais seule » ; mais nous ne pouvons prétendre qu’à être tenus pour justes, sancti et jusli coram Deo Patri reputemur, et l’idée d’une sanctification réelle per caritatem a Spiritu Sanclo infusam fait partie des falsa dogmala dont il faut s’écarter. Epitome, m : De justitia fidei, Millier, p. 528529. Pour le développement, voir Solida declaratio, m, p. 610-624.

L’intérêt de ces formules est dans l’énergie avec laquelle elles condamnent les doctrines d’Osiander, Frank, op. cit., t. ii, p. 24-85, pour séparer la justification de la sanctification et pour faire de celle-là, bien que le terme technique de justitia forensis y soit évité, Loofs, p. 916, un acte juridique d’imputation.

Quant aux bonnes œuvres, la Formule de concorde repousse les deux erreurs opposées, d’après lesquelles elles seraient nécessaires, ou, tout au contraire, nuisibles au salut. Elles suivent la grâce de la justification lumquam fructus bonse arboris et donc entrent en ligne de compte pour le salut, mais sous réserve de la liberté chrétienne et de la prépondérance qui doit rester à la foi. Epitome, iv, Mùller, p. 530-533, et Solida dccl., p. 624-632. Ainsi sont écartées les doctrines extrêmes, soit de Major, soit d’Amsdorf. Frank, op. cit., t. ii, p. 148-215. Toutes décisions valables à perpétuité, avait l’illusion d’affirmer la Solida declaratio, Introd., 16, Mùller, p. 572, et qui avaient au moins l’avantage de fixer l’orthodoxie sur les positions mieux précisées de la Confession d’Augsbourg.

2. Églises réformées.

C’est aussi vers la même époque que les Églises réformées arrêtèrent leurs symboles de foi : Suisse (1562), France (1559), Pays-Bas

(1561), Ecosse (1560), Angleterre (42 articles en 1552 et 39 articles en 1571). On y voit s’accuser les traits distinctifs de l’anglicanisme ou du calvinisme ; mais la doctrine de la justification plane au-dessus de ces controverses intestines et garde sans difficulté la physionomie que lui avait donnée le protestantisme primitif.

Il y est donc question partout de justice imputée, Conf. helv. post., art. xv, et Conf. gallic, art. xvii, dans H. A. Niemeyer, Collectio Conjessionum, p. 319 et 494 ; de justification par la seule foi, Conf. gall., art. xx, p. 320 ; Conf. belg., art. xxii, p. 374 ; Conf. helv., art. xv, p. 495 ; Conf. anglic, art. xi, p. 603. La foi elle-même n’est que l’inslrumentum quo Christunt juslitiam noslram apprehendimus. Conf. belg., art. xxii, p. 374.

Mais on y peut remarquer çà et là quelques touches discrètes qui diffèrent du luthéranisme Ainsi les bonnes œuvres, bien qu’elles ne constituent pas un mérite, sont nettement proclamées possibles et nécessaires, après la justification, comme fruits de la foi et condition du salut. Conf. helu., art. xvi, p. 497, et Conf. anglic, art. xii, p. 603-604. La Confession gallicane, art. xxti, p. 320, déclare même que « par cette Foy nous sommes régénérez en nouveauté de vie, » et pareillement celle des Pays-Bas : Credimus veram hanc fidem… in nobis productam nos regenerare ac velut novos homines efficere. Conf. belg., art. xxiv, p. 375. D’après la Confession helvétique, art. xv, p. 495, nous sommes donati justitia Christi et la Confession d’Ecosse, art. xiii, p. 346, identifie cette justice avec le sancti ficationis spiritus.

On a remarqué aussi que les symboles anglicans « adoptent une attitude très réservée à l’égard des doctrines le plus spécifiquement luthériennes, » telles que la corruption originelle et l’inutilité des œuvres. L. V. Grensted, A short history of the doctrine of the Atonement, Manchester, 1920, p. 259-260. Et ce trait est à retenir pour comprendre l’évolution de plus en plus générale de l’anglicanisme moderne.

Au total cependant, les deux Églises s’accordaient à fixer en orthodoxie les positions caractéristiques des premiers réformateurs.

Hérésies naissantes.

 Cette codification de ses

doctrines n’allait d’ailleurs pas empêcher le protestantisme de sentir la menace de nouvelles hérésies.

