Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Naturisme

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

NATURISME. — « Partout et à quelque époque qu’on l’observe, l’homme est un animal religieux ; la religiosité, comme disent les positivistes, est le plus essentiel de ses attributs, et personne ne croit plus, avec Gabriel de Morlillet et Hovelacque, que l’homme quaternaire ail ignoré la religion. » (Salo-MON Reinach, Cultes, Mllies et Religions, Paris, I, igo5 ; Introduction) — Mais d’où vient ce phénomène ?

« A moins d’admettre l’hypothèse gratuite et

puérile d’une révélation primitive, il faut chercher l’origine des religions dans la psychologie de l’homme, non pas de l’homme civilisé, mais de celui qui s’en éloigne le plus. » (Ibid.)

Et maintenant, les premiers représentants de l’Espèce humaineayant disparu sans laisser de traces appréciables de leurs croyances, ne pourrait-on considérer les populations de culture inférieure, encore nombreuses sur la terre, comme les plus voisines, par tout l’ensemble de leur vie, des populations primitives ? Dans cette hypothèse, assez conforme aux données de la préhistoire, nos sauvages actuels ne seraient pas, en général, en état de décadence, mais de stagnation, arrêtés dans le lointain état social de leurs ancêtres et des nôtres. C’est donc chez eux,

« en remontant jusque dans les régions les plus éloignées

el les plus primitives de l’activité intellectuelle do l’humanité))(Tylob), qu’on aura le plus de chances de retrouver les premiers éléments d’où les religions actuelles sont sorties.

Or, l’étude de ces peuples montre, selon plusieurs, que le point initial de l’évolution religieuse dut être le Naturisme, c’est-à-dire a la personnilication de la Nature devant tout objet qui peut suffire à déterminer la révérence de l’homme simple ». Et la première religion, d’après A. Rkville, aurait été « celle qui eut pour objet direct des phénomènes, des corps ou des forces de la Nature tenus pour animés et conscients i>. (ia religion des peuples non civilisés, I, p. 67, Paris, 1883) Sous d’autres systèmes et d’autres noms, le préanimisme, l’animisme, le mànisme, le fétichisme, la magie, le totémisme, ïylor, H. Sprnceb, J. S. Fhazer, W. Wundt, Hubert et M auss, Dorkheim, A. vanGennep, Goblktd’Alviella, SalomonRrinach, etc. découvrent aussi l’origine des religions dans le contact révérentiel des premiers hommes avec la Nature extérieure : c’est de là que, par un processus qu’on s’évertue laborieusement à reconstituer, seraient sorties les idées d’âmes, d’esprits, de dieux. 1667

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de Dieu enlin, en même leiups que les pratiques variées du culte prive et publie.

l’rimus in orhe deos fecil timor,

avait déjà dit le poète antique : c'était un précurseur.

En réponse à ces théories, qui prétendent détruire par la base toutes les données de la Révélation cl montrer que la Religion est sans objet, il sulfira de faire les observations suivantes :

1" A supposer que le Naturisme, l’Animisme, la Magie, le Fétichisme et le Totémisme forment la base des religfions ou pseudo-religions dessauvages actuels et même des plus lointains représentants de notre Espèce, la lîible — puisque c’est d’elle qu’il s’agit — est ici hors de cause. La Bible enelTel nous dit bien que lepremier homme fut créé « à l’image de Dieu », et dès lors vraisemblablement pourvu des premiers cléments de ce qui s’est appelé la « Révélation » ; mais elle ajoute que, par suite de la déchéance originelle, ses descendants se dispersèrent dans le vaste monde qui s’ouvrait à leur activité, sujets à toutes les faiblesses phj’siques, intellectuelles et morales de leur nature, privés désormais des immunités exceptionnelles accordées à l’Ancêtre et, à l’exception de quelques familles privilégiées, bientôt livrés à toutes les divagations religieuses dont l’homme est capable et que nous pouvons remarquer aujourd’hui parmi les populations de culture inférieure. C’est en cet état de dispersion, de dégradation apparente et (le vraisemblable dénûmenl intellectuel, que la préhistoire retrouve aujourd’hui quelques-uns de leurs représentants.

2" Libres d’accepter le Naturisme tel qu’on le représente, sans que notre Foi religieuse en soit atteinte, nous avons cependant le droit de nous demander quelle est la valeur de cette hjpothcse et, d’abord, quels sont les savants qui la proposent. Or, il est assez remajquable qu’aucun de ces derniers ne connaît, pour les avoir fréquentées et étudiées sur place, les populations primitives dont ils nous exposent par le menu les croyances et les plus intimes pensées. En fait, tous ont un système auquel ils semblent vouloir attacher leur nom et s’appliquent à chercher dans les relations des voyageurs et des missionnaires les menus faits qui peuvent leur être favorables, en laissant de côté ceux qui leur sont contraires : c’est ce que leur reproche avec juste raison l’un des premiers disciples de Tjlor, devenu bientôt un maître, Andrew Lang (7'lie Making of Reiigioii),

3* Aussi, n’y a-t-il pas lieu d'être surpris des omissions, des méprises et des erreurs qu’on rencontre en ces divers systèmes, lesquels, d’ailleurs, se détruisent réciproquement. — La première de ces erreurs, qui est fondamentale, consiste à confondre sous la même appellation — la « religion » — des croyances cl des pratiques dont quelques-unes sont en effet (l’essence religieuse, mais dont les autres relèvent de la superstition et de la magie. (Jue penser de l'écrivain chinois qui, voulant donner à Pékin un exposé de la religion des Français de Paris, confondrait ensemble les cérémonies de Notre-Dame et celles du Grand Orient'?

