Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Pierre (Saint) à Rome

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 19-25).

PIERRE A ROME (SAINT). — Le fait de la venue à Home de saint Pierre, de son épiscopat, de son martyre, est manifestement de très grande conséquence pour la doctrine catholique : tout l'édilice ecclésiastique s’y appuie. Si le prince des Apôtres est venu à Rome, s’ily a tixé lesiège de sa primauté, on comprend aisément que les successeurs de Pierre dans l'épiscopat romain soientparle fait même, et de droit divin, héritiers de la primauté de Pierre. Au contraire.ee fondement venant à faire défaut, toute la constitution de l’Eglise serait ébranlée. Il y a donc un intérêt vital à vérilier la solidité de ce fait historique.

Les premières négations paraissent s'être produites au xive siècle ; elles vinrent des Vaudois et de Maksilk de Padoub qui, dans son Dejensor pacis (vers 132$), contesta la venue de saint Pierre à Rome, a plus forte raison son épiscopat. En 1020, Ulric Velènb publia un écrit imitulé : Tractatus quod Petrus Apostolus nunquam liomæ fuerit. Bien que rejetée par Luther et peu goûtée de Calvin, la thèse fut souvent reprise, depuis la Réforme, par la passion et l’esprit de système. Qu’il sullise deciter Frédéric Si’aniibim (} 1 70 1, à Leyde), De ficta profectione Pétri Apostoli in Urbem /fomam.Onallègue : lesilence du Nouveau Testament sur ce voyage ; certaines données positives fournies par les Actes des Apôtres et par saint Paul : le témoignage exprès de l Pet., v, 13, qui montre saint Pierre présent à Babylone à la date, où, d’après la tradition, il aurait dû cueillir à Rouie la palme du martyre ; l’ambition du clergé romain, intéressé à répandre cette légende pour accréditer ses prétentions. De nos jours, la critique — du moins la critique sérieuse — ne conteste guère, sinon l'épiscopat de saint Pierre, du moins sa venue à Rome. Il y a des évidences qui, à la longue, s’imposent. On peut désormais se dispenser de discuter à fond certaines constructions fantastiques du siècle dernier. Et il n’y a pas lieu de s’arrêter davantage à certaines trames d’origine pius moderne, par trop semblables à celles des araignées.

Néanmoins il reste opportun de revenir sur cette question d’origine. Supposant acquises les conclusions de l’article Eglise et de l’article Papauté, qui om montré le dessein de l’Eglise contenu dans la pensée du Christ, et ce dessein réalisé à travers les âges par la vie de l’Eglise catholique romaine, nous nous renfermerons dans ce problème historique : le fait initial de l'épiscopat romain de Pierre et de son martyre se présente-t-il avec des titres qui l'élèvent au-dessus de toute contestation raisonnable ?

Les documents peuvent se répartir en deux groupes, d’importance fort inégale : l. Le crcle de Simon le magicien. — II. La tradition historique de V Eglise romaine.

I. Le cycle de Simon le magicien. — La légende a vite fleuri autour du personnage de saint Pierre, et s’est épanouie dans les romans clémentins. Le rôle joué par Simon le magicien en face de Pierre, dans les Actes des Apôtres (vin, 9-a4) se prêtait

particulièrement aux développements légendaire !. Toute une littérature est sortie decetépisode.

L’antiquité chrétienne a vu communément dans Simon le père de toutes les hérésies. Mais la carrière du magicien n’est pas facile à fixer. Au milieu du 11' siècle, saint Justin, lui aussi originaire de Saïuarie, signale à Rome une secte adoratrice de Simon : le centre de ce culte aurait été dans l'île du Tibre, entre les deux ponts ; on voyait là une statue avec l’inscriptionen caractères latins : simoni dbo sancto.I Ap., nxvi ; cf. lvi ; II Ap., xiv ; IHal. c. Tryph, , cxx. Mais le naïf Justin n’a t il pas été victime d’une confusion ? Il est permis de le croire, depuis que, au xvie siècle, on a exhumé, précisément au même lieu, une statue antique dont la base porte : skmoni sanco i>Eo fidio sacrum. On connaît encore par d’autres souvenirsépigraphiques le dieu sabin Semo Sancus ; voir C./.L., t. VI, 567. 568 (inscriptions trouvées postérieurement, au Qnirinal, où Sancus était honoré). Il y a donc grande apparence que Justin s’est trompé en croyant reconnaître dans l’Ile du Tibre le culte du Samaritain. Saint Irénbb a pu se tromper à la suite, Huer., I.xxiii, 1, P. G., VII, 671, A ; de même Tkrtullibn, Apologeticum, xm. Quoi qu’il en soit, pour trouver le personnage de Simon mis en relations avec saint Pierre à Rome, il faut descendre jusqu’aux Philosophumena d’BiPPOLYTB, VI, xx, éd. Cruice, p. 267. P. G., XVII, 3 a2 6.

Au cours du 111e siècle apparaissent les Reconnaissances ( 'Ava/ » w/51u/jo(') et les Homélies clémentines, d’origine syriaque. Le Psbudo Clément met en scène l’apôtre saint Pierre et Simon le Magicien, et raconte les pérégrinations de l’apôtre, poursuivant en Syrie et ruinantla propagande de l’hérétique. Atraversles épisodes bizarres de ce roman judéochrétien, perce l’intention de combattre la primauté romaine, au profit du siège de Jérusalem. Nous possédons les Reconnaissances dans la traduction latine de Rufin, les Homélies dans le grec original. P. G., I et II. L’auteur se montre averti du voyage de Simon à Rome, et mentionne la statue qui lui sera érigée, Recogn., II, ix, P G., l, 1253 A ; III, lxiii, 1309D.