1. Socinianisme.

A l’extrême aile gauche de la Réforme allemande s’est développé le rationalisme socinfen. En niant la satisfaction du Christ, voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Étude théologique, Paris, 1914, p. 412-421, il ébranlait le fondement même de la justification. Aussi l’imputation des mérites du Christ y est-elle écartée comme un nonsens. On y parle bien encore de justification par la foi, et par la foi seule ; mais cette foi est comprise comme l’adhésion et l’obéissance au témoignage divin, c’est-à-dire comme un commencement de vie morale. Commencement d’ailleurs très imparfait, mais dont Dieu veut bien nous tenir compte par grâce. En tout cas, nous n’avons pas besoin d’une justice étrangère : la nôtre nous suffit. Voir principalement F. Socin, Traclatus de jusli ficatione, dans Bibliotheca fratrum polonorum, t. i, p. 601-627, et De Jesu Christo servatore, part. IV, ibid., t. ii, p. 213-246, suivi d’une courte Justi ficationis noslrse per Christum synopsis, p. 247252.

Ce rationalisme hardi fut maintenu en marge de l’Église officielle et n’eut guère que l’influence d’une école, en attendant d’inspirer la secte des unitariens.

2. Arminianisme.

Plus sérieuse fut la crise provoquée,

chez des réformés, par les arminiens, qui, en soulignant la libellé humaine contre la stricte prédestination, arrivaient forcément à rendre aux, œuvres

une bonne partie de leur valeur. Noir Arminius, t. i, col. 1968-1971. Ils admettaient que la seule foi salvifique est relie qui s’accompagne (le charité et possède dès lors en elle-même une qualité justifiante. Aussi faisaient-ils entrer la sanctification dans l’acte même de' la justification. Toutes positions où A. Ritschl ne craint pas de constater des tendances catholiques. Op. cit., p. 344-345. C’est pourquoi la nouvelle doctrine fut vivement combattue par les calvinistes orthodoxes et finalement condamnée au synode de Dordrecht <(> niai 1619), aux tenues duquel la justification est gratuite, la loi un pur don de Dieu, la régénération spirituelle une suite et non un élément de la justification, ii, 4, et m-iv, 11-12. Xiemeyer, p. 707 et 710-711. En regard de la tradition catholique définie par le concile de Trente, le protestantisme avait désormais son dogme, où ses docteurs croyaient bien avoir fixé au nouvel évangile ses contours définitifs.

5° Scolastique des xviie et XVIIIe siècles. — Autour de ces confessions de foi les théologiens protestants s’appliquèrent à élever le rempart d’une véritable scolastique.

1. Orthodoxie classique.

Elle marque d’abord le règne d’une orthodoxie que personne ne songeait plus guère à contester et qui s’affirmait avec une égale confiance à l’encontre des hérétiques de droite et de gauche.

On a signalé plus haut, col. 2194, les principaux de ces théologiens et il n’y aurait aucun intérêt à les suivre en détail. Ils s’accordent à rejeter la doctrine des ctuvres comme entachée de pélagianisme, celle de la ji stice iiifuse comme inspirée de vaines catégories philosophiques au détriment de l’Evangile et de saint Paul. La justification y est commandée par une conception tout à fait pessimiste du péché originel, aggravée, chez les calvinistes, par le dogme de la prédestination absolue. Ce qui interdit d’accorder à nos oeuvres préparatoires aucune valeur et permet de s’opposer aux catholiques comme aux sociniens.

En elle-même, la justification est étroitement coordonnée à une théologie spéciale de la rédemption, où le Christ a pleinement satisfait pour nous à la justice divine par sa double obéissance active et passive. Voir J. Rivière, op. cit.. p. 381-401. Cette œuvre rédemptrice, nous pouvons et devons nous l’approprier par la foi ; mais celle-ci ne joue que le rôle d’instrument, Cpyavov Xtjtctixôv suivant la formule technique, par lequel nous saisissons les mérites du Christ. Sur quoi Dieu veut bien nous remettre nos péchés, qui ne nous sont plus imputés a cause de la satisfaction pénale que le Christ a fournie à notre place, et nous imputer, au contraire, le prix de sa sainte vie. La justification est essentiellement cette procédure divine qui nous inscrit, malgré notre misère constitutive, parmi les bénéficiaires de l'œuvre du rédempteur, qui nous déclare justes en dépit de nos péchés. Dans la mesure OÙ elle est possible avec une nature essentiellement corrompue, la sanctification ne peut être qu’une suite de ce premier acte divin.

Comme spécimens de cette théologie, on peut consulter, chez les luthériens, .1. Gerhard, Luc. theol., loc. xvii et xviii. édition Cotta, Tubingue, 1768, t. vii, p. 1-317, et t. viii, p. L-199 ;.1. A. Quenstedt, Theologia didaclico-potentica, Wittemberg, 1701, part. 111, c. viii, p. 514-578 ; chez les réformés, Fr. Turretin, Insliluliones iheologiæ elencticæ, Genève, 1082, t. ii, p. 691 792. 2. Écoles et tendances. - A travers cette commune

opposition a la loi catholique, il n’est pas impossible

d’apercevoir quelques divergences entre luthériens

et réformés. On a pu en saisir le germe chez les initiateurs de la Réforme, COl. ZHH gq, et nous en retrouvions tout à l’heure la tiare jusque dans la sobriété voulue

des symboles officiels. Il résulte de l’exposition comparative établie par Matthias Schneckenburger, Vergleichende Darstellung des lulherischen und reformirien Lehrbegriffs, Stuttgart, 1855. surtout t. u. p. 12-134 que ces premières tendances n’ont fait que se développer dans les âges suivants.

