Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Natalité

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

NATALITÉ. — Au point de vue de l’apulogétique, la question de la natalité a pris depuis un certain nombre d’années une importance in^ittendue. Sur les principes, l’Eglise n’a jamais varié : les époux peuvent, d’un rautnel consentement, s’abstenir de tout rapport conjugal ; mais, s’ils y procèdent, ils ne doivent rien faire, ni l’un ni l’autre, qui rende la conception ini|K)Ssible, à supposer qu’elle soit possible par ailleurs. Telle est la loi naturelle et divine. Il faut rappeler ici la malédiction portée dans la Genèse contre le crime d’Onan : Semen fundebat in terram, ne liberi nascerentur. Et idcirco pereussil eiim Dominas, quod rem detestaOilem f : ceret(Gen., 71X-x.vui, gct 10). Peul-ètrc bien certains versets de l'épilre aux Romains fontils écho à. cette malédiction (Rom., i, 2O).

Mais ce n’est encore que la solutii>n morale ou pratique ; autrement dit, ce n’est pas encore autre chose que la règle de conduite. De cela, il est vrai, l’humanité eut toujours besoin : car elle ne peut pas exister sans une loi naturelle f|ui lui soit révélée de quelque manière et qui s’impose à la conscience, tandis qu’elle [lent subsister de longs siècles dans l’ignorance des lois économiques et des mystérieux desseins à travers lesquels la Providence dissimule toutes les plus secrètes harmonies de son oeuvre.

Le problème reste toujours celui-ci : étant donnée la nature humaine avec ses instincts, y a-t-ilà craindre une surpopulation par le mariage et la vie conjugale ? Et si on pouvait la craindre, comment pourrait-on l'éviter ? C’est l'économiste anglais Malthus qui a posé le problème ; puis les conséquences, « nie l’on a déduites de ses conclusions, se sont incarnées dans le néo-malthusianisme, dont les ravages ont été plus grands en France que nulle part ailleurs, à tel point qu’une réaction énergique est devenue de la plus impérieuse nécessité pour l’heure actuelle.

Tel sera donc notre plan :

I. /.a théorie de Malthus :

II. Valeur scientifique de la théorie de Malthus :

III. La théorie de Mallhus au regard de l’apologétique catholique ;

IV. Le néo-malthusianisme ; 1049

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V. L'élal acliicl de la question eu Fiance ;

VI. /.a nécessité de la lutte contre l’immoralité néû-malthusicnne, et les /ormes possihles de cette lutte.

1. La théorie de Malthus — Y a-t-il une corrélation nécessaire cnlre la quantité possible des subsistances et le nombre d’iioniiiiesqul les produisent par leur travail ? Si oui, l'é<|uilibre ne sera jamais rompu et le problème n’existe pas : un milliard d’iioninies vivra sur un espace donné, aussi facilement que cent millions ou un million. Seulement, il y a un élément dont nous ne pouvons pas faire abstraction : c’est l’espace. Multipliés à l’excès, les hommes en manqueraient i)our eux-mêmes, comme pour les ciilUires ou travaux quelconques auxquels ils s’adonneraient. Ainsi en estîl pour les espèces animales et vcufétales, dont ])resque chacune parviendrait à couvrir toute la zone de la terre où elle peut vivre, s’il n’y avait pas de causes extérieures de destruction qui refoulent un excès de développement. En esi-il de même pour le genre humain ?

On n’ignore ni la réponse de I’laton dans la liépiiiiliqiie et le- ; Lois (1. V, ch. viii et x), ni celle d’AnisTOTE dans la l’olitique (1. V, ch. xiv, § lo ; item §6). Avec eux, le retard de l'âge du mariage, l’abandon des enfants nés difformes et surtout l’avorlement prémédité et systématique doivent obvier aux dangers de surpeuplement. A ces conditions, la cité n’accroîtra pas le nombre de ses membres au delà des limites fixées par la loi ; car les anciens n’ont pas la même idée que nous de la liberté civile et ils n’en ont aucune du progrès.

Mais l’imuioralilc devait dissoudre les sociétés païennes. Deux siècles jdus tard, Polybe se désolait de voir jusqu'à quel point la Grèce s'était stérilisée et rendue impuissante par son égoïsme (Histoire, l. XX.XVII, ch. IV, édit. Uidot, I. III, p. 133) ; et in autre siècle après, pour enrajer le fléau, au moins dans les classes riches, Acgustb allait essayer des lois caducaires — lois Papia et Julia Poppæa, — qui, dans les successions, avantagèrent les patres aux dépens des orhi et surtout des cælihes.

Puis le problème disparaît des préoccupations. Avec les barbares, les mœurs sont redevenues conformes sur ce point à la loi naturelle, comme elles le sont du même coup avec la loi chrétienne ; les artilices d une civilisalion corrompue ne sont plus en usage ; quant au tropplein, s’il y en avait un que les malheurs des temps ne pussent pas refouler, bientôt la vie monastique, si florissante et si répandue au moyen Age, va sullire pendant bien des siècles à l’absorber. A peine une inquiétude reparail-elle au xiv siècle avec le Sumniam viridarii (le Songe du vergier) de Raoul de Pkeslcs ou de Philippe db Maizièrks (13^G).

Sous la Renaissance, tout au cours du xvii' et même du xviir siècles, on considère un chiffre élevé de population comme un signe ou une cause de richrsse et de puissance d’un Etat. « Il ne faut jamais craindre, dit Bodin, qu’il n'}' ait trop de sujets, vu qu’il n’y a richesse, ni force, que de citoyens. » (De la liépiiblique, 1. V, ch. ii, 15^6.) BoTuuo, a » même temps, développait la même considération dans son traité Dclle cause délia graiidezza délia Città (1698) et dans sa Ragione di Stato (1699). Au xviii' siècle, Mirabeau, surnommé » l’Ami des hommes » à cause du litre de son grand ouvrage, }.'.4mi des hommes : Traité de la population (i^à^), fait encore consister la richesse dans la population ; mais comme celle-ci est limitée par la subsistance, c’est par l’amélioration de l’agriculture que l’aceroissement de la population doit être obtenu.

L’Anglais Malthus (i^GC-iSS^) va poser résolument la question. Fils d’un pasteur anglican et ])astcur lui-même, élevé dans une famille qui a eu pour Ilotes Hume et Rousseau, il a entendu louer autour de lui Gonwi.N, qui, dans son Inquiry coiicorning political justice and ils in/luence on morals and liappfuiss (1793), a attribué la misère des pauvres à la durelé des ricins. Malthus soutient une Ihcse toute différente. Selon lui, cette misère provient d’un excès de population, à lel iioint que, si cet excès ou cette tendance à l’excès persistent, aucune aumône ne pourra jamais relever la condition des malheureux. Sur ce thème, il écrit en 1798 son Essai sur le principe de population. Puis il entreprend de grands et longsvoyages dans les pays du Nord, en Suisse et en Savoie, afin de recueillir sur i)hice les documents st.ilisliques qui lui manquent cl qui du reste sont partout fort rares. A cette époque enl’iii il donne (en 1803) son Principe de population sous sa forme délinilive. Il appartient dès lors tout entier à l'économie politique, sans que ses leçons au collège d’IIaileybury ni ses autres ouvrages ajoutent quoi que ce soit à sa renommée.

Sa théorie tient tout entière en trois propositions, dont la troisième sort logiquement du contraste des deux premières. — 1" « Lorsque la population, dit-il, n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant tous les vingt-cinq ans, et croit de période en période selon une progression géométrique : — -1 II D’après l'état actuel de la terre habitée et dans les conditions les plus favorables à l’iiulustrie, les nioj-ens de subsistance ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression aritJimétique (Principes de population, 1. 1, eh. i, éd. Guillaumin, p.8 et 10). — Donc : 3° « I.es hommes ont une tendance à se niultijilier plus rapidement que les subsistances dont ils auraient besoin. Nous aurons par exemple, pour les existences humaines, la série des nombres 2, /p, 8, 16, 32 ; pour les subsistances, la série des nombres 2, ^, G, 8, lo. Au bout de quatre périodes de vingt-cinq ans, soit dans 100 ans, les hommes devront ctro Sa millions au lieu de 2 millions : mais ils auront tout au plus à manger pour 10 millions,.insi, comme l’a dit Charles l'ÉBiN, professeur d'économie politique à l’Université catholique de Louvain, <' la force mystérieuse qui préside à la mullijilication de l’espèce humaine tend à dépasser dans son inipctuosilé les progrès du travail ; la population s’avanceeontinuellement à la limite des subsistances. » (Charles Pkhin, l.a Richesse dans les Société » chrétiennes, 18O1, 1. IV, ch. I, t. I, p. 552)

« Je sais bien, dit Malthus, que les millions excédant dont j’ai parlé n’ont jamais existé. » (Us n’existent pas, parce qu’ils sont empêches par des obstacles ou checlis.)

