Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Proprièté ecclesiastique

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 219-223).

PROPRIÉTÉ ECCLÉSIASTIQUE.

I. Origine et fondement de la propriété ecclésiastique.

II. Le droit de propriété de l’Eglise, spécialement en France. A. Ancien régime jusqu’à la Révolution de ÏJ89. — B. De ÎTS’J à la loi de séparation {1905). — C. Sous le régime de la séparation.

I. Origine et fondement de la propriété ecclésiastique. — Il est d’évidence que toute société, pour subsister, doit avoir quelques biens en commun. Le droit pour les associations en général de posséder dérive de leur droit d’exister, qui est incontestable. Les collectivités peuvent, tout aussi bien que les individus, être sujets du droit de propriété (Cbpsda, Eléments de droit naturel, traduct. française, p. 245). L’association formée parla communauté de croyance et de culte est tout spécialement placée dans la nécessité d’avoir des biens. Uue religion sans culte s’affaiblirait bientôt et serait sans empire sur des êtres qui ne sont pas de purs esprits. Il faut des ressources pour subvenir aux frais qu’entraîne un culte public (Portalis, Discours et travaux sur le Concordat, p. 4- — Affhe, Traité de la propriété des biens ecclésiastiques, chap. i. — CardinalGoussBT, Du droit de l’Eglise touchant la possession des biens destinés au culte). Historiquement il est démontré que les ministres des temples ont été, en tous lieux et à toutes les époques, entretenus par des contributions et des terres, que la libéralité des princes ou la piété des peuples leur avait attribuées. Cette coutumeest aussi ancienne que le genre humain (Thomassin, Discipline de l’Eglise, III, liv. I, ch. î). Depuis l’antiquité la plus reculée, les prêtres ont exercé le droit de propriété, en vue de leur entretien et des frais du culte (Onclair, De la Révolution et de la restauration des vrais principes sociaux, t. IV, p. 129).

Le fondement de cet usage dérive de la notion du domaine souverain appartenant à la divinité sur l’homme et sur tout ordre créé ; il se constate dès l’origine du monde. Les premiers hommes offraient à Dieu des fruits et le produit de leur travail (Gen., iv, 34). On trouve dans les livres de l’Ancien Testament l’éuiiméraliondes richessesdela tribu lévitique chez les Juifs (Xum., xxxv, 2, 5 ; Jos., xxi). La loi mosaïque attribuait aux prêtres la perception des (limes (Levit., xxviii, 30. — Fleury, Mœurs des Israélites, vin. — Pastorbt, Histoire de la législation, t. III, ch. 1 et xvi). L’antiquité païenne fournit de nombreux exemples de libéralités en faveur des templeset de leurs min istres. En Egypte, l^s prêtresjouissaient de grands privilèges et de revenus importants (Hérodotb, II, xxxvii. — Pastorbt, op. cit., tl.ch. xx. — Horoy, Des rapports du sacerdoce avec l’autorité civile à travers les âges, t. I, p. 34 et les notes).

César rapporte ojuelle était la condition privilégiée deïdruides chez lesGaulois (De liello Gallico, l, xiv). Dès la plus haute antiquité, la propriété sacerdotale avait place dans les institutions helléniques. Les temples jouissaient du produit des terres consacrées auxdivinité-i(XKNOPHON, Hellenic, I. — Platon, Des /ois, VI. — Horoy, op. cit., t. I, p. 157). L’ancien