Plus récente encore est la diffusion de la légende romaine, qui montre l’apôtre et le magicien aux prises devant Néron, et faisant assaut de prodiges. Simon propose de s'élever dans les airs, et sa promesse est suivie d’effet. Mais sur la prière de l’apôtre, il tombe et se brise les membres. Cette légende appartient au cycle des Actesapocryphes des Apôtres, qui pullulaient au in* siècle. On en retrouve la trace, au iv°, chez divers auteurs ecclésiastiques, notamment chez Arnobb, Adv. Gentes, II, xii, P.L., V, 828 B ; chez saintCYRiLi.B de Jérusalkm, Catech., vi, 14.15, P. G., XXXIIl, 561, 564 ; chez saint Ambroise, Hexæm., I V, viii, 33, P.L., XIV, ao5. — Eusèbb, H.E., II, xm. xiv, connaît le témoignage de Justin et la rencontre du magicien avec l’apôtre à Rome, mais non tous les détails que nous venons d’indiquer. — Les Actes de Pierre viennent d'être édités, avec un soin admirable, par le regretté abbé Léon Vouaux, Paris, 1922. Nous renverrons à son Introduction pour l’histoire du texte grec original et de ses diverses adaptations latines. Après un instant de vogue au ive siècle, les Actes apocryphes allaient décliner rapidement. Déjà saint Augustin s’en délie ; le pape saint Innocent 1er les proscrivait dès l’année 405, avec mention distincte de6 Actes de P. erre. Ep, ad Exuperium, P. L., XX, 50a. Saint Léon le Grand renouvelle cette condamnation en termes plus exprès, Ep., xv, 15, Ad Turribium, P. L., LIV, 688. Le décret de Gslase y revient, P. L., LIX, 162 : Actus nomine Pétri apostoli apocnplti.

Cette floraison légendaire a reçu au siècle dernier une interprétation qui en renouvelle l’aspect 27

PIERRE (SAINT) A ROME

28

et lui confère une signiQcation imprévue pour l’intelligence des origines chrétiennes. D’après les critiques de Tubingue, le roman pseudo-clémentin serait un monument de la lutte entre l’influence de l’apôtre Pierre et celle de 1 apôlrePaul ; une machine de guerre construite par les pétriniens pour combattre les pauliniens. Sous les traits de Simon le magicien, en réalité l’apôtre Paul serait visé. Le roman ébionite, dont la scène est sur la côte de Syrie, aurait eu pour objet précis de discréditer la propagande pauliniste. Après quoi un autre rédacteur, pour refaire l’unité chrétienne, aurait imaginé de réconcilier les deux Apôtres dans une commune évangélisation de Rome et dans le martyre. Tel est le système ébauché par F. G. Baur, perfectionné par R. A. Lipbius, notamment dans Quellen der rbmischen Petrussage, Kiel, 1872 ; Die apocrjphen Apostelgeschichten und Aposttllegenden, t. 11, Braunschweig, 1887.

Divers auteurs ont essayé de discerner dans ce fonds légendaire des éléments historiques : on voudra bien nous en dispenser, l’historicité de la venue de saint Pierre à Rome n'étant pas solidaire des récils relatifs à Simon. Par ailleurs, les constructions de Tubingue sont aujourd’hui bien démodées ; on en a dit un mot ci-dessus à l’article Paul et Paulinismb, et nous ne croyons pas devoir nous attarder à discuter en détail des positions que personne ne défend plus. A cet égard, notre tâche est plus facile que n'était celle poursuivie dans la première édition de ce Dictionnaire, à laquelle on peut encore se référer avec fruit. Deux observations générales suffiront. Les matériaux des constructions de Tubingue sont, dans l’ensemble, éloignés des origines, anonymes et manifestement romanesques. Quant à la mise en œuvre, on la trouvera hautement fantaisiste. Ce n’est pas par cette voie qu’on peut ressaisir les origines du christianisme romain. Mieux vaut se tourner vers les documents vraiment historiques et recueillir leur simple déposition.

Sur les relations possibles du souvenir de Simon avec le culte de Semo Sancus, voir Visconti, Studi e Documenti di Sloriae Diritto, ann. II, fasc. 3 et 41 p. io5 ; dbRossi, Bullettino di Archeologia cristiana, 188a, p. 107. 108 ; J. A. Hild, art. Semo Sancus, dans Dict. Ant. G. R., de Daremberg et Saglio, col. 1 18^ B ; enfin deux articles décisifs du R. P. F. Savio S. J., dans Civiltà Cattolica, 1910, vol. LXI, p. 53a5/|8 ; 673-688. L’erreur de Justin est certaine.

Sur les diverses formes de la légende de Simon, M. Lbcler, De liomano sancti Pétri episcopatu, p.174-216, Lovanii, 1888 ; L. Vouaux, ^c<es de Pierre ; cet auteur n’est pas porté à rajeunir le texte par lui édité ; volontiers il le ferait remonter aux toutes premières années du lit* siècle.

IL La tradition historique de l’Eglise romaine- — Il est naturel d’interroger d’abord le calendrier de l’Eglise romaine. Le Chronographe de l’an 354, fondé vraisemblablement sur les recherches faites entre 167 et168par le Palestinien Hkgbsippb, porte, sous le titre « Sépulture des martyrs », Depositio martyrum, la double mention suivante :

vin Kal. mart. Natale Pétri de cathedra. m Kal. iitl. Pétri in Catacumbas et Pauli Ostense, Tusco et Basso cons.

Donc, dès unedateancienne, l’Eglise romaine avait pris l’habitude de commémorer à la date du 22 février l'épiscopat symbolisé par la chaire de l’apôtre ; à la date du 39 juin, le martj’re de saint Pierre avec celui de saint Paul. Le deuxième texte est évidemment altéré : le consulat de Tuscus et de

Bas sus répond à l’année 258, temps de la persécution de Valérien. Celte date estpostérieured’environ deux siècles à la mort des deux apôtres. Mais ne rappellerait-elle pas la translation de leurs restes, abrites aux Catacombes durant la persécution ? Ils y seraient restés jusqu'à leur transfert définitif dans les basiliques constantiniennes, après la paix donnée à l’Eglise. Divers indices appuient cette conjecture ; nous y reviendrons ci-dessous D’ailleurs on verra qu’une tradition plus ancienne mettait le tombeau primitif de saint Pierre en relations avec le Vatican, celui de saint Paul avec la route d’Ostie. A travers des abréviations probables, on entrevoitune rédaction plus complète, que d’autres textes permettent de restituer partiellement. Le même calendrier porte, en tête de la liste des évêques de Rome :

Petrus… passas… cuin Paulo die III Kal. iulias… imperante Xerone.

Ces mots associent encore les deux apôtres dans le martyre, à la date du 29 juin, et rattachent ce martyre au principat de Néron. Omettons le contexte, qui renferme plus d’une énigme ; du moins les mots que nous avons relevés consacrent-ils une tradition spécialement ferme ; nous allons voir celle tradition confirmée par la convergence denombreuxindices. — [On trouvera les textes que nous avons cités dans Monumenta Germartiæ historica, lX, Chronica minora, éd. Th. Mommskn, p. 71. 73.]

