Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Marie, Mère de Dieu (I. Ecritures)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MARIE, Mère de Dieu.

I. Marie dans l’Ecriture sainte, I° Ancien Testament :
II° Nouveau Testament.

II. Marie dans l’ancienne tradition patristique. 1° Tradition anténiccenne.

Du Concile de Nicée(325) au Concile d’Ephèse

A. Eglise grecque : saint Athanase ; saint Epiphane.

B. Eglise syriaque : saint Ephrem.

G. Eglise latine : saint Jérôme ; saint Ambroise ; saint Augustin.

III. Principales prérogatives de Marie.
Maternité divine.
Virginité perpétuelle.
Sainteté éminente.
Immaculée Conception.
Assomption corporelle.
Intercession universelle.

Nous lisons dans l’Evangile que les Mages, venus d’Orient à Bethléem, au berceau du Roi nouveau-né,

« trouvèrent l’enfant avec Marie sa mère » (Matt., 

II, 1 1). Gomme ces prémices de la genlilité, tous ceux qiii, au cours des siècles, vinrent à Jésus, ne devaient le trouver qu’avec Marie. En effet, la religion du Christ assigne à la Vierge-mère une place de choix, à laquelle la place d’aucune autre pure créature ne se peut comparer. C’est que, par ses relations intimes avec le Fils de Dieu, Marie s’élève incomparablement au-dessus de tous les hommes et de tous les anges. La dignité de Mère de Dieu, qui lui appartient au sens propre, appelle d’autres privilèges glorieux, que l’Eglise propose à notre foi, et lui donne droit à notre spécial hommage. El ce n’est pas tout : en

même temps qu’elle touche, par sa maternité, à l’ordre divin, Marie couvre de sa puissance l’humanité tout entière ; elle remplit un rôle essentiel dans le dessein de la Rédemption et dans l’économie de notre salut. Mère du Christ selon la nature, elle est encore, selon la grâce, mère de tous les chrétiens, qu’elle enfante à la vie surnaturelle.

Méconnaître la grandeur de Marie, c’est à la fois faire affront à Jésus et blesser, en un point particulièrement sensible, la pureté de la religion chrétienne.

En toute justice et vérité, la dignité transcendante de Jésus commande qu’on hur.ore sa mère ; et ceux qui font difficulté de le reconnaître peuvent être légitimement soupçonnés de n’avoir pas bien compris Jésus ; car c’est une loi de nature que le mérite des enfants rejaillisse sur les parents. Elle avait bien raison, cette l’enime de l’Evangile qui, entendant la parole de Jésus, s’écriait : « Bienheureux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont nourri I «  (Luc, XI, 27.) Donc, à qui se scandalise des témoignages de la piété chrétienne envers Marie, on doit dired’abord : étudiez Jésus [voir article Jésus Christ]. Mais une réponse aussi générale ne saurait sullire à qui veut apprécier rigoureusement les titres de Marie à nos hommages.

En lait, la dévotion des fidèles envers Marie a toujours été croissant dans l’Eglise, à mesure que l’enseignement des docteurs et les dilinilions du magistère infaillible mettaient en meilleure lumière ses glorieuses prérogatives. Mais l’hérésie n’a pas plus épargné la Mère que le Fils, et le rationalisme à tous les degrés se scandalise du culte dont elle est l’objet, comme d’une renaissance de l’idolâtrie, ou du moins comme d’une excroissance fàchçuse sur le tronc de la religion catholique. Ce reproche, souvent résumé dans le nom barbare de Mabiolatrie, fera l’objet d’un article spécial. Présentement, nous nous attacherons à établir les fondements positifs du culte rendu à Marie.

Il est juste de reconnaître que, si la Mère du Verbe incarné eut, dès l’origine du christianisme, sa place marquée au centre du dogme, l’avènement de son culte fut plus tardif. Il semble qu’on puisse, sans trop de présomption, indiquer la raison providentielle de cette différence. Le christianisme naissant avait tout d’abord à conquérir le monde, en lui faisant accepter cette donnée nouvelle, scandaleuse même pour la raison humaine : le mystère du Verbe incarné. Non pas une de ces éclosions mythiques familières à l’imagination des anciens Hellènes ; non pas une de ces apothéoses de héros qui avaient achevé de peupler leur panthéon, en y introduisant l’élite de l’humanité passée ; mais l’apparition, dans une chair mortelle, du Dieu trois fois saint, créateur de l’univers. C’était là beaucoup de nouveauté. Il fallait, avant tout, que le monde s’accoutumât à vénérer, sous les traits d’un homme, le Fils de Dieu, consubstantiel à son Père. zVussi la figure de Jésus Christ remplit-elle toute la révélation du Nouveau Testament. Le Père était déjà révélé ; le Saint Esprit demeure à l’arrière-plan. Plus tard, quand tout danger de confusion avec le polythéisme est conjuré, le mystère delà Trinité divine obtient, dans les écrits des Pères, le relief qui lui est dû. Alors aussi, le personnage de Marie sort de la pénombre ; après le Concile de Nicée, après la lumière décisive faite sur la divinité de Jésus Christ, sa mère peut paraître : nul ne s’avisera d’en faire une déesse. Les Pères s’appliquent à déduire les privilèges de Marie, et le peuple chrétien honore en elle ce qu’il avait toujours cru sans savoir l’analyser.

L’Ecriture, la tradition primitive, les décisions ultérieures du magistère ecclésiastique, sont ici, comme 117

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ailleurs, les sources de notre croyance. Il ne les faut pas disjointlre ; et si nous commençons par interroger, sur les fondements du culte de Marie, l’Ecriture et les Pères, ce n’est pas dans la pensée que l’Ecriture et les Pères se sullisent à eux-mêmes, indépendamment du magistère autorisé qui garantit leur déposition ; mais l)ien parce qu’il importe de toucher du doigt la base même de la marialogie et de constater que l’édilice ne repose pas sur le vide.

En prédestinant Jésus à l’œuvre de notre rédemption. Dieu prédestina du même coup la créature clioisie qui devait être l’instrument de son entrée en ce monde. Aussi rencontrons-nous Marie dés le seuil de l’Ancien Testament. Nous la retrouvons dans le Nouveau, associée aux débuts de l’Enfant Dieu, suivant d’un regard maternel la prédication de l’Evangile, enfin gravissant le Calvaire pourvoir son Fils expirer sur la croix.

L’état présent des éludes bibliques permet à l’apologiste de tenir pour acijuise, d’un point de vue purement critique, la rédaction des écrits du Nouveau Testament dès le siècle des Apôtres, et leur Uistoricité substantielle. Si les textes relatifs à Marie, et très particulièrement les récits de l’enfance du Christ, méritent un traitement d’exception, la preuve incombe à l’adversaire ; cette preuve, il ne saurait la fournir. Nous pourrions nous dispenser d’encombrer les débuts de notre exposition par le détail des hypothèses imaginées de nos jours pour démentir la tradition chrétienne touchant l’enfance du Christ.

Mais les Ecritures juives forment la préface naturelle de l’Evangile. Ouvrons donc la Bible.

I. — MARIE DANS L’ÉCRITURE SAINTE

1° Ancien Testament

Il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur la préhistoire de Marie dans la prophétie biblique : les harmonies des deux Testaments n’ont leur pleine valeur qu’aux yeux des croyants, déjà convaincus de l’hommage qu’ils doivent à Marie ; elles ont peu de prise sur l’incrédulité raisonneuse. D’un point de vue apologétique, on peut les tenir pour secondaires. Néanmoins, si l’on veut présenter la figure de Marie dans son vrai jour, il faut dès l’abord mentionner les oracles prophétiques où la tradition chrétienne tout entière a reconnu la mère du Messie. Ces perspectives lointaines, prises des origines du genre humain et de l’histoire juive, sont nécessaires pour apprécier le rôle de Marie, tel qu’il devait apparaître aux Pères de l’Eglise et se préciser de plus en plus au regard des siècles chrétiens. Nous devons les signaler rapidement, avant de relever la trace de Marie dans l’histoire évangélique.

Voici d’abord la chute du premier homme, avec la Rédemption en perspective.

Cen., III, 15. — La sentence divine contre le serpent, séducteur du premier couple humain, annonce la victoire réservée à la race de la femme.

Je mettrai une iniinîtii’entre toi et In femme et entre ta race et la sienne ; elle t’écrasera la tête, et tu In mordras au tnlon.

D’après le texte original, c’est la raceiie la femme qui doit écraser la tête du serpent. Le pronom personnel XIH’bien qu’ordinairement masculin, pourrait, absolument parlant, d’après la langue du Pentateuque. être féminin et se rapporter à la. femme ;

mais ici le contexte (forme verbale "TSIti", sufTixe 13) oblige d’y reconnaître un masculin et de le’rapporter à la race de la femme. C’est ce qu’ont fait les Septante (kCto^ aaj Tr, pr, ’ : si « f.a/>-, i’), et avec eux letarguin d’Onkelos, la peschitoet lesPères indépendants de la vulgate. Ainsi Saint Cyprikn, Tesiim., Il, ix, éd. Hartel, p. 74’^’ponam. inimicitiani iriter te et malierem et iiiter seinen tiium et semen eius. Ipse tiiiim cahabit caputet lu ohsen’aiis calcaneum eius. Saint JiiHôME, Quæst. helir. in Geri., P, L., ’S.lll, g(|3, marque sa préférence pour cette leçon, bien qu’ailleurs il ait écrit : ipsa. Lu leçon de la vulgate, qui se rapporte directement à la femme, — ipsa csnteret caput tuum, — doit être considérée comme une interprétation ancienne, d’ailleurs très fondée, qui a pénétré dans le texte. A s’en tenir à la lettre, c’est la race de la femme qui doit écraser la tête du serpent.

Une exégèse naturaliste ne verra ici que l’expression de la répulsion instinctive qu’éprouve l’homme pour le serpent. Mais la tradition juive et chrétienne y a vu tout autre chose. Avec les Pères de l’Eglise, il faut remarquer qu’à la fin du verset les ileux collectivités s’effacent, la race de la femme apparaît résumée dans un personnage unique, lequel écrase la tête du serpent, tandis que le serpent le mord au talon. Ce personnage ne peut être que le Hédempteur. La collectivité qui triomphe par lui est l’ensemble des hommes qui lui doivent la ^ie. Dans ce personnage principal, les chrétiens n’iiésilent pas à reconnaître l’Homnie-Dicu, représentant éminemment la race de la femme. Lui-même, dans l’Evangile, s’appelle couramment Fils de l’homme, pour marquer ses attaches avec la famille humaine. Il a livré son humanité à la mort : en cela consiste la morsure du serpent, qui l’atteint seulement au talon. En même temps, il triomphe par la vertu de sa divinité ; il écrase son ennemi impuissant et rend la vie à ceux qui l’ont perdue : telle est l’œuvre de la Rédemption.

