Dictionnaire de l’économie politique/Économie politique

Texte établi par Charles Coquelin, Gilbert-Urbain GuillauminGuillaumin (Tome premierp. 643-670).

ÉCONOMIE POLITIQUE. I. Réflexions préliminaires. Dans un Dictionnaire tel que celui-ci, il semble que l’article Économie politique doive former le point central ou culminant de tout l’ouvrage. Il en serait ainsi peut-être si nous voulions rassembler sous ce mot les considérations de divers genres qui recommandent l’étude de la science économique à tous ceux qu’elle intéresse, et faire ressortir les nombreux avantages qu’on en peut recueillir. Il en serait de même encore si, à propos du mot Économie politique, nous voulions toucher a tous les sujets que la science embrasse, soit pour en relever l’importance, soit pour en montrer la liaison.

Mais les considérations de ce genre trouveront mieux leur place dans une introduction, placée en tète de cet ouvrage, et écrite seulement lorsque, la publication étant parvenue à son terme, l’œuvre apparaîtra tout entière, avec son magnifique ensemble, aussi bien qu’avec la richesse et la variété de ses détails. La tâche que nous nous proposons ici, quoique bien importante encore, est plus modeste. Nous voulons essayer de définir l’économie politique, de lui donner un point de départ et une formule, d’en déterminer le caractère et l’objet, et d’en marquer autant qu’il est possible l’étendue et les limites.

On se tromperait toutefois sur la nature d’un tel travail, si l’on croyait qu’il pût s’exécuter en quelques lignes. Il n’est pas aussi facile qu’on serait tenté de le croire d’abord de donner de l’économie politique une définition exacte, ou du moins une définition satisfaisante et à laquelle tous les adeptes de la science puissent se rallier. Bien des auteurs l’ont tenté, à commencer par Adam Smith, et aucun ne paraît y avoir réussi. Quel que puisse être, en effet, le mérite de certaines définitions précédemment données, il est constant que pas une jusqu’à présent n’a été acceptée sans conteste. Il est même arrivé plusieurs fois, et ceci paraîtra plus grave, que ceux qui les avaient fournies ont pris soin de les démentir ou de les rectifier eux-mêmes dans toute la suite de leurs ouvrages. Disons mieux : il n’y a pas une seule de ces définitions à laquelle son auteur soit demeuré lui-même fidèle dans la manière dont il a conçu et traité son sujet. C’est ce qui a fait dire à quelques-uns des derniers venus dans la science que l’économie politique était encore à définir.

« Dût-il en rougir pour la science, dit M. Rossi, l’économiste doit avouer que la première des questions à examiner est encore celle-ci : Qu’est-ce que l’économie politique, quels en sont l’objet, l’étendue, les limites ?[1] » Il n’y a point à rougir, selon nous, d’être encore obligé de poser une telle question, quand on se rend compte des difficultés naturelles qu’elle présente ; mais il faut convenir avec M. Rossi qu’elle attend encore une solution. Un écrivain belge, M. Arrivabene, a signalé cette vérité, dans une introduction aux premières leçons de M. Senior, en termes bien plus pressants que ceux dont se sert M. Rossi, déplorant amèrement le vague, l’obscurité, l’incohérence, l’insuffisance surtout des définitions hasardées par les maîtres de la science, et appelant à grands cris une formule plus satisfaisante et plus nette. Pour mettre, d’ailleurs, le fait en évidence, nous allons rapporter quelques-unes des définitions fournies par ceux des économistes auxquels on accorde communément le plus d’autorité.

Adam Smith a été généralement très sobre de définitions. Il en donne cependant ça et là quelques-unes, et voici notamment comment il caractérise ou définit, dans le cours de son ouvrage, la science même dont il s’occupe : « L’économie politique, considérée comme une branche de la science d’un homme d’État ou d’un législateur, se propose deux objets distincts : 1o de procurer au peuple un bon revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se les procurer lui-même ; et 2o de pourvoir à ce que l’État ou la communauté ait un revenu suffisant pour les charges publiques. Elle se propose d’enrichir en même temps le peuple et le souverain[2]. » Sans discuter sur le mérite relatif de cette explication, nous ferons remarquer seulement qu’elle se rapporte beaucoup moins à une science qu’à un art, quoique l’idée d’une science y soit mise en avant et que le mot soit prononcé. C’est, en effet, une série de préceptes que l’auteur semble annoncer, ce qui constituerait bien un art, et non point un exposé ou une explication de certains phénomènes naturels, ce qui peut seul constituer une science. Dans le fond, sinon dans la forme, la définition d’Adam Smith se rapproche assez de celle qui a été donnée par J.-J. Rousseau, au mot Économie politique, dans l’Encyclopédie du dix-huitième siècle. On sait cependant à quel point Adam Smith s’est éloigné de J.-J. Rousseau, non dans les conclusions seulement, mais surtout dans la manière d’envisager son sujet. Sa définition diffère, au contraire, profondément, on va le voir, de celle de J.-B. Say, qui a marché sur ses traces et envisagé la science comme il l’avait fait lui-même.