droit romain mentionne l’existence de biens sacrés. Un passage de Cicbron nous apprend que la loi des Xll tables punissaitcomme parricide le ravisseur de ces biens (De I.egibus, II, § 11). Gaius indique une classe de choses qu’il appelle divini juris((’omm., U, § 2). Dans la législation romaine on remarque, à toutes les époques, des dispositions assurant le respect desres sac/ « e(FusTBL dbCoulanges, l.a Cité antique, liv. III, ch. vin).— On trouvera l’indication des nombreux textes relatifs à cette matière dans La Hivierrb, Des choses divini juris.y. aussi Darumberg, Diction, des antiquités, v° Bona templorum et les sources indiquées. — Willbms, Droit public romain, p. 3 10). Avec le christianisme, pénétra chez les Romains l’idée de charité et s’introduisit l’usage des fondations pieuses au profit des églises (Troplong, Influence du Christianisme sur le droit civil des Romains, p. 123). Le droit des Empereurs chrétiens contient de nombreuses dispositions relatives à la propriété ecclésiastique. L’Eglise chrétienne naissante ne pouvait échapper à cette nécessité de posséder des biens, le droit de propriété est lié à la liberté, il se confond avec le droit d’exister et de se conserver (v. dans la Revue trimestrielle, janvier 1882, une intéressante dissertation de Dom Chamard sur la propriété ecclésiastique). Ozanam, dans une étude sur les Riens de l’Eglise (Mélanges, t II, p. 331), invoque l’autorité des prophéties d’Isaïe, dont il cite plusieurs passages. Sans doute le divin Fondateur de l’Eglise a voulu naître et mourir pauvre ; il a enseigné à ses disciples la loi du détachement personnel (Matt., x, 9) ; mais il n’a jamais répudié, pour la société qu’il fondait, le droit de propriété(D. Chamard, op. cit., m). Lui-même recevait des offrandes et en disposait. S. Augustin voyait là l’origine du patrimoine de l’Eglise — cité par Ozanam (ubi, supra p. 545).

L’Evangile nous apprend que le collège apostolique possédait un fonds commun (Luc, viii, 3. — loan., xii, 29). Les disciples suivirent les exemples et les préceptes du Sauveur. Ils se contentaient du strict nécessaire pour eux-mêmes ; mais recevaient des ûdèles ce que ceux-ci versaient avec une pieuse libéralité pour le trésor de l’Eglise (Acl., 11, 4 > ; iv, 35 ; v, 1. 2). Les Apôtres revendiquaient ce droit de recueillir desbiens temporelsen retour des biens spirituels qu’ils avaient distribués (S. Paul, I Cor., ix, 4. !) Ces coutumes se développèrent dans l’Eglise et aboutirent à une organisation des ressources établie sur une plus large base. La fonction d’administrer les aumônes prit place dans les hiérarchie ecclésiastique dès ses débuts(D. Chamard, loc. cit.). L’histoire a enregistré les progrès de la formation du patrimoine de l’Eglise, au milieu des vicissitudes par lesquelles il plaît à la Providence de la faire passer (Gossblin, Pouvoir des Papes au moyen âge, surtout le chapitre sur les biens du clergé pendant les premiers siècles. — Introduction, § 3). De bonne heure, les chefs de l’Eglise cherchèrent à s’assurer des biens stables pour conserver à leur destination les temples et les lieux de sépulture. Il est prouvé qu’elle possédait des immeubles pendant les trois premiers siècles (Affrb, op. cit., ch. 1, § 1. — Allard, Histoire des persécutions, t. II, p. 9). Le christianisme se propagea assez rapidement à Rome (Ch vMi-AGNY, Les Césars, t. II, p. 14<> et suiv.). La légalité romaine et les édits des empereurs persécuteurs ne permettaient pas aux chrétiens de s’associer et déposséder collectivement. Les travaux de Rossi ont mis en lumière le mode légal employé par les communautés chrétiennes pour se réunir el posséder. Profitant de la faveur que la loi commune faisait aux tombeaux (Gaius, Institut., 11, § 8, D. De 427

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religiosis, xi, 8), et de la liberté laissée aux associations funéraires, les Eglises primitives prirent extérieurement la forme de collèges funéraires (Rossi, Roma Soterranea Cristiana, et le résumé intéressant donné par Nohthcotb ; v. aussi Allah », op. cit., t. II, ch. î et appendices A et B). Après Constantin la législation impériale sanctionne le droit de propriété de l’Eglise. On ne saurait ici suivre son développement chez tous les peuples où s’est établi le christianisme, ni exposer l’état actuel de l’organisation des biens ecclésiastiques, telle qu’elle résulte des différentes législations en vigueur. — La présente étude doit se borner à résumer le sujet, en ce qui concerne la France et, pour les autres pays, renvoyer à quelques ouvrages généraux : Horoy, /{apports du sacerdoce avec l’autorité civile à travers les âges. — Vbhing, Droit canon, trad. française p. Belet ; on y trouve un exposé sommaire de la situation de l’Eglise dans les divers pays, notamment en ce qui concerne l’exercice de son droit de posséder. — Le Régime des cultes en France et à l’étranger. Recueil de travaux publiés par la Société de législation comparée : i vol. paru (igio). Enfin les divers accords récemment passés entre le St. -Siège et certains pays ont été publiés dans les Nouvelles Religieuses et la Documentation catholique.