Dès lors qu’on a reconnu dans le vainqueur du serpent le Fils de l’homme, il faut faire un pas de plus et rendre pleinement raison du sens personnel attaché à cette appellation : la race de la femme. Si Jésus est appelé ainsi, ce n’est pas à raison du lien lointain qui l’unit à Eve, car Eve n’a pu transmettre à ses descendants qu’une nature frappée à mort. Mais c’est bien plutôt à raison du lien immédiat qui l’unit à.Marie, dans le sein de laquelle il a pris une humanité sans tache. En prenant cette humanité sans tache, il a préparé le relèvement de tous ceux qui, blessés par le serpent, viendraient à lui pour participer à cette vie nouvelle dont il est la source. Et ainsi, comme Eve fut la mère de tous selon la nature, Marie sera, selon la grâce, lanière de tous ceux que son Fils guérira. Tous les justes, soit avant soit après la venue du Christ, constituent la race de la femme, et cette femme est Marie.

On ne trouve pas dans la maternité d’Eve le principe de cette inimitié que Dieu mettra entre la race de la femme et la race du serpent ; car Eve est elle-même tombée, comme Adam, victime du serpent. Ce principe d’inimitié ne se trouve qu’en Marie, mère du Rédempteur. Donc, dans ce protévangile, que nous lisons à la première page de nos Livres saints, la personnalité de Marie, encore que voilée, est présente, et la leçon de la vulgate, ipsa, traduit une conséquence qui se dégage réellement du texte sacré, car la victoire du Rédempteur est moralement, mais réellement, la victoire de sa Mère. Comme Eve participa au péché d’Adam par l’assentiment qu’elle donna la première aux suggestions du serpent, Marie participa à l’œuvre rédemptrice par l’assentiment qu’elle donna à la parole de l’ange. Ainsi devait l’entendre toute l’antiquité chrétienne, qui 119

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salua Marie du titre de nouvelle Eve, enfantant à nouveau, par la grâce du nouvel Adam, ceux que la faute du premier Adam avait tués. Exposée dès le deuxième siècle par un saint Justin et un saint InÉNÉE, cette antithèse du groupe rédempteur — Jésus et Marie — avec le groupe prévaricateur — Adam et Eve — constituera un lieu commun fondamental de la dogmatique clirétienne. Constamment rééditée par les Pères, elle trouvera place dans les documents les plus solennels du magistère suprême. Pie IX, définissant l’Immaculée Conception, rappelle par la bulle Ineffabilis Deiis (8 déc. 185^) que Marie

« unie à son Fils par un lien très étroit et indissoluble, 

avec lui et par lui, exerce contre le venimeux serpent d’éternelles inimitiés, et, pleinement triomphante, lui broie la tête de son pied immaculé ».

Sur l’interprétation de cette prophétie, on peut consulter : ConLUY, Spicilegitim dogmaticobihliciim, t. I, p. 34~-37a, Gandavi, 1884 ; Tkrhien, J.a Mère de Dieu et la Mère des hommes, t. III, I. I, cli. ii, p. 26-4y ; card. Billot, De Verbn incarnato’, Romae, 1904, thés. XLi. — Pour l’exégèse juive, F.’WEBEn, Jiidisclie Théologie^, § 48, Leipzig, 1897.

Tradition patristique concernant la nouvelle Kve :

Saint Justin, Dial. cuiii Tryphone, c, P. G., VI, 709.

— Saint Irknke,.4di IJæreses, III, xxii, 3. 4 ; V, XIX, /’. G, , VII, 858.869. 1 170. — Tehtullikn, Decarne Christi, xvii, P. /.., II, 78a. — Saint Cyiiillk de Jfrusale. m, Calèches.,-ail, 16.29, P. G., XXXIII, 741.761.— Saint Ei’iiHEM, Ojip. Syriac, éd. Romae, t. II, p. 318826 ; ibid., t. III, p. 607. — Saint Epiphanb, Hakr., Lxxviii, 18, 19, P. 0., XLII, 728.729 — Saint Am-BROISE, Expos, in Luc, I. IV, vii, P. t., XV, 1614 ; Exhortaiio virginitalis, i, iù.-i-). Z’./.., XVI, 343 ; Ej)., Lxiii, 33, />./.., XVI, 1198. — Saint Jkuôme,.£/)., xxii, 21, Ad Eustochium, P. /,., XXII, 408. — Saint Augustin, Serm. Li, 2, 3, P. L., XXXVIII, 344-345 ; ccLxxxix, 3, a, P. /.., XXXVIII, 1308 ; cxxiii in append., 7, i, P. L., XXXIX, 1991 ; De agone christtano, XXII, 24. P. É-, XL, 503. — Saint Jean Curvsostome. Expos, in Ps. xliv, P. G., LV, 198 ; Hom. in S.Pascha, 2, P. G., LU, 768. — Sévébien deGabala, De mundi creatione, Hom., vi, 2, P. G., LVI, 497- — Saint Proclus, Or. iv. In Natal. Domini, P. G., LXV, 709-712 ; I.audatio Deiparae, 8, ibid., ’)o ! i. — Saint Pierre Chhysoloque, Serm., lxiv ; ic ; cxvii ; cxl ; CLvni, P. L.. LU, 380 ; 478 sqq. ; 520 ; 676 ; 64 1. — Saint Maxime de Turin, llom., xv. De.al. Domini, P. L., LVII, 253.254 ; Serm. lui, p. 638-C40 ; xi et XII in append., p. 865-868. — Saint Eleuthère de Tournai, Serm. de Nat. Domini, P. ],., LXV, 94. — Saint Fuloenxe db Ruspb, Serm. n. De duplici naliiitate Cliristi, 6, P.L., LXV, 728 ; — Pseudo-Fulqence, Serm. xxxvi, ibid., 899.

Des origines de l’humanité, passons à l’histoire juive.

/5., VII, 14.

La prophétie de l’Emmanuel, chez

Isaïe, présente un parallélisme très remarquable avec le protévangile de la Genèse. Comme le protévangile, elle se produit après un grand désastre et permet d’entrevoir, à travers le châtiment divin, la restauration à venir. Comme le protévangile, elle montre une femme étroitement associée à l’œuvre du Libérateur. D’autre part, voici des différences. Le désastre visé n’est pas celui de l’humanité tout entière, mais celui du peuple élu. La maternité d’une vierge sera l’occasion prochaine du salut promis. Ces ressemblances et ces différences avec le protévangile permettent de saisir, à travers l’histoire de l’humanité, le développement d’un même dessein de miséricorde, dont Dieu poursuit la réalisation et dont il découvre, à ses heures, quelques aspects nouveaux.

Le royaume de Juda traversait alors une crise redoutable. Les rois d’Israël et de Syrie, ligués contre la Judée, menaçaient Jérusalem ; le roi Achaz songeait à s’appuyer sur l’Assyrie. Au nom de Dieu, le prophète Isaïe vient le détourner de cette alliance profane, et fait appel à sa foi en disant : « Si vous ne croyez (à la parole divine), vous êtes perdus. " (/s., VI, 9, hebr.) Pour gage de la protection d’en haut, il l’invite à demander un signe. Achaz refuse. C’est alors que le prophète prononce son oracle, Is., VII, 10-16 :

Et Isaïe parla encore à Achaz et dit : « Demande un signe à lahvé, ton Dieu, dans les profondeurs du Cbeol ou dans les sommets là-haul ! » Et AcIjbz dit : « Je ne le demanderai pas et je ne tenterai pas Jabyé. » Alors [Isaïe] dit : « Ecoutez donc, Maison de David, c’est peu pour TOUS de fatiguer les hommes, tous fatiguez encore mon Dieu ! C’est pourquoi le Seigneur lui-même tous donnera un signe : Que la Vierj^e conçoive et enfante un fils : qu’elle l’appelle Emmanuel ; il se nourrira de lait et de miel au temps où il saura rejeter le mal et choisir le bien. Car avant que l’enfant sarhe rejeter le mal et choisir le bien, la terre pour laquelle tu redoutes les deux rois sera dévastée. »

(Trad. Condamin, Le Lii’re d’Isaïe, p. 50, Paris, 1905.)

Sans discuter chaque détail de la prophétie, nous ferons remarquer que, d’après le mouvement général de cette scène, on doit attendre un signe miraculeux. C’est à la maison de David qu’il est promis. Et il renferme le gage du salut que Dieu destine à la race de Jacob ; mais il s’enveloppe de menaces pour le présent, parce que le roi de Juda ne s’est pas montré digne du secours divin, qui Jui était offert immédialemenl pour prix de sa foi en la parole divine.

Le terme employé par le prophète, PINi s’entend ordinairement d’un signe miraculeux, voir Ex., vii, 3 ; /i., XXXVIII, 7.8.22 ; et c’est bien ce que le prophète proposait de par Dieu, en parlant d’un signe dans les profondeurs ou dans les hauteurs. Le signe s’accomplira pour la maison de David, qui a reçu les promesses divines et ne sera point frustrée ; le prophète ne dit pas qu’il s’accomplira pour Achaz. En quoi il consistera, c’est ce qu’il faut renoncera comprendre, à moins d’admettre qu’il s’agit de la maternité d’une vierge, car le contexte ne renferme pas d’autre élément merveilleux. Les Septante se portèrent d’eux-mêmes à cette interprétation, qui est demeurée celle de la tradition chrétienne : ce n’est pas en vain qu’au troisième siècle avant notre ère, à l’abri de toute influence perturbatrice, ils rendirent

l’hébreu HD ? ! ^ P^’"’^ grec T.rj.ç/thi-., , version non équivoque pour laquelle les Pères durent combattre contre la nouvelle exégèse juive des Aquila et des Symmaque, qui voulait lui substituer un terme

moins expressif, v- : 5vi ;. En soi, le mot hébreu nîD’i’i^ n’olïre pas un sens aussi nettement tranché que le

mot n’^in^i lui désigne toujours et nécessairement une vierge. C’est proprement une jeune fille. Mais le dépouillement de tous les exemples connus confirme la traduction des Septante. Au terme d’une élude très précise sur Le sens de’Almah en hébreu, d’après les données sémitiques et bibliques, dans Recherches de science religeuse, t. I, p. 168, Paris, 1910, M. J. Calés écrit : « En résumé, ’Almah en hébreu, comme dans les langues sœurs, signifie proprement jeune fille. Le sens de vierge y est normalement inclus et peut devenir la traduction la plus exacte. Les autres acceptions sont sinon abusives, au moins adventices, et l’on n’a i)as le droit de les présumer. Et donc il est tout à fait inexact, dans un lexique 121

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surtout, de traduire par jeune femme, surtout en ajoutant : mariée ou non. » (Voici les exemples bibliques : Gen., XXIV, 43, Rébecca, cf. ibid., 16 ; Ex., ii, 8, jeune sœur de Moïse ; Ps. lxvii (lxviii), 26, joueuses de tambourin : doivent être présumées vierges, d’après la comparaison avec /er., xxxi, 3 et ludic, XI, 34 ; Cant., i, 3 ; vi, 8 : désigne des vierges, d’après l’antithèse avec les reines et les concubines ; Ps. XLv, I ; 1 Citron., xv, 30 : jeunes chanteuses, même jugement que pour Ps. Lxvii (lxviii), 26 ; Proi’. XXX, 18.19 : texte d’exégèse dillicile, mais qui ne fonde aucune présomption contraire aux conclusions précédentes.)