Le principal point de divergence porte sur l’essence même de l’acte justificateur. Tandis que les luthériens s’en tiennent à la stricte imputation, il est frappant que les réformés éprouvent le besoin de dire, d’après Rom., ii, 2, que le jugement divin est et doit être secundum vcrilatem. C’est-à-dire qu’il suppose une réalité correspondante, et cette réalité n’est autre que notre union au Christ déjà réalisée. Imputalio non dénotât fictionem mentis et opinionem, sed vertim justumque judiciiim, dit Rodolph. Judicium Dei de fidelibus in communione justitiæ jam constituas vocatur justificatio. précise Melchior.Hulsius va jusqu'à parler d’une justice qui nous est inhérente : Cerlum est, cum justificatur, eum non esse peccalorem in statu peccati, sed fidelem et consequenter justum justitia inhwrente. Schneckenburger. ]>. 15-16 ; cf. p. 64.

A. Ritschl, op. cit., p. 295-305, s’est appliqué àréduire ces textes et autres semblables. Mais ils ont été retenus et augmentés par Dortenbach. art. Sùnden vergebung, dans Realencyclopadie, l re édit., 1802, t. xv, p. 237-239. (Cet article n’a pas' été conservé dans les éditions suivantes.) Il est à remarquer avec Schneckenburger, p. 23-24, que ces expressions n’apparaissent que dans les exposés sereins et ceci en explique la rareté, tandis que la polémique contre l'Église les ramène au pur système luthérien.

En conséquence, plusieurs réformés admettent que nous sommes justifiés, non pas per /idem, mais propter /idem. Schneckenburger, p. 78-79. Ce qui les conduit à écarter la fides fiducialis pour donner le premier rang à la croyance et à la receplio ipsins Christ i qui en est l’acte spécifique. Mastricht, ibid., p. 97. Pour eux, la foi est un mouvement de l'âme tout entière et comprend déjà l’amour. Heidegger et Marck, ibid., p. 1 13114. Ainsi une certaine régénération morale est à la base de la justification : elle en devient surtout le terme, parce que les bonnes œuvres y sont plus nettement réclamées, soit, d’un point de vue subjectif, comme signe de la foi, ibid., t. i. p. 38-74, soit, du point de vue objectif, comme condition du salut. Ibid. p. 74-94 ; cf. t. ii, p. 90-91.

Conformément à l’esprit des xxxix articles, les théologiens anglicans sont particulièrement aflirmatifs sur les œuvres et l’on a pu dire de Cranmer, par exemple, que i dans le fond, si ce n’est dans la forme, il adhère à la doctrine de la justice infuse. » Grensted. op. cit.. p. 250.

Du moment que ces tendances, dont l’importance a pu être exagérée mais dont la réalité n’est pas niable, apparaissent en plein règne d’une orthodoxie particulièrement rigide, on peut prévoir qu’elles se montreront plus actives quand le concours de diverses causes aura fait perdre à l’ancien dogmatisme le meilleur de son crédit.

II. ÉVOLUTION DU PROTESTANTISME UODBRNb. — En matière de justification comme ailleurs, il ne reste depuis longtemps que le souvenir des symboles pri mitil’s et de la théologie qui les commenta. L'édifice de l’orthodoxie protestante était a peine construit qu’il menaçait ruine et ne pouvait survivre qu’au prix des plus profonds remaniements.

l° Dissolution de l’orthodoxie. - Nombreuses et diverses sont les causes qui précipitèrent la dissolution de l’orthodoxie si laborieusement édifiée et tout d’abord si fidèlement maintenue.

1. l’ii’tismc.

Par réaction contre la sécheresse du

protestantisme officiel, se forma de bonne heure un

-courant de mysticisme, dont J. Arndt fut l’initiateur, voir 1. 1, col. 1983-1984, Spener le théologien, et qui est Allé se développant à travers les xviiie et xixe siècles. Voir A. Ritschl. op. cit., p. 347-363 et 588-606. On y prônait la vie intérieure et l’union avec le Christ comme étant la marque du vrai christianisme et, pour les alimenter, on ne craignait pas de revenir aux sources et aux pratiques de la piété médiévale. Cette tendance ne pouvait que se répercuter sur la doctrine de la justification au détriment du vieux dogme protestant. L’importance de ce mouvement ressort de la grande place qu’il tient dans V. Gass, Geschichte der prot. Dogmatik, t. ii, p. 374-499, et t. iii, p. 12-104.