4° Or, si les a sauvages >/ de l’Afrique et de l’Océanie, de l’Asie et de l’Amérique, présentent en effet nombre de mythes et de faits qu’on peut rattacher au Naturisme, à l’Animisme, au Totémisme, à la Magie, c’est-à-dire à la Superstition et même à la Jémonolâtrie, il y a d’autres croyances et d’autres pratiques de nature plus élevée qui sont proprement religieuses.

Et, ce qui n’a pas été sans surprendre, il est aujourd’hui constaté que, à mesure que l’on pénètre les secrets des populations les ])lus primitives, les Pygmées d’Afrique, les Ncgritos d’Asie, les Australiens, on découvre chez elles des notions plus simples et plus pures, telles que l’idéed’un Etre suprême, d’une survie, de la prière et du sacrilice. Ces constatations, faites sur place et soigneusement contrôlées, ne correspondent guère au portrait que, d’abord et de loin, on nous avait trace du sauvage, lequel ne distinguerait pas t. l’animé de l’inanimé » et adorerait stupidement les arbres et les pierres !

5° lInnBEHT SpENCKH avail formulé la loi suivante, valable, dit il, pour toutes les sphères de l'évolution sociale : « Ce qu’il y a de commun aux intelligences dans toutes les phases de la civilisation, doit tenir à une couche plus profonde que ce qui est spécial au niveau supérieur, et si ces dernières manifestations peuvent s’expliquer comme une modilieation et une expansion des autres, il est à présumer que telle est bien leur origine. « (Sociology, I. § 1^6) — Cette double proposition peut être admise, mais à la condition de ne pas écarter délibérément des « couches profondes » de la civilisation les notions proprement religieuses qu’on y trouve, sous le prétexte qu’elles ne peuvent être cjuc le développement des autres. La notion d’uu Etre supérieur, organisateur du monde et maître des éléments, est à la fois très simple et trésé levée : nos Pygmées d’Afrique, acluellement, la regardent comme toute naturelle, et il n’y a aucune invraisemblance à supposer que les premiers hommes l’aient eue, en considérant le vaste Univers qui s'étendait devant eux.

G" Mais, dira M.Sai.oiio.n Heinac.u, scandalisé, cette doctrine n’est-elle pas contraire à celle de « tous les grands théologiens de l’Eglise », d’après lesquels a l’humanité est redevable de la connaissance de Dieu à la révélation sklli ; » ? (Oiyi/icKSjp. 1 1) — Que M. Salomon Reinach se rassure : les « grands théologiens » du traditionalisme, qui ont en effet soutenu cette thèse, ont été précisément condamnés, et le Concile du atican a délini, à la suite de saint Paul, que l’homme peut parfaitement arrivera la connaissance de Dieu par les lumières naturelles de sa raison.

En résumé, le Naturisme grossier, qui nous représente le sauvage actuel comme personniliant la Nature et ne distinguant pas a entre l’animé et l’inanimé », n’existe pas, et rien ne prouve qu’il ait jamais existé. En tout cas, à eijté des croyances et des pratitpies pseudo-religieuses, naturistes, animistes, loténiistes, inagi(iues, etc., il convient de relever des croyances et des pratiques plus pures, qui, seules, constituent la Religion. Ce double élément se remarque aujourd’hui partout chez les populations de culture inférieure, et il est probable qu’il remonte aux origines mêmes de l’Humanité. Enlin, dans cette question, la Rilile et la Révélation sont hors de cause.

BiBLioGiiAPHiE. — E. U. Tylor, Piimiliyt Culture, a vol. London, 1872 ; trad. franc., La Cnilisatioii primitive, 2 vol. Paris, 1878 ; A. Réville, Les religions des peuples lion cii’ilisés, 2 vol. Paris, 1883 ; Andrew Laiig, The Making of Religion, London, 1900 ; A. Bros, La Ileligion des peuples non ciiilisé.s, Paris, 1907 ; Mgr A. Le Roy, t.a Religion des Primitifs, Paris, 1909 ; A. Lemonnjer, I.a Révélation primitive et les données actuelles de laScience (traduit l’allemand du R. I'. G. Schmidt), Paris, 1914.

A. Lb Roy, nTèque d’AIindd.