Aux termes de la prophétie, la jeune mère est destinée à nommer l’enfant, contrairement à l’usage qui réservait ce droit au père : autre indice d’une maternité qui sort du commun. Quant au nom de

l’enfant, il est très remarquable : 7X "13Di^> Dieu avec nous. Ce nom est évidemment plein de sens. Vouloir y trouver l’allirmalion expresse du mystère de l’Incarnation, serait excessif : l’analogie des noms bibliques, même des noms imposés par Uieu, ne nous autorise pas à presser ainsi celui-là. Mais, le mystère étant supposé, qui n’admirerait la singulière aptitude de ce nom à traduire, soit la présence physique du Verbe incarné parmi les enfants des hommes, soit sa présence morale parmi ceux qui recueilleront l’héritage du salut ? Quant à la maternité virginale, fait d’expérience pour la vierge elle-même, elle ne saurait être, pour toute autre personne, qu’objet de foi ; c’est à ce titre qu’elle prendra, au regard des générations à venir, une valeur de signe.

L’oracle s’afîhève en menace : avant la naissance de l’enfant, la terre de Juda sera désolée ; elle n’offrira au nouveau-né qu’une nourriture précaire. [, a peinture de la détresse physique de Juda, lors de la prochaine invasion assyrienne, et celle de la détresse morale du monde à la naissance de l’Emmanuel, se confondent à l’arrière-plan de la prophétie.

Au premier plan, se détache le groupe sauveur, comprenant la Vierge inère et 1 Emmanuel. Comme dans le protévangile, une femme est associée à l’reuvre du salut ; mais l’image se précise : aux dons de la maternité, cette femme alliera les gloires de la virginité.

L’oracle de l’Emmanuel reprend et développe, à l’intention du peuple élu, le dessein manifesté par Dieu dans l’Eden : il annonce distinctement la venue de Dieu au milieu des siens et la vocation de tous les hommes au salut par la foi au Clirisl ; car l’Emmanuel ne viendra pas seulement pour Juda, mais encore pour Israël et pour la Syrie (15-16) : l’universalité des promesses messianiques est un des traits saillants de la prophétie d’Isaïe. Signe de salut pour les croyants, en même temps que pierre de scandale pour les incroyants, l’Emmanuel réunira les restes dispersés d’Israël (Is., viii, 8-10 ; 1315 ; l’elfusion de la grâce divine sera une gloire pour la mère de l’Emmanuel. C’est ce que le prophète annonce encore dans un autre oracle que toute l’antiquité chrétienne a rapporté à la maternité de Marie ; /s., xi, i sqq.

Un rameau sortira de la tige de Jessé,

un rejeton poussera de ses racines ; Sur lui reposera l’Esprit de lahvé,

Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de foi-ce,

Esprit de connaissance et de crainte de lahvé.

En ce jour-là, c’est le [rejeton de] la tige de -lessé

qui se lève comme un étendard pour les peuples ;

C est lui que les nations chercheront et sa demeure sera glorieuse.

A suivre de près la vulgate, on distinguera ici, du rameau sorti de la tige de Jessé, la /leur sortie de ce rameau ; et, avec saint Jkrômk. In Is., 1. IV, P. L., XXIV, 144, on dira que la (leur figure l’Emmanuel, et le rameau la mère de l’Emmanuel. Cependant il est douteux que le texte hébraïque suggère cette distinction : plus vraisemblablement, le prophète a employé deux termes à peu près synonymes, qui tous deux désignent l’Emmanuel en personne. Cela supposé, le rôle de la nière de l’Emmanuel est simplement compris dans le rôle collectif de la tige de Jessé.

Sur la prophétie de l’Emmanuel, voir surtout A. CoNDAMiN, Le livre d’Isaïe, p. ôg-’jS ; J. Corluy, Spicilegium, t. I, p. Sg^-^ai ; A. Duhand, dans l’Université catholique (Lyon), juin 1899.

Parmi les protestants, A. B.Davidson, art. Immanuel, dans fl. S. de Hastings. — F.P. Badham, article dans Tlie Academy, 8 juin 1896, p. 486-487 (recherche, d’après les sources rabbiniques, dans quelle mesure les Juifs avaient le pressentiment d’une naissance miraculeuse de Messie).

Mich., V, 2. 3. — Contemporain d’Isaïe, le prophète Michée célèbre à son tour la maternité promise :

Mais toi, Bethléem d’Eidirala, petit quant k ton rang parmi les clans de Juda, de toi me proviendra [un pi ince] souverain en Israël, et ses origines [dateront] de l’Sge antique, des jours du lointain passé. [lahvé] les livrera donc jusqu’au temps où celle qui doit enfanter, enfantera. ..

Pas plus qu’Isaïe, Michée ne mentionne le père de ce prince à venir ; mais il indique en termes voilés son origine surnaturelle qui devance tous les temps, et fait dater le commencement du salut du jour où la mère enfantera. En attendant cette heure, lahvé laissera libre cours à sa justice.

1er., XXXI, 20-22. — Ce texte est communément appliqué à Marie par les interprètes modernes, qui croient y lire la même intention divine déjà exprimée par Isaïe : instruire les enfants d’Israël, par l’épreuve, jusqu’au jour de la miséricorde. Ce jourlà, un enfant sera conçu : on nous le promet en termes d’une majesté singulière ; manifestement il ne s’agit pas d’une conceplion comme les autres, mais d’un acte extraordinaire de la puissance divine, principe d’un ordre de choses nouveau.

Plante tes signaux

Dresse tes pieux ;

Tourne ton cœur vers la route

Vers le chemin par lequel tu es venue ;

Reviens, vierge d’Israël,

PiCviens ici vers tes villes.

Jusques à quand seras-lu hésitante,

Fille égarée ?

Car lahvé crée une nouveauté sur la terre :

Une femme entourera un homme fort.

(Traduction de R. M. de la Broise, La Sainte Vierge, p. lH.)

Il faut avouer que cette exégèse ne va pas sans de réelles difficultés. La version des Septante ne présente pas d’allusion perceptible à la maternité de Marie. L’allusion est inconnue des Pères grecs (qui dépendent de la version des Septante), des Pères syriaques, et des Pères latins, sauf saint Jérôme. Saint Atuanase, qui s’attache ici à la version d’Aquila, applique à Marie les mots : « Le Seigneur a fait une chose nouvelle dans la femme », Eztits Kjptm xxniv’fj Tf, 6ri’i.i.irj.. Expos, fidei, iii, P. G., XXV, 205 A ; Sermo maiur de fide, xxii, P. G., XXVI, 1276 A. Cette versionsupposemanifestement un texte hébraïque différent du nôtre. Saint Epurem interprète : 123

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Creayit Doniinus novum in terra : femina amplexahitur firiirn suum ; yel quia Synttgoga idula derelictura erat et adhæsura uni Deo : ’el terrain ipsam ludæae désignât siios coinplexurani habitatores posiliminio redeuntes. Opéra syriaca, éd. Roraae, 1740, t. II, p. 141E. Saint Jérôme traduit : Creavit ûominux noyum super terrant : femina circunidabit firuni. Voir son commentaire In leremiam, P. L., XXIV, 880. Cette version rend exactement notre texte hébraïque. Mais il demeure difficile de reconnaître dans femina la Vierge, dans circunidabit l’idée de grossesse, dans liruni le Messie. Aussi plusieurs exégêtes catholiques modernes suivent d’autres voies, dont une, déjà indiquée par saint Eplirem, s’accorderait bien avec le texte et le contexte : il s’agirait d’Israël et de son retour à Dieu. Voir Houbiuant, Biblia hehraica cuni notis criticis, Parisiis, 1753 ; Reinke, dans Theologische Quartalschrift, 18bi, p.bo(j563 ; CoNDAMiN, l{e’ue Biblique, 1897, p. 396-404.

La traduction que nous avons citée, faite sur l’hébreu, est conforme au sens général de la vulgate, que recommande l’interprétation commune des exégètes catlioliques latins depuis le Moyen-.lge. Celte interprétation s’impose à l’attention, sinon tout à fait à l’adliésion. Cf. Knabenisaukr, in li. l.

Jusqu’ici, nous nous sommes bornés aux textes qui peuvent s’entendre de la Vierge mère, au sens littéral. Beaucoup plus longue est la liste de ceux que les Pères lui ont appliqués au sens typique et de ceux que l’Ey lise, dans sa liturgie, emploie au sens accommodatice pour célébrer la nouvelle Eve. Donnons quelques brèves indications sur un sujet inlini.

Parmi les figures à l’A. T., applicables à la Vierge, on peut signaler :

Gen., 14-22, l’arche de Noé, qui porte le salut du monde. — Cf. S. Proclus de Co.vstantinople, Or., VII, 3 (fn Sancta Tlieophania). P. G., LXV, 760 ; saint Ephrem, Oratio ad Deiparam, 0pp. Græca, t. 111, p. 629 D ; HÉsYCHius’DE Jérusalem, Oratio de laudibus Deiparae, P. G., XCIIl, 1461 B.

Exod., III, 2, le buisson ardent, image d’une virginité incorruptible. — Cf. S. Ephrem, Opp. Svr., t. III, 605 D ; Opp. Græc, III, 676 D ; S. Théodote d’ÂN-CYRK, Honi. ii, a (M Salyatoris nativitatem), P. G., LXXVII, 1872 B.