II. Le droit db propriété db I’Eglisb, spécialement

EN FRANCE

A. Ancien régime jusqu’à la Révolution de 1789. — L’organisation hiérarchique de l’Eglise commença en Gaule avec la prédication de la religion catholique (D. Ghamard, Les Eglises du monde romain, ch. m). C’est aux origines de notre histoire que remonte le patrimoine ecclésiastique sur notre sol. La charité des fidèles, les libéralités des rois et des princes ont, à travers les siècles, constitué les biens du clergé et des monastères. En ce qui concerne ces derniers, les peuples se sont montrés particulièrement généreux. Ils reconnaissaient les services rendus par les ordres religieux. Montalbmdbrt a rappelé, en une page inoubliable, les origines delà propriété monastique (Moines d’Occident, 1. 1, Introduction, p.cxxm). — Lespossessions immobilières et mobilières du clergé, soit séculier soit régulier, s’accrurent d’abord sans limite légale.

Mais les divers régimes politiques, les troubles intérieurs, les invasions des barbares, l’établissement de la féodalité, ne laissèrent pas cette possession paisible. Il faudrait refaire l’histoire de France, pour esquisser un tableau des états successifs de la propriété ecclésiastique, états sur lesquels tous les événements ont eu leur répercussion. Les calamités nationales, les guerres, les besoins du trésor public engagèrent les chefs des peuples à convoiter les richesses des Eglises. Déjà à l’époque carolingienne des spoliations avaient été consommées, qui se terminèrent par des transactions, une part des biens ecclésiastiques étant attribuée à l’entretien des milices (Lesnk, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. II).

Les Bvêques avaient donné en usufruit certaines terres à des clercs de leur choix. L’usage, pour ces derniers, lorsqu’ils étaient dispersés dans les campagnes, se répandit de recueillir les subsistances nécessaires là où ils exerçaient le ministère. Ce fut l’origine du bénéfice. Ces biens, nécessairement affectés à l’entretien des temples et aux besoins de la religion, devaient conserver leur destination ; ils étaient, en principe, inaliénables. Ceux qui les administraient et en jouissaient ne pouvaient les vendre ; cette indisponibilité des biens entre leurs mains les avait fait nommer gens de mainmorte. —

Le régime des bénéfices a tenu une grande placedans l’organisation de la propriété ecclésiastique depuis le moyen âge et pendant toute la durée de l’ancien régime. Il a varié et engendré parfois des abus (Dom Gréa, Des biens ecclésiastiques et de la pauvreté cléricale, igiâ. Extrait de la Revue pratique d’apologétique).

La royauté, dégagée du système féodal, voyait avec quelque envie les trésors dont le clergé était le gardien, et s’irritait aussi de l’obéissance qu’il rendait à un pontife étranger. De là l’esprit fiscal et ambitieux qui inspira un trop grand nombre des mesures prises contre la multiplication des gens et des biens de mainmorte sous l’ancienne monarchie.

Les souverains obtinrent du pouvoir pontifical le dixième des revenus, la liberté pour l’Eglise gallicane de faire des dons gratuits au trésor public (Flbury, //isf/f. du droit ecclésiastique). Les rois exerçaient le droit de Régale (voir ce mot), c’est-à-dire de pourvoir eux-mêmes aux bénélices pendant la vacance du siège et de percevoir une partie des revenus. Le concordat de Léon X supprima l’usage des élections capitulaires et attribua au roi la nomination des évoques, sous la réserve de l’acceptation du Souverain Pontife (Mgr Baudrillaht, Quatre cents ans de Concordat, et Dudon, ici même, art. Concordats). De l’antique usage qui attribuait à l’évêque la disposition detous les biens d’Eglise, il subsiste toujours quelque chose. L’autorité épiscopale s’exerçait sur la gestion de la propriété ecclésiastique. Si une partseulementdes revenusétait attribuée à l’évêque, mense épiscopale, il existait une mense capitula-ire distincte ; si l’administration du temporel des paroisses appartenait partiellement aux fabriques, l’évêque avait la haute main (Thomassin, De la discipline de l’Eglise, t. III ; — Affrb, Traité de l’administration des paroisses. Introduction). A côté de cela, le pouvoir civil se permit plus d’une entreprise sur le domaine ecclésiastique, et notre ancienne législation contient une série de mesures singulièrement restrictives des droits de l’Eglise : limitation de l’étendue des acquisitions, exercice abusif du droit de régale, abus aussi du droit de commande, c’est-à-dire administration d’une abbaye contiée par le roi à un personnage qui touchait les revenus sans résider, souvent même sans ètreengagé dans les ordres (Denisart, Collection de décisions nouvelles v’ « Communautés. Fabriques, Gens de mainmorte. — De Héricourt, Lois ecclésiastiques. — André, Cours de Droit canon, II, 270). Quoiqu’il en soit des abus constatés à la lin de l’ancien régime, des critiques auxquelles pouvait donner lieu la situation d’une portion de clergé des campagnes (de la Gorcb, Histoire religieuse de la Révolution française, t. I), de la perturbation et des conflits résultant des prétentions du pouvoir séculier, l’état des choses, au moment de la Révolution, justifie l’opinion exprimée par Taink : « Les biens de l’Eglise étaient à elle sans dommage pour personne » (Taink, Régime moderne, t. I, p. 229).