La tradition historique de l’Eglise romaine, touchant l'épiscopat et le martyre de saint Pierre à Rome, est en réalité la tradition de toute l’Eglise, garantie par une masse imposante de témoignages.

Les documents cités dans l’article Papauté, col. 1375-138/(, établissentqu’au milieu du 111e siècle pour Cypribn île Carlhage et pour Firmiubn de Césarée en Cappadoce, pour Dknys d’Alexandrie et pour Fabius d’Antioche, en un mot pour toute l’Eglise, l'évêque de Rome était en possession du siège de Pierre, et comme tel investi d’une autorité unique. Cette conviction n'était pas nouvelle. Un demi-siècle plus tôt, à Carthage, Tkrtullikn rendait hommage à l’Eglise de Rome, glorieuse Eglise apostolique, qui a bu la doctrine de Pierre et de Paul avec leur sang De præscr. hæretic, xxxvi. xxxn. xxx ; cf. Scorp. y x ; De Pndicit., 1. xxi. Ci-dessus, col. 1375. Pour Alexandrie, nous citerons encore Oriqùnb et, avant lui, Clément.

Orioknb écrit, dans son Exposition sur la Genèse, P. G., XII, 92A(citéparEusÈBE, //. E., lll, i) : « Pierre parait avoir prèchédans le Pont, la Galatie, laBithynie, la Cappadoce, l’Asie, aux Juifs de la dispersion. Finalement, venu à Rome, il y fut crucifié la tête en bas, ayant demandé de souffrir ainsi. Que dire de Paul ? De Jérusalem à l’IIlyricum, il acheva la prédication de l’Evangile du Christ, puis fut martyrisé à Rome sous Néron. » — Comparer In loan., XX. xii, P. G., XIV, 600 B.

Cli’Mknt, dans ses II potyposes, cité par Euskbr, H. E., VI, xiv : « L'évangile selon Marc fut composé comme il suit. Pierre prêchait publiquement à Rome la parole (de Dieu) et annonçait l’Evangile sous l’action de l’Esprit. Ses auditeurs, qui étaient nombreux, prièrent Marc, qui l’avait accompagné depuis longtemps et avait retenu ses paroles, de mettre ses enseignements par écrit ; il le fit, et communiqua l'évangile à ceux qui le lui demandaient. Pierre, l’ayant appris, ne fit rien soit pour l’arrêter soit pour l’encourager. »

Touchant le martyre de saint Pierre et de saint Paul à Rome sous Néron, Eusèbe a recueilli des témoignages du deuxième siècle : celui du prêtre romain Caïus et celui deDBNYs, évêque deCorinthe. //. F.., II, xxv, 1 G., XX, 208C-209 B : 29

PIERRE (SAINT) A ROME

30

Cet empereur, désigné le premier pnr la tradition comme insigne ennemi de Dieu, mil à mort les apôtres, ti’est durant son règne que, à Rome même. Paul fut décapité ot l’ierre mis eu croix, selon le témoignage de l’histoire, garanti par la tradition des cimetières locaux touchant l’ierre et i aul. En outre, un homme d Eglise nommé Ca us. contemporain de Zépliyrin évoque de Rome, dans un écrit où il discute avec Proclus chef de la secte phrygienne, s’exprime ainsi touchant les tombeaux des deux apôtres : Je puis montrer les trophées dei Apôtres. Si vous voulez aller au Vatican ou sur la voie d’Ostie, vous trouverez les trophées de ceux qui fonderait cette Eglise. Quant au fait qu’ils subirent le martyre en même temps, Denys évéque de Corinthe, dans un écrit adressé aux Romains, l'établit en ces termes : Vous-mêmes ave : associé dans cet avis la plantation faite par Pierre et Paul des Eglises de Rome et de Corinthe. Car tous deux, venus dans notre Corinthe, prirent part à notre plantation ; tous deux, partis pour l’Italie, y enseignèrent ensemble et subirent le martyre en même temps.

La tradition relative à l’apostolat romain de Pierre et de Paul se réclame aussi de saint Ikbnbr, qui l’avait recueillie à Rome avant la lin du n' siècle, et l’a consignée dans une page célèbre de ses livres contre les Hérésies. Il montre d’abord l'évangéliste saint Mathieu rédigeant son évangile à l’usage des Hébreux, dans le temps même où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Eglise, Hær., 111, 1, 1, P. G., VII, 8^5 A : wù i-poi> xai toj Txû)o>j h Peux/ ; sùay/eliÇo/Kivwv xai Ss/uvioûvrav « ri » "Exx>ï ; T<a7 ; puis, après le départ de ces apôtres (/ « rà xh » toi/twv "i^cSov), saint Marc écrivant à son tour un évangile. La même donnée reparaît un peu plus bas, avec allusion à l’autorité éminente de l’Eglise de Rome, III, m, a. 3, P. G., VII, 848. 84g. Voir ci-dessus, t. I, col. 1263 et t. III, iZ-j%. Eusèbb a reproduit ce témoignage, H. E., V, vi, P. G., XX, 845 A. Notons en passant que, d’après le même saint Irénée, H., I, xxviii, i, P. G., VII, 687 R, Hygin est le neuvième évéque de Rome, 'tyïvou "weerov xïf.poj rf, i 'tr. monts âiyooyfiS ô.Ttb tûv 'A7rs7Tovwv "-.yvjzo ;. C’est bien le rang qu’il occupe ibid., III, ni, 3, à condition que le premier rang appartienne à saint Pierre.

La prédication de saint Pierre à Rome est encore attestée, au n* siècle, par l’apocryphe Pauli prædicatto (Voir Psbudo-Cypribn, De Rebaptismate, xva, ed.Hartel.p. 90, 1. 37>et par PAPiAS, ap. Eusèbb, H.E., II, xv, coll. III, xxxix.

Au témoignage de saint Irénée, qui avait recueilli la tradition romaine à Rome, on a opposé quelquefois le silence de saint Justin et celui d’HnuMAS. Nous emprunterons la réponse à un judicieux article de M. Paul Monceaux, sur L' Apostolat de saint Pierre à Home. Revue d’Histoire et de Littérature religieuses, 1910, p. 220.