£x< « /., XXV, lo-ii, l’arche d’alliance. — S. Cyrillk d’Alexandrie, De adoratione in spiritu et veritate., 1. IX, P. G., LXVIII, 597.

ladic, VI, 37, la toison de Gédéon, qui recueille toute la rosée du ciel. — S. Augustin, In. Ps. lxxi, Enarr., 9, P. L. XXXVII, 907 ; S. Proclus, Or., vi, 17 {De laudibus Mariae), P. G., LXV, 766 D.

Ps. xLiv, l’époise du roi. — S. Athanask, Ep. ad. Marcellinam de interpretatione Psalniorum, vi, P. G., XXVI, 16B.

Ps. xlv, 5, le tabernacle de Dieu. — S. Grégoire DB Nazianze, Carmina, 1. ii, s. 11, viii, Ad A’emesium, p. 180-184, i^. G., XXXVII, 1565A ; Venantius FoR-TUNATUS, Miscellanea, viii, vi, P. L., LXXXVIII, 268.

Ps. Lxxxvi, 3-5, la cité de Dieu. — S. Ephrem, Oratio ad Deiparani, Opp. Gr., t. III, 529 F.

Ez., xLiv, I. 2. — Entre les figures de l’Ancien Testament, celle-ci mérite une place à part. Dans sa description du temple céleste, le prophète Ezéchiel a un trait mystérieux :

lalivé me fit venir du côté du portique extérieur de la maison qiù re|<ardait l’Orient ; il était fei-jné. Et lalivé me dit : Ce portique sera fermé : il ne s’ouvrira point, et personne n’entrera par ce portique ; car lahvé, le Dieu d’Israël, est entré par là.

Le temple décrit par Ezéchiel est l’Eglise ; la nuée qui remplit le temple, figure le Messie. Elle pénètre

par la porte orientale, car le salut vient de l’Orient, selon Is., XLi, 2 ; Bar., iv, 36 ; v, 5. Jésus, qu’une étoile d’Orient doit révéler aux Mages, pénètre dans le sein de Marie. II n’aura point de frères selon la nature, mais bien d’innombrables frères selon la grâce. Dans cette porte close, des Pères ont reconnu le sein virginal de Marie, Le fait est que le texte d’Ezéchielne présente aucun autre symbolisme plausible. Et de la sorte, il complète la série des oracles d’Isaie, de Michée, de Jérémie, par un trait descriptif applicable à la maternité singulière de Marie. Les auteurs du N. T. n’ont pas relevé ce trait : il leur suffisait d’affirmer le miracle de la Conception virginale, pour mettre à son rang, dans la vénération des lidèles, la mère de Jésus. Mais la pensée chrétienne, s’emparant de cette donnée, a fait ressortir toutes les convenances du mystère et découvert dans l’A. T. des anticipations propres à en rehausser la majesté. L’interprétation que nous venons de signaler se rencontre en saint Ambhoise, De instituiiune virginis, vm, 5a, P. L., XVI, 820 A. Il y appuie l’assertion de la virginité de Marie, inviolable dans l’enfantement aussi bien que dans la conception de son Fils. Sans prendre la peine de se référer à saint Ambroise, saint Jérôme la fait sienne, et la mentionne plusieurs fois comme une opinion reçue : Ep., XLviii, 21, Ad Pammach. , P. L., XXII, 510 ; In Ezecli., I. XIH, P. L., XXV, 430 AB ; Dial. ady. Pelagianos, II, iv, P. L., XXIII, 538 C. On pourrait apporter beaucoup d’autres autorités, par exemple celle des Testimonia ady. Græcos, attribués quelquefois à saint Grégoire de Nysse, iii, P. G., XLVl, 209 A. Quiconque admet l’unité du plan divin et reconnaît dans l’Ancien Testament une ébauche du Nouveau, sera disposé à faire, en pareille matière, crédit aux Pères de l’Eglise et à penser que les harmonies qu’ils ont cru découvrir ne sont pas imaginations vaines, mais répondent à de réelles intentions de l’Esprit saint.

Souvent aussi, les Hères ont signalé la figure de Marie dans quelques-unes des femmes de l’Ancien Testament ; telles :

Sara, l’épouse d’Abraham, longtemps stérile et merveilleusement féconde. — Saint Ambroise, De institutiune virginis, v, 33, P. L., XVI, 313B.

Marie, scieur de Moise, associée à l’œuvre du législateur. Exod., xv, : iO-23. — Saint Ambroise, De institulione virginis, v, 34, P. I.., XVI, 314 A.

Les héroïnes du peuple de Dieu : Debbora.

Judith.

Esther, la reine toute-puissante par sa prière.

L’Eglise a suivi les Pères dans la voie de ces applications.

L’exploitation liturgique de certains textes scripturaires, en l’honneur de la Mère de Dieu, s’inspire de raisons particulières.

Il existe surtout deux catégories de textes de l’A. T., que l’Eglise se plait à détourner de leur sens primitif pour les ajipliquer à Marie : ce sont les textes sapientiaux relatifs à la Sagesse incréée, et les textes relatifs à l’Epouse du Cantique. Les clercs habitués à l’Office divin et les fidèles qui récitent le petit Office de la Sainte Vierge goûtent souvent le charme mystique de ces applications, sans en connaître le fondement précis. Nous devons en rendre raison.

Les livres sapientiaux nous montrent la pensée divine à l’œuvre avant toute création, concevant le dessein des grandes choses que Dieu devait réaliser pour sa gloire. Ils la montrent encore à l’œuvre dans l’acte même de la création, ouvrière d’ordre et de beauté, condescendant sans s’amoindrir, s’abaissant au particulier, s’insérant pour ainsi dire dans le détail des réalisations divines et se jouant parmi les 125

MARIE, MÈRE DE DIEU

126

créatures. Or la j)ensée divine, le Verbe divin — car c’est tout un — devait s’incarner alin de poursuivre, sous une forme humaine, l’accomplissement des mêmes desseins de munilicence et de miséricorde. Il était donc naturel de rapporter à la i)ersonne du Verlie incarné les mêmes textes de l’Ecriture, d’autant que l’Incarnation n’est que le prolongement du même plan primitif, avec les modalités nouvelles appelées par la désobéissance de l’homme, avec le redresse nent du désordre et la restauration de l’humanité déchue. C’est ce qu’ont parfaitement compris les Pères les plus anciens, comme un saint Justin, dès le milieu du deuxième siècle. Retraçant la carrière du Verbe divin, ils ont coutume d’en marquer la première étape avant tous les temps au sein de Dieu, et pour cela recourent aux livres sapientiaux ; après qui)i ils montrent, écrite d’avance par les propliètes, l’iiistoire du salut messianique, l’Incarnation et la Rédemption.

Mais, d’autre part, Marie tient de plus près que toute pure créature, soit à la pensée divine, dont elle est le chef-d’œuvre, soit en particulier au dessein de l’Incarnation et de la Rédemption, dont elle est, aiuès Jésus, linsU’ument. A ce double titre, elle occupa, plus que toute créature, avant tous les temps, la pensée féconde de Dieu ; dans toutes les perspectives qui s’ouvrent sur la carrière du Verbe incarné, Marie est au premier plan.

C’est pourquoi l’Eglise se croit autorisée à opérer l’adaptation à Marie des textes qui, selon leur sens littéral, ne conviennent qu’à Jésus. Si étroite est, à ses yeux, l’union entre le Fils et la Mère, qu’elle ne craint pas de décerner à l’un et à l’autre une même louange. Pour le premier nocturne des fêtes de la Sainte Vierge, elle recourt à ces chapitres viii" et ix’des Proverbes, qui visent immédiatement la Création et la Providence :

Le Seigneur m’a produite en tête de sa voie,

avant ses « vuvres, jadis.

Dès réteniilé j’ai été fondée,

dés le principe, avant l’origine de la terre.

AvanL que les abîmes fussent, je suis née,

avant que fussent les sources chargées d’eaux.

Avant que les montagnes fussent fondées,

avant les collines, je suis née,

Alors qu’il n’avait point fait la terre ni les champs

ni le premier grain de la poussière du monde ;

Quand il établit les cieui, j’étais là,

quand il traça un cercle sur la face de l’abîme,

Quand il amassa les nuages en haut

et dompta les sources de l’abîme.

Quand il iixa des bornes à la mer,

et les eaux ne transgresseront pas son ordre ;

Quand il affermit les fondements de la terre,

J’étais près de lui comme un enfant,

j’étais ses délices chaque jour,

jouant devant sa face en tout temps,

Jouant sur le globe de ht terre.

et mes délices [sont] avec les iils de l’homme.

Et maintenant, mes fils, écoutez-moi,

et heureux ceux qui gardent mes voies !

Ecoutez mon avis, soyez sages,

gardez-vous de les rejeter.

Heureux l’homme qui m’écoute,

veillant à ma porte chaque jour,

attentif au seuil de ma demeure.

Car qui me trouve, trouve ! a vie

et obtient grâce de lahvé.

Les leçons du petit Ollfce de la Sainte Vierge sont prises du chapitre xxiv de l’Ecclésiastique, où l’on retrouve des développements très semblables :

Je suis sortie de la bouche du Très haut, et comme une nuée, j’ai couvert la terre. J’ai fixé ma tonte sur les hauteurs ; mon trône est sur une colonne de nuée

J’ai parcouru seule la voûte du ciel

et me suis promenée au fond des abîmes.

Sur les ilôts de la mer et sur toute la terre,

sur tout peujtle et toute nation, j’ai dominé.

Partout j ai cherché mon repos

et l’héritage où je devais faire mon séjour.

Alors le Créateur de toutes choses rac commanda,

mon Créateur ht reposer ma tente

Et dît : Fixe ta tente en Jacob,

sois héritière en Israël.

Avant les temps, dès le principe, il m’a formée

et jusqu à 1 éternité je ne cesserai pas d’être.

Dans le tabernacle saint, devant sa face, je l’ai servi.

Anisije fus affermie en Sion ;

dans la ville chérie, il m’a fait aussi reposer,

et Jérusalem est ma puissance.

J ai pris racine dans le peuple honoré [de Dieu],

dans la jiart de Dieu, [dans] son héritage.

Je me suis élevée comme un cèdre au Liban,

comme un cy[irès sur les monts d’ilermon ;

Je me suis élevée comme un palmier à Engaddi,

comme des rosiers à Jéricho,

Gomme un bel olivier dans la planie ;

je me suis élevée comme un platane ;

Comme lecinn.’uneetle baumeodorantj’ai répandu un parfum,

comme une myrrhe choisie j’ai exhale une suave odeur.