B. De 1789 à la Ici de Séparation. — Détruire au lieu de réformer, ce fut l’erreur fréquemment commise par les législateurs de la Constituante et par les gouvernements de l’époque révolutionnaire. En matière religieuse particulièrement, l’Assemblée mit fin à un ordre de choses bien des fois séculaire, à la suite d’une discussion deirteurée célèbre. Des opinions furent soutenues qui avaient leur inspiration dans les écrits des philosophes du s i p siècle,

renouvelant les idées des légistes qui avaient soutenu que toutepropriété appartenait à César (Affrb, De la propriété des biens ecclésiastiques, ch. 1, § 11). C’est dans l’Encyclopédie (article Fondations) que 429

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Mirabeau et Thouret puisèrent les éléments de leur argumentation pour tenter d’établir que les biens du clergé appartenaient à l’Etat, à la Nation. La thèse contraire l’ut cluqueminent soutenue, et la puissance oratoire de Mirabeau trouva d’éloquents contradicteurs, notamment l’abbé Maury. Le décret de l’Assemblée Constituante et ceux qui ont suivi méritent de lixer l’attention, ils ont créé un ordre nouveau, Us ont une importance capitale. On en trouvera un saisissant tableau tracé par M. IlHHW Biun dans une conférence à l’université catholique de Lyon, publiée parla fttvue catholique des Institutions et du Droit (tome XXVIII, p. ttg) s° « » s le titre : Là propriété ecclésiastique et tes lois révolutionnaires. Le principe voté le a novembre 1789 se formulait ainsi : ies biens ecclésiastiques étaient « mis à la disposition de la nation » et l’Assemblée ajoutait : « à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres » ; voilà la base du droit nouveau en matière de propriété ecclésiastique, droit qui a été en vigueur pendant tout le xix’siècle. Les biens dn clergé passaient à la Nation, celleci, en retour, s’engageait à pourvoir aux besoins du clergé (Chbnon, Histoire des rapports de l’Eglise et de l’Etat, du i* « nu XX* siècle, p. 175). Cette indemnité, qui a formé le budget des cultes, avait le caractère d’une dette, que Mirabeau a appelée

« une dette sacrée » (séance du 3 octobre 1789, 

Réimpression du Moniteur, t. I, p. lia). La loi constitutionnelle a reconnu cette dette : « Le traitement des ministres du culte, pensionnés élus ou nommés en vertu des décrets de l’Assemblée constituante, fait partie de la dette nationale » (Constitution de 1791, titre V, art. a). La Constitution républicaine du 4 novembre 18/ ( 8 n’était pas moins formelle ; on y pouvait lire (art. 7) : « Les ministres des cultes reconnus ont le droit de recevoir un traitement. <>

Ce régime nouveau, créé pour l’Eglise en France, le Pontife suprême, dans un esprit de grande condescendance, l’avait accepté. Parle Concordat conclu au début du xix* siècle, le Saint-Siège ratifia les faits accomplis. Cette convention intervenue entre le Pape Pie VII et le Gouvernement français est du 37 fructidor an IX. elle a été promulguée en France par la loi du 18 germinal an X. « Sa Sainteté, dill’article 17, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la Religion catholique, déclare que ni Elle ni ses successeurs ne troubleront les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés et que, en conséquence, la propriété de ces mêmes biens demeurera incornmutable entre leurs mains ou celles de leurs ayants cause. »