A cet égard, Mallhus distingue :

i"> Les obstacles préventifs, qui empêchent les naissances. Ils se subdivisent en deux sortes : les obstacles vicieux (débauche, prostitution, etc., toutes causes qui stérilisent), et les obstacles raisonnables (relard à se marier, el moral resliaini ou abstention de l’acte conjugal dans le mariage). Les « manœuvres anticonceplionnelles » doivent-elles être classées parmi les obstacles raisonnables ou parmi les obstacles vicieux ? Malthus ne traite nulle part ce sujet : cependant il y a lieu de croire qu’il pense aune conlinence absolue, quand il parle de moral restraint comme si d’une façon générale il demandait aux époux un effort assurément difDcile à obtenir ;

2° Les obstacles répressifs, qui font disparaître des vies déjà commeiuées : et ici Malthus nomme les épidémies, les guerres el les famines, comme s’il 1051

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s’inspirait de la menace du prophèle dad au roi David (Il /l’ois, XXIV, 12 et 13).

Bref, conclut-il, si la misère est si intense, c’est parce que, à côté des obstacles préventifs vicieux qu’il faut toujours combattre, on lailoulaisse fonctionner les obslacles répressifs dont cette ndsère fait elle-même panie. Alors il faut que l’on en vienne aux obstacles préventifs raisonnables, c’est-à-dire à la prudence dans la formation et l’usage de l’union conjugale. Notons en passant que le fameux agronome anglais Arthur You^< ; , parcourant la France de 1787 à l’jgo, avait pareillement allirmé que « la France aurait été plus puissante et plus llorissante, si elle avait eu 5 ou 6 millions d’habitants de moins’i. (Arthur YoUNC, Vuyugcs en France, Paris, 179^, an II delà République, t. ii, p. 215etsuiv. — /(em, p. a^) Avec cela.Malthus est un phi ! anthro[ie : il voudrait voir monter les salaires et surtout leur taux réel, et il ferait bon marché d’une réduction des exportations anglaises, s’il ne fallait que cela pour que les ouvriers anglais fussent mieux nourris, mieux velus et mieux logés (/^/iVicipes d’économie politique, éd. Guillauiuin, p. 361).

II. Valeur scientifique de la théorie de Malthus. - Quelle est la valeur scientifique de l’œuvre (le Malthus ? L’admiration a élé unanime au début, et l’on citera toujours ce conseiller aulique d’Allemagne, Weinhold.qui le félicitait d’avoir découvert des lois aussi importantes que celles de Newton.

Puis les contradicteurs ont surgi. Le principal d’entre eux a été l’Américain Henri-Charles Caiiev (1793-1879), qui, voyant tout le Far-West s’ouvrir aux trop-pleins du monde entier, démontrait heureusement les facilités croissantes de vie dont peut jouir une population de plus en plus dense. Enlin, et plus près de nous, le ralentissement considérable de la nalaliLé a impressionné très défavorablement la plupart des économistes contemporains, par exemple M. Levassedr, dans son traité de la Population française (l. III, ch. i, t. III) et M. Paul LeroylîBAULiKU, depuis son Essai sur ta réftartition des richesses, de 1881, jusqu’à son magistral Traité d’économie politique, de 1896, et sa Question de la population, ie 1910 (VU" partie, cli.i ; 2* édit., 1896, t. IV, p. 507 et s.). On donnait donc tort à Malthus.

Cependant, au point de vue purement rationnel et .Tbstraction faite d’une action particulière de la Providence, la thèscde Malthus paraitexacte. Si unepopulation double naturellement en un temps quelconque, la progression géométrique doit se poursuivre tout aussi naturellement ; et à su|)poser même que les subsistances puissent, de leur côté, se développer sans limites, quelque chose du moins ne grandira pas : ce sera l’espace, dont toutes choses, hommes, animaux et vé^jélaux, ont un égal besoin.

Là contre, il ne sert de rien d’objecter avec SistioNDi {youi’eaux principes d’économie politique, 1827, I. VII. ch. m) et le P. Liberatore, S. J. (Principes d’économie politique, 1889, ch. v, art. 2 ; tr. fr., p.i 15), qui s’inspire de lui, que les animaux et les végétaux, c’est-à-dire tous les êtres qui fournissent à l’homme des richesses infiniment renouvelables, ont une prolificité supérieure encore à la sienne, de telle sorte que la vie puisse ou doive être plus facile de génération en génération.

Peu importe enfin qu’une période de doublement par vingt-cinq ans soit trop courte : car il est bien clair qu’une humanité qui aurait doublé de nombre seulement par cinquante ans depuis le déluge n’aurait déjà plus l’espace nécessaire pour se tenir et à plus forte raison pour se nourrir et pour vivre. Le globe lui serait incontestablement trop petit.

— II n’en a pas élé ainsi, dira-t-on.

— Oui ; mais n’est-ce pas parce que les obstacles’ont fonctionné, vicieux ou raisonnables selon les milieux et les temps ? Alors, ce qui semble donner tort à Malthus^ peut tout aussi bien lui donner raison.

Ue fait, au xix" siècle, on n’a vu que dans l’île de Java une population doubler par vingt-cinq ans ; car les Etals-Unis, qui s’en sont rapprochés, ontfail un large appel à l’immigration ; en tout cas, si la richesse et les facilités d’existence y ont plus que doublé en vingt-cinq ans, il faut y tenir compte de l’immensité de l’espace et de l’accumulation des réserves naturelles du sous-sol, comme de circonstances exceptionnelles. Par ailleurs cependant — quoique, à vrai dire, la formule de Malthus paraisse toujours donner vingt-cinq ans de sécurité et que, sous ce rapport, elle ressemble trop à l’enseigne du barbier : Aujourd’hui l’on paye et demain, gratis a —, un homme de bon sens acceptera dillicilement que l’Inde anglaise puisse avoir 500 millions d’haliitants en njft/t, le Japon, 120, et la Chine, 800..insi, quoi qu’il arrive, l’événement justifiera toujours la première proposition de Malthus, si la population croît très rapidement, ou bien la seconde, si elle ne croit guère ou pas du tout, parce que, dans ce second cas, ce seront les obstaclesqui auront joué.

En résumé, pour que la thèse de Malthus fût démontrée fausse, il faudrait trouver d’autres lois nalurelles placées en dehors de ses formules.

On a cru en découvrir.

M. Lehoy-Beauliku, par exemple, se fait l’interprète de bien des économistes actuels, lorsqu’il donne ce titre à un des chapitres de son Traité : a La civilisation tend à diminuer graduellement la fécondité. » (Traité d’économie politique, Vil* partie, ch. Il ; 2’édit., 1896, t. IV, p. 572 et s. — Voj’ez aussi, du même auteur, la Question de la population, 1913, p. 93) El là serait la clef de la décroissance présente de la natalité dans tous les pays civilisés.

Mais pourquoi en serait-il ainsi ? Serait-ce l’effet de lois physiologiques, étrangères à toute action de la volonté ? La question est importante, pour quiconque veut apprécier au point de vue moral la diminution actuelle de la natalité, dans le monde entier pour ainsi dire. En ce premier sens, l’économiste italien Nitti croit résumer l’opinion commune, en concluant à la « loi entrevue par Donbleday et formulée par Spencer, à savoir que la genèse est en raison inverse de l’individuation ». (Population et système social, tr. fr., p. 282 et s.)

En réalité, il y a là deux formules différentes.