Comme le galbanum, l’onyx, la stacLé,

comme une vapeur d encens dans le tabernacle.

Comme un térebinthe j’ai étendu mes rameaux,

mes rameaux sont des rameaux de gloire ot de grâce.

Comme une vigne, j’ai fleuri en grâce

et mes fleurs sont des fruits d’honneur et de richesse.

Je suis la mère du bel amour,

de la crainte, de la science, de la sainte espérance, ’enez à moi, vous qui me désirez, rassasiez-vous de mes fruits. Car mon souvenir est plus doux que le miel, mon héritage plus que le rayon de miel Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m’obéît ne sera pas confondu, ceux qui travaillent avec moi ne pécheront pas.

Ainsi la mère du Verbe nous est-elle montrée fructifiant pour Dieu.

Les emprunts faits par la liturgie mariale au Cantique des cantiques n’ont pas moins de charme ; ils se justifient par des considérations un peu différentes.

Sous le voile de l’allégorie, l’exégèse chrétienne a, de tout temps, reconnu dans l’Epouse du Cantique l’Eglise épouse du Christ, ou encore l’àme attirée à l’amour divin. Que l’on s’attache à l’une ou à l’autre de ces interprétations, on y trouvera place pour Marie, et une place éminente. Car Marie est, dans l’Eglise, l’élément le plus saint, le plus tendrement uni à Dieu, Elle est encore, entre toutes les âmes éprises de Dieu, la plus aimante. Donc, à ce double titre, elle réalise, avec une perfection unique, le personnage de l’Epouse. Dès le troisième siècle, saint HiPHOLYTE indique ceci d’un trait (voirn’ALÈs, Théologie de saint Hippolyie, p. 128) ; au quatrième siècle, saint Grégoire de Nysse, saint Epiphane, saint Ambroise, y reviennent à maintes reprises. « Ils la reconnaissent dans le jardin fermé, dans la fontaine scellée, etc. Mais il faut arriver au douzième siècle pour rencontrer des ouvrages où le livre entier soit interprété de la Mère de Dieu. A partir de cette époque, les interprétations de ce genre sont nombreuses. On en trouve même chez les Grecs ; par exemple, celle de Matthieu Cantacuzène, au xive siècle, » (Terrien, /.a jl/ère t/e/^/e ii, //i jUère des hommes, i. I, p.183, note 3). A vrai dire, cette application continue du Cantique à la Mère de Dieu, que l’auteur n’avait pas distinctement en vue, ne va pas sans quelque chose d’artificiel ; mais on ne peut contester le bon droit de cette exégèse, restreinte à des traits choisis. 127

MARIE, MERE DE DIEU

128

Ainsi l’Eglise emprunte volontiers cette strophe pour célébrer les amours de l’Esprit divin et de la Vierge (Canl., iv, 8-12) :

Avec moi, du Liban, ^mon) épouse,

avec moi, du Liban ;

tu viens, Lu t’avances

du sommet de l’Amana,

du sommet du Sanir et de l’Hermon,

des repaires des lions,

des monts des léopards. Tu me ravis le cœur, ma sœur, (mon) épouse,

tu me ravis le cœur par un seul de tes regards,

par une seule des perles de ton collier. Que tos amours sont agréables, ma sœur, (mon) épouse.

combien meilleures que le vin !

et l’odeur de tes parfums ique tous les baumes ! Tes lèvres distillent le miel, (mon) épouse ;

sous ta lauf^ue sont miel et lait, et le parfum de tes vêtements est le parfum de l’encens. Tu es une source fermée, ma sœur, (mon) épouse,

une source fermée, une fontaine scellée. I^TninciionV.ioao’iijLeCanliquedescanliques, Paris, 1909.)

L’Eglise ne sait pas d’accents plus briilants que cet cpitlialame inspiré de Dieu, ni de plus propres à ravir les cœurs des hommes vers la beauté éternelle : c’est pourquoi elle ose y recourir, dans son impuissance à redire les prédilections de Dieu pour la Mère de son Verbe. Mais ce lyrisme de l’amour nous a entraînés fort loin des fondements historiques du culte du à Marie. Il faut y revenir en prenant pied sur le terrain du N. T.

Sur la Sagesse ouvrière de Dieu, cf. S. Ephrem, Sermo 11, De Nativitate Domini, 0pp. Syr., II, Itob ; Sermo, 0pp. Græca, II, 275-396 ; S. Léon le Grand, Ep. XXVIII (alias xxiv) 2, Ad Flaiianum Cptanuni, P. L., LIV, 763 A ; Ep. xxxi (alias xxvii), Ad Pulclieriam Augustam, ibid., 791 A ; Sermo xxv (/n Nalii'. Domini, v), 2, ibid., 209 A. — Cf. R. M. de la Bkoise, La Sainte Vierge, p. 2-5 ; 19-28.

Sur l’Epouse du Cantique, voir Saint Ambroise, Jn Ps. cxviii, passim, P. L., XV ; De institutione virginis, passim, P. L., XVI, 305-334 ; Saint ïiikodote d’Ancybe, Ilom., VI, 11, In sanclam Deiparam et in Natal. Domini, P. G., LXXVII, 1^27 ; Saint Ephre.m, Orationes ad Deiparam, 0pp. græc, III, 524-552. — R. M. de la Broise, La Sainte Vierge, p. 17-19.

En général, sur la Sainte Vierge dans l’Ancien Testament, voir A. Schakfeh, Die Gottesmiitter in der heiligen Sckri/t, Miinster in W., 1887 ; T. Livius, 7/ie blessed Virgin in the Fathers of the first six centuries, ch. I et II, London, iSyS.

S° Nouveau Testament

Les récits évangéliques relatifs à l’enfance du Christ (Matt., i-ii ; Luc, i-iii) sont la première et presque l’unique source historique touchant la Vierge mère. Naturellement, ces récits n’ont pas trouvé grâce devant la critique rationaliste. Il est vrai que la tradition littéraire ne les dislingue pas du reste de nos évangiles ; conséquemrænt, ils devraient bénélicier des conclusions générales acquises quant à la valeur historique de ces évangiles (voir art. Evangiles, t. I, col. 1684-1704). Mais leur contenu merveilleux les dénonce à l’incrédulité comme particulièrement inacceptables. Rappelons quelques-uns des nombreux efforts tentés pour les éliminer. — Voir A. DuiiAND, S. J., /.'enfance de Jésus Christ, d’apri : s les évangiles canoniques, Paris, 1908, p. 14 sqq.

Déjà les adversaires païens du christianisme, Celsb, Porphyre, Julien, traitaient ces récits de fables. La négation, souvent rééditée, a pris corps au dix-neuvième siècle sous le nom de théorie du mythe.

Elle n’a pas eu d’interprète plus conséquent que David Frédéric Strauss (}- 1874). Dans sa première Vie de Jésus (éd., 1835), il entreprend d’expliquer la genèse de l’histoire évangélique par la collaboration de deux facteurs, l’un inconscient, l’autre conscient : création spontanée du sentiment populaire, c’est le facteur inconscient ; liction réfléchie des évangélistes, c’est le facteur conscient. — Folle entreprise, dirat-on : le Christ n’est pas un héros d’Homère ; par la date de sa naissance, il appartient au plein jour de l’histoire. — Strauss entend l’objection ; il va y répondre ; prenons acte de ses paroles. Il admet, dans sa Vie de Jésus, trad. fr., 1889, t. I, p. Gg, qu’on devrait croire les dogmes chrétiens « s’il était prouvé que l’histoire biblique a été écrite par des témoins oculaires, ou du moins par des hommes voisins des événements ». Et c’est justement ce qu’il nie.

Fort heureusement pour l’entreprise de Strauss, il se trouva que, dans le même temps où il reconstruisait l’histoire évangélique, Christian Baur et l'école de Tubingue s’appliquaient à reviser la date traditionnelle des écrits du N. T., et l’abaissaient jusqu au deuxième siècledeiiotreère.Ces conclusions radicales, après avoir troublé une ou deux générations, devaient décliner ; aujourd’hui la réaction est complète ; elle a trouvé des promoteurs parmi les protestants aussi bien que parmi les catholiques. Mais la vogue passagère des hypothèses de Tubingue avait fourni, en son temps^ des armes à la critique destructive de Strauss.

Restait pourtant à expliquer l'éclosion, en pleine période historique, du mythe de Jésus. Strauss n’est pas à court d’hypothèses. Le mythe messianique, dit-il, n'était pas à créer : il était dans l’air des milieux juifs. Les évangélistes n’ont eu qu'à l’emprunter à leur génération et à l’appliquer à Jésus de Nazareth. Ainsi l’apparente éclosion mythique n’est que la projection, sur une personne contemporaine, des rêves du passé. Veut-on savoir comment les choses se passèrent en détail ?

L’histoire évangélique s’ouvre sur la naissance miraculeuse de Jean le précurseur : réminiscence de la Bible. Les souvenirs d’Isaac, de Samson, de Samuel et autres personnages nés dans une atmosphère de miracle, ont fourni la donnée ; la rédaction prétendue de saint Luc est due à un disciple de Jean ; elle ne prouve que le souci de rattacher à la légende chrétienne, alors en pleine floraison, la grande figure du Baptiste.

La généalogie du Christ a tenté deux évangélistes, saint Matthieu et saint Luc : témoignage d’un effort tardif pour relier le personnage de Jésus à la prophétie messianique, en établissant sa descendance de David. Il était tout indiqué d’avoir égard à l’oracle d’Isaie, relatif à la vierge mère (vu, 14) ; le contresens des Septante suggéra l’idée de la conception virginale.

Saint Luc mène Marie à Bethléem : la raison en est claire. Il fallait assurera Jésus le bénéfice de l’oracle de Michce (v, 3), désignant Bethléem comme le lieu d’origine du Messie.

Les anges apparaissent aux bergers : il le fallait, pour amener près de la crèche ces héritiers des anciens patriarches. David, après tant d’autres, ne futil pas pasteur de brebis (Ps. lxxvii, 70, etc…)?

Les bergers, en saint Luc, ont pour pendant les mages, en saint Matthieu. Ici, d’autres souvenirs bibliques interviennent : prophétie de Balaam, suggérant l’astre symbolique et évoquant le souvenir des mages clialdéens ; présents de l’Orient, indiqués par un texte d’Isaie (lx, 5. 6).