D’autre part, l’article 14 stipulait : « Le Gouvernement assurera nn traitement convenable aux évoques et aux curés dont les diocèses seront compris dans la circonscription nouvelle. » C’était le renouvellement et la confirmation de l’engagement pris par la Constituante, engagement quelque peu oublié pendant la tourmente révolutionnaire, mais non cependant formellement méconnu (v. décret du 3 ventôse an III art. il, sur les pensions). En ce qui concerne les immeubles nécessaires au culte, un article du Concordat (art. la) avait pris aussi un engagement :

« Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, 

paroissiales et autres non aliénées, nécessaires au culte, seront remises à la disposition des évêques. » C’estprinoipalement dans les dispositions des décrets du ?, o novembre 1809 et du 6 novembre 1 81 5 qu’il faut chercher la mise en œuvre des principes posés par le Concordat. L’Eglise avait cessé d’être propriétaire. La loi reconnaissait, comme personnes morales capables d’acquérir et de posséder,

seulement des institutions particulières et isolées tenant de l’Elut lenrpersonnalité.Cesétai>lissenients, quant à l’administration et à la disposition de leurs biens, étaient considérés comme des mineurs’-t l’Etat exerçait sur eux un véritable droit de tutelle. Suivant les distinctions du Droit administratif, les cathédrales et autres édillces diocésains avaient été placés dans le domaine national soit public soit privé. Suivant ces mêmes distinctions, les églises sont dans le domaine public communal, les presbytères dans le domaine privé de la commune. Mais ce droit de propriété était un droit.via generis. L’Etat et la commune avaient l’obligation de respecter la destination des édifices. Sur ceux destinés à l’habitation, les ministres dn culte jouissaient d’un droit d’usufruit particulier (Rapport de M. Touzauo au Congrès de Lyon, llcvue catholique des Institutions et du Droit, t. XVII, p./|O0,. — Ducroq, Des églises et autres édifices du culte catholique. — Aucoc, Sur la propriété des églises paroissiales et des presbytères, dans la Revue critique de législation et de jurisprudence, année 1878). Cette législation et cette réglementation minutieuse limitait parcimonieusement les droits de l’Eglise. On pouvait reconnaître dans le régime nouveau que la Révolution avait prétendu instaurer plus d’un point de ressemblance avec îe. régime ancien, et, comme a pu dire Emile Olivikh, 1 tout l’appareil juridique du Gallicanisme » (f.e Concordat et la séparation de l’Eglise et de l’Etut, p. 16). Appliqué dans un esprit conciliant, le régime concordataire a pu assurer pendant de longues années la paix religieuse, et l’Eglise a pu développer ces institutions. L’examen des différents budgets révèle par quelles alternatives l’Eglise passe, suivant les dispositions du gouvernement. Le tableau statistique des dépenses du culte a été dressé par Ch. Jourdain, dans son ouvrage : Le Budget des cultes en France, 185g. Le système des réductions vexatoires opérées sous le gouvernement de juillet a été repris et aggravé dans le cours des dernières années du xix « siècle et des premières du xx a siècle. Ce serait un attristant chapitre à ajouter à l’ouvrage d’histoire financière qui vient d’être cilé.

Cette période fiscale du siècle dernier et les débuts de celui où nous sommes ont marqué une hostilité croissante des pouvoirs publics contre le catholicisme ; systématiquement, la législation a été appliquée dans un esprit malveillant : désaffectation d’édifices nécessaires, suppressions arbitraires de traitement (v. Besson, Revue catholique des Institutions et du Droit, t. XX, p. 485 et XXI, p. ia3), persécution fiscale, restrictions du droit du prêtre en ce qui touche à l’usage des cloches et des clés de l’église (Loi du 5 avril 1884, art. io4 et 101) ; vente arbitraire des biens de la mense épiscopale, en cas de vacance du siège (Observations de Mgr Frbpvrl ; Univers du 7 septembre 1 885). Enfin, en 1901, la loi du 1 1 juillet sur le contrat d’association, qui soumettait à la liquidation les biens des congrégations dissoutes, a plusieurs fois reçu des tribunaux une interprétation aboutissant à urieréellespoliation. — Dans cette même période, denombreux projets proposaient la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la suppression du budget des cultes.