C’est en tête de son Traité, et comme titre même à ce Traité, que J.-B. Say a donné sa principale définition de l’économie politique, celle qu’on reproduit le plus souvent. Traité d’économie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses. Quoi qu’on puisse penser de cette formule, elle est au moins fort supérieure à celle d’Adam Smith, en cela surtout qu’elle donne l’idée d’une véritable science, et non plus seulement d’un art, puisqu’elle annonce un exposé ou une explication de certains phénomènes offerts à notre observation. Mais cette formule est-elle vraiment satisfaisante et sera-t-elle définitive ? Assurément non. On peut discuter encore sur la nature des phénomènes qu’elle offre aux études de l’économiste, aussi bien que sur l’étendue du champ qu’elle ouvre à son exploration. On le peut d’autant mieux que, sur ce dernier point surtout, J.-B. Say n’est pas demeuré toujours d’accord avec lui-même. Dans la formule qu’on vient devoir, il semble renfermer l’économiste dans l’étude des faits matériels relatifs à la production et à la distribution des richesses ; mais ailleurs, dans son Cours notamment, il fait rentrer dans son domaine tous les faits relatifs à la vie sociale. « L’objet de l’économie politique, dit-il, semble avoir été restreint jusqu’ici à la connaissance des lois qui président à la formation, à la distribution et à la consommation des richesses. C’est ainsi que moi-même je l’ai considérée dans mon Traité d Économie politique. » « Cependant, ajoute-t-il, on peut voir dans cet ouvrage même que cette science tient à tout dans la société, qu’elle se trouve embrasser le système social tout entier[3]. »

On pourrait ajouter que, dans d’autres parties de ses ouvrages, J.-B. Say définit encore l’économie politique tout autrement qu’il ne l’a fait dans son Traité et dans son Cours. On a cité, par exemple, la phrase suivante empruntée aux notes manuscrites qu’il a laissées après sa mort. « L’économie politique est la science des intérêts de la société, et comme toutes les sciences véritables, elle est fondée sur l’expérience, dont les résultats, groupés et rangés méthodiquement, sont devenus des principes, des vérités générales. » Mais il est évident que ceci est moins une définition qu’une qualification, de la nature de celles que tout écrivain a le droit de semer dans le cours de ses ouvrages, pour faire ressortir la grandeur et l’importance du sujet dont il s’occupe.

Selon M. de Sismondi : « Le bien-être physique de l’homme, autant qu’il peut être l’ouvrage de son gouvernement, est l’objet de l’économie politique, w Nous voici bien loin de la définition première de J.-B. Say. D’abord, nous sortons de la science et nous retombons dans l’art ; car, selon cette formule, l’économie politique ne doit être qu’une série de préceptes destinés à édifier les gouvernements sur la manière d’assurer le bienêtre physique des hommes : c’est donc un art, une branche de l’art de gouverner. Très restreint à un certain point de vue, puisque les gouvernements seuls peuvent l’exercer, cet art est, à d’autres égards, sans limites assignables ; car quels sont les actes d’un gouvernement qui ne se rapportent plus ou moins au bien-être physique de l’homme.

Selon M. Storch : « L’économie politique.est la science des lois naturelles qui déterminent la prospérité des nations, c’est-à-dire leur richesse et leur civilisation. » Plus acceptable que celle de M. de Sismondi, en ce qu’elle donne au moins l’idée d’une science, cette définition est encore bien imparfaite. Les lois naturelles qui déterminent la prospérité des nations présentent une idée, selon nous, trop complexe, et dans tous les cas bien vague ; et, quant à la civilisation, elle embrasse certainement, dans son expression générale, des choses dont l’économiste, en tant qu’économiste, n’a pas à s’occuper.

On ne trouve dans Malthus ni dans Ricardo rien qu’on puisse considérer comme une définition précise de l’économie politique. On peut en donner pour le dernier cette raison, que, dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, il n’a pas embrassé la science dans son ensemble, s’étant borné, comme il l’annonce lui-même dans sa préface, à déterminer les lois qui règlent la distribution des revenus entre les diverses classes de la société. On peut cependant augurer de ces paroles mêmes que, s’il avait eu à définir 1 la science d’une manière générale, il l’aurait définie à peu près comme l’avait fait J.-B. Say dans son Traité.

Quant à M. Rossi, après avoir discuté et repoussé tour à tour toutes les définitions données avant lui, il n’en donne, absolument parlant, aucune autre à la place. Il se borne à dire qu’il y a un certain ordre de phénomènes relatifs à la richesse qui ne se confondent avec ceux d’aucun autre ordre, et que c’est là précisément ce que la science économique doit étudier. L’économie politique est donc purement et simplement à ses yeux, comme il le dit expressément ailleurs[4], la science de la richesse. Aussi pense-t-il que, sauf l’étrangeté des mots, on pourrait appeler les économistes chrysologues, chrématisticiens ou divitiaires, sans qu’ils y trouvassent rien à redire.

Nous pouvons borner là cette revue. Elle suffit pour montrer combien la définition de la science économique, ou la formule générale qui l’embrasse tout entière, est encore loin d’être définitivement fixée.

Maintenant, faut-il rougir de cette incertitude, comme a paru le croire M. Rossi ? Faut-il en gémir, comme l’ont fait M. Arrivabene et quelques autres écrivains ? Nous ne le pensons pas. Une science ne dépend pas de la définition qu’on en donne ; elle ne se règle pas sur cette formule arbitraire, qui peut être plus ou moins heureuse, plus ou moins exacte ; au contraire, c’est la formule qui doit venir après coup se modeler pour ainsi dire sur la science même telle qu’elle existe. Tant pis pour les écrivains qui cultivent une certaine branche des connaissances humaines, s’ils n’ont pas su encore en saisir la donnée générale, ît revêtir cette donnée d’une expression heureuse ; nais cela n’altère en rien le fond des vérités qu’ils Mit à mettre au jour.

« Une science, dit J.-B. Say, ne fait de véritables progrès que lorsqu’on est parvenu à bien déterminer le champ où peuvent s’étendre ses recherches et l’objet qu’elles doivent se proposer[5]. » Il y a sans doute un côté vrai dans cette assertion. Oui, il est bon, peut-être même nécessaire, que l’objet d’une science et le cadre qu’elle embrasse soient convenablement déterminés ; mais il est pas absolument nécessaire que cette détermination résulte des définitions hasardées par les auteurs ; il suffit qu’elle résulte de la nature même de leurs travaux. Or il se peut très bien que la nature de ces travaux soit au fond la même pour tous, tandis que les définitions diffèrent ; chacun de ces auteurs ayant été amené, par une sorte de sentiment instinctif, à se renfermer dans un certain ordre de phénomènes, sans pouvoir ensuite se rendre compte à lui-même de l’objet précis de ses recherches, ni mesurer exactement le champ qu’il vient de parcourir. Et c’est, en effet, ce qui arrive. On vient de voir combien, en ce qui touche à la définition de la science, les auteurs que nous avons cités s’écartent les uns des autres, et cependant le fond de leurs travaux est toujours le même. Qui ne sait qu’il en est ainsi par rapport à Adam Smith et J.-B. Say ? Il n’en est pas autrement pour tous les autres, malgré quelques légères différences en plus ou en moins dans l’étendue du cercle qu’ils embrassent.