Le massacre des Innocents rehausse opportunément le personnage du Nouveau-né : il a clé composé 129

MARIE, MERE DE DIEU

130

sur le modèle de tant de grands hommes menacés dès leur berceau ; depuis Moïse jusqu’à Auguste, en passant par Gyrus et par Romulus. D’ailleurs, rien de plus vraisemblable que le rôle prêté dans cet épisode à Hérode le tyran iduméen connu comme assassin de ses proches. L’Eg-ypte s’oll’rait naturellement pour accueillir le fugitif ; et puis, ne fallait-il pas faire venir le Messie d’Egypte, selon l’oracle d’Osée XI, i) ?

La circoncision et la présentation au temple sont des traits fournis — ou plutôt imposés — par le rituel mosaïque.

Les cantiques conservés en saint Luc — Magnificat, Benedictus, Nunc dimittis — sont dans le goût de l’A. T., et conformes à des modèles connus.

Le mot Unal de saint Matthieu, ii, 2, 3, rappelant la prophétie relative au Nazaréen, est une adroite réfutation du dicton populaire, d’après lequel rien de bon ne pouvait venir de Nazareth.

L’épisode de Jésus au temple est renouvelé de Samuel — sinon même d’autres personnages moins illustres : on peut rapprocher, par exemple, ce que l’historien JosKi’HE, en son autobiographie, il, raconte de son précoce génie.

Le procédé de Strauss — car c’est le cas de parler de procédé — est fort simple, sinon convaincant. Après lui, on n’a guère fait mieux, encore que le progrès de la critique textuelle ait amené divers auteurs à présenter des hypothèses plus précises. — On en trouvera plusieurs analysées par A. Durand, L’enfance du Christ, p. 51 sqq. Nous serons nécessairement beaucoup plus sommaire.

Parmi les critiques rationalistes, les uns voient dans l’évangile de l’enfance une mosaïque plus ou moins compliquée de textes, différents de date et d’inspiration ; les autres reconnaissent l’unité littéraire des récits, mais s’abstiennent de conclure à la réalité des événements.

Au premier groupe appartiennent P. W. Schmib-DBL, auteur de l’article Mary dans V Encyclopædia Biblica de Cheyne (1902), qui voit dans la généalogie (Matt., I, i-i’j)reml)ryondu récit de saint Matthieu ; A. Habnack, Za Luk., i, 34-35, dans Zeitschrift f. NTliche Wissenschaft, 1901, p. 53-57, afl™et que tout procède de Matt., i, 18, 26 ; voit dans l.uc, i, 34-35, un raccord introduit par l’évangélisle dans un document judéochrétien où il n’y avait pas trace de conception virginale ; H. Holtzmann, Hand-Commentar zum NT., Die Synoptiker, p. 87-44. distingue dans Luc, i-ii, deux documents : un document ébionite qudéochrétien), 11, 21-52 : c’est le plus ancien ; et une partie d’idéalisation, i-ii, 1-20, où s introduit l’idée de conception virginale ; H. Usbnbr, Geburt und KindheitJesu, ZS.f. NTliche Wissenschaft, igoS, p. 1-21.

Au second groupe appartiennent P. Lobstein, Die Lehre i/on der ubernaiurl, Geburt Chrisii, 18g6 (en français dans la Revue de théologie et de philosophie, 1890, p. 305) ; O. Pfleiderer, Das Christusbild des urchrisllichen Glaubens^, 1908 ; le chanoine anglican T. K. CuEYNE, Bible Probtems, igo5 ; auxquels on peut ajouter M. A. Loisy. De temps en temps, certaines conceptions plus inattendues se font jour ; c’est ainsi que L. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindkeitsgeschichte Jésus-, Gôttingen, 1900, découvrait dans nos évangiles de l’enfance des récits empruntés au cycle de la déesse Isis : la source commune de ces récits serait le protéi’angile de Jacques, dont nous possédons le texte grec, mais qui aurait été composé en hébreu, au début du ii" siècle, par un Alexandrin, désireux de populariser, sous les traits de la Vierge Marie, l’histoire delà déesse égyptienne. L’auteur resté inconnu qui, sous la signature

Tome m.

Guillaume Herzog, de Lausanne, publia en 1907 dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses une série d’articlesdu rationalisme le plus cru, sur la Sainte Vierge dans l’histoire, s’est mis en moindres fraisde nouveauté. Il admet simplement que le dogme de la conception virginale lit son apparition, vers la lin du i*’siècle, dans les chrétientés d’origine hellénique, sous l’influence de ce titre de Fils de Dieu, sous lequel on aimait à saluer Jésus, et de la prophétie d’lsaïe(vii, 14), lue à travers les Septante. Le pan théon grec abondait en fils de dieux : de cette don née, amalgamée avec la prophétie messianique, sortit le dogme chrétien.

Arrêtons ici l’énumération des essais rationalistes, et abordons la lecture des évangiles.

En réalité, l’évangile de l’enfance, selon saint Matthieu, est un bloc, contre lequel seul le parti pris peut s’acharner. Toutes les Eglises l’ont reçu avec le reste de cet évangile ; les sectes même l’ont conservé. Les Ebionites faisaient exception, au témoignage de saint EpiPHAKE, //fler., (x), xxx, 13-14, jP. G., XL1, 428-429. Mais cette mutilation de l’évangile dit

« hébreu » ne fait que mettre à nu l’intention de ces

sectaires judaisants, pour qui Jésus était un homme ordinaire. D’autre part, l’évangile hébreu de saint Matthieu, que lisaient les Nazaréens de Bérée en Syrie, possédait les deux premiers chapitres ; nous l’apprenons de saint Jérôme, à qui le texte de cet évangile fut communiqué (De vir. illustr., iii, P. L., XXIU, 61 3), et qui le cite (In Matth., 1. I, ii, 5. 15, P. L., XXVI, 36-27). D’"i point de vue critique, Matt., i-ii, est inattaquable, au jugement de Strauss, Vie de Jésus, I, 117.

Il en faut dire autant de Luc, i-iii. Au deuxième siècle, il s’est trouvé un hérétique pour arracher ces pages, qui rendaient un témoignage trop clair à l’humanité du Sauveur : c’est Marcion. En cela, Marcion n’obéissait à aucune considération de critique historique, mais au postulat de son docétisme. De nos jours, on a repris quelquefois, sous l’empire de préjugés divers, ce travail de dissection, sans aboutir à rien de durable. Et vraiment, au lecteur de bonne foi et doué de sens littéraire, on ne peut trop conseiller, avant tout, la lecture de ces premières pages, écrites par saint Lue : l’impression d’unité, de simplicité, d’harmonie suave et pénétrante, qui s’en dégage, prévaudra d’ordinaire contre toute autre expérience philologique.

Mais que penser du silence de saint Marc et de saint Jean sur les premières années du Sauveur ?

Le fait que deux de nos évangiles, sur quatre, ne mentionnent pas la conception miraculeuse, adonné prise à la critique. En réalité, cette omission ne constituerait une présomption d’ignorance qu’autant qu’il serait impossible d’en rendre compte par le caractère propre de ces évangiles. Or rien n’est moins impossible.

Saint Marc, rapportant la catéchèse primitive, s’attache aux faits publics de la vie du Sauveur, en vue de prouver sa mission divine. La conception miraculeuse, loin de pouvoir être alléguée comme preuve, a besoin elle-même d’être prouvée : ce n’était pas un fait à mettre en avant. D’autre part, si nous demandons à saint Marc ce qu’il pense de Jésus, il nous répondra, à maintes reprises, que Jésus est le propre Fils de Dieu : i, i. 1 1 ; iii, 1 1 ; v, 7 ; IX, 7 ; XIV, 61 ; XV, 89. Il nous répondra encore qu’il est fils de Marie, simplement : vi, 3. Joseph est pour lui comme inexistant : — c’est une circonstance dont la critique rationaliste oublie de tenir compte. Nous reviendrons plus loin sur un passage qui a paru créer une difficulté positive, iii, 21. 31.

Quant à saint Jean, son silence témoignerait plutôt 131

MARIE, MÈRE DE DIEU

132

en faveur de la foi traditionnelle. Car il connaissait sûrement les évangiles de saint Matlbieu et de saint Luc ; s’il s’étailaperçu qu’on voulait introduire, sous le couvert de ces évangiles, une nouveauté, il n’evit pas manqué d’élever la voix, comme il éleva la voix contre l’hérésie de Cérinthe et celle des Ebionites. Disons mieux : en réalité, il a élevé la voix très efficacement. Contre des sectaires qui niaient à la fois la divinité de Jésus et la virginité de sa mère, Jean mit en pleine lumière la divinité de Jésus-Christ : pour ceux qui voulaient bien voir, l’éclat de ce dogme était décisif ; car la divinité a ses exigences : c’était de quoi dissiper toutes les ombres répandues sur la naissance du Seigneur. Au reste, fidèle à son rôle de téuioin, racontant ce qu’il a vu de ses yeux et touché de ses mains (I lo., i, i sqq.), Jean n’a pas coutume de redire ce qui a été bien dit par des témoins autorisés. Il n’est pas revenu sur le précepte du baptême — et pourtant l’entretien avec Nicodème le montre très averti sur ce point (lo., in). Il n’est pas davantage revenu sur l’inslilution de l’Eucharistie — et pourtant le discours sur le pain de vie constitue la meilleure introduction au mystère eucharistique (lo., vi). Devant le mystère de la conception virginale, son attitude est la même. Il ne refait pas l’œuvre de Matthieu ni de Luc, mais il la suppose, et les héritiers immédiats de son esprit, comme saint Ignace d’Antioche, ne s’y tromperont pas. Nous les trouverons parfaitement instruits de ce mystère.