C. Sous le régime de la séparation. — La menace devait se réaliser en igo5. Il ne saurait être question d’analyser ici la loi du g décembre igo5 ni les discussions auxquelles elle a donné lieu, ni de raconter de quelle façon la rupture a été effectuée entre la France et l’Eglise (v. notamment Bihk, la Séparation des Eglises et de l’Etat. — Lamarzelle et Taudii’îrb, Commentaire de la loi du 9 décembre 1905. — Celibr, J.a Loi du 9 décembre 1905 concer431

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nant la séparation des Eglises et de l’Etat — extrait de l’Annuaire de législation française publié par la Société de législation comparée). — Ce qui rentre directement dans le sujet de cet article, c’est la situation créée par le régime de la séparation, quant à la propriété ecclésiastique. Et tout d’abord, en déclarant (art. 2) que « la République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte » la loi porte, dès le principe, une atteinte au droit du clergé catholique. La suppression du budget des cultes efface les engagements relatés ci-dessus, aux termes desquels les biens « mis à la disposition de la Nation » devraient être remplacés par « un traitement convenable ». L’Etat se dérobait ainsi à la « charge » qu’il avait assumée, suivant les termes explicites du décret du 2 novembre 1789. La spoliation se trouvait consommée sans compensation, sous réserve cependant de quelques pensions accordées dans des cas déterminés (art. 11). — Quant aux immeubles qui, conformément aux stipulations du Concordat, avaient été « mis à la disposition des évêques » dans les conditions expliquées, leur sort était réglé de la façon suivante. Les établissements publics propriétaires : menses, fabriques, etc., sont supprimés (art. a, § 2) ; mais leurs droits, partiellement du moins, pourront être transférés à des associations qui se formeront conformément aux règles tracées par la loi. Certains immeubles (Tit. IV, art. 18 et suiv.) du reste ne devaient pas recevoir cette affectation et feraient retour à l’Etat (art. 5). En fait, ces associations cultuelles, qui étaient la base de l’organisation religieuse prévue par la loi, ne se sont pas constituées parmi les catholiques, parce que l’autorité suprême poar eux a décidé qu’elles ne devaient pas l'être. Telle est la décision donnée par une encyclique pontificale prescrivant l’abstention à l’Eglise de France. Le législateur dut, par suite, retoucher son œuvre. Une loi du 2 janvier 1907 règle maintenant la situation en ce qui touche les immeubles. Ceux affectés au logement des ministres du culte sont déclarés purement et simplement propriété, suivant les cas, des communes, des départements, de l’Etat, qui peuvent les louer à leurs anciens occupants ; mais, par une double dérogation au droit commun, la location devra toujours être approuvée par le préfet, même pour les immeubles départementaux et aussi pour les immeubles communaux, quelle que soit la durée de la location, fûtelle inférieure à dix-huit ans.

Pour les édifices consacrés au culte, les églises, voici la solution donnée. « A défaut d’associations cultuelles, dit l’art. 5, les édifices affectésà l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion. »

On voit que, si les catholiques peuvent conserver la jouissance des églises, si le culte peut être continué, la situation légale est singulièrement précaire. Il dépend de la volonté des administrations de louer les presbytères, de réparer les églises ; il n’existe plus d'établissements capables d’assurer des fondations. Dépouillée de ses ressources, l’Eglise vit au jour le jour sans sécurité pour le lendemain. A vrai dire, la jurisprudence a donné aux lois une interprétation généralement susceptible de rendre cette situation moins dommageable aux intérêts religieux. Ainsi, c’est au prêtre orthodoxe f se conformant aux règles d’organisation générale du culte » (L. du 9 décembre 1906, art. /|). au prêtre en communion avec l’autorité religieuse supérieure, 'ju’a été maintenu le droit de disposition des édifices

cultuels prévu par la loi de 1907 (Y. Birbau, Quinze années de Séparation. — Durnbrin, De la Situation juridique des édifices consacrés au culte. — EymardDuvbrnay, Le Clergé, les Eglises, et la Culte catholique dans leurs rapports légaux avec l’Etat).