Pour DoL’HLKDAY, la répiétion — c’est-à-dire la suralimentation et la diminution des elTorts physiques — atténue la fécondité naturelle, comme on dira plus tard qu’elle diminue la supériorité relative H des croissances masculines : puis la dépléiion a des | elTets tout opposés. (Tlie true /i/ir 0/ population slnni’u to be connectée wit/i tlie food of the pcople, 184() Une loi providentielle, dit Doubledaj’, veut que la nature réagisse avec plus d’intensité lorsque des causes accidentelles menacent l’espèce de disparaître : ainsi l’arbre qui va mourir fructilie davantage, et les espèces animales les plus délicates et les plus faibles sont aussi les plus prolifiques. j

Autre est la théorie de Spe.nceh (développée dans’A tlieory of population produced from the gênerai laiv of animal fertililr, Westminster Revie^v l852), adoptée ouvertement par M. Charles Gidb (Principes d’économie politique, 4’éd., p. 3d2), mais heureusement contredite par M. de Felicb (Les Naissances en France, 1910, p. 118). Suivant Spencer, c’est le développement des qualités intellectuelles. 1053

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c’est l'éducalion et l’instruction qui conibaUcnldirectemenl la l'éconditc, comme si les a[)titudes géncsiques étaient en raison inverse des ai>liliides cérébrales. Ainsi les animaux supérieurs — les mammifères — prolilient moins que les poissons et les insectes, situés plus bas dans l'échelle des êtres ; et les (leurs doubles de nos jardins ne deviennent plus belles que par la transformation de leurs étamines en pétales.

Mais l’une et l’autre théories — celles de Doubleday et de Spencer — ne nous fournissent point de sullisar.ts arguments pour expliquer les déclins actuels de la natalité, malgré la large part de vérité sociale qui est, croyons-nous, dans la formule de Doubleday et sur Uiquelle nous reviendrons.

Surtout les auteurs qui, à l’exemple de M. LcroyBeaulieu, invoquent la civilisation comme un frein naturel contre la surpopulation, évitent de préciser la manière dont elle agirait. La civilisation refroiditelle les appétits sexuels ? Le contraire résulte de l’observation et de la statistique criminelle. Hendelle l’acte conjugal plus fréquemment infécond ? Non sans doute, en dehors des cas morbides : d’ailleurs la fécondilé reniarqualile de l'élite intellectuelle de la France catholique est une réponse suflisante. Enfin cette civilisation, avec la soif de jouissances cl l'égoisme qui l’accompagnent, inspirel-elle la perversion de l’acte conjugal et les manœuvres anticonceptionnelles ? Alors, si ce n’est que cela, nous sortons du domaine physiologique pour entrer dans le néo-mallhusianisme et les ob>tacles préventifs vicieux.

Pourtant, cette distinction, M. Leroy-Beaulieu ne la fait pas, tandis que M Arsène Dumont paraît bien ne croire qu'à l’action de la volonté, lorsqu’il imagine l’expression « capillarité sociale » pour désigner le besoin instinctif d’ascension qui pousse les démocraties à limiter leur progéniture en vue d’une amélioration de ses conditions d’exi^-tence. (Dépopulatiun et civilisation, 1890 ; — Natalité et déiiiocralie, 18g8)

La loi que M. Paul Leroy-Beaulieu a formulée, à savoir une diminution naturelle de la fécondité par la civilisation, a été elle-même très vivement combattue par M. PiKRSON, jusque dans les éléments statistiques sur les(|viels P. Leroy-Beaulieu croyait pouvoir l’appuyer (Pirrson, Traité d'économie politique, tr. fr., 19161917, t. II, p. 422 et s.). De fait, si, par l’action de la loi de Doubleday, il y avait une tendance à la stérilisation relative par l’elTet physique du bien-être, d’un autre côté il pouvait y avoir une tendance inverse à la fécondité, grâce à une moralité supérieure qui n’aurait rien eu d’incompatible avec lu civilisation et qui en aurait été au contraire une forme supérieure. Par là éclate le vice de logique de M. Paul Leroy-Beaulieu, ne discernant pas les causes matérielles et physiologiques qui peuvent agir dans un sens, d’avec les causes morales qui peuvent agir dans ce même sens-là ou bien dans le sens opposé.

Il faut sans doute reconnaître, comme nous le verrons bientôt, que les conclusions rationnelles de Malthus ont été singulièrement dérangées par ces grands mouvements de l’histoire à travers lesquels la Proviilence a révélé peu à peu les secrets de la création et les forces mystérieuses cachées en elle. Tout aussi bien, les sombres pronostics de Ricardo, émis quinze ans plus tard, sur les diflicultés croissantes de l’alimentation, ont été démentis encore plus cruellement que ceux de Malthus. Mais rien de tout cela ne pouvait ni ne peut être découvert par une méthode purement scientifique, que ce soit sur la déduction quc l’on s’appuie ou bien sur les inductions que fournissent la démographie et la statistique.

Nous tenons donc pour juste la thèse scientifique de Malthus.

II(. Maltbus au regard de l’apologétique catholique. — Actuelleiuent la plupart des auteurs catholiques, de plus en plus impressionnés par les ravages de la stérilité volontaire, condamnent sévèrement Malthus, et généralement sans l’avoir lu. Cependant le P. Antoink S. J., si ojiposé qu’il soit, ainsi que le P. Libkuatore (^Principes d'économie politique, 1889, I" p., ch. V, tr. fr., 1894, p. 100 et s.) à la théorie scientifique, avoue bien que « par le devoir de contrainte morale, Malthus n’entendait aucunement l’emploi des procédés illicites pour entraver la reproduction ». (Eléments de science sociale, Poitiers, 1893, p. 5^3)

Quoi qu’il en soit de ce dernier point, nous avons oublié beaucoup trop Joseph de Maistre et son éloge de Malthus, éloge qui, « aujourd’hui, dit-on, provoque une certaine surprise » (P. Vkhmkkhscu, S. J., La peur de l’eufant dans les classes dirigeantes, dans l’opuscule l’our Vhonnéteté conjugale, Louvain,

>9'0. P- Tj) C est que Joseph db Maisthb était heureux de trouver, chez un pasteur protestant, une apologie indirecte du célibat des prêtres et des congrégations religieuses, après toutes les condamnations portées contre lui par Montesquieu, Diderot et les Encyclopédistes. Il appelait donc le Principe de population

« un de ces livres rares, après lesquels tout le monde

est dispensé de traiter le même sujet » (Du Pape, 1. iii, ch. iii, 15 3). Il allait, s’il se peut, plus loin encore quand il écrivait, dans son Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, que

« toute loi tendant directement à favoriser la population, sans égard à d’autres considérations, est mauvaise, et qu’il faut même tâcher d'établir dans l’Etat

une certaine force morale qui tende à diminuer le nombre des mariages et à les rendre moins hâtifs » (Essaisur le principe générateur, préface). Et, seule, selon lui, « l’Eglise, par laloi ducélibatecclésiastique. avait résolu le problème avec toute la perfection que les choses humaines peuvent comporter, puisque la restreinte catholique est non seulement morale, mais divine u. (Du Pape, loc cit.)