Nous ne voulons pas faire état d’une leçon singulière de loan., i, 13, qui donnerait à la doctrine de la conception virginale un fondement dans le quatrième évangile ; mais quand cette leçon est admise par les adversaires de la conception virginale, il n’est que juste de l’invoquer contre eux. Au lieu du texte reçu : « Ceux qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté del’homme, mais de Dieu », cette leçon porte : « Celui qui est né, non pas du sang… mais de Dieu. » Au lieu de : o ? …’s-/sjvr, 6r, ’ : i/.-j, on Ut : oi-..’tr/vi-arfjr,. C’cst-.i-dire quB cette inciseest rapportée, nonauxenfantsadoptifs deDieu, aux chrétiens, mais au propre Fils deDieu, à Jésus Christ. Cette leçon paraît attestée chez saint Ignacb, Ad. Sinyrn., i, i ; chez saint Justin, l Ap., xxxii ; niai., Lxiii ; elle l’est sûrement dans la version latine de saint Irénée, Ads’. llær., ll, xvi, 2 ; xix, 2 ; et chez Tertullikn, De carne C’iristi, xix, qui reproche aux gnosliques valentiniens de suivre l’autre version ; par saint Ambroise, saint Augustin, SulpiŒ SÉviiHB et le codex i’eronensis h des évangiles. .

deuxième siècle, c’est la leçon la mieux attestée. Au jugement d’un exégète aussi ]>eu suspect que J. RÉVILLE, Le quairième évcingUe ^, p. 102, note, Paris, 1902, elle a a l’avantage de donner un point d’appui dans le quatrième évangile à la naissance virginale de Jésus ».Dansle même sens, H. J. Holtz-MANN, Iland-Comnientar zum NT., t. IV-, p. 34. Malgré cela — ou plutôt en porlieà cause de cela —, ces auteurs la rejettent. Nous la rejettons avec eux, bien que pour d’autres raisons. Mais si on l’accepte, comme fait G. Hkrzug cppuyé sur A. Loisy, du moins ne faudrait-il pas la vider de son contenu !

— Gf L. DE Grandmàison, Etudes, t. CXI, p. 515-517.

Mais voici qu’on nous montre, dans le texte authentique du quatrième évangile, la preuve que Jésus était (ils de Joseph. Ecoutons. S.iint Jean ne met-il pas sur les lèvres du futur ap6tre Pliilippe, s’adressant à Nathanaël, ces paroles (lo., i, ï5) :

« Celui dont parle Moïse dans la Loi, et les prophètes, 

nous l’avons trouvé : c’est Jésus, fils de Joseph, lie Nazareth. » Et de rechef, sur les lèvres des gens de Gapharnaiim (/o., VI, li’i) : « N’est-ce pas Jésus,

tils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? » —’Tel est l’argument. Que vaut-il’.' Assurément, tous ceux à qui le mystère de l’Incarnation demeurait inconnu, — et ceux-là, bien entendu, c’était tout le monde, en dehors des parents de Jean-Baptiste et peut-être de quelques rares privilégiés — tous ceux-là devaient naturellement tenir Jésus pour le tils de Joseph, puisqu’on l’avait vu grandir sous son toit. Mais on veut que l’évangéliste, en rapportant cet n on dit », l’ait pris à son compte ! Ainsi GuiGNEUERT, Manuel d’histoire ancienne du christianisme ; les origines, p. iC5, Paris, 1906 ; G. Herzog, p. 131 ; etc. — Toute discussion serait superflue. Il est temps d’écouter saint Luc et saint Matthieu.

Luc, J, a6-38.

Au sixième mois (après la conception de Jean le précurseur), l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée nommée Nazareth, vers une vierge fiancée à un homme nommé.Joseph, de la maison de David ; 1© nom de la vierge était Marie. L’ange, étant entré chez elle, dit ;

« Je vous salue, pleine de gr ; ice ; le Seigneur est avec vous

[vous êtes bénie entre les ïomniesj. » A ces mots, Marie lut troublée ; elle se demandait ce qu’était cette salutation. L’ange lui dit ; « rs’e craignez point. Marie ; car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous concevrez dans votre sein et enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, Il sera grand ; on l’appellera Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de tin. n Marie dit à lange : « Comment cela se l’eru-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esjjrit saint viendra sur vous et la vertu du Très- Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé Fils de Dieu. Et déjà Elisabeth votre parente a elle-même conçu un fils dans sa vieillesse : ce mois est le sixième, pour elle qui était appelée stérile ; car rien n’est impossible à Dieu. » Marie dit : « Voici la servante riu Seigneur. Qu il me soitfait selon votre parole. » Et l ange la quitta.

D’un point de vue textuel, notons qu’au verset 28 les mots « vous êtes bénie entre toutes les femmes » manquent ici dans d’excellents manuscrits, tels que

Vaticanus B et Sinaiticiis ^. Mais on les retrouve au V. 42 sur les lèvres d’Elisabeth, et là les manuscrits sont d’accord. En tant qu’appartenant à la salutation de l’ange, ils sont une particularité du texte dit occidental.

L’extrême limpidité du récit touchait un critique tel que llenan, et constitue la présomption la plus forte en faveur de son intégrité. Les dillicultés textuelles soulevées par Harnack, Zettsclirijl fur die AJ’liche Wissenschaft, 1901, p. 53-57, contre l’authenticité des versets 34-35, peuvent se ramener à trois points : i2)arlicularités de lexique : la conjonction ÈTTsi ne se retrouve pas ailleurs dans Luc, ni dansée/. ; âio ne se retrouve qu’une fois dans Luc (vu, 7) ; plusieurs fois dans Acl. ; — 2° exigences du contexte : 33 appelle immédiatement 36 ; l’inversion de 34.35 a été dictée parle souvenir de Matt., i, 18-25V et par un désir d’harmonisation avec L « c., I, 31-32 ;

— 3° inconsistance du personnage de Marie : la vierge, partout ailleurs silencieuse, se répand ici en paroles devant l’r.nge. — Nous répondrons brièvement : i° S’il fallait retrancher de l’évangile de saint Luc tous les versets où se rencontre un terme qui ne se représente pas ailleurs, le texte serait étrangement mutilé ; — 2° Si l’on admet — et pourquoi ne pas l’admettre ? ^ que la vierge, prévenue par Dieu de spéciales bénédictions, avait résolu devant Dieu de demeurer vierge, sa question apparaîtra fort naturelle : aux ouvertures qui lui sont faites de par Dieu, elle objecte les droits de Dieu, et attend de Dieu même la conciliation. Il est clair que, si l’on repousse a priori l’hypothèse de l’Incarnation et les voies de Providence133

MARIE, MERE DE DIEU

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deslinées à en procurer In réalisation, le raisonnement ne peut se poursuivre ; reste à savoir ce que vaut une telle lin de non-recevoir ; — 3° Si, parce que cette parole est, dans l’ordre de temps, la première parole de la Vierge conservée par l’Evang-ile, on la déclare inauthentique, il n’y a plus qu’à elfacer toutes celles qui ont suivi, à commencer par le Magnificat. De fait,.M. Harnack — nous y viendrons plus loin

— retranche à Marie le Magnificat et le revendique pour Elisabeth. Mais la base de son argumentation nous paraît entièrement ruineuse. — Un trouvera, sur cette question d’authenticité de Luc, i, 3^-35, d’amples détails chez A. Durand, L’enfance de Jésus Christ, p. 87-96.

La narration, exquise en sa candeur, ne saurait procéder que des propres conûdences de la Vierge, qui reçut la visite de l’ange. Elle présente des traits qui appellent un commentaire.

Marie était fiancée à Joseph. Ainsi entendons-nous le grec l//v>iTT£j//.év> ; v, selon la vulgate desponsatam et les Pères. Par ces tiançailles, fut sauvegardée ultérieurement la réputation de Marie et celle de Jésus. D’ailleurs, la loi juive mettait les ûanccs sur le pied de véritables époux et leur imposait les mêmes devoirs de fidélité, en attendant que la (iancée eût suivi le liancé dans sa demeure (Dent., xxii, 28. 3^). Kien n’oblige d’admettre qu’à la date de l’Incarnation Marie fût déjà sous le toit de Joseph, et saint Matthieu (i, 18-20) paraît exclure positivement cette hypothèse.

Mais pourquoi ces fiançailles d’une vierge qui — on vient de l’apprendre d’elle-même, l.uc, i, 34 —, était résolue à demeurer vierge ? L’Evangile ne fournit pas de réponse positive à cette question. Peut-être Marie était-elle fille héritière, et, comme telle, obligée par la Loi de transmettre l’héritage, avec sa main, au plus proche parent. Cf. Num., xxvi, 6 ; xxxvi, G-12 ; Toï., VI, 1 1 ; VII, 14. On peut conjecturer qu’elle obéit à ses parents, comptant sur la Providence pour la guider ultérieurement dans ses voies. Nous ignorons comment la volonté de Dieu se manifesta ; mais, sans hésiter, nous croyons à une conduite spéciale de Dieu sur Marie.

De fait, par le moyen de ces fiançailles, le mystère de Nazareth demeura ignoré du monde. Saint Ignace d’Antiociie, Ad Ephes., xix, 1, suivi par Obigène, Jn Luc, Hom., vi, P. G., XIII, 1815 A, et par saint Jérôme : In Matt., 1. I, i, P. /,., XXVI, 24 B, ajoute : et du démon.

D’après l’évangéliste, saint Joseph appartenait à la maison de David. Selon les habitudes de langage et de pensée des Juifs, qui tenaient la filiation adoptive pour pleinement équivalente à la filiation du sang, il n’en fallait pas davantage pour que Jésus fût légitimement réputé lils de David. Et l’antiquité chrétienne est presque unanime à reconnaître dans les deux généalogies du Christ, qui nous ont été transmises par saint Matthieu (i, i-iG) et par saint Luc (m, a3-38), les ancêtres de Joseph. Pour la généalogie selon saint Matthieu, il semble qu’il n’y ait place à aucun doute, puisqu’elle aboutit à ce verset :

« Mathan engendra ( e/îvv/îtî. :) Joseph époux de Marie, 

de laquelle naquit Jésus appelé Christ. » A l’exception de Tertullien (De carne Christi, xxii) et de ViCTORiN DE Pettau (fu Apocutypsim, iv, 7-10), qui, par une anomalie bizarre, ont cru trouver en saint Matthieu les ascendants de Marie, les Pères s’accordent à y voir ceux de Joseph. La généalogie selon saint Luc a donné lieu à plus de controverses. Elle s’ouvre parce verset : « Jésus commença (son ministère ) à l’âge de trente ans ; il passait pour fils de Joseph, (ils d’Héli… » Dès lors apparaît la divergence avec le premier évangile, puisque le père de Joseph

s’appelle chez saint Matthieu, Mathan ; chez saint Luc, lléli. Cette divergence n’a pas échappé aux Pères ; ils ont dû chercher à en rendre compte. Dès les premières années du m" siècle, Julhs Africai.n indiquait un principe de conciliation dans les idées courantes des anciens, et très particulièrement des Juifs, en matière de généalogie. La loi du lévirat (Dent., XXV, 5-6), qui assimile complètement la descendance légale à la descendance par le sang, permet d’expliquer que la généalogie de Joseph ait pu être tracée selon deux lignes dilférentes ; pour que son père s’appelle ici Héli, là Mathan, il suffit que cette loi du lévirat intervint à cette génération, l’un des deux noms étant celui du père selon la chair, l’autre celui du père selon la loi ; elle a pu intervenir à d’autres générations encore. D’ailleurs, les deux généalogies passent par David, et ce fait justifie l’oracle messianique, /’s. cxxxi, 11 : « Le Seigneur a juré la vérité à David, il ne s’en départira l)as : du fruit de tes entrailles, je mettrai un fils sur ton trône. »