Autre chose est sentir ou rendre, concevoir ou définir. S’il est quelquefois fort difficile de revêtir une seule pensée d’une expression juste ou d’une formule convenable, la difficulté est bien plus grande quand il s’agit de renfermer dans une seule formule tout un vaste ensemble d’idées et de faits. Il n’est pas étonnant que beaucoup d’écrivains échouent dans cette tâche, en ce sens que les définitions qu’ils donnent ne soient après tout que des traductions plus ou moins infidèles de leurs propres conceptions. J.-B. Say avoue qu’il en est ainsi par rapport à lui-même, puisqu’il reconnaît que, son Traité a franchi de toutes parts, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les limites tracées par sa définition. Et cependant il est peut-être de tous les économistes celui qui soit demeuré le plus fidèle à la formule qu’il avait adoptée. Il y aurait bien plus à reprendre à cet égard dans Adam Smith et dans M. de Sismondi. À voir, par exemple, la manière dont ce dernier définit la science, on croirait qu’il va se borner, comme l’avait fait J.-J. Rousseau, à tracer les règles que les gouvernements doivent suivre par rapport aux intérêts matériels des peuples ; et cependant il s’occupe, comme, l’ont fait tous les économistes depuis Quesnay, Turgot et Adam Smith, de l’échange, de la division du travail, de l’accumulation et de l’épargne, de la production et de la distribution des richesses, des lois qui règlent la valeur des choses, de celles qui déterminent le taux des salaires, le taux des profits, etc., etc. ; toutes choses dans lesquelles les gouvernements n’ont rien ou presque rien avoir. Tant il est vrai que sa définition n’est qu’une erreur, et une erreur sans conséquence ; une formule mal choisie mais vaine, et qui n’influe en rien sur le caractère réel de ses travaux.

Il serait pourtant fort désirable, nous en convenons, qu’on trouvât pour l’économie politique une définition plus satisfaisante que celles qui ont été données jusqu’à présent, une formule à la fois plus compréhensive et plus nette, où la science se reflétât pour ainsi dire tout entière dans quelques mots. La trouvera-t-on cette formule ? Peut-être. Sans nous flatter d’y parvenir dès à présent, nous allons essayer du moins de mettre sur la voie, en déterminant autant que possible l’objet réel que ta science se propose et l’étendue de son domaine.

Mais une première question est à résoudre, celle de savoir si l’économie politique appartient à la catégorie des sciences, ou seulement à la catégorie des arts. On a pu voir déjà, par ce qui précède, que cette question n’est pas oiseuse : elle l’est d’autant moins, que la distinction à faire entre la science et l’art ne paraît pas généralement comprise.


II. À quel ordre de travaux appartient l’économie politique ? Est-ce une science ? Est-ce un art ?


« Un art, dit M. Destutt de Tracy, est la collection des maximes ou préceptes pratiques dont l’observation conduit à faire avec succès une chose quelle qu’elle soit ; et une science consiste dans les vérités qui résultent de l’examen d’un sujet quelconque[6]. » L’art consiste donc dans une série de préceptes ou de règles à suivre ; la science, dans la connaissance de certains phénomènes ou de certains rapports observés et révélés. Il ne s’agit pas ici, on le comprend, d’examiner lequel des deux, de l’art ou de la science, est supérieur à l’autre ; ils peuvent avoir des mérites égaux, chacun à sa place ; il s’agit uniquement de montrer en quoi ils diffèrent quant à leur objet et à leur manière de procéder. L’art conseille, prescrit, dirige ; la science observe, expose, explique. Quand un astronome observe et décrit le cours des astres, il fait de la science ; mais quand, ses observations une fois faites, il en déduit des règles applicables à la navigation, il fait de l’art. Il peut avoir également raison dans les deux cas ; mais son objet est différent, aussi bien que sa manière de procéder. Ainsi, observer et décrire des phénomènes réels, voilà la science : dicter des préceptes, prescrire des règles, voilà l’art.

L’art et la science ont souvent entre eux, on le conçoit, d’étroites liaisons, en ce sens surtout que les préceptes de l’art doivent autant que possible dériver des observations de la science ; mais ils n’en sont pas moins différents. Tous les jours cependant on les confond. Tel qui travaille à l’édification d’un art lui donne emphatiquement le nom de science, croyant par la donner une plus haute idée de la rectitude de ses préceptes. C’est notamment le faible des médecins d’appeler la médecine une science. Ils se trompent pourtant quant à l’emploi des mots. La médecine, fut-elle aussi sûre de ses prescriptions qu’elle l’est peu, ne serait toujours qu’un art[7], l’art de guérir, puisqu’elle consiste en une collection de règles applicables à la guérison des maladies humaines. Mais l’anatomie est une science ; la physiologie est une science, parce que l’anatomie et la physiologie ont toutes les deux pour objet la connaissance du corps humain, qu’elles étudient, l’une dans sa contexture, l’autre dans le jeu de ses organes.