Dans ce sens, l’hommage le plus démonstratif qui ait été rendu à Malthus, d’autant plus suggestif que l’auteur qui l’a rendu n’a pas cité Malthus et l’a peut-être ignoré, est le jugement que porte le P. TaPAHRLLi u’A/.KGLio, S. J., dans son Essai sur le droit naturel (iSS^.l. V, ch. vi). « L’accroissement démesuré de la population, dit le P. Taparelli, est un véritable fléau pour l’honnêteté comme pour l’aisance publique. Par conséquent, s’il est possible de l’empêcher sans injustice et sans dommage, ne serait-ce pas un devoir pour l’autorité sociale d’arrêter, au moyen de ces obstacles, la misère prête à fondre sur la société avec toutes sortes de calamités, et le débordement des mœurs qu’elle entraînerait à sa suite ?… Or, c’est ici le point capital et le plus dillieile… Je suis forcé de l’avouer, la nature seule ne présente ici aucun remède : et voilà pourquoi nous devons, dans notre gratitude et notre admiration, nous prosterner aux pieds de l’Auteur et du Législateur du christianisme. Dans la plénitude des temps, il a rendu la continence vénérable par les éloges qu’il lui a prodigués, possilile par sa grâce, et facile par les institutions qui existent dans son Eglise… La société catholique est la seule qui soit capable de résoudre parfaitement cette grave et délicate question : opposer une barrière à l’accroissement excessif de la population, sans diminuer la félicité sociale, sans entraver les mariages, sans 1055

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ouvrir la voie au crime, el même en facilitant les unions el leur fécoiidité. » (Op. cit., tr. IV., 18p5, t. I, pp. 507-50y, Î^S 1118, 1120, 1122 el 1123)

Terminons par ce témoignage d’un positiviste militant et convaincu, M. Okherme, fondateur des Universités populaires : « Ce qui nous guérira de la dépopulation présente, dil-il, obviera à la surpopulation future… C’est parce qu’elle sait retenir où il faut, que l’Kglise peul pousser où il faut. » (Croilre ou dispuraitie, 1910, p. 179 et 2^4)

En résumé donc, si la pratique commune de la morale évangélique n'écarte i>as la nécessité du malheur ou du vice, il n’y aura plus que l’un ou l’autre, vice ou mallieiir, pour prévenir naturellement les excès de population ; mais gardons-nous, par ailleurs, d oublier les révélations économiques ou géographiques dont la Providence s’esl réservée l’heure el le secret

ce l’récisément, comme nous disions dans notre Cours d'économie politique, le xix" siècle a été l’une des plus admirables périodes de ces révélalions. Aucune époque ne le fut à un tel degré. Dans l’ordre géographique, ce fui la conquête effective des immenses territoires de l’Amérique du Nord, puis la pénétration du continent africain. Dans l’ordre économique, nous avons eu les transports faciles, qui accroissent les forces productives des populations en appelant les individus el les régions à se spécialiser toujours davantage ; nous avons eu la vulgarisation de la pomme déterre, qui triple le rendement des terrains légers ; nous avons eu 1 art d’utiliser la betterave à sucre, qui a doté nos climats tempérés de productions auparavant réservées aux tropiques ; nous avons eu la houille et le pétrole, qui, sans parler de l’essor donné par eux à l’industrie, ont rendu disponibles pour l’alimentation i)roprement dite presque tous les terrains absorbés jusquelà par les exigences du chaufTage el de l'éclairage ; enfin l’utilisaiion des forces hydrauliques a mis des millions de chevaux à notre dispositiim, el l'élecIrochimie, entre autres résultats, révolutionnera probiiblement l’agriculture par la lixalion de l’azote de l’atmosphère.

« C’est ce spectacle qui avait inspiré à M. LeroyBeanlieu son charmant apologue des trois Malthus

(Essai sur la répartition des richesses, 1881, introd., pp. 16 et s. ; Traité d'économie politique, 2' édil., t. IV, p. 532).

« Aux premiersjoursdumonde, dit-il ensubslance, 

quand le genre humain, fait de quelques familles seulement, vivait de fruits sauvages el des produits toujours incertains de la chasse, quelle épouvante se fût partout répandue, si un Malthus chasseur avait semé une théorie de la population d’après les seuls faits économiques dont on avait été Umoin 1

a L’humanité cependant marchait toujours, et la loi de la vie commandait sans relâche aux familles. Celles-ci se mullipliaient donc, mais en même temps elles allaient apprendre à s’adonner à l'élève du bétail. « A quoi songez-vous donc ? leur cria alors le Malthus des peuples pasteurs. Les pùlurages vont manquer à vos troupeaux, el la faim vous fera périr dans ces angoisses, imprudents qui ne savez pas commander aux forces de vie que vous portez en vous I »

a Ilélas ! on n'écouta pas davantage le Mallhus pasteur. Seulement, quand l’herbe commençait à devenir trop rare pour les troupeaux, on eut un Triplolème qui inventa la charrue ; et la terre fouillée par le soc donna des trésors de plus en plus abondants.

ic Enfin, après de longs siècles de celle vie culturale, quand la vieille Europe paraissait épuisée, quand la jeune Amérique était à peine traversée par

les voyageurs les plus hardis, quand l’Afrique et l’Océanie, vues seulement du bord des navires qui en contournaient les rivages, restaient encore à pénétrer, alors surgit un troisième Mallhus. Celui-là, c’est celui que nous venons d'étudier, et il s’est trompé comme les deux autres. » (Cours d'économie politique, 1910-1911, t. 11. p. 25 et s.)

Le problème psychologique et moral n’est pas cependant supprimé. Combien de siècles, en effet, l’humanité chrétienne n’a-t-elle pas vécu sur son étroite Europe, à peine occupée encore tout entière, alors que celle humanité, ignorant l’Amérique et l’Océanie. ne connaissait de l’Asie, de l’Afrique et même des régions orientales de l’Europe, rien autre chose que les Musulmans et les Tartares barrant la route ; i toute émigralion !

Les infranchissables limites que Mallhus devait décrire plus tard n’avaient donc alors rien de chimérique et Charles Pbuin a eu toujours raison d'écrire son chapitre : « Comment les doctrines de l’Eglise catholique luellent les sociétés dans les conditions de leur équilibre et de leur progrès naturel quant, 1 la population » (La Hichesse dans les sociétés cli, 'tiennes, 1861, 1. IV, ch. iv, t. I, p. 624).

IV. Le néo-malthusianisme. — Mallhus avait fourni sans le vouloir des arguments au vice et au crime. On ne manqua pas de les exploiter. Des économistes sans conscience recommandèrent ouvertement les manoeuvres anticonceptionnelles ; quelquesuns préconisèrent en propres termes lesavorlemenls et rétouffement des nouveau-nés, tJie painless extinction. Les apôtres de la prudence conjugale. SisMONDi, DuNovEK, Josiii’u Gabnibr en France, y préparent l’opinion dès la première moitié du xix' siècle En Angleterre, le trop fameux Stuart Mill, un des hommes les iilus étrangers à tout concept religieux et moral, et grand apôtre de l'émancipation des femmes, écrit que « l’on ne peut guère espérer que la moralité fasse des progrès, tant que l’on ne considérera pas les familles nombreuses avec le même mépris que l’ivresse ou tout autre excès corporel » (Principes d'économie politique, l848, 1. II, ch. xiii,

S ')

Même aujourd’hui en France, renseignement de nos Facultés de droit est, pour le moins, d’une indifférence déconcertante. On peut en juger par V Histoire des doctrines économiques de MM. Gide et HiST (1910), ou par le Précis d'économie politique de M. BnouiLiiET (1913) : ce dernier professeur constate sans plus de blâme ni de regret que « si l’homme n’a pas renoncé à l’amour, il a dissocié habilement ce que la nature avait fortement uni >> (Op. cit., p. 10).

Le mot « néo-mallhusianisine » n’est cependant apparu que vers 189^, introduit par un néo-m ; ilthusien militant. Van Houten, qui fut depuis ministre des Pays-Bas.

Des ligues nombreuses se sont formées pour-vulgariser ces pratiques soit anticonceptionnelles, soit aborlives. Un grand nombre de médecins y ont donné leur concours. Parmi les apôtres les plus connus ou les plus actifs, nous nous bornerons à citer en Angleterre Annie Besant, versée depuis lors à la théosophie, et le docteur Drvsdalk ; puis en I France Paul Robin-Robin, qui, fâcheusement illustré par les immoralités de la u coéducation m à Cempuis, se suicida en 1912. (Sur la propagande néo- 1 malthusienne, voyez entre autres Lkroy-Bbaoi.ieu, /.a question de lu population, igiS, p. 297, et db Femce, Les Naissances en France, 1910, p. 280 et s.)