Un adversaire orthodoxe, G. Thomasius, Christi Person und Werk, t. ii, p. 458, marque en ces termes la principale influence de cette école. « On y mettait sur la vivacité et l’activité de la for un accent tel qu’il pouvait sembler que ce n’est plus la foi comme telle, mais la pénitence qui l’accompagne et la charité qu’elle contient qui serait l’élément justificateur. » « Plus on attache d’importance à l’effort subjectif de la foi, écrit de son côté A. Ritschl, op. cit., p. 363, plus il -apparaît clairement que le jugement divin qui prononce notre justification n’est que la consécration de la valeur représentée par cette foi. » En conséquence, les théologiens de cette école, Schwenkfeld, Weigel, Bôhme, Dippel et, en Angleterre, les Quakers, s’élèvent contre la conception d’une justice imputée et la veulent remplacer par une régénération spirituelle dont le Christ serait en nous l’auteur. Voir Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, p. 459-477. Cf. A. Ritschl, op. cit., p. 360-362.

2. Rationalisme.

Tandis que le piétisme ressuscitait dans les âmes la mystique catholicisante d’Osiander, l’école de l’Au/klârung ramenait les intelligences au rationalisme de Socin. Elle refusait à la vie et à la mort du Christ toute valeur satisfactoire et ramenait toute son œuvre rédemptrice à la vertu d’un exemple. Baur, op. cit., p. 478-530, et Ritschl, p. 363-419. L’imputation de ses mérites était dès lors sapée par la base et le salut ne pouvait plus être dû qu’à nos efforts personnels, sauf que la miséricorde divine veut bien nous tenir compte d’une foi encore imparfaite comme si elle répondait à toutes les exigences de sa loi. Renchérissant encore, Kant ne voit plus dans le dogme ecclésiastique que l’expression symbolique de ce qui se passe dans l’ordre moral, où le premier mouvement de la liberté vers le bien, parce qu’il est un signe et un principe de régénération, compte déjà pour la vie dont il contient la promesse. Baur, op. cit., p. 575-580, et Ritschl, op. cit., p. 438-459.

Sous son action s’est formée, avec Flatt, Staiidlin, Tieftrunk, Sùskind, toute une école de théologie rationaliste, dont Wegscheider est resté le plus important docteur. Voir F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, t. ii, 2e édit., Paris, 1888, p. 2830. o Le principe que nous sommes justifiés par la foi et non par les œuvres n’y a plus d’autre sens que celui-ci : c’est que Dieu ne regarde pas à nos actions isolées, mais à l’ensemble de notre intention morale, pour laquelle l’homme devient l’objet du bon plaisir divin, et cela dans la mesure où il devient moralement plus parfait. » Thomasius, op. cit., p. 458. Cf. Ritschl, op. cit., p. 477-478.

3. Libéralisme.

Cette crise de moralisme rationaliste, où tout disparaissait du surnaturel chrétien, a suscité par réaction ce mouvement complexe, où semble revivre l’esprit du piétisme mais privé de ses bases dogmatiques, et qui, sous le nom de libéralisme, domine tout le protestantisme contemporain.

Soit qu’il s’agisse, avec Schleiermacher, de la conscience du renouvellement intérieur qui accompagne Ja conversion, Baur, op. cit. p. 635-638, et Ritschl,

| op. cit., p. 531-538, ou, avec Ritschl, du sentiment que Dieu qui est un père plein d’amour est tout prêt à nous accueillir malgré nos péchés si, de notre côté, nous sommes disposés à travailler à l’œuvre de son règne, la justification n’est plus qu’un phénomène subjectif. Sur la doctrine de ce dernier, voir Die christliche Lehre von der Rechtlerligung und Versôhnung, t. iii, p. 84183 ; résumé en français par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891, p. 111139.

Aussi la doctrine classique de l’imputation y est-elle l’objet d’une critique en règle. Ritschl, op. cit., t. iii, p. 84-90 ; cf. p. 60-61 et 255-256. La justification ne saurait être qu’une modification de nos états de conscience, qu’on s’efforce de rattacher plus ou moins vaguement à l’œuvre du Christ. Voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 213-222, et Gass, op. cit., t. iv. p. 435649.