L’argument n’est pas sérieux. En tout temps, les choses dont on parle le moins dans les livres sont celles que tout le inonde sait ; et c’est pour cela qu’il est si difficile de restituer la physionomie vraiodes sociétés disparues. D’ailleurs, on oublie que 1 ouvrage de Justin est une Apologie, adressée aux empereurs. Pourquoi 1 apologiste aurait-il parlé des deux apôtres ? Eut-il même été habile de rappeler aux empereurs que les fondateurs de l’Egliso locale étaient des condamnes, des ^ens mis à mort par un de leurs prédécesseurs ? Notons en outre que, si Justin ne pari » pas de Pierre, il ne parle pas non plus de Paul. On ne nie pas pour cela que ce dernier soit venu à Rome. Donc le silence de Justin sur l’ierre ne prouve rien.

La réponse vaut également pour Hermas. Hermas, qui ne nomme ni saint Pierre ni saint Paul ni saint Jean ni aucun apôlre, nomme une seule fois Rome, à la première ligne de son livre, dans son autobiographie. Les origines de l’Eglise romaine sont complètement en dehors de son horizon, encore qu’il ail écrit à Rome, qu’il paraisse avoir connu

le pape Clément (88-97?) et, d’après une autre tradition, soit le propre frère du pape Pie (1 40-155).

Mai » voici un document romain du 11e siècle, le fragment de Muratori. A propos des Actes des Apôtres, il mentionne la passion de Pierre et le départ de Pierre pour l’Espagne, en notant le silence de Luc sur ces deux faits dont il n’est pas témoin oculaire :

Acta aulem omnium apostolorum | sub uno libro scripta surit, Lucas optimo Theophi lo compreheudit, quæ sub præsentia eius singula | gerebantur sicuti et semota passione Pétri | evidenter déclarât, et profectione Pauli ab ur | be ad Spaniam proficiscentis.

On notera ici la trace du dessein que saint Paul avait formé de se rendre en Espagne et qu’il énonce à deux reprises, Rom., xv, 24-28. Nous la retrouverons, semble-t-il, chez Clément de Rome, séparé de saint Paul par une seule génération.

Vers 110, saint Ionaciî d’Antiochb s’adresse aux fidèles de Rome, Rom., iv :

J'écris à toutes les Eglises ; à tous je mande que je meurs volontiers pour Dieu, si vous ne m’en empêchez. Je vous en conjure, n’usez pas envers moi d’une bienveillance intempestive. Laissez-moi être la proie des betes, par lesquelles je puis parvenir à Dieu. Je suis le froment do Dieu, je suis moulu par la dent des bêtes, pour devenir le pur pain du Christ. Caressez plutôt les bêtes, afin quelles me soient un tombeau et ne laissent rien de mon corps, en sorte qu’après ma mort je ne sois à charge a personne. Alors je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand mon corps même sera invisible au monde. Priez le Christ pour moi, afin que par ces instruments je devienne un sacrifice a Dieu. Je ne vous donne point d’ordres, comme l’ierre et Paul : ils étaient apôtres, je suis un condamné ; ils étaient libres, je suis encore esclave. Mais si je souffre, je deviendrai affranchi de Jésus Christ et ressusciterai en lui, libre. Présentement, j’apprends dans les fers à ne rien désirer. Depuis la Syrie jusqu'à Rome, je lutte contre les betes, sur terre et sur mer, nuit et jour lié à dix léopardsje veux dire à ce groupe de soldats, qui répondent au bien par un redoublement de cruauté.

Les paroles du martyr syrien témoignent qu’il reconnaît Pierre et Paul pour les propres apôtres de l’Eglise romaine : aussi se défend-il de commandera leur place : Oùy eu ; ïlérpOi xv.i notCO.o ; SiKTàuno/xci i/Mv. Réserve d’autant plus significative qu’elle est le fait du patriarche de cette Eglise d’Antioche, que la tradition mettait en relations particulières avec les deux apôtres et désignait comme le premier siège de Pierre en personne. Ignace tient à s’effacer expressément devant le souvenir romain des princes des apôtres.

Dans la personne de saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple de l’apôtre saint Jean, nous en tendions, avec la traditiondeï'Eglise romaine, la tradition d’une Eglise apostolique d’Asie, celle de Smyrne. Dans la personne de saint Ignace, nous entendons une autre grande Eglise apostolique, Antioche, la métropole de Syrie, unie par un lien très spécial au souvenir de Pierre.

Vers 96, saint Clkmbnt db Romb écrit à l’Eglisede Corinthe, I Cor. t v-vi :

Laissons les exemples anciens, pour venir aux athlètes proches de nous ; prenons les généreux exemples de notre génération Par i’effet de la jalousie et de l’envie, ceux qui furent les plus grandes et les plus justes colonnes se virent persécutés et combattirent jusqu'à la mort. Considérons nos vaillants apôtres : Pierre, qui, victime d’une jalousie criminelle, souffrit non pas une ou deux épreuves, mais un grand nombre, et ainsi martyr s’en alla au séjour de gloire qui lui était du Victime de la jalousie et de la discorde, Paul montra [comment on remporte] le prix de la patience, sept fois charge de chaines. fugitil, lapide, héraut [du Christ] en Orient et en Occident, après avoir conquis par sa foi une  : u

PIERRE (SAINT) A ROME

32

noble gloire, enseigné la justice au monde entier, être allô jusqu’au terme de l’Occident et avoir rendu témoignage devant les autorités, enfin il a quitté le monde, il est allé au séjour de sainteté, modèle incomparable de patience. Autour de d-s hommes vertueux s’assembla une grande multitude d élus qui, ayant souilert bien des outrages et des tortuies par l’effet de la jalousie, ont donné parmi nous un inagnilique exemple. C est la jalousie qui poursuivit des femmes, telles des Danaidesou des Diros, leur inlligea des outrages cruels et impies, tant qu’ayant fourni jusqu’au bout la carrière de la loi, elles conquirent une noble récompense, en dépit de la faiblesse de leur corps…