M. Rossi avait bien saisi cette distinction entre la science et l’art, quoiqu’il en ait fait abus, en la confondant mal à propos avec celle que l’on fait assez communément entre la théorie et la pratique[8]. « À proprement parler, dit-il, la science n’a pas de but. Dès qu’on s’occupe de l’emploi qu’on peut en faire, du parti qu’on peut en tirer, on sort de la science et on tombe dans l’art. La science, en toutes choses, n’est que la possession de la vérité, la connaissance réfléchie des rapports qui découlent de la nature des choses… » Voilà bien, sous une autre forme, la pensée si justement exprimée par M. Destutt de Tracy.

La distinction ainsi bien posée entre la science et l’art, nous avons à nous demander maintenant auquel de ces deux ordres d’idées l’économie politique appartient. Est-ce une collection de préceptes, une théorie d’action, ou bien un ensemble de vérités puisées à l’observation de phénomènes réels ? Enseigne-t-elle à faire, ou explique-t-elle ce qui se passe ? En d’autres termes, est-ce une science, est-ce un art ?

Il ne faut pas hésiter un seul instant à répondre que, dans son état actuel, l’économie politique est à la fois l’un et l’autre ; c’est-à-dire que, dans la direction des travaux et des études économiques, on donne encore aujourd’hui un nom commun à des choses qui pourraient et devraient être distinctes. Il est sensible, en effet, que dans les travaux des maîtres, dans les traités généraux composés depuis Adam Smith, il se rencontre un très grand nombre d’observations vraiment scientifiques, c’est-à-dire qui n’ont pas d’autre objet que de faire connaître ce qui se passe ou ce qui est. On peut même dire que là les observations de ce genre dominent. Mais les avis, les préceptes, les règles à suivre s’y rencontrent aussi très fréquemment. L’art s’y mêle donc constamment avec la science. Mais c’est bien autre chose dans la foule de ces traités spéciaux, ou de ces dissertations particulières, qui ont pour objet de résoudre certaines questions relatives à l’industrie, au commerce, ou à l’administration économique des États ; questions d’impôt, de crédit, de finance, de commerce extérieur, etc., etc. Là, C’est toujours l’art qui domine. Les conseils, les préceptes, les règles à suivre, toutes ces choses qui appartiennent essentiellement au domaine de l’art s’y pressent les unes sur les autres, tandis que les observations vraiment scientifiques y apparaissent à peine de loin en loin. Et cependant tout cela porte Indifféremment le nom d’Économie politique. Tant il est vrai que ce nom appartient encore aujourd’hui à deux ordres de travaux très différents.

Nous sommes loin de nous plaindre ni de trouver étrange qu’on cherche à tirer des vérités scientifiques, une fois bien observées et bien déduites, des règles applicables à la conduite des affaires humaines. Il n’est pas bon que les vérités scientifiques demeurent stériles, et la seule manière de les utiliser, c’est d’en déduire un art. Il y a, nous l’avons déjà dit, entre la science et l’art des liens étroits de parenté. La science prête à l’art ses lumières, elle rectifie ses procédés, elle éclaire et dirige sa marche. Sans le secours de la science, l’art ne peut marcher qu’à tâtons, en trébuchant à chaque pas. D’un autre côté, c’est l’art qui met en valeur les vérités que la science a découvertes, et qui sans lui demeureraient stériles. Il est presque toujours aussi le principal mobile de ses travaux. L’homme n’étudie que rarement pour le seul plaisir de connaître ; il veut en général un but d’utilité à ses travaux, à ses recherches, et ce but, c’est par l’art seul qu’il le remplit.

Avec tout cela, qui ne voit à combien de titres ces deux choses diffèrent ? Entre une vérité découverte par l’observation, et une règle déduite de cette vérité en vue d’une application quelconque, la distance est grande : l’une appartient a la nature, à Dieu ; l’homme ne fait que la découvrir et la constater ; l’autre est le fait même de l’homme, et il y reste toujours quelque chose de lui. Tout est absolu dans les données scientifiques ; elles sont vraies ou fausses, il n’y a pas de milieu ; c’est-à-dire que le savant a bien ou mal observé, bien ou mal vu ce qu’il rapporte. Il existe, il est vrai, des données incomplètes, exactes d’un côté, inexactes de l’autre ; mais alors même le côté vrai est vrai, le côté faux est faux, sans qu’on puisse admettre de tempérament ni de milieu. Au contraire tout est relatif dans les règles ou les procédés de l’art. Comme il s’y mêle toujours quelque chose de l’homme, ils ne sauraient prétendre à l’infaillibilité ; ils sont donc toujours susceptibles de plus ou de moins entre ces deux limites extrêmes : le vice radical et la perfection absolue. Enfin les vérités scientifiques sont immuables, comme les lois de la nature dont elles ne sont que la révélation ; tandis que les prescriptions de l’art sont variables, soit en raison des besoins qu’elles ont en vue, soit en raison des vue » changeantes des applicateurs.

Il y a d’autant plus lieu d’insister sur la distinction que nous venons d’admettre, que si la science et l’art ont souvent un grand nombre de points de contact, il s’en faut de beaucoup que leurs rayons et leurs circonférences soient Identiques. Les données fournies par une science peuvent quelquefois être utilisées par bien des arts différents. Ainsi la géométrie, ou la science des rapports de l’étendue, éclaire ou dirige les travaux de l’arpenteur, de l’ingénieur, de l’artilleur, du navigateur, du constructeur de vaisseaux, de l’architecte, etc. La chimie vient en aide au pharmacien comme au teinturier, et à un grand nombre de professions industrielles. Qui pourrait dire aussi combien d’arts différents mettent à profit les données générales de la physique ? Réciproquement, un art peut s’éclairer des données fournies par plusieurs sciences ; et c’est ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, que la médecine, ou l’art de guérir, consulte à la fois les données de l’anatomie, de la physiologie, de la chimie, de la physique, de la botanique, etc.