Tout serl actuellement celle j)ropagande. De l’axeu du docteur Behtillon, l’apôtre très la’ique de 1057

NATALITÉ

1058

la repopulation, la franc-maçonnerie ne dédaigne pas d’y collaborer (La Dépopulation de la Franco,

191 I, p. 320).

Quant au socialisme, il la seconde très activement. La 1. grève des ventres » a été un mot d’ordre souvent donné dans les Bourses du travail, après les doctrines que le trop fameux Bebel avait formulées dans son Vivre La Femme (Die Fia 11), parvenu luimême à une si effrayante diffusion. M. Maxime Leroy, syndicaliste autorisé, s’exprime ainsi sur ce sujet : (1 La limitation volontaire et raisonnée des naissances est une idée qui a pénétré dans la classe ouvrière par les militants anarchistes, influencés par l’initiateur et théoricien du néo-malthusianisiue, Paul Roliin. Sans être statutaire, si elle doit jamais le devenir, elle tend à se transformer en une sorte d’obligation morale tvl’s préciae… » Le résultat sera de <i libérer la femme du joug masculin et de lui éviter la triste ressource de l’avortement ou de l’infanticide… Le néo-malthusianisme, c’est encore un droit de contrôle revendiqué sur la production au nom de la solidarité prolétarienne » (La Coutume ouvrière, Syndicats, Bourses du trai’ail, etc., igiS, t. I, pp. 265-270).

Il est profondément regrettable que beaucoup d'économistes libéraux, étrangers à nos croyances ou timides et illogiques avec elles, aient plus ou moins prêté les mains à cette propagande. Quelquesuns, comme de Molinari (1819-1912), ont calculé froidement qu’il en coûte moins d’importer un homme que de l'élever, et qu’il y a par conséquent un bénéfice économique à introduire des étrangers en France, plutôt qu'à procréer des Français.

Mais aucun auteur, parmi les théoriciens de l'économie politique, n’a prêché le néo malthusianisme plus ouvertement ([ue M. Pikrson, ancien président du Conseil des ministres des Pays-Bas et auleur d’un Traité d'économie politique qui vient d'être traduit en français. « U n’est pas chimérique, dit-il, de supposer, que ce système (le néo-malthusianisrae), recommandé avec force et dans de larges cercles par des personnes qui inspirent confiance, sera un jour pratiqué d’une manière extensive… Je n’ai jamais trouvé de démonstration claire de l’immoralité de tous les moyens préventifs. » (Op. cil. (1896), tr. fr., 1916-1917, t. II, p. ^87 ; p. 44' ")

M. Lrroy-Beauliei ; , lui-même, en louant trop exclusivement la famille de trois enfants, qu’il appelle la famille « normale » — il aurait dii dire

« moyenne > et de faillie moyenne, — a trop laissé

croire que, s’il y a une certaine morale conjugale jusqu'à la troisième grossesse inclusivement, il yen a ensuite une autre, et néo-malthusienne celle-là, si l’on veut.

Pourquoi aussi n’avoir pas développé, avoir laissé même ignorer cette grande vérité, que Carey avait mise en pleine lumière, à savoir que l’homme produit en même temps qu’il consomme, et que peut-être bien avec lui, tant que le point de saturation n’est pas atteint, la production n’est pas incapable de devancer même les besoins ? C’est ce que le docteur Bertillon exprimait par ce mot saisissant :

« Malthus oubliait que les convives du banquet en

sont aussi les cuisiniers… et que, lorsque les convives sont nombreux, les rations à bien des égards sont plus grosses. » (/, « Dépopulation de la France, 191 1, pp. 30 et 43)

V. L'état actuel de la question en France. — Nous ne nous arrêterons pas longtemps sur les ravages du néo-malthusianisme, plus grandsen France que nulle part ailleurs.

Ils sont mesurés par le déclin delà natalité.

Tome III.

On appelle coefficient de natalité le nombre des naissances par 1.000 habitants et par an. Or, le voici pour la France, par période de dix ans depuis 1800 :

1801-1810 32, 5

1811-18ao 31, 6

1821-1830 30, 5

1831-1840 28, 9

1841-1850 29, 4

1851-1860 26, 7

1861-1870 26.4

1871-1880 24, 5

1881-1890 23, 8

1891-1900 22, 1

igoi-1910 20, 5

1911-1913 18, 8

La proportion des mariages (coefficient de nuptialité) est restée stationnaire ; celle des naissances naturelles a haussé légèrement. Il faut noter du reste que les mariages — mariages civils — après divorces, faisant repasser une seconde fois devant le maire l’un des conjoints du vivant de l’autre, commencent déjà à fausser assez sensiblement notre statistique officielle des mariages (15.ooo divorces par an avant la guerre).

Le rapportdu chiffre des naissances légitimes avec celui des mariages n’est pas moins concluant, quoique les naissances d’une année se réfèrent à des mariages de bien des années différentes. De vingt en vingt ans, nous trouvons, en face d’un mariage, le chiffre d’enfants qui suit :

1800 4, a4 enfants légitimes.

1820 4, 08 —

1840 3, 26 —

1860 3, 04 —

1880 3, 09 —

1900 2, 95 —

'9'o 2, 46 —

La proportion des mariages sans enfants, plus grande à Paris que dans les villes moindres et surtout que dans les campagnes, est sensiblement, dans l’ensemble de la France, ce qu’elle est dans les pays voisins (De Felice, Les Naissances en lrance, 191 1, p. 100 etia2). Ce qui est inférieur en France, c’est donc la fécondité moyenne des ménages ayant des enfants ou en ayant eu.

Quelle est l’origine du mal ? Quelles en sont les causes immédiates ? Quelles en sont les formes visibles et palpables ?

Le vice, à coup sûr, est apparu bien avant la Révolution. L’abbé Jaubert le signale des 1167 comme sévissant dans les classes élevées (Causes de la dépopulation, 1767, p. 39).

Un peu plus tard, Moheau le montre pénétrant dans les campagnes et menaçant l’Etat d’un mal

« plus funeste que les pestes qui le ravageaient autrefois ». (Recherches et considérations sur la population de la France, 1778, t. ii, p. 102) Cependant, 

en ce temps-là encore, Messanci- ; notait un coefficient de natalité de 41. 6 pour l’Auvergne, de 42, 1 pour les villes du Lyonnais, etc., bien que déjà la Normandie, tombée aujourd’hui à 13 et 14, se fût assigné un rang défavorable, avec seulement 36, 3 (Voyez Arthur Young, Voyages en France, Paris, 1793, t. III, p. 201 et s.) Pour Lyon en particulier, où les naissances comparées aux mariages étaient tombées de 483 "/n, dans la période malheureuse de 1Ô99 * '7"8. à 433 et 408 pour celles infiniment plus prospères de 1739-1748 et 1749-1 758, on peut se demander si déjà le vice ne s’y introduisait pas (Almanach de Lyon de 1760, que nous citons à

31 1059

NATALITE

1060

notre Cours d'économie politique, t. II, p. 40). « Ce sera peut-être, disait aussi Neckkr en i’j84, un des maux de l’avenir, et l’on aperçoit déjà les indices d’un coupable relàclienient. » (De l’Administration des finances de la France, 1784, 1, 9)

Parcourons les causes possibles de cette stérilité toujours croissante.

Dans l’ordre pliysiologique, nous écartons résolument un déclin naturel ou fatal de notre race. L’alcoolisme lui-même, très discuté, paraît être un facteur de mortalité infantile beaucoup plus que de stérilité : en tout cas, la Basse-Bretagne, quoique adonnée à l’alcool, garde relativement à peu près le premierrang en France, et les localités industrielles de la Seine-Inférieure sont aussi parmi les meilleures, quoique la consoraiiiation de l’eau-de-vie ne soit nulle part plus élevée Restent les maladies vénériennes : elles doivent jouer un certain rôle (De FeMCB, Les naissnncfs en France, p.io3 et s.), mais pas très considérable, en rentrant bien ouvertement dans les obstacles préventifs vicieux de Maltbus.

Dans l’ordre économique, nous ne croyons pas pouvoir rien expliquer par les diincullés de l’existence. Là contre protestent et la natalité meilleure de nos classes misérables et l’immigration constante des étrangers, venant vivre chez nous pour nous prouver que nos enfants aussi pourraient y vivre. En tout cas, — mais ce serait de bien-être et d’ascension intellectuelle qu’il s’agirait, et non pas de misère et de paupérisme — en tout cas, ni la loi de Spencer, ni celle de Doubleday ne pourraient s’appliquer, sinon à une faible partie de notre population ; elles seraient, par conséquent, sans effets appréciables sur sa masse numérique. De la loi de Doubleday nous ne retiendrons que le renouvellement nécessaire et incessant des aristocraties, par une mystérieuse volonté de la Providence sur les sociétés.