Il importe de remarquer, dans cette page, écrite de Rome, la réalité du cadre historique. Cette grande multitude — imXù 7M1J90j — est la même dont parle Tacitb, Ann, XV, xliv, multitudo ingens, la multitude des victimes romaines de la persécution de Néron Ces inventions théâtralesdesupplices, transformant en Danaïdes ou en Dircès les martyres du Christ, sont les mêmes que décrit avec plus de détails l’historien romain. Et c’ct au milieu de cette multitude que saint Clénv-nt montre les deux apôtres Pierre et Paul.TiûrotitoîixvSpc'.tcjioi’jiiTTo'/injacfné-jcii cwrjBpoiiOf, 715/ù lùffio ; 'c/.'/.sxtCij. Cette association 'ie présente aucun sens plausible si Pierre et Paul n’appartiennent pas au martyrologe de l’Eglise romaine. D’ailleurs les termes dont Clément use pour les présenter sont, par eux-mêmes, assez clairs : A « £w//.=v ttpb ifdy.ijj.CiJ cpCiv to’jc, àyx60 : JZ à.itoariXovi. Il faut bien se garder de rattacher, comme on l’a fait trop souvent, le génitif vjjw&v à i- T dy.'jp.iiJ, construction d’une platitude intolérable : fytuBv appartient à ^-iïto'/s-jç, et ce n’est pas en vain que Clément, exhortant les Corinthiens au nom de l’Eglise romaine, revendique Pierre et Paul, en disant : nos apôtres. Impossible donc de méconnaître ici le témoignagede la traditionromaine en faveur du martyre des deux apôtres, dont la séparait une seule génération, et que pouvaient encore garantir des témoins oculaires.

Au reste, il semble bien que saint Pierre témoigne de son propre apostolat à Rome. A la lin de la lettre qu’il adresse aux chrétiens de Pont, de Galatie, de Cappadoce, d’Asie et de Bithynie, nous lisons, I, Pet., v, i 3 : « L'(Eglise) élue qui est à Babylone vous salue, et Marc mon fils » 'AanciÇeTut ù/x « ; h Iv BxCu/tSvi ffjvtx/£/T/ ; xai Ma^oxoç i j161u.au. On ne peut guère s’arrêter, et, de fait, personne ne s’arrête aujourd’hui à l’idée que saint Pierre et l'évangéliste saint Marc aient pu porter leurs pas vers l’Assyrie et fonder une Eglise à Babylone, dont il ne restait rien, que des ruines. La seule Babylone dont il puisse être question ici, est celle que le langage du N.T. désigne par ce nom, la grande prostituée de l’Apocalypse. assise sur sept collines, Ap„ xiv, 8 ; xvi, 19 ; xvii, 7 ; xviii, a. 10. ai. Dans ce sens, Rrnan, L’Antéchrist, p. 1 22, n. 2 — La mention de l'évangéliste saint Marc est d’ailleurs parfaitement en situation : caries épltres de saint Paul nous le montrent à Rome vers ce temps-là ; voir Col., iv, 10 ; Phil., a£ ; Il Tim., 1v.11 ; et l’on sait qu’une tradition très ancienne le présente comme le compagnon et en quelque sorte le secrétaire du prince des Apôtres, Màpxos i^/iqwwpqc Uérpcu -/cv.fitvji, ditPAPivs, ap.Eusi’tBB, //./?.. III, xxxix, P. G., XX, 300 B. Donc rien ne s’oppose à ce que saint Pierre ail daté son épître de Rome, où il résidait avec saint Marc. Si l’on veut abs’dument que l'éplire soit inauthentique, si l’on ne voit dans ces données

« le lieu et de personnes que l’artifice ingénieux d’un

faussaire, on devra du moins rendre hommage à la force de la tradition ancienne, avec laquelle le faussaire a dû compter. Il n’y a qu’une voix pour reconnaître dans la l* Pétri l’un des premiers écrits du N.T.

Les Actes des Apôtres, qui nous permettent de

suivre jusqu'à Rome la trace de saint Paul, n’ont pas conservé celle de saint Pierre, ce qui s’explique très naturellement, Pierre étant venu à Rome par une autre voie. D’ailleurs on comprend que saint Luc, tout occupé du personnage de Paul, n’ait pas trouvé, à la dernière page de son livre, l’occasion de nommer Pierre, soit que Pierre fut momentanément absent de Rome, soit que l’apostolat de Paul s’exerçât sur un autre terrain.

Mais le personnage de Pierre n'était pas de ceux qui échappaient aux regards jusqu'à devenirdès lors matière de légende. Dans le temps même où Clément rappelait le martyre subi par Pierre à Rome quelque trente ans auparavant, l’apôtre saint Jean consignait dans son Evangile l’annonce de ce martyre faite à Pierre par le Seigneur(/oa ; /., xxi. 18 19). Toutes ces données concordent. Et les documents profanes sont loin « le les démentir. Sknkqub paraît avoir vu l’héroïsme souriant des martyrs de Néron. Ep. ad Lucilium, lxxvih. Comme Tacite, il parle de croix, il parle même d’un mode nouveau de cruciliement, la tête en bas : Video istic cruces non un tus r/uidem gcneris, sed aliter ab aliis fabricatas : cupite qiiidem conversas in terrain suspendere.

En résumé, la tradition historique, loin d'élever contre le fait de l'épiscopat et du martyre de saint Pierre à Rome, des difficultés insurmontables, semblerait, par plus d’une voie, la rejoindre.

En particulier, elle ne nous invite nullement à disjoindre le fait de l'épiscopat et celui du martyre, à retenir celui-ci et à écarter celui là. Qu’est-ce que Pierre et Paul étaient allés faire à Rome ? Evangéliser et fonder cette Eglise, EvayyeXiÇo/iévorj xai f)e.<Jx/ioj wj rb> 'Ety.'/r^to-.j, dit saint Irénkk, I/aer., 111, i, 1. Fonder et édilier, dit-il un peu plus loin, 111, ni, 3 : Qs/t£jiûaayTei oyj xoù oUzSo, i J.rJ7C/.v7ei oi fj « /.</.pt', i 's-itzc'/ii t>, j Exxhjaieoi, ElCaïus : r « 0zr, v iSputa/xé-ju-j rm 'ExxAïjtrt’eo », Dbnys db Corinthe parle de plantation : rr.v à-nà TïTpo, xix.i HkùXov fureicai fanfistmv, Ignace d’Antioche parle de l’autorité exercée sur les Romains par les deux apôtres. Clément de Romk les montre comme les coryphées des martyrs romains.