À tous égards donc, il faut distinguer l’art de la science, et marquer nettement la ligne qui les sépare. C’est ce qu’on a bien su faire dans certaines branches des connaissances humaines, ou dans certaines directions de nos travaux. Les mathématiciens, par exemple, distinguent avec soin les mathématiques pures, ou la science proprement dite, de ses diverses applications. Autant en font les physiciens et les chimistes. Et la distinction n’existe pas seulement dans les livres, elle se traduit même dans l’enseignement, où l’étude de la science et celle des arts qui en relèvent ont des sièges différents. C’est ainsi que l’École polytechnique est, s’il est permis de le dire, le sanctuaire de la science pure. C’est au sortir de là seulement que les élèves vont, chacun dans sa direction, étudier l’art auquel ils devront appliquer les notions scientifiques qu’ils ont acquises.

Ce qu’on a si bien fait dans tant d’autres directions de nos études, il serait à souhaiter qu’on l’eût fait aussi dans l’ordre des études et des travaux économiques. Mais, il faut bien le reconnaître, il n’en est pas ainsi jusqu’à présent. Les travaux d’art et les études scientifiques y demeurent encore, sinon entièrement mêlés, au moins confondus sous une dénomination commune. On a essayé quelquefois, à ce qu’il semble, d’en faire la séparation, en donnant, par exemple, à certains travaux qui appartiennent spécialement à l’art, le nom d’Économie publique, pour les distinguer des autres. Mais ces tentatives, mal dirigées et faites le plus souvent sans une vue bien nette du résultat à obtenir, n’ont pas abouti jusqu’à présent, en sorte qu’à l’heure qu’il est, dans l’ordre des études économiques, l’art et la science demeurent encore mêlés et confondus[9].

D’où vient pourtant cette confusion ? Elle vient d’abord de la jeunesse de la science, qui n’a pas encore eu le temps de se dégager de l’art ou des arts qui en relèvent. Elle vient aussi, dans une certaine mesure, de l’intérêt pressant et toujours actuel des matières que la science économique embrasse, intérêt qui n’a pas permis à ceux qui l’étudiaient de s’abstraire assez dans la contemplation des vérités scientifiques, pour négliger, même momentanément, les déductions artistiques, c’est-à-dire les maximes d’application qu’ils eu pouvaient tirer. L’économie politique a été un art avant d’être une science, et l’étymologie même de son nom l’indique ; bien plus, avant d’être un art, c’est-à-dire avant d’être formulée en maximes générales et en préceptes, elle a été entre les mains des gouvernants une pratique aveugle. Telle est, du reste, la marche ordinaire des travaux humains. Dans l’ordre logique, la science précède l’art, qui n’est ou ne doit être qu’une déduction de la science ; et l’art précède la pratique, qui ne doit être qu’une application plus ou moins exacte des règles générales de l’art. C’est la marche ordinairement suivie dans nos écoles, où l’on procède logiquement. Mais dans l’ordre historique les choses vont autrement : elles s’y présentent généralement en sens inverse. Là, c’est la pratique qui précède l’art, et l’art qui précède la science. Cela est vrai de presque toutes les branches de nos connaissances, et particulièrement de celles qui nous intéressent le plus. Pressé d’agir, parce qu’il a besoin d’agir, l’homme va d’abord droit à l’action, à la pratique, sans trop raisonner ce qu’il fait et sans autre guide que son instinct. C’est plus tard seulement que, redressant et corrigeant, à l’aide d’un peu d’expérience acquise, les erreurs de cette pratique, il se fait des règles ou des maximes générales qu’il érige en art ; et c’est plus tard encore que l’idée lui vient de corriger les erreurs de cet art même, à l’aide d’une étude scientifique du sujet qu’il a en vue. Il y a eu des médecins avant qu’il y eût un art de guérir : on procédait alors au hasard, inspiré le plus souvent par une superstition aveugle ; et l’art de guérir, fondé d’abord sur une certaine expérience acquise, a précédé de bien loin l’anatomie, la physiologie, la thérapeutique, c’est-à-dire la connaissance scientifique du sujet sur lequel on voulait opérer et des remèdes qu’on employait pour le guérir. On a bâti des huttes avant d’assujettir à des règles l’art de bâtir ; et l’art de bâtir a été assujetti à des règles, sinon écrites, au moins transmises de bouche en bouche, avant qu’on lui eût donné pour base les sciences mathématiques et physiques. Ainsi a procédé l’économie politique. Les gouvernements les plus anciens ont fait, comme le dit très bien M. Blanqui dans son histoire, de l’économie politique pratique à leur manière, longtemps avant de savoir ce qu’ils faisaient, ou de pouvoir se rendre compte du résultat de leurs mesures. Plus tard, on a essayé de se rendre compte de ces résultats à l’aide de l’expérience acquise, et avec ces données de l’expérience, bien ou mal comprises, on a constitué un art. Sully et Colbert en étaient là. Ce n’est qu’en dernier lieu, enfin, qu’on s’est pris à étudier scientifiquement le sujet, c’est-à-dire l’industrie générale sur laquelle on avait à opérer.

Or ce dégagement de la science économique est tout récent, il date à peine du milieu du dernier siècle. C’est, en effet, l’école de Quesnay qui a tenté la première de constituer dans cet ordre d’idées une science véritable ; il n’y avait eu jusque-là que des observations éparses, et le succès définitif n’appartient même qu’à Adam Smith. Il n’est donc pas bien étonnant que cette science, à peine née d’hier, n’ait pas su encore se dégager entièrement des étreintes de l’art du sein duquel elle est sortie.

Quoi qu’il en soit, nous avons voulu et dû constater que, sous ce nom général d’Économie politique, on comprend aujourd’hui deux genres de travaux très différents de leur nature, quoique tendant à bien des égards vers les mêmes fins. Il nous a paru d’autant plus important de signaler cette confusion, qu’elle est, selon nous, la véritable cause de l’incohérence que l’on remarque dans les définitions de la science, des écarts auxquels elle est sujette dans sa marche, et de l’espèce de désordre qui règne presque toujours dans ses débuts. Essayerons-nous pour cela d’opérer dès à présent entre la science et l’art une séparation plus nette, en leur imposant des noms différents ? non ; il nous a suffi de marquer nettement la distinction : le temps et une meilleure intelligence du sujet feront le reste.