De bonne heure, le subjectivisme libéral a été importé en France. Auguste Sabatier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904. p. 253403, et Eugène Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921, spécialement t. i, p. 15-34, 259-263, 282-285 ; t. ii, p. 16-50, 390-408 ; t. iii, p. 487491 ; t. iv, p. 109-112 ; t. v, p. 182-183, en fuient d’illustres et très écoutés propagateurs. Quoi qu’il en soit des nuances qui distinguent leur pensée, ils sont d’accord pour ramener la foi à un sentiment de religieuse confiance et tous les libéraux souscriraient sans doute à la formule par laquelle Ménégoz entend concilier saint Jacques et saint Paul, op. cit., t. iv, p. 49 : « à savoir que Dieu accorde le salut à tout homme qui lui consacre sincèrement son cœur. »

4. Critique historique.

Le même auteur a écrit, op. cit., t. iii, p. 148, que « la grande ennemie de l’orthodoxie…, c’est l’histoire. » Lui-même oppose volontiers l’enseignement de Jésus à celui de ses disciples et de saint Paul lui-même, t. ii, p. 405-407, à plus forte raison à celui des Églises, t. iii, p. 489-491. Cette arme redoutable est, depuis quelque temps surtout, dirigée avec une particulière insistance contre la citadelle de l’orthodoxie.

Au cours de pamphlets célèbres, publiés en 1873 puis en 1891, P. de Lagarde en dénonçait crûment les points faibles. La doctrine de la justification, d’après lui, n’est pas l’Évangile, mais une petite découverte paulinienne due à l’esprit judaïque de l’Apôtre. Même dans saint Paul, ce n’est pas la seule ni la plus profonde manière de résoudre la question du rapport de l’homme avec sa dette de péché. Elle n’a pas été non plus le principe fondamental de la Réforme et aujourd’hui elle est entièrement morte dans’les Églises protestantes. Et cela avec raison. Car les doctrines de la justification et de l’expiation sont des mythes qui ne sont acceptables qu’à condition d’admettre le vieux dogme de la Trinité : ce qui n’est plus le cas pour personne aujourd’hui. Ueber einige Rcrliner Theologen et ivas von ihnen zu lernen ist, Gœttingue, 1897, p. 104-108. Cf. Deutsche Schriflen, Gœttingue, 1886, p. 58. On dirait que, depuis lors, divers auteurs ont pris à tâche de réaliser les diverses parties de ce programme agressif.

Des historiens de l’Église ont contesté que la justification ait été le centre de la Réforme et joué un rôle. capital dans son histoire. W. Dilthey, Gesammelte Schri/len, Leipzig, 1914. t. ii, p. 211, cf. p. 157, et J. Haller, Die Ursachen der Re/ormalion, Tubingue, 1917, p. 42. Plus graves étaient les coups portés par les exégètes au rôle joué par elle dans les origines chrétiennes. Déjà Weizsàcker ne lui accorde plus qu’un rang secondaire dans le développement de la pensée de saint Paul. Das aposlolische Zeitalter, 2e édit., Fribourg-en-B. , 1892, p. 138-139. Wrede ne lui attribue

plus d’autre valeur que celle d’un moyen pour échapper au judaïsme, tandis que la vraie conception paulinienne serait la doctrine de l’esprit et de la vie nouvelle dont il est le principe. Tous ceux qui tiennent à l’influence des religions de « mystères » se rangent à sa suite.

Ainsi seraient définitivement détruites par l’histoire les bases du vieux dogme et le péril paraît assez grand aux tenants de l’orthodoxie pour qu’ils éprouvent le besoin de s’en préoccuper. Voir K. Holl, Die Rechtfertigungslehre im Licht der Geschichte des Protestantismus, 2e édit., Tubingue, 1922, p. 1-3.

Transformation de l’orthodoxie.

Sous le coup

de ces attaques diverses, l’orthodoxie n’est pas restée sans défense : mais pour cela elle n’a pas dû tarder à s’établir de plus en plus loin du terrain primitif.

1. Restauration des anciennes formules.

A la dissolution croissante du dogme il était naturel que ses défenseurs cherchassent tout d’abord à opposer le rempart des anciens foimulaires et de la théologie qu’ils avaient inspirée. C’est ainsi que la première moitié du xix° siècle a vu renaître en Allemagne une orthodoxie de stricte observance, voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 295-314, dont le nom le plus brillant est Ern. Sarlorius, avec son petit livre souvent réédité Lie Lehrc von der heiligen Liebe, 1844. Voir sur lui Ritschl, op. cit., p. 638-640. Déjà plus souples, les théologiens de la génération suivante s’en tiennent encore aux ioimules classiques du luthéranisme, interprétées et vivifiées à l’aide de l’expérience religieuse. Lichtenberger, op. cit., t. iii, p. 149-209. Le plus marquant de tous est G. Thomasius, qui, après avoir rappelé l’autorité dogmatique des symboles ecclésiastiques, Bas Bekenntniss derevang. lutherischen Kirche, Erlangen, 1.S48, entreprit d’en développer systématiquement le contenu dans son grand ouvrage : Cluisli Person und Werk, 1e édit., 1852-1861 ; 3e édit., 18861888. Il y distingue formellement la sanctification de la justification, laquelle est un premier acte, d’ordre proprement juridique, où Dieu nous impute les mérites du rédempteur, et qui ne demande pas d’autre condition que la foi. La vie nouvelle dans le Christ survient ensuite comme conséquence. Voir t. ii, p. 405-493. Sur les tendances de Thomasius et de son collaborateur Philippi, voir Ritschl, op. cit., p. 641-644, et. sur l’ensemble de l’école orthodoxe, Gass, op. cit., t. iv, p. 80-179.