On a quelquefois cru trouver, Act., xii, 17, la trace du départ de saint Pierre pour Rome, en l’an ^2. Simple conjecture. Quant à la présence de Pierre au concile de Jérusalem, en l’an 50 (Act., xv), elle ne constitue pas une objection grave, Pierre ayant fort bien pu évangéliserRomesans s’ylixer tout d’abord. Toujours est-il que, s’il est venu à Rome, il n’y est pas venu en touriste, mais dans la plénitude de son pouvoir apostolique ; c’est un fait reconnu par beaucoup de protestants ; tel, R. Lirsius, dans Jalirb. f. protest. Théologie, 1876, p. 56a.

Il est assurément plus difficile de montrer que saint Paul, si étroitement associé à saint Pierre dans le souvenir de l’Eglise romaine, n’a pourtant pas, au regard de cette Eglise, tous les mêmes titres que saint Pierre Néanmoins, même à cet égard, les indications ne font pas défaut.

Notons d’abord que, si l’on parle d’un épiscopat romain de saint Paul, on peut entendre cet épiscopat de deux manières. Ou comme un titre simplement commun aux deux apôtres, les mettant sur un pied d’absolue égalité. Celte proposition a été déclarée hérétique par Innocent X. Decr S. Inq, , 25 ian. 16^7 : Sanctissimus propositionem hanc : S.Petrns et S. Paulus surit duo Ecclesiæ principes qui unum c/ficiunt, vel surit duo Ecclesiæ catholicæcorypliæi ac supremi duces summa inter se umlate coniuncti, re/ surit geminus universalis Ecclesiæ ver. ter qui in unum divinissime coaluerunt, vel surit duo Ecclrsiæ sumrni pastores ac præsides qui unicum caput constituant, ita explicatam ut ponat omnimo33

PIERRE (SAINT) A ROME

34

dam aequalitatem inler S. Petrum et S. Paulum sine subordinatione et subjectivités. Pauli ad S. Petrum in potestate suprema et regimine universalis Ecclesiae, hæreiicam censuit ne declaravit. Ou bien on peut parler d’un épiscopat romain de saint Paul, sans méconnaître sa subordination à l'égard de saint Pierre, seul véritable primat de l’Eglise universelle. C’est ainsi que l’a entendu, entre autres, le bollandiste Papbbhocii, Paralipornena ad Conat. Chron. /lis t., p. 3a. Cette conception n’a pas l’inconvénient de la précédente, mais ne paraît pas fondée, car assez d’indices montrent l’apôtre saint Pierre seul attaché à l’Eglise romaine par un lien durable.

Seul l’apôtre saint Pierre figure sur la liste des évèqucs île Rome (catalogue libérien), conservée par le chronographe de l’an 354 Bien qu’ilait pu entreprendre divers voyages après sa première visite à Rome, Pierre n'était pasapôlre essentiellement itinérant, comme saint Paul, tel qu’il nous apparait dans ses épitrcs, tel aussi que le présentent le canon de Muratori, par une allusion à son voyage en Espagne, et saint Clément de Rome, par une allusion, au moins vraisemblable, au même voyage.

Ênlin, dans l’Epitre aux Romains, dès l’an 56, saint Paul s’adresse à une Eglise qu’il n’a pasencore visitée, qui pourtant est déjà sortie de l’enfance, à une Eglise très développée, comme en témoignentles nombreuses salutations de la fin. Dira-t-on que cette Eglise est née, qu’elle s’est développée en dehors de toute influence immédiate d’un apôtre ? Ce serait une allirmation bien hasardée. Et quel apôtre nommer avant Pierre ? L’historien ne peut écarter sans plus de façons la possibilité d’une première évangélisation de Rome par Pierre en personne. D’autant que la tradition des vingt-cinq années d’cpiscopal de Pierre se présente avec une concordance quant au fond et des discordances quant aux détails, qui semblent bien l’indice d’une donnée réellement historique, diversement dénaturée.

C’est le chronographe libérien de l’an 354, représentant la tradition du second siècle, qui écrit :

Petrtts ann, XXV mens, uno d. VIIU fuit temporibus Tiberii Cæsaris et Gai et Tiberi Claudi et Xeronis a consul. Minuci et Longini tisque Nerine et Vero. Passas aillent cum Paulo die IJI Kal. iulias consul, ss. imperante Xerone.

A travers les multiples incorrections du texte, on aperçoit ceci : Pierre fut évêque de Rome, du consulat de M. Vicinius et de L.CassiusLonginus(30ap. J.-C.) au consulat de Néron et deL. Antistius Vêtus (55 ap. J.-C). Cet épiscopat couvre une période de vingt-cinq ans.

C’est Eusèbe, dans la Chronique conservée par la traduction latine de saint Jérôme, représentant la tradition de Jules Africain, contemporain d’Hippolyte et d’Hégésippe. Il écrit, Olymp. ccv, ann. 2 (42 p. C), éd. Ilelm, Lipsiae, 1913, 179 :

l’etrus Apostolus cum primant Antiocltenam Ecclesiam fundasset, Romain mittitur, ubi Evangelium prædicuns XXV annis eiusdem urbis episcopus persévérai.

Olymp. ccxi, ann. 4(68 p. C), ib., 1 85 : Primas Xero super oninia scelera sua etiant persecutionem in Christianos facit, in qua Pelrus et Patilus gloriose Romæ occubuerunt.

Les ternies sont déplacés, mais l’espace de vingtcinq ans est conservé entre bi et 68.

Dans son Histoire Ecclésiastique, II, xiv, P.C. XX, 169.172, Eusèbe déplace de nouveau les termes, mais en conservant le même intervalle entre 4> et 66.

C’est enfin Lactanoh, De morlibus perseculorum, ii, /*./.., Vil, 1 ^5-1 9- : s’exprimant ainsi : Discipuli…

Tome IV.

dispersi surit per omncm terrant ad Evangelium prædicandum, sicut illis ma gis ter Dominuê irnperavcrat et per annos quirtque et vigiati usque ad principium neroniani imperii per omnes provincias et civitates Ecclesiæ fundamenta miserunt. Clinique iam Nero imperaret, Petrtts liomarn advenif… (Xero) primus omnium persécutas Dei servos, Petrum cruci affixit et Paulum interfecil. — Lactance écrivait vers 314 à Nicomédie ; lui aussi mentionne une période de vingtcinq ans d’activité apostolique ; il est vrai qu’il la fait commencer à l’ascension du Sauveur et donc finir -vers l’année 55. Mais il est difficile dene pas voir dans ce chiffre précis un écho de la même tradition que le chronographe libérien d’une part, Eusèbe d’autre paît, ont recueillie.