III. Idée première ou conception générale de la science économique. Les faits industriels offrent-ils matière à la formation d’une véritable science ?


On se demandera sans doute, avec un certain étonnement, comment la science économique a pu tarder tant à naître ; comment on a pu faire si longtemps de l’économie politique en action, sans en venir à étudier méthodiquement, scientifiquement, le sujet même sur lequel on avait à opérer. Cet étonnement cessera peut-être si l’on considère la nature intime d’une science et le point de vue où les hommes se placent en toutes choses avant que sa lumière ait apparu.

Une science ne consiste pas seulement dans la connaissance de certains faits extérieurs, apparents et isolés les uns des autres ; car c’est abuser des mots que de donner le nom de science à une simple collection de faits. Elle consiste bien plutôt dans la connaissance des rapports qui lient ces faits entre eux et des lois qui les régissent. Il faut une liaison, un enchaînement, dans les phénomènes qu’elle relève et qu’elle observe, et c’est la connaissance de cet enchaînement qui forme sa principale étude. Un assemblage incohérent de faits sans connexion suffit peut-être pour former le bagage d’un érudit, mais cela ne constituera jamais une science. L’astronomie ne mériterait pas ce nom, si elle se bornait à remarquer et à désigner un à un les astres qui errent dans les déserts de l’espace ; elle n’en devient digne que du moment où elle se rend compte des mouvements de ces astres et de la constance de leurs évolutions. Pareillement, dans toutes les autres branches des connaissances humaines, il ne suffit pas pour constituer une science de relever des faits ; il faut pouvoir signaler les rapports constants qui les unissent et les lois générales qui les gouvernent.

Mais pour se porter à l’étude des lois qui régissent certains phénomènes, la première condition c’est d’en soupçonner au moins l’existence ; c’est de croire que ces phénomènes ne sont pas dominés par le hasard et qu’il existe entre eux quelques rapports constants. Or, en toutes choses, la première impression des hommes, quand ils n’ont pas encore soumis les faits à une observation assidue ou à une patiente analyse, c’est de n’y voir que les jeux d’un hasard aveugle. Ils n’en viennent que très tard à soupçonner que ces faits puissent être soumis à un certain ordre ; et c’est alors seulement que l’idée leur vient d’en étudier les lois.

Qu’on se représente l’homme ignorant et grossier des premiers âges. Pour lui tous les phénomènes de la nature sont désordonnés et capricieux. De quelque côté qu’il porte ses regards, il ne voit partout que des accidents sans cause, des faits sans liaison et sans rapport. S’il contemple le ciel, il croit y voir les étoiles semées au hasard comme les chardons dans la plaine. Dans tout ce qui le frappe, il ne voit que les jeux d’un hasard aveugle, à moins qu’il n’y suppose l’influence mystérieuse de quelque puissance occulte. Plus tard, à mesure qu’il s’éclaire, les phénomènes naturels se rangent à ses yeux, au moins ceux d’un certain ordre, il remarque la constance de leurs rapports, il les voit soumis à certaines règles, il y reconnaît des lois. Mais toujours, même dans la suite des temps et dans les siècles de lumières, la première impression des hommes est la même par rapport aux faits qu’ils n’ont pas encore observés. S’ils en viennent donc si tard, dans quelques-unes de leurs directions, à étudier les lois naturelles qui régissent les phénomènes, c’est qu’antérieurement ils n’avaient pas même soupçonné qu’il y eût là des lois naturelles à étudier.

On peut en voir un exemple remarquable dans ce qui s’est passé par rapport aux faits géologiques. Pourquoi la géologie, cette science si intéressante et si belle, a-t-elle apparu si tard dans le monde ? Était-il impossible de la découvrir et de l’étudier plus tôt ? Les anciens étaient-ils incapables de cette étude plus que ne l’ont été les modernes ? Non : les faits géologiques ne sont pas de la nature de ceux qui se dérobent à des regards attentifs, ou qu’il faille chercher très loin. Les anciens pouvaient les découvrir et les analyser comme nous, et ils y avaient d’ailleurs un intérêt presque égal. Cette analyse supposait, il est vrai, quelques autres études préalables ; mais ces études ils pouvaient, sans trop de peine, ou les faire eux-mêmes ou y suppléer. Pourquoi donc ne l’ont-ils pas fait ? Uniquement, à ce qu’il nous semble, parce qu’ils ne supposaient pas même qu’il y eût là, dans les entrailles de cette terre que nous foulons, de belles lois naturelles à étudier. Pendant bien des siècles, les hommes ont vécu sur cette idée, que la terre dont ils occupent la surface n’est dans son composé qu’une masse informe et confuse, rudis indigestaque moles, dont les matériaux sont entassés pêle-mêle, sans ordre et sans lois. Ils ne soupçonnaient donc pas qu’il y eût là aucun ordre à constater, aucune étude scientifique à faire, et voilà pourquoi ils n’ont pas même eu la pensée de l’essayer.

Il en a été de même par rapport à l’industrie, sur laquelle on a longtemps nourri des idées pareilles. On ne se doutait guère, dans les temps anciens, ni même au moyen âge, que dans le monde industriel, centre des faits économiques, dans ce foyer du travail alors placé si bas, il y eût un ordre quelconque à constater. À la première vue, tout y paraissait livré aux tiraillements des volontés contraires. On n’y apercevait qu’une combinaison désordonnée d’éléments hétérogènes, une sorte de mêlée confuse, rudis indigestaque moles ; et comment aurait-on conçu la pensée de chercher là des règles, des principes, des lois, tout ce qui constitue le bagage ordinaire d’une véritable science ? En toute chose, il faut le répéter, le premier pas vers l’édification d’une science, c’est la pensée que les éléments de cette science existent, et cette pensée même n’avait pas encore surgi. Elle n’a pu naître que bien plus tard, lorsque, à force de s’occuper, du point de vue gouvernemental, de l’industrie, dont on commençait à comprendre l’importance et la grandeur, on y a remarqué, presque malgré soi, tantôt dans une voie, tantôt dans une autre, la régularité de ses mouvements et la constance de ses rapports.