En France également, le mouvement du Réveil, qui se produisit au début du xix° siècle, fut marqué par une dévote fidélité aux formes les plus strictes de l’ancienne orthodoxie. « La justiiication et la sanctification ne sont plus présentées comme les deux laces distinctes d’un même fait moral qui ne saurait Être absolument scindé ; mais elles sont entièrement séparées, si bien que le salut est complet avant même que l’œuvre de rénovation ait commencé. » Ce qui plaçait les apôtres du Réveil, en dépil de toutes leurs bonnes intentions, "sur la pente de l’antinomisme l Géologique ». Edm, de Pressensé, Essai sur le <h><jme de lu Rédemption, Paris, 1867, p. 45-46.

Le même auteur rapporte pour la Suisse un témoignage de Vinet, qui dénonçait dans l’antinomisme « l’une des faiblesses de notre Réveil ». et signale < la même tendance dans l’école évangélique anglaise. * « Vous pouvez, écrivait le 1 tév. Read, Le sang <I. Jésus, p. 3(i, par le pardon de imis mis péchés obtenir à tout instant la paix avec Dieu, attendu que VOUS n’avez pour cela ni à vous repentir, ni à faire la moindre chose, ni à attendre, niais qu’il vous suffit simplement de croire. Ibid., p. M. Cꝟ. 1 '>. l’ozzj, Histoire du dogme de la Rédemption, Parts, 1868, p. 109, après E. Guers, Le Sacrifice de christ, Genève, 1867, p. 84. 1 Jl ne faut évidemment pas se presser de voir un sys tème arrêté dans ces formules de prédicateurs. Elles n’en montrent pas moins combien tendait à se simplifier, aux dépens de la vie morale, la doctrine officielle de la justification par la foi.

2. Essais de formules nouvelles. — D’autres besoins n’allaient d’ailleurs pas tarder à surgir qui feraient éclore un peu partout des formes nouvelles d’orthodoxie. Rien n’est plus difficile que de s’orienter à travers une littérature particulièrement touffue et il faut résister à la tentation d’y chercher des courants uniformes ou universels. Mais on peut y relever quelques manifestations assez saillantes pour montrer à quel point les défenseurs du surnaturel chrétien tournent le dos au dogme périmé de leur Église et retrouvent, sans peut-être le vouloir ni le savoir, la grande voie de l’enseignement catholique traditionnel.

a) Allemagne. — Ici comme ailleurs, c’est de l’Allemagne qu’est venue l’impulsion.

Déjà un orthodoxe rigide comme E. W. Hengstenberg voulait synthétiser les doctrines de saint Paul et de saint Jacques, puisqu’elles se trouvent toutes deux dans le canon, et, avec le vieux piétisme, restituer sa place dans la justification à l’amour repentant. Voir ses articles sur l’Épître de saint Jacques, dans Evangelische Kirchenzeitung, 1866, n. 92-94, col. 1097-1129, et sur la pécheresse, ibid., 1867, n. 23-26, col. 265-303. Cf. ibid., n. 47-48, col. 553-575. On consultera sur lui Ritschl, op. cit., p. 644-646 et K. Holl, op. cit., p. 44.

Une impulsion plus forte et plus efficace dans ce sens fut imprimée à la théologie allemande par J. T. Beck de Tubingue, dont on a résumé la doctrinedans les propositions suivantes : « a) La justification n’est pas un fait déclaratif ou forensique se passant en Dieu, mais un effet se réalisant en l’homme, b) La justification n’est pas un fait initial, mais consécutif à la sanctification, c) La justification n’est pas un fait absolu ou seulement continu, mais progressif au même titre (lue les deux autres actes du salut, la sanctification et la glorification. » Où l’on reconnaît à bon droit « la tradition représentée tour à tour par saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et Osiander. » A. Grétillat. Expose de théologie systématique, Paris, 1890, t. IV, p. 376. Pour plus de détails, voir du même auteur Beck et sa doctrine de la justification, dans Revue de théologie et de philosophie, 1884, t. xvii, p. 5-30 et 144-181. Cf. Ritschl, op. cit., p. 630-632. Sur la controverse provoquée par ces doctrines, voir E. T. Gestrin, Die Rechtfertigungslehre des Professoren J. T. Beck, etc. Berlin, 1891, p. 88-122.