Il y a là de quoi inviter à la prudence les auteurs trop enclins à traiter comme une fable l’apostolat romain de saint Pierre. D’autant que la liste des évéques de Romeavait été conservée avec un soin minutieux. Hi’iGÉsirPK, si curieux de tout ce qui concernait l’origine des Eglises, avait visité celle de Rome au temps d’Anicel (156-166) et enquêté sur ce point. Eusèbe, H.E., IV, xxii, P. G., XX, 377 D : rW/tswos U h 'Pojyuyj, Siv.Soy/, j inoir^Ojjrfj yé'/p’i ' Xjis.r.T’yj. La liste épiscopale de Rome avait été dressée, cent ans après la mort de saint Pierre, par un homme spécialisé dans ce genre de recherches. Elle s’est imposée à Eusèbe, pour qui Lin est le premier évêque de Rome après Pierre, // E., III, iv, P. G., XX, 221 A : vpônciç, ij.tzà. Wérpn rr.i 'Pujicu’uv 'E/*/ïiti' : /. ; ty, v è7r « ffX97tr]V… x).Y]p<afeiç.

C’est donc au prix d’une inconséquence manifeste que des protestants, généralement favorables à la tradition touchant le martyre de saint Pierre à Rome, rejettent la tradition touchant son épiscopat. Cf. Jean Guiraud, La venue de saint Pierre à Rome, Paris, 1906.

Dès le iv » siècle, le Pseudo-Tertullien, dans son poème contre Marcion, parle de la chaire matérielle de saint Pierre. P.L., II, 1077 :

Hac cathedra Petrus qua sederat ipse, locatum Maxima lloma Liiium prirnum considère iussit.

Sur l'épiscopat de saint Pierre à Rome, la tradition locale a conservé des souvenirs qui font défaut pour saint Paul. Fouaud, L’apôtre saint Pierre ' i, ch.xvin, p. /| 1 3 sqq., Paris, 1889, recueille ces souvenirs.

Aux premiers jours, Pierre prit gîte dans l’une des ruelles où s’entassaient les Juifs du Transtévère et de la Purte Gapène. Il put y être accueilli par quelques frères de sa foi, car le nom de Jésus avait devancé lEvangile dans la capitale du inonde. Entre les étrangers présents à Jérusalem lors de la descente du Saint-Esprit et qui reçurent le baptême, les Actes nomment (11, 10) en effet des habitants de Rome. Ces convertis n’avaient pu, à leur retour, oublier ni taire ce qu’ils venaient d’entendre, et chaque année ce témoignage fut renouvelé par les pèlerins qui se rendaient à la Pàque. S. Paul, dans l’Epître aux Humains (svi, 17), salue deux fidèles, Andronicus et Junie, « qui sont considérables entre les apôtres et qui ont embrassé la foi du Christ avant lui » (avant l’an 37). Sans djute les chefs et les docteurs de la communauté prêtaient peu d’attention à une doctrine qui n'émanait pas d’un scribe illustre ; mais dans le bas peuple on parlait du Christ et de son royaume. Ce fut là que l’apôtre exerça son ministère, jusqu’au jour où la Synagogue en prit ombrage' et le contraignit do porter ailleurs son zèle (Rom., xi, 1-18)…

Le premier endroit où il fit séjour est marqué surl’Avcntin par l’Eglise de Saintc-Prisque. Au v* siècle, on lisait encore à la porte de ce sanctuaire 1 inscription suivante :

/lace drnua est Aquilae, seu Priscae, virginis almae

Qiios… t’aule, tuo ore eehis Domino. Hic, l'être, dii’ini tribuebas fercula verbi,

Sæpius hocce Ijco sacri/icans Domino. 35

PIERRE (SAINT) A ROME

36

Aquila el Priscillo (cf. Met., xviii, a. a5. 26 ; Ruai., « VI, 3.4 ; Il Tim., iv, nj)… habitant sur l’Aventin, se trouvaient hors des régions peuplées d’Israélites ; leur demeure était hospitalière ; leur cœur généreuxjusqu'à exposer leurs biens et leur vie pour ceux qu’ils aimaient…

Si 1 église de Saint-t risque, sur l’entin, marque le premier pas de Piorro hors des « ghettos » romains, celle de Sainte-Pu.lenlionne, sur le Viminal, indique la seconde , étapo. L’apôtre, s éloignant de plus en plus des bas quartiers, pénétrait dans les régions habitées parles patriciens, car là maison de Pudens se trouvait dans un centre aristocratique, le « Vicus Patriciua »…

Le dernier vestige d’un séjour de Pierre à Rome sous le règne de Claude est l’antique catacombe appelée cimetière Ostrien. et située entre les voies Salarienne et Nomcntanc. Les noms que donnent à cette nécropole les inscriptions et les martyloges l’ont entrevoir le ministère que l’apôtre y exerça. Ils ne le désignent pas seulement comme « le grand cimetière », le plus ancien de tous, celui où l’on vénérait

« la première chaire occupée par Piorre », ils l’appellent

encore « le cimotiere des eaux où Pierre baptisait »…

Sur la chaire de saint Pierre à Piome, voir i>n Uossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1867, p. 33

! rq. 5 Duchesnb, Origines du culte chrétien*, p. 283, 

sq<|., Paris, 1908 ; Marocchi, Eléments d’archéologie chrétienne, t. III, I 26-1 28, Paris- Rome, 1902. — Le souvenir delà chaire romaine, attaché primitivement à la date du 22 février, a été, au vme siècle, transféré à la date du 18 janvier, le 22 février étant réservé à la chaire d’Antioche. — Maurice liusNiiin, Les Catacombes de Home. Les souvenirs de saint Pierre et de saint Paul. Dans Revue des cours et conférences, 7 avril 1904, p. 225-236.

On a fait allusion ci-dessus à un transfert probable des corps des apôtres Pierre et Paul durant la persécution de Valérien (2">8) et à leur déposition provisoire sur un point des Catacombes désigné par une inscription damasienne :

Hic habitasse prias sanctos cognoscerre debes No mina quisque Pétri pariter Paulique requiris.