Le nouveau Code du Droit canon précise le droit de l’Eglise de posséder et d’administrer des biens temporels pour atteindre ses Uns propres (Can. 1/190) et règle, dans les titres xxvi et xxvm du livre III, les principes applicables à leur acquisition et à leur administration. On ne peut que mentionner ces règles canoniques, dont l’exposé sortirait du cadre que nous nous sommes tracé. Il faut dire seulement que, si des laïcs participent à l’administration des biens d’Eglise, comme nos conseils paroissiaux en France, ce doit être en union avec les pasteurs, à la nomination de l’ordinaire, sous la présidence de l’ecclésiastique compétent, et sans aucune ingérence dans l’ordre spirituel (Cf. Barguillat, Prælectiones juris canonici. — Dbmburan, Le Droit canoi des laïques).

En terminant, il y a lieu de faire connaître des projets actuellement étudiés (novembre 1923) et qui ont pour but de remédier à quelques-uns, tout au moins, des inconvénients de la situation résultant pour l’Eglise, en France, de la législation qu’on a résumée plus haut (cf. Etudes du 5 novembre 1923, article de M. Y. de La Bhh.hr). Les relations diplomatiques, très heureusement rétablies entre le SaintSiège et le Gouvernement français, devaient conduire à la recherche d’un régime meilleur pour la paix religieuse. On a cru qu’il serait possible de placer l’Eglise en France dans une situation légale par la constitution d’associations diocésaines qui ne tomberaient pas sous le coup de l’interdit porté par Pie X, tout en restant dans le cadre de la législation française en vigueur. Le projet de statuts de ces associations, après une assez longue élaboration, a été communiqué au gouvernement français par S. Exe. le nonce à Paris, avec demande d’avis sur leur légalité au regard de la loi française (note lue à la tribune du Sénat par M. Poincaré, séance du 19 juin 1923, cité par M. l’abbé Rrnaud, /.es Associations diocésaines, p. 75). Le président du Conseil confia l’examen du texte proposé à trois jurisconsultes, MM. Hébrard de Villeneuve, vice-président du Conseil d’Etat, Berthélemy, doyen de la Faculté de Droit de Paris, Beudant, doyen de la Faculté de Strasbourg. L’opinion unanime de ces Messieurs fut que les dispositions du projet étaient en conformité parfaite avec la législation sur les cultes. — M. Poincaré a fait connaître cette opinion au représentant du St-Siège par une lettre, également communiquée au Sénat à la séance du 19 juin (Renaud, op. cit., p. 77).

La consultation de MM. Hébrard de Villeneuve, Berthclemy et Beudant est du reste intégralement, publiée en annexe à l’ouvrage de M. Renaud (p. 415).

On y trouvera également le texte des statuts (p. 209). Un coup d'œil rapide sur ces statuts permet de faire, du point de vue spécial qui nous occupe, les remarques suivantes. Les associations diocésaines sont placées sous la direction de l'évêque dont l’autorité, au sein du conseil d’administration, est assurée par le mode de recrutement du Conseil. Elles pourront être propriétaires ou locataires des immeubles nécessaires à l’exercice du culte et au logement des ministres, aux divers services ecclésiastiques. Les ressources des associations pourront comprendre les cotisations, les collectes et produits des quêtes, de la location des bancs ou chaises, le revenu des biens meubles et immeubles, les rétributions pour la cérémonie et services religieux. Ces rétribu4*3

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lions sont prévues comme pouvant être faites

« même par fondation ». Ces fondations sont entendues

comme pouvant résulter de testaments ou d’actes entre vifs.

Sans doute, les associations diocésaines projetées ne peuvent recevoir à titre gratuit d’une façon générale, et elles demeurent soumises à un certain contrôle financier de l’Etat, à une vérilication de la régularité de leurs comptes. La mesure est critiquable, parce que ce contrôle, exercé dans un certain esprit, pourrait dégénérer en ingérence. A l’autorité ecclésiastique de juger si ces inconvénients doivent être acceptés à raison des avantages que la constitution des associations procurerait : statut légal, capacité de posséder, stabilité.

Bibliographie. — Affre, Traité de la propriété des biens ecclésiastiques, Paris, 1837. — Gousset, Du droit de l’Eglise touchant la possession des biens destinas au culte, Paris, 1062. — Jourdain, Le Budget des Cultes en France, Paris, 1809. — Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, Paris, 191 o (tome I) et 1922 (tome II).

Périodiques : Documentation catholique. — Etudes. — Nouvelles religieuses. — Revue catholique des Institutions et du Droit. — Revue pratique d’apologétique.

A. Cblibr.