De semblables principes inspirent l’école dite de conciliation, où l’on veut, avec Tholuck, que la justification soit « une déclaration conforme à la vérité » et, avec Nitsch, que « la conversion et la justification deviennent vraies dans la mesure où grandit la sanctification. » Or ces vues ont rallié en Allemagne un nombre toujours plus grand de théologiens. A..Malter. art. Justification, dans F. Lichtenberger, Enci/cl. des sciences religieuses, t. vii, p. 571. Les plus modernes se réclament à la lois de la Bible, de l’expérience et de Luther pour identifier cette justification et cette sanctification que l’ancienne orthodoxie s’appliquait à séparer. Voir Jellinghaus, Das vôllige, gegenwartii/c llcil durch Chriatus, 5’édit., 1903 ; E. Rietschel, Lutherische Rechtfertigungslehre oder moderne, Jleiligungslehre, 1009 ; B. Steffen, Das Dogrna von Kreuz, t.ulersloh, 1920, p. 168-174.

b) Suisse et l’rancc. — Ces doctrines ont aussi pénétré dans la théologie de langue faneaise.

Le principal initiateur à eel égard lut Alexandre Vinet. Voir de lui La grâce et la lui. dans Etudes rruugéllquts, 2e édit., Paris, 1861, p. 287-805, où l’ontrouv » un plaidoyer pour la doctrine de saint Jacques, et, à l’adresse de « ceux qui réclament à grands cris les »

œuvres, » un développement psychologique d’où il appert que la foi est « une œuvre aussi, la première des œuvres, l’œuvre des œuvres pour ainsi dire…, un acte qui contient tous ceux qu’il faut faire, qui exclut tous ceux dont il faut s’abstenir. » p. 300. Cf. J. F. Astié, Les deux théologies nouvelles, Paris, 1862, p. 277-280.

En France, Edm. de Pressensé a consacré son éloquence et sa piété à la défense des mêmes conceptions. Pour lui, l’appropriation du salut réclame 1’ « assimilation au Christ, » autrement dit un « douloureux travail de sanctification. » Sans doute cette appropriation se fait par la foi. s Mais cette foi justifiant ; est déjà sanctifiante, elle implique la renonciation au mal et l’entrée dans une voie nouvelle ; elle est repentir et amour, et, par conséquent, elle a été précédée par des actes libres, par des déterminations de volonté. > Op. cit., p. 105-106. Il est vrai que l’auteur tient à se distinguer du concile de Trente en ce que « cette régénération commencée » est seulement un « moyen pour nous de saisir sérieusement le sacrifice parfait de la rédemption. » Mais, dès là que ce moyen est « le seul », autant dire qu’il a une valeur causale et, s’il subsiste encore des différences avec la doctrine catholique, comment n’être pas plutôt frappé des convergences réelles qui tendent à s’établir sous la diversité des mots ? La foi qui justifie, pour M. Jean Monod, est pareillement « la foi vivante qui porte en elle le principe des bonnes œuvres. » Encycl. des sciences religieuses, art. Foi, t. v, p. 7.

En Suisse, un exégète de grand crédit, Fréd. Godet, ne veut pas non plus entendre parler d’une opposition entre saint Paul et saint Jacques. Éludes bibliques, Paris, 1874, t. ii, p. 255-260. Pour les concilier, il distingue « la justification d’entrée », dont parlerait saint Paul et qui s’obtient par la seule foi, de la justification finale, qui comporte les œuvres et à laquelle s’attache saint Jacques. Ibid., p. 260-267. Ainsi s’établirait « la vérité simultanée des deux formules. » D’autant que l’œuvre, pour Jacques, est « celle qui est accomplie en état de foi, » et que, « aux yeux de Paul, l’élément actif de l’âme, la volonté, est compris dans la notion de la foi, » c’est-à-dire que « l’œuvre émane spontanément de la foi dans laquelle elle est virtuellement renfermée comme la conséquence dans son principe » et qu’il n’y a de foi efficace que « celle de la conscience embrassant l’homme complet et opérant par la volonté. » Ibid., p. 265-267. Voir du même auteur le Commentaire sur l’Épîlre aux Romains, Paris, 1879, t.. i. p. 311-130.

Tout en critiquant cette distinction d’une double justification, op. cit., t. iv, p. 4Il et 417-419, Aug. Grétillat ne laisse pas d’en tenir compte, puisque les œuvres doivent intervenir dans l’appréciation de la personne morale au jugement, p. 422. Pour sa part, il se rallie sans doute à la « doctrine de l’imputation », p. 388. et tient, en conséquence, que « la justification est un acte déclaratif ou forensique résidant en Dieu et non pas un effet se réalisant en l’homme, » p. 392. Tous traits, semble-t-il, de la plus scrupuleuse orthodoxie protestante. Cependant cette justification, à son sens, doit avoir, non seulement unellet négatif ou rémission des péchés, mais un effet positif, qui est de « réhabiliter l’homme dans son droit primitif, fondé d’ailleurs comme tout droit de l’homme sur la grâce divine qui l’a institué et qui le restitue : le droit de filiation, » d’où suit le libre accès auprès du Père et « la réceptivité rendue à l’homme pour tous les dons de Dieu, p. 400. La justification ainsi conçue s’obtient par la foi ; néanmoins cette foi se traduit par « une appropriation personnelle de la justice de Christ, » p. 403, c’est-à-dire, en somme, par « une œuvre », p. 413, mais qui tire sa valeur de l’objet qu’elle s’approprie et dont le Christ qui en est le terme supplée l’imperfection,