Cette tradition a été souvent révoquée en doute : voir, par exemple, le R. P. Diïlkhayk, Origines du Culte des Martyrs, p. 302-308, Bruxelles, 1912. Des découvertes récentes paraissent la confirmer.

Les fouilles commencées en hj15 par la Commission d’Archéologie sacrée, reprises en 1919 avec le concours du Service des fouilles, à Saint-Sébastien, sur la voie Appienne, ont mis à jour les restes d’une antique Triclia, que son architecture permet de rapporter à la seconde moitié du m siècle, et dont le mur, presque entièrement détruit, a pourtanteonservé plus de deux cents graflites associant les noms des apôtres Pierre et Pnul. Petre et Pairie, in mente habete… Paille et l'être, petite pro… Petre el Paule, subvenite… Les inscriptions sont en langue latine et en langue grecque ; elles invoquent tantôt Pierre, tantôt Paul en premier lieu ; mais elles ne les séparent jamais. Voir dans ies Etudes, t. GLXXI, p. 60 68 (5 avril 1922), l’article du R.P.G. i>k Jkri’iianmon sur Les dernières découvertes dans la /{orne souterraine.

Nous ne croyons pas devoir nous attarder aux polémiques de ces derniers temps. M. C. GuioNllBBRT, La primauté de Pierre et la venue de Pierre à Rome, Paris, 1909, écrit, dans son Avant-propos :

p. 1 : Théologiens et polémistes sont gens de parti pris, qui savent d’avance où, coûte que coule, leur recherche les conduira : au vrai, ils no se préoccupent que de découvrir, dans les textes et les faits, des arguments pour juslilier leurs positions, des longtemps prises et que rien ne leur ferait abandonner, que do prévenir et de désarmer d’avance les nts et les raisons qui ne les favorisent pas Les uns et les autres ont toujours a la bouche l’accusation de mauvaise foi, de préjugé, voire de haine : et les théologiens, c’est leur originalité, v ajoutent d’ordinaire, celle d’ignorance et d’inintelligent

p. 111 : Une grosse part de la littérature relative à la primauté de Pierre et à son apostolat romain s'élimine donc, du premier abord, paice qu’elle est d’esprit théologique ou polémique : on y peut relever des remarques utiles et des idées ingénieuses ; il est impossible de lui faire confiance

Générale quant à l’interprétation des textes et à la solidité es conclusions…

Cela veut dire qu’un esprit capable de faire confiance à une tradition consistante est par là même disqualifié pour le travail historique, et que la première disposition requise pour faire œuvre utile est un scepticisme ouvert à toutes les suggestions, sauf à celles du dogme. Là-dessus, on remplit quatre cents pages de points d’interrogation. La plaisanterie pourrait sembler agréable si elle durait moins. Mais nous ne nous sentons pas le courage de la discuter.

Combien plus rationnelle, cette conclusion d’une élude parue l’année suivante, P. Mo.nciîaux, L’A postulat de saint Pierre à Rome, dans R. IL L. R., 1910,

P. 2^0 :

Quoi qu’on en dise, les adversaires do la papauté, au II* el au m"-' siècle, devaient connaître mieux que nous l’histoire de saint Pierre et les origines de l’Eglise romaine. Leur intérêt était de se bien renseigner. S’ils l’avaient pu, ils n’auraient pas manqué de frapper Rome au cœur en lui enlevant son apôtre S’ils ne l’ont pas même tenté, si, tout en repoussant les prétentions des papes, ils n’ont pas contesté le fait sur lequel s’appuyaiont ces prétentions, c’est qu’ils admettaient tous l’apostolat el le martyre de Pierre à Home. On peut en conclure aussi que tous interprétaient comme nous les textes autour desquels tourne aujourd’hui le débat, depuis le texte de Clément jusqu'à celui de CaTui : et tous ces adversaires de Rome, dont la rancune devait aiguiser l’esprit eriti ; ue, savaient mieux que nous le grec de leur temps.

On ne saurait plus poliment congédier le nihilisme doctrinal et le nihilisme historique. Nous engagerons le lecteur, pour qui l’histoire demeure une science du réel, à préférer aux modernes doctrinaires du néant le père de l’Hisloire ecclésiastique. Euskub, le plus savant Grec du iv* siècle, après avoir vécu dans cette admirable bibliothèque de Césarée dont les moindres reliques ont pour nous un prix infini, traite la tradition de l’Eglise romaine avec le plus grand respect et y revient avec une insistance significative. Après avoir cité, touchant l’apostolat romain et le martyre des apôtres saint Pierre et saint Paul, Tertullien, Caïns de Rome et Denys de Corinlhe, il souligne leur déposition par ces mots : « Soit dit pour donner à l’histoire un surcroît de garantie », Kœi tRftra S-, „ ; Sot éti jiv.Y/'jv TuaTtoO-iv ; rx riî ; tatopltti. IL E., III, xx v, P. G., XX, 209. Voir encore II, xiv ; III, 1 ; V, xxvm ; VI, Xiv, etc.

Bibliographir. — Paul Martin, articles de la Revue des Questions historiques, années 187.3, 1874, 1875.

— M. Lecler, De Romano sancti Pétri episcopatu, Louvain, 1888 (abondante bibliographie). — On peut an^si consulter Ulysse Chevalier, Répertoire des sources historiques du Moyen Age, à l’art. Pierre (saint).

— L. Duchesne, /./7 ; er Ponti/icalis, Paris, t. I, 1886 ; t. II, 1892. — Pour les travaux récents, voir H.Mnrucchi, Eléments d’archéologiechrétienne, trm.(r. 3 vol., Rome-Paris, 1900-1903 ; Ad. Harnack, Chronologie der altchrisllichen f.illerutitr, i%q r }-iqot{ ; C.H. Turner, dans Journal of Theological Studies, janv. 1900, p. 181-200 ; Dom J. Chapman, La chronologie des premières listes épiscopales de Rome, dans Revue Bénédictine, 1901, p. 399-417 ; 1902, p. 13-37 ; 145-170 ; Jean Guiraud, l.a venue de saint Pierre à Rome, dans Questions d’histoire et d’archéologie chrétienne, p. 215-271, Paris, 1906 ; Paul Monceaux, L’Apostolat de saint Pierre à Rome, R. If. /.. R., 1910, p. 216-240 ; Léon Vouaux, Les Actes de Pierre, Paris, 1922.

A. d’Alùs. 37

POSITIVISME

38