Les causes d’ordre moral proprement dit sont de braucoup les plus actives. On n’a pas d’enfants, parce qu’on ne veut pas en avoir. On recourt alors soit à l’onanisme conjugal et aux précautions anticonceptionnelles, soit à ravortement, malgré ses réels dangers. M. Prévost, dans son opuscule Les Avortements (19 12), conclut à 100.000 par an pour Paris et à io.ooo pour Lyon (ce dernier chiffre est celui qui est avancé par le docteur Lacassagnk dans son Précis de médecine lésiule). Le docteur Bddin n’en admettrait bien que 1 85. 000 pour toute la France ; eej)endant les gynécologues les plus autorisés acceptent le nombre de ijoo.ooo. La Société obstétricale de France » a conclu que, « d’après les plus récentes statistiques des maternités des grandes villes, l’avortement détruit prématurément le tiers des produits de la conception » (Cité par Dbhrrme, dans Croître ou disparaître, pp. 69-71). Les 700.000 naissances eflTectives en seraient ainsi les deux autres tiers, et ces chiffres sont bien concordants entre eux, tout en laissant une immense marge pour les manœuvres anticonceptionnelles proprement dites, si l’on eu juge par les capacités naturelles de reproduction que la race française devrait présenter.

Ainsi envisagé, le néo-malthusianisme fleurildans les conditions sociales les plus diverses.

Ile « t vrai que les couches tout à fait inférieures de la population, incapables de prévoyance, s’abandonnent sans calculer aux instincts de la nature et <iue, d’un autre côté, les familles sincèrement et profftudément chrétiennes font une heureuse exception dans ttms les rangs de la société, dans les milieux les plus riches comme dans les milieux intermédiaires ou les milieux les plus humbles. La haute

bourgeoisie lyonnaise en est un exemple frappant, auquel M. Lbvasseur a rendu un juste hommage {Ln Population française, l. V, ch. v, 1. 111, p. 169).

Très souvent, les classes riches sont spécialement incriminées de néo-malthusianisme, et les statistiques dressées par quartiers pour Paris et Berlin notamment appuieraient cette conclusion. Nous n’y souscrirons pas. Nous pensons qu’il faut tenir compte : i" de la proportion des domestiques célibataires, plus élevée dans ces quartiers ; 2" des longues absences de villégiature, qui marquent en quelque sorte d’un coefQcienl moindre les individualités recensées officiellement dans ces quartiers comme des habitants d’année entière ; 3° de l’action de la loi de Doubleday, qui, sans effet sensible sur toute une population composée en immense partie de travailleurs manuels, en a bien une sur la fécondité naturelle des classes sociales amollies par le luxe, a II n’y a pas, dit M. dk Felice, de famille dont la fécondité puisse résister à cinq générations de suralimentation ï, à cause de l’arlhrilisme et de l’hérédoarlhritisme qui en sont la conséquence. (Les naissances en France, p. 108. Voyez aussi Carry, Priiiciples of social science, ch. 11, p. 303 et s.) Quoi qu’il en soit, les familles sincèrement catholiques du haut commerce de Lyon et de la gTande industrie du Nord sont justiliées sullisarament par leur saine et robuste fécondité.

La proportion différente des sexes suivant les milieux et les temps va aussi nous ouvrir des aperçus bien singuliers et sans doute bien suggestifs.

C’est un fait d’observation que les naissances masculines sont plus nombreuses que les naissances féminines : mais cette supériorité n’est pas invariablement la même, elle a notablement décru depuis le xii< : et le xvui" siècle [à Londres, 1.076 garçons contre i.ooo filles dans la période 16 18- 1682 (William PcTTY, Œuvres économiques, tr. l’r., 1905, t. ii, p. 4 la) ; en France, 1.067 garçons contre 1.000 au xviii* siècle, suivant Moueau (Op. cit., 1778, t. I, p. 138) ; et actuellement, moins de i.o/|0 garçons contre i 000 tilles]. Il y a en notoirement une baisse régulière et continue, tout au cours du xix" siècle. Enlin, cette supériorité des naissances masculines était toujours sensiblement moins forte parmi les naissances naturelles que i>armi les naissances légitimes. Quelle peut bien être la cause de ces phénomènes ou plutôt quelle est la loi à laquelle ils obéiraient ? (On peut étudier Corrado GiNi, // sesso dat punto di vista statisiico, Milano, 1908 ; Worms, La se.rualilé dans les naissances françaises. 1912. Voyer notre Cours d'économie politique, t. ii, p. 30)

Deux opinions ont été soutenues. Elles sont probablement vraies l’une et l’autre à la fois, avec des inllnences tantôt convergentes, tantôt divergentes.

D’une part, la vie abondante et facile — la réplétion, selon Docdleday, et l'état anabolique. selon GiNi — diminue la masculinité, que favorisent au contraire la déplétion et l'état calaliolii/ue. D’un autre côté, le jeune âge de la femme et surtout l’infériorité de son âge par rap[>ort à celui de l’homme accroissent les chances de naissances féminines, la première explication — réplétion où état anabolique — suffirait à faire comprendie pourquoi le rapport des sexes s’est altéré en France au cours du xix » siècle, parce que l’aisance s’y est beaucoup accrue ; elle ferait aussi comprendre une proportion relativement plus élevée de filles dans les familles riches, si ce phénomène était bien reconnu partout, comme il l’a été en Suède. Mais cette explicalion-là ne peut pas donner raison d’une différence de proportion des sexes selon que l’on observe les naissances légitimes ou bien les naissances naturelles, différence qui 1061

NATALITE

1062

embarrasse visiblement M. Worms. (Op. cit., p. 117 et s.) Donc il faudrait bien faire intervenir ici le jeune àf-e de la tille séduite.

Mais, du même coup, nous tirerons une autre conclusion au point de vue du néo-malthusianisme : c’est que la décroissance de la masculinité en France au XIX" et an commencement du xx’siècles, en contraste avec une masculinité plus élevée et plus constante en Allemagne, est un indice déplus du néomalthusianisme français. Ainsi, en France, la supériorité naturelle du sexe masculin a diminué et diminue toujours, parce que les Françaises, acceptant le premier ou les deux premiers enfants, quand elles les acceptent, accouclient moyennement plus jeunes qu’autrefois, alors qu’elles repoussent systématiquement d’une façon plus ou moins active ou passive les grosBesses qu’elles auraient à trente, à trente-cinq, à quarante ans et même au delà.

La France, au point de vue des ravages du néomalthusianisme, tient incontestablement le premier rang dans le monde entier. Elle est cependant suivie d’assez près par la Nouvelle-Zélande et l’Australie, — pays, comme l’on sait, du « socialisme sans doctrines » le plus complètement réalisé qui soit encore. — Le Nord-Est des Etats-Unis — Maine, Vermont, Gonnecticut, etc., — ne vient pas ensuite à une bien grande distance.

Pour la moyenne de la période igoi-1910, on peut tenir pour sensiblement exacts, en ce qui concerne l’Europe, les coefficients de natalité qui suivent :

France

ao

Belgique

26

Angleterre

37

Hollande

30

Italie

32

Espagne

34

Allemagne

34

Autriche

34

Hongrie

36

Russie

38

Depuis lors, la natalité allemande a considérablement diminué, tout en étant restée, jusqu’à la guerre de igi^, supérieure de beaucoup plus de moitié à la nôtre.

Nous ne nous arrêterons pas aux conséquences économiques, militaires, politiques, etc., de cette situation. Les événements les ont fait sentir et voir à beaucoup d’hommes qui n’y voulaient prêter aucune attention ; et les journaux, presque de toutes les opinions, ont attiré sur ce point les préoccupations d’une partie du public.

« La mort de la France, disait le docteur Bp.rtil-LON, 

sera un des faits marquants du xix « et du XX’" siècles. Le mal est absolument spécial à notre pays… » « La population de la France, disait le journal japonais le Tniyo (octobre 1904) diminue de jour en jour, et il n’est point déraisonnable de croire que la France disparaîtra du rang des nations vers la lin An XX » siècle. » (/.a dépopulation de la France, 1911, p. a, 3 et 13)

Le tout est donc de savoir si elle parviendra à triompher du fléau qui la ronge, et qui la fera périr si elle n’en triomphe pas.