p. 416-417. Dans le moule des anciennes formules un esprit nouveau, ou, plus exactement, le vieil esprit catholique, n’est-il pas évidemment jeté ?

<) Angleterre. — On retrouverait la même tendance chez de notables représentants de l’anglicanisme moderne, sauf qu’en général l’attachement aux formulaires du xvi 1’siècle y est moins prononcé. Voir, par exemple, J. Macleod Campbell, The nature of the alonemenl, l re édit., 1855, cité d’après la 6e édit., Londres, 1906, p. 80-92 et 333-310 ; R. V. Monsell, The religion of Rédemption, l re édit., 1866, cité d’après l’édition populaire, Londres, 1901, p. 219-254 ; J. Scott Lidgett, The spiritual principle of the atonemenl, Londres, 1897, p. 398-409 ; R. C. Moberly, Alonemenl and personalitg, Londres, 1907, p. 136-153 et 277-285 ; J. Denney, The Christian doctrine of reconciliation, Londres et NewYork, 1918, p. 286-332 ; P. L. Snowden, The atonement and ourselues, Londres, 1919, p. 191-264. D’aucuns mêmes deviennent nettement agressifs à l’égard de l’ancienne orthodoxie : tels l’évêque Forbes, qui, au cours d’une explication des trente-neuf articles, dénonce la 8 grave erreur » commise par Luther dans son insistance sur la justification forensique et l’inutilité des œuvres. A cette doctrine classique une autre est opposée, qui présente la justification comme a certain supernatural change. « Changement » qui consiste en ce que « nous sommes rétablis dans la grâce de Dieu, en ce que nos péchés nous sont remis et nos âmes renouvelées. » Exposé dont on a pu dire avec raison « que le retour au point de vue romain y est incontestable. » Grensted, op. cit., p. 268-269. D’une manière générale, la caractéristique de la théologie récente, ibid., p. 363, serait que « la justification, quelque distincte qu’elle puisse être en stricte logique de la sanctification, ne peut pas, en fait, être séparée d’elle sans devenir une abstraction sans valeur. »

Ce n’est pas, bien entendu, que les théologiens protestants de toutes confessions et de tous pays renoncent à la justification par la foi, qui fut le mot d’ordre de la Réforme, et ne S2 fassent, en général, de cette formule une arme contre les doctrines romaines. Mais, pour tout observateur impartial, l’examen objectif des faits montre cjue ces polémiques portent à faux et que les anciens vocables conservés par habitude recouvrent un tout autre contenu. Déjà signalé par Môhler, Neue Unlersuchungen, 1872, p. 216, ce fait est reconnu par des protestants eux-mêmes. « On est en droit de publier ouvertement que, dans la conscience protestante aujourd’hui régnante, la direction semipélagienne du dogme catholique est plus sensible que la conception de la Réforme dans son austère majesté. D’où il est arrivé que les théologiens protestants de nos jours, et de ceux qui s’estimaient les porteurs du pur luthéranisme, ont présenté comme la foi justifiante celle-là précisément qui agit dans l’amour, conformément au concept scolastique de la fides formata, et l’ont opposée à un prétendu dogme catholique de la justification par les bonnes œuvres. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, 7e édit., Leipzig, 19d(i, p. 2(51-262. « La théologie croyante moderne ne peut pas s’empêcher de reconnaître que sa doctrine de la justification est substantiellement d’accord avec la conception romaine et mystique. » Fr. Ad. Philippi, Kirchliche Glaubenslehre, Stuttgart, 1867, t. v, p. 203. Cf. R. Bartmann, Lehrbuch der Dogmalik, Fribourgen-B. , 2e édit., 1911, p. 482-483.

Ainsi, pour le dogme de la justification comme pour celui de la rédemption qui en est la base, voir J. Rivière, op. cit., p. 498-548, c’est à rencontre de leurs symboles les plus officiels et dans le sens de la tradition de l’Église toujours méconnue que, par la force des choses, s’orientent aujourd’hui les théologiens pro

testants qui veulent rester fidèles à l’esprit chrétien. Sur cette < réforme silencieuse », voir les conclusions du Dr K. Krogh-Tonning, Die Gnadenlehre und die stille Re/ormalion, Christiania, 1894, p. 45, 61-62, 72-84.