Et comment s’étonner qu’il en ait été ainsi dans le passé, quand on voit qu’aujourd’hui même, après les travaux de Quesnay, d’Adam Smith et de ses successeurs, tant de gens se prennent encore à méconnaître cet ordre industriel que la science a déjà constaté ?

Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre des hommes de quelque valeur, assez instruits d’ailleurs sur d’autres points, proclamer hautement que l’industrie est livrée au désordre, à l’anarchie. Tel est, en général, le mot d’ordre de ces écoles dites socialistes que nous avons vues surgir en si grand nombre depuis plusieurs années. Le monde industriel, disent-elles toutes les unes après les autres, est abandonné au conflit des volontés individuelles, qui s’y croisent, qui s’y entre-choquent dans un pêle-mêle affreux. Nulle trace d’organisation et d’ordre. Toute règle est absente du cercle où l’industrie s’agite, et le hasard seul y conduit tout. De là toutes les sectes socialistes concluent assez naturellement qu’il faut à ce monde industriel une organisation quelconque imposée d’en haut. C’est ainsi qu’elles se mettent, à l’envi les unes des autres, à dresser leurs plans d’organisation sociale, et que chacune propose le sien.

Si les prémisses de ce raisonnement étaient justes, s’il était vrai que l’industrie, dans son état actuel, fût livrée à l’anarchie, qu’il n’y eût en elle aucune trace d’organisation et d’ordre, certes l’économie politique, considérée comme science, aurait peu de chose à faire ; elle n’aurait pas même sa raison d’être. Cela ne suffirait pas pour nous faire adopter, ni même discuter sérieusement aucun de ces plans d’organisation qu’on nous propose, persuadés que nous resterions toujours qu’il n’appartient à aucune intelligence humaine de régler d’une manière seulement tolérable tant d’intérêts et de travaux divers ; mais cela suffirait pour nous faire conclure, tout au moins, que la Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/686 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/687 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/688 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/689 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/690 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/691 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/692 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/693 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/694 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/695 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/696 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/697 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/698 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/699 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/700 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/701 et sans regret. Il eût voulu pouvoir donner à l’économie politique un autre nom plus convenable, et il l’eût fait sans doute s’il n’avait pas craint de donner le chance au public sur le caractère réel de ses travaux. Le nom qu’il eût adopté dans ce cas eût été celui d’Économie sociale, ou de Physiologie sociale, ainsi qu’il l’a énoncé lui-même à plusieurs reprises.

Cette dernière dénomination nous paraîtrait à nous la plus convenable, si elle ne devait pas donner lieu à de fâcheuses méprises. Le mot Physiologie serait à tous égards bien approprié à la science économique, puisqu’elle a pour objet d’expliquer le jeu des organes naturels de l’industrie. Quant au mot sociale, il ne lui conviendrait qu’autant qu’il serait bien expliqué et bien compris que ce mot se rapporte à la grande société humaine, à cette sorte d’association universelle que les rapports industriels créent entre les hommes, et nullement à la société politique, qui n’est qu’une fraction de cette grande société. Au reste, on a tant abusé du mot social dans ces dernières années, on l’a fait servir de manteau à tant d’imaginations folles, à tant de doctrines anti-sociales, anti-humaines, qu’il sera peut-être nécessaire pendant longtemps d’en éviter l’emploi dans tous les travaux sérieux.

M. Fr. Skarbek a intitulé son traité : Théorie des richesses sociales, autre nom de l’économie politique, moins acceptable que ceux qu’on vient de voir, et qu’après tout ce qui précède nous n’avons pas besoin de discuter.

Quand on a créé au Conservatoire des arts et métiers, à Paris, une chaire d’économie politique, occupée d’abord par J.-B. Say et maintenant par M. Blanqui, on l’a appelée chaire d’Économie industrielle. C’était peut-être, dans la pensée des fondateurs, un moyen de déguiser jusqu’à un certain point l’objet de cette institution ; car il semble que l’économie politique n’ait jamais été en bonne odeur auprès des pouvoirs en Fiance. Cependant, Il est permis de croire qu’on a voulu aussi, en adoptant un tel nom, donner à entendre que, dans cette chaire, l’enseignement de la science économique devrait être plus particulièrement approprié aux besoins des populations auxquelles il était spécialement destiné. Placé dans un quartier éminemment industriel, le Conservatoire des arts et métiers est surtout fréquenté par des ouvriers, des artisans, des industriels pratiques. On a cru sans doute que l’enseignement de la science devait y prendre une couleur particulière, appropriée à la localité. C’est en ce sens que le professeur y interprète sa mission.

Quoi qu’il en soit, ce nom d’Économie industrielle, officiellement imposé à une chaire publique, emprunte à cette circonstance une certaine valeur, une certaine autorité. Il a déjà servi de titre à un ouvrage rédigé sur les premières leçons de M. Blanqui par deux de ses disciples. (V. ci-après.)

Quelques hommes étrangers à la science ont encore prétendu imposer à l’économie politique le nom de Chrématistique, ou d’autres noms plus étranges encore. Mais ces dénominations mal sonnantes n’ont jamais été prises au sérieux par aucun économiste, ni même par le public.