VL La latte contre le néo-malthusianisme. — Ainsi, la natalité a considérablement diminué et la France est menacée de se dépeupler. Déjà les années 1890, 18gi, 181j2, 1896, 1900, 1907 et 191 1 ont présrnté des excédents des décès sur les naissances (bien entendu, nous ne disons rien des années de la guerre), il est vrai que les facilités olTertesaux étrangers et enfants d’étrangers pour acquérir la qualité

de Français ont permis que le nombre des étrangers olliciellement reconnus comme tels ne variât pas, tandis que le nombre des habitants recensés était cependant en légère progression dans chaque période quinquennale. Nous laissons de côté les appels faits aux étrangers pour <iu’ils viennent combler nos vides.

Nous ne nous arrêtons pas non plus aux mesures diverses par lesquelles la mortalité et particulièrement la mortalité infantile peuvent élre combattues : car ces mesures méritent toujours d’oire approuvées, si florissante que la natalité puisse être, l’ar ailleurs il est vrai, dans une société systématicjuement néomalthusienne comme la nôtre, il n’est pas rare que la mort d’un preraier-né provoque la naissance d’un second enfant qui vienne le remplacer. Ainsi l’hygiène, qui est un bien, peut inciteràun mal. Finalement, c’est la volonté des ménages qu’il faut mouvoir. Et comment l’atteindre ?

On a proposé les considérations tirées de l’intérêt national compromis. Mais ni le vice, ni les suggestions de ce que l’égoisme croit être l’intérêt privé ne céderont devant des arguments de cet ordre. Nos politiciens et nos gouvernants en sont la preuve.

On a proposé surtout les avantages ptciiiiiaires, soit sous forme d’exonérations d’impôts, soit sous forme de primes ou allocations de l’Étal, soit enfin sous forme de déchéances de droits de succession. Mais d’abord les exonérations d’impôts et les déchéances de droits de succession n’atteindraient guère ou pas du tout les milieux pauvres, ou à peu près pauvres, très modestes, par conséquent sans beaucoup d’impôts directs et sans perspectivesd’héritages à recueillir ; en un mot, elles n’atteindraient pas les milieux ouvriers urbains, où fleurit cependant le néo-malthusianisme, accompagne de déformations morales de tous les genres.

Convenons que parfois l’on est un peu hanté par le souvenir des lois caducaires d’Auguste, frappant les cælibes et les orbi, regardant ai eo indifférence les solidi cnpaces et réservant aux seuls patres les parts défaillantes ou caduc, 1 ou bien in causa caduci. Le docteur Bektillon croit pouvoir sans doute expliquer par ces lois l’augmentation considérable du nombre des citoyens romains après Auguste, et il réclame des mesures analogues. Mais il ignore que les affranchissements conféraient dans la généralité des cas la civitas romana, si le niunnmissor la possédait déjà ; il ignore également que cette civitas romana fut étendue déplus en plus largement après Auguste, avant de l’être sans distinction à tous les habitants de l’Empire, par Caracalln, au début du m* siècle. De fait, toutes les lois caducaires ne corrigèrent rien.

Pourtant, dans cet ordre d’idées, on nous a proposé récemment les combinaisons les plus variées : par exemple, que l’Etat eût une part d’enfant et fût un copartageant si le défunt ne laissait qu’un ou deux enfants (docteur Bertillon), ou bien que les divers cohéritiers venant en concours entre eux eussent chacun autant de parts à prétendre qu’ils auraient eux-mêmes d’enfants (commandant Toulée). Sans noter une fois de plus que des lois de ce genre n’intéresseraient jamais que les milieux où l’héritage a une certaine importance, c’est-à-diie une partie seulement de la population, il faudrait aussi ne pas méconnaître que ces lois seraient manifestement injustes, non seulement à l’égard du ci’libat vertueux et continent comme celui des prêtres, des religieuses et d’une foule de laïques des plus honorables et des plus utiles à la s<iciété, mais injustes aussi à l’égard de frères et sœurs qui auraient été empêchés, par leur santé ou tout simplement par leur plus 1063

NATALlïl

106

grande jeunesse, d’avoir eu déjà une aussi noml )reusfi postérité que leurs aînés ; injustes enfin à l’égard de quiconque, sans avoir eu jusqu’à présent ou sans jamais avoir une noralireuse descendance, serait moralement innocent de son peu de fécondité. Tels un veuf ou une veuve ayant été marié peu de leraps.

Enlin beaucoup de personnes pensent qu’un élargissement de la liberté testamentaire, une extension des pouvoirs du père et de la mère de famille sur leur succession, aurait une puissante action pour relever la natalité. Lu Pi.av et ses disciples ont accrédité cette opinion, que le partageé^al est une innovation du Code Napoléon et que ce régime a introduit ou développé le nco-inaltbusianisiue ; dans cette situation, disent-ils, la restriction volontaire est le seul moyen qu’on a d’erapéclier la destruction du foyer familial avec la dccbéance de situation des enfants ; par conscquent, le retour à la liberté testamentaire, qui dispenserait de ce calcul, serait le remède le plus ellicace contre la stérilité volontaire.

Sans doute nous croyons, quant à nous, qu’il serait utile d’accroître le pouvoir testamentaire des parents, pour relever leur autorité domestique, et nous avouons que le souci de laisser après soi une postérité au moins aussi ricbe qu’on l’a été soimême, inspire et conseille dans une foule de cas les restrictions néo-mallliusiennes. Mais cela dit, nous pensons que Le Play et son école commettent ici une erreur en histoire, et que la réforme réclamée serait sans aucune pnicacilé appréciable.

En effet, au moins en ce qui concerne les biens roturiers, le droit coutumier et l’ancienne Krance avaient, dans l’immense généralilé du territoire national, le partage égal et les droits de réserve des enfants, sans que pour cela l’on y fût néo-maltbusien (Voyez, pour les détails, René Worms, Natalité et régime successoral, 1917). Ensuite, les parents usent trop peu de la liberté testamentaire qu’ils ont, pour qu’on puisse penser qu’une liberté plus grande dut être beaucoup plus pratiquée. Kaut-il ajouter enlin que les milieux ouvriers urbains, pour qui les successions de famille importent peu et dans lesquels, du reste, les parents peuvent si aisément avantager tel ou tel enfant par des dons manuels de titres mobiliers s’ils en ont, ne seraient nullement atteints par la réforme que l’on présente comme la clef de voûte d’une régénération sociale ? Bonne en soi, cette réforme n’atteindrait pas le but que l’on vise.

Sans doute, des mesures législatives peuvent être salutaires, car, ainsi que vient de le dire M. Jordan, chargé de cours à la Sorbonne, dans son très remarquable rapport sur ce sujet à la journée diocésaine des œuvres de Paris, en igi’j, « il est bon de placer les hommes dans des conditions telles que l’accomplissement de leur devoir ne leur soit pas trop dillicile > (Contre la dépupiilation, le point de t’ue catholique, >. 9). Mais il ajoute presque aussitôt que,

« en n’ayant jamais à la bouche que primes, dégrèvements

ou surtaxes, ou parlant toujours d’utiliser l’égoïsme, on commet la très grave imprudence de faire appel à cet esprit de calcul, sans penser que par là même on l’encourage, avec la certitude de le voir se retourner contre la lin que l’on poursuit ».

Il faut faire appel — et faire ouvertement appel — à la notion du devoir chrétien, en le réapprenant d’abord à ceux qui, chrétiens et souvent catholiques pratiquants, l’ignorent ou n’y croient qu’à demi, parce qu’on le leur a laissé ignorer, mal connaître ou oublier.

Cette oblitération de la notion du devoir conjugal a deux causes : chez les uns, l’ignorance, le dédain, le mépris même de la vérité religieuse et de la

morale clirétienne ; chez les autres, je veux dire che les catholiques, l’inertie, le souci d’une tranquillit à ne point troubler en soi ou d’une bonne foi à n pas inquiéter en autrui, parfois aussi unecertaine pu dcur ou plutôt une certaine pruderie qui pousse à n [las remuer ces problèmes de la moralité conjugale

he docteur Bkutillon elles économistes en généra sont parmi les premiers. Ils ne croient pas à la pui : sance d’une foi à laquelle elle-même ils n’adhèren point. L’idéal chrétien s’est évanoui, dit le docteu Beutillon, et aucun autre ne lui a été substitué ju : qu’à ce jour. » Pouriquoi même ne pas douter d

« i’etlicacité pratique de cet idéal » ? (La Uépopulo

iion française, p. 119 et 126) M. Lbroy-Buxulibi il est vrai, accepte bien ou même réclame le concoui des prêtres « au moins jusqu’au troisième enfant (/.(i Question de la population, igiS, p. 43^) ; mais 1 foi lui manque en la vertu surnaturelle de cette rel gion qu’il appelle à sou aide. On parle plus voloi tiers d’eH^e’Hiime et d’une adaptation phj’sique, dur sélection à double liii, qui seule povirra donner t beaux produits (Bboch.iiet, Précis d’économie polit que, 1912, p. li’i et s.) ; mais on oublie ou l’on m prise la morale. Il faut que nous en restions sur cet* page brutale et cynique de M. Charles Gide : « L’mobiles (de la reproduction), dit-il, précisémes parce qu’ils sont sociaux, n’ont aucun caractère m cessaire, peruianent, universel », — on a l’ait ui » confusion biologique » entre « l’instinct sexuel qui est n d’origine animale », et « l’instinct de repr duction », qui « a surtout des origines sociales religieuses 11 ; aussi bien, « dans des milieux sociai nouveaux, de nouveaux mobiles de reproducti< pourraient surgir, je le crois, mais ils nous so complètement inconnus n (Histoire des doctrines éc nomiques, 1911, p. 153-15’i, par MM. Gidb et Charl RisT, professeurs d’économie politique et sociale, 1’à l’Université de Paris et l’autre à l’Université <( Montpellier). Et voilà, puisque ce sont les livr classiques des professeurs de l’Etat, la iiâtnre inti lectuelle que reçoit notre jeunesse des Ecoles !

En face de ces vices de la vie journalière et de c monstruosités révoltantes de la doctrine, quelle donc été l’attitude des catholiques ?

Ici nous souscrivons tout à fait au jugement M. Jordan, dans le rapport que nous citions tout l’heure de lui et que S. H. le Cardinal archevêque Paris, le faisant précéder de quelques lignes de pi face, a loué très hautement comme « clair, préc mesuré, courageux, de nature à servir grandeme une cau’ie qui intéresse au plus haut point l’avei de la France ».

« Lors même, dit M. Jordan, que personuellcrae

les catholiques n’ont pas de reproches à se fai ils ont leur part de responsabilité dans la faute c leclive du pays. Ils ne sont pas les premiers à rav( signalée, étudiée, dénoncée. Encore aujourd’hui, comprennent-ils bien la gravité ?…

Il ne faut pas ss flatter qu’un retour à la pra que religieuse relèverait aussitôt le chiffre des na sauces, ni qu’on travaille à guérir le mal d’u manière indirecte, mais elUcace, par le seul f qu’on s’occupe en général de promouvoir la religit C’est une illusion séduisante, parce qu’elle exci l’abstenlion et endort la conscience ; mais, en r^ lité, rien ne peut dispenser d’aborder de front question, si épineuse qu’elle puisse être. » (Op. c pp. 28-39)

L’Eglise, dirons-nous ici nous-mêrae, n’a pas rougir de ce qu’elle a toujours enseigné, et elli d’autant moins à en rougir que de là dépend le s lui, c’est-à-dire la conservation des peuples et de l’rance. 1065

iNATURlSME

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« C’est un crime énoiiue, dit le catéchisme du

Concile de Trente, que celui des gens maries qui usent de moyens, soil pour empêcher la concei)tion soit pour procurer l’avorlenicnt. Cela ne peut s’appeler ([ne la conspiration de deux homicides. » {Catéchisme du Cnncile de Tienle, II, viii, lû) El Bossuct, dans son Cati’c/usme de Meaiix, ne craignait pas de préparer pour plus lard la conscience des entants à la pratique de ces devoirs primordiaux dune conduite chrétienne. « O. — DitfS-nous quel mal il faut éviter dans l’usage du mariage. — K. — C’est de refuser injustementle devoir conjugal…c’est d’éviter d’avoir des enfants, ce qui est un mal abominable. » (Catéchisme de Meatix, v° partie, in fine) Cela s’appelait, il est vrai, le grand catéchisme ; mais c’était celui qui était enseigné tout simplement pour la i)remiére communion, par opposition au (I petit catéchisme », fait pour les tout jeunes enfants.

« Ce langage, demande à ce propos M. Jordan, 

serait-il encore possible aujourd’hui ? Je doute qu’aucun catéchisme le tienne. Est-ce un progrès de ne plus pouvoir l’entendre ? Et pourquoi ne le supportons-nous pas non plus ? Est-ce par l’effet d’une pudeur plus susceptible’.' Ou bien parce que nous avons perdu riial)itude’.' Mais pourquoi ne nous le tenait-on plus, même dans tel livre où le sujet ramènerait naturellement ; même dans les examens de conscience et les manuels de confession ? N’a-t-on pas réservé le sujet pour la confession, sous prétexte qu’il était trop délicat pour être abordé en [jublic’.' El n’a-t-on pas ensuite évite de l’aborder en confession, sous prétexte de a ne pas éteindre la mèche qui fume encore », et pour laisser à des fautes, qu’on n’espérait plus empêcher, du moins le bénélice et l’excuse de l’ignorance’? Craignait-on de vider les églises et de faire brusquement apparaître, derrière la façade catholique effondrée, des réalités décourageantes ? Autant de questions intéressantes et délicates, qu’il serait prématuré et présomptueux de traiter. » (Op. cit., p. 30)

Le danger cependant, et avec le danger la nécessité de laisser voir que l’Eglise a tout ensemble le devoir et la puissance de sauver les sociétés qui meurent, ont commencé à inspirer en sens contraire d’illustres enseignements. Le cardinal MEnciEU, archevêque de l.ouvain, a tracé la voie avec une hardiesse tovit apostolique par son mandement de 1909 sur les /)ei’Oirj delà fie cnri/ugale, auquel s’est associé tout l’Episcopal belge. Et cependant alors la natalité belge était encore de 35 °/, supérieure à la natalité française : elle était, en un mot, ce que la n6tre n’était plus depuis Napoléon Ul ou les toutes |iremicres années de la République, alors qu’en Erance pas un catholique, en ce temps-là, n’aurait encore ouvert les yeux et élevé la voix pour regarder le péril et pour le dénoncer. Citons cependant <|ue plus près de nous, en igiS, les archevêques et évêques de Bordeaux, de Viviers, de Cahors et de Verdun ont abordé le sujet avec plus ou moins de développements et de clarté ; mais il faut bien comprendre que les allusions voilées ou discrètes passent tout à fait incomprises ou inaperçues.

J. Rambaud,

CorresponHont del’lnBtitut,

Professeur d’économie politique

à la Faculté catholique

de droit de Lyon.

1. Faut-il croire autant ix In bonne foi ? Nous en douions, pour une loule de ménages apparemment très chrétiens.

L’auteur très regretté de l’article qui précède n’a pas connu la conlirmation apportée à ses parole » par un acte colleclif de l’épiscopat français, conlirmation qui honore sa clairvoyance et eût grandement réjoui sa foi de chrétien Nous croyons remplir une do ses dernières volontés en reproduisant ici la déclaration singulièrement grave des arclievéques el éê((iies de France, dans leur lettre publiée au C(unmencement de juin lyig.

« La lin principale du mariage est la procréation

des enfants, par laquelle Dieu fait aux époux l’honneur de les associer à sa puissance créatrice et à sa paternité. C’est pécher gravement contre la nature et contre la volonté de Dieu que de frustrer par un calcul égoïste ou sensuel le mariage de sa (in. Elles sont aussi funestes que criminelles, les théories et les pratiques qui enseignent ou encouragent la restriction de la natalité. I a guerre nous a fait loucher du doigt le péril mortel auquel elles exposaient le pays. Que la leçon ne soit pas perdue II faut combler les vides faits par la mort, si l’on veut que la France reste aux Français, et qu’elle soit assez forte pour se défendre et prospérer. >

y. D. L. R.]