Quel que soit, au reste, le mérite relatif ou absolu de quelques-unes de celles que nous venons de passer en revue, aucune n’a pu prévaloir jusqu’à présent sur celle qu’un long usage a consacrée. Après tout, si incorrecte que cette dernière puisse être, quand on la considère dans son sens étymologique, peut-être vaut-il mieux s’y tenir, au moins quant à présent. Il est toujours dangereux, quand il s’agit d’une science cultivée par tarît d’esprits et dans tant de lieux différents, d’altérer et de changer les dénominations reçues. Et qu’importe ici le sens étymologique ? Ce n’est pas la première fois qu’un mot est détourné, soit par l’usage, soit par l’altération même des choses auxquelles il se rapporte, de son sens primitif, et on ne voit pas que les hommes qui s’en servent se comprennent moins pour cela. S’il y a lieu plus tard de changer le nom que l’économie politique a porté jusqu’à présent, ce ne sera du moins que lorsque, les notions générales s’étant davantage vulgarisées et éclaircies, ce changement de nom sera d’avance préparé et en quelque sorte mûri

dans l’opinion publique.
Ch. Coquelin.
bibliographie.

Nous ne citons ici, dans cette bibliographie, que ceux des ouvrages économiques qui peuvent être considérés comme des traités, ou qui envisagent les questions générales et de doctrine. Quant à ceux qui n’embrassent que des questions spéciales, il faut les chercher dans les bibliographies des mots auxquels ces questions se rapportent. — Selon notre usage, nous avons suivi dans cette liste l’ordre chronologique.

Traité d’économie —politique, dédié au Boy et à la Beyne mère, par A. de Montchrestien sieur de Watteville. Rouen, <615, in-t.

Politische Diskurs von den eigentlichen Ursachen des Auf— und Âbnehmens der Slœdte, Lœnder und Republiken. — (Discours politiques sur les véritables causes des progrès ou de la décadence des villes, pays et républiques), par J.-J. Bêcher. Francfort, 4672, 6eédit., 1759. L’Économe politique, projet pour enrichir et perfectionner l’espèce humaine (anonyme), par J. Faiguet de Villeneuve. Paris, Moreau, (7G3, in-I2.

Une 2 e édition de cet ouvrage a paru en i767, augmentée de plusieurs dissertations intéressantes, dans l’une desquelles l’auteur propose la création de caisses d’épargne. La 2 e édition avait pour titre : L’Ami des pauvres ou l’Économie politique. Lehrbegriff sœmmllicher œconomischen und Kameral-Wissenschaflen. — (Traité des sciences économiques et administratives), par de Pfeiffer. Manheim, 17641778, 4 vol. in-8. Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, par J. Turgot. Novembre 1766 et 4788. La ( « édition est tirée des Ephémérides du citoyen. Voyez l’article Turgot. An inquiry inlo the principles of political Œconomy ; being an essay on the science of domestic policy in free nations. — (Recherches sur les principes de l’Économie politique, ou essai sur la science de la police intérieure des nations libres), par sir James Stevart. Londres, 1767, 2 vol. in-4. Traduit en françai » par de Senovert. Paris, Didot aîné, 1789, b vol. in-8. Exposition de la loi naturelle, par M. l’abbé Baudeau. Amsterdam cl Paris, Lacombe, 1767, in-)2. Physiocratie, ou constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, recueil de Traités du docteur Quesnay, publié par Dupont de Nemours. Lcyde et Paris, 1768, in-8. — Seconde partie : Discussion et développement de quelques notions dt l’Économie politique. L^ydoet. Paris, 1768, in-8 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/703 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/704 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/705 Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/706


  1. Deuxième leçon, Cours de 1836-37.
  2. Richesse des nations, liv. IV, introduction.
  3. Cours d’Écon. polit., p. 4.
  4. Cours de 1836-37, 2e leçon.
  5. Traité. Discours préliminaire.
  6. Éléments d’idéologie, IIe partie, introduction.
  7. On peut bien duc : les sciences médicales, parce que la médecine, l’art de guérir, s’éclaire de plusieurs sciences, particulièrement cultivées à son Intention l’anatomie, la physiologie, la pathologie, la thérapeutique, etc. ; mais ou ne peut pas dire la science de la médecine.
  8. La distinction très réelle que nous établissons entre la science et l’ait n’a rien de commun avec celle qu’on fait, à tort ou à raison, entre la théorie et la pratique. Il y a des théories d’art comme des théories de science, et c’est même des premières seulement qu’on peut dire qu’elles sont quelquefois en opposition avec la pratique. L’art dicte des règles, mais des règles générales, et il n’est pas déraisonnable de supposer que ces règles générales, fussent-elles justes, puissent se trouver en désaccord avec la pratique dans certains cas particuliers. Mais il n’en est pas de même de la science, qui n’ordonne rien, qui ne conseille rien, qui ne prescrit rien, qui se borne à observer et expliquer. En quel sens pourrait-elle jamais se trouver eu opposition avec la pratique ? Il y a, selon nous, dans le passage suivant de M. Rossi, une double erreur : « On a trop reproché à l’école de Quesnay son laissez-faire, laissez-passer. C’était la science pure. » Non, ce n’était pas la science pure, c’était, au contraire, de l’art, puisque, c’était une maxime, un précepte, une règle à suivre, et cela résulte de votre propre définition. Quant à la maxime en elle-même, quoiqu’elle soit susceptible comme toutes les règles générales, de beaucoup de restrictions dans la pratique, au lieu de dire, comme M. Rossi, qu’on l’a trop reprochée à l’école de Quesnay nous dirions qu’on ne l’a pas assez louée, parce qu’on ne l’a pas assez comprise. Mais nous y reviendrons.
  9. On peut s’en apercevoir dans ce Dictionnaire même, on les travaux des deux genres se croisent à chaque instant. Dans une publication comme celle-ci, nous croyons que ce mélange est à sa place : il n’en serait peut-être pas de même dans un traité. Dans tous les cas, les travaux de genres divers pourraient et devraient porter des noms différents.