Sur ce point d’institutions juives, il sera bon d’entendre un auteur israclile. Voici comme s’exprime M. Louis-Germain Lévy, l.a famille dans l’antiquité israclite, p. 196, Paris, 190" » : « Pourquoi cette préoccupation délaisser un lils ? C’est que la seule immortalité qu’on connût alors était la survivance du nom. Le fils né d’un mariage léviratique ajoutait à son nom celui de son père putatif ; de la sorte, ce dernier nom se conservait dans les généalogies. Je leur état/lirai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom qui vaudra mieux que d avoir des fils et des filles pour leur assurer un nom éternel qui ne périra point (/s., Lvi, 5). Le premier fils né du mariage de Ruth avec Booz s’appellera fils de Ma’hlon, fils d’Elimélec (Maillon était le premier mari de Ruth, mort sans enfant). Ainsi le nom du mort ne sera pas retranché d’entre ses frères et de la porte de sa localité (Huth, IV, 10). Noémi, veuve d’Elimélec père de Ma lilon, prend l’enfant, l’appuie contre son sein, et par là déclare l’adopter et le reconnaître comme son descendant légitime et direct. » — Sur la constitution des listes généalogiques chez les Juifs, on peut lire le iiiême auteur, p. 109-117.

La solution exposée par Jules Africain dans sa Lettre à Aristide (ap. Eusèbb, //. E., I, vii, P. G., XX, p. 89-100), et qu’Eusèbe appuie sur le témoignage des 515r : 7’j » 51, parents du Seigneur selon la chair, a recueilli le suffrage de nombreux Pères, parmi lesquels il sufiira de citer saint Augustin, De consensu evangelistarum, II, i, 2, P. L., XXXIV, 1071 : Neque enini propterea non erat appellandus loseph paler Christi quia non eum concnmhendo genuerat, quando qitidem recte paler esset etiam eius quem non ex sua cuniuge procreatum aliiinde adoplasset.

Ces considérations permettent de comprendre pourquoi l’évangéliste, se préparant à raconter la conception miraculeuse de Celui que l’ange appellera Fils de David, note expressément l’origine davidique de son père adoptif et non pas celle de sa mère ; car le père seul importait. Elles expliquent aussi comment la tradition patristique n’a pas fait difllculté d’admettre que nos deux généalogies, celle de saint Luc aussi bien que celle de saint Matthieu, se réfèrent à Joseph, non à Marie. L’importance prépondérante du chef de famille s’affirme à nouveau quelques versets plus loin, à l’occasion du voyage de Bethléem : Joseph s’y rend à titre de descendant de David, Six rô tl-jy.i aÙTÎv’£5 oiy.vj y.yX nuxniy. : , ^y.utiS (Luc, II, 4)î Marie l’accompagne simplement, comme son épouse.

De nos jours, on abandonne souvent l’hypothèse de Jules Africain, poursuivre un autre système, proposé par Grotius, développé par P. Poussines, S.J., 135

MARIE, MERE DE DIEU

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De concordia evangelistarum in genealogia Christi, Tolosae, lô/iô, accueilli par les Bollandistes dans la notice qu’ils consacrent à saint Joseph, Acta Sanctorum, 19 mars. D’après ce système, la généalogie selon saint Matthieu représenterait l’ordre de succession au trône de David et serait conçue d’un point de vue juridique ; seul, saint Luc aurait dessein de mentionner les ancêtres de Joseph selon la chair. Matthieu aurait accueilli tel quel un de ces documents, non exempts de combinaisons arlilieielles, qui avaient cours chez les Juifs en matière de généalogie ; de là certaines omissions : Ochozias, Joas, Amasias manquent entre Joram et Osias, au verset 8 ; entre Abiud et Mathan (versets 13-15), on compte seulement six noms, au lieu de treize chez Luc ; c’est assurément peu pour une période de cinq siècles. Une préoccupation de symétrie (en vue du nombre sacré de quatorze générations) paraît avoir eu jjart à la rédaction de ce document. C’était une question pendante, dans les écoles rabbiniques, de savoir si le Messie naîtrait de la lignée de Saloraon (voir lerem., xxiii, 5 ; xxx, 9 ; xxxiii, 15-17), ou, à cause de la réprobation de celle-ci en Jéchonias (/er., xxii, 28-80 ; xxxvi, 30), de la lignée de Malhan. La première conception se rellète en saint Matthieu, la seconde en saint Luc. D’ailleurs on aboutit, de part et d’autre, à Joseph. — Pour l’exposition détaillée du système que nous venons de mentionner, Aoir B. W. Bacon, dans le D. B. de Hastings, art. Genealogy, p. iSg-i^i. Sur le genre d’autorité que possèdent les documents généalogiques insérés dans nos livres saints, J. Brucker, Etudes, t. XCIV, p. 229, 20 janv. 1903 ; t. CIX, p. 801, 20 déc. 1906 ; F. I’hat,

« rt. Généalogies, dans D. B.de Vigouroux (igoS).

D’ailleurs les Pères n’hésitent pas à croire que Marie elle-même était iille de David (voir, par exemple, saint Augustin, De conscnsu evangelistarum, II, II, 4, P- f--, XXXIV, 1072). Ils en trouvent la preuve notamment dans les paroles de l’ange, adressées à Marie : son fils sera lils de David (Luc, i, 62) ; puis dans les expressions singulièrement énergiques de saint Paul sur l’origine du Christ selon la chair {Rom., I, 3 : ’Ex ç-r.ipfxy.roz Stx’jùê /.y-v. çdfjxy., cf. Il Titn., II, 8), qui paraissent bien dépasser la portée d’une liliation adoptive. Marie avait le droit — sinon même le devoir, comme lille héritière, — d’épouser un homme de sa tribu. Cependant nous voj’ons qu’elle était apparentée à la tribu de Lcvi, par Elisabeth {Luc, I, 5.36), et l’on a voulu de là conclure à son origine lévilique. La conclusion ne vaut pas, si l’on prétend que Marie appartenait elle-mèiue à la tribu de Lévi ; mais rien n’erapéche d’admettre que quelqu’un de ses ancêtres était sorti de cette tribu, car la Loi n’obligeait pas en général les ûlles d’Israël à se marier dans leur propre tribu (erreur d’ÛRiGÈNB, Selecta in Numéros, P. G., XII, 58^ G, suivi par un grand nombre de Pères) ; et la tradition chrétienne s’est plu à reconnaître dans le Christ le sang des prêtres mêlé à celui des rois (ainsi saint Grégoire de Nazianze, , Crtrm., l, xviii, 38-40, P. G., XXXVII, 483 ; saint H1LA.1RE, In Matt.^ I, i, P. L., IX, 919 A ; saint Augustin, Quæstion. in Heptaleuclntm, "VII, xLvii, P. L., XXXIV, 809). On peut supposer par exemple que, le père de Marie appartenant à la tribu de Juda, sa mère appartenait à la tribu de Lévi. Elisabeth, notablement plus âgée que Marie, pouvait être sa tante maternelle.

La croyance à l’origine davidique de Marie permet d’entendre au sens le plus strict les textes de l’Ecriture relatifs au Messie fils de David, et de reconnaître dans le premier chapitre de saint Luc la vérification la plus rigoureuse de l’oracle d’Isaie, annonçant la germination de la ligede Jessé. Toutefois, avouons

que l’origine davidique de Marie n’est pas énoncée dans l’Ecriture aussi distinctement que celle de Joseph. Rapporter les mots « de la maison de David «  (Luc, I, 27) à Marie, au lieu de les rapporter à Joseph, paraît grammaticalement impossible (quoi qu’en pense J. Niessen, Die Mariologie des lil. Jlieronrmus, p. 67). Et la plupart des exégètes, soit catholiques, soit protestants, continuent de croire que saint Luc, tout comme saint Matthieu, rapporte la généalogie de Joseph. On a vu que tel fut déjà le sentiment des Pères.

L’idée que saint Luc rapporte, non la généalogie de Joseph, mais celle de Marie, fut pourtant émise de bonne heure, s’il faut en croire un fragment publié par le card. Mai sous le nom de saint Hilaire (.Xoi’a Patrum Bibliotlteca, I, p. 477)- Mais elle disparut de la tradition chrétienne, et on ne la retrouve qu’à la Un du XV’siècle, llessuscitée par Anniusde Viteuue, O. P. (1490), elle obtint un grand succès au temps de la Réforme. Voir Patrizi, De Evangeliis, III, p. 92. De nos jours, elle a été reprise avec beaucoup d’érudition et poussée à fond, tantôt par des protestants

— tel B. Weiss, Z, pte/i A’sii^, I, 205, — tantôt par des catholiques ; voir surtout deux monographies catlioliques : P. Vogt, S. J., Der Stanimbaum Christi bel den heiligen Evangelisten Matthàas und Lukas, Freiburg i. B., 1907 ; J. M. Ukkh, Die Stanimbaiime Jcsu nach Mattluius und Lukas, Freib. i. B., 1910. Cette solution oblige à admettre une parenthèse dans le texte de saint Luc, iii, 23 : Koti y.ùri ; lî » i’lr, 70ù : ir^}(o’u.iv’yi êTTÎ T5 (ÎKTlTtjtiy toTs’c èrfÀiv Vfnoixo-JTK, ûjv uiô^ [w^ hoy.iytzo’lwa/ ; ï] Toù Hhi Tyi Msi ;  ;  ;  !. Ainsi, l’on entendra que Jésus, réputé lils de Joseph, était en réalité lils (ou plus exactement petit-fils) d’Héli. D’autre part, le Protévangile de Jacques donne au père de Marie le nom de Joachim. Or Héli, sous sa forme complète Iléliakim, et Joachim sont le même nom ; et, d’après le Talniud de Jérusalem, Cliagig, fol. 77, 4, le père de Marie se serait appelé Héli. Il apparaît donc que saint Luc, en omettant ici le nom de Marie — les femmes ne figurent pas communément dans les généalogies —, nous aurait conservé l’ascendance maternelle de Jésus.

Cette conclusion ne peut être tenue pour acquise ; néanmoins les raisons qui l’appuient méritent considération. — Sur les ouvrages de Vogt et de Heer, importante recension du R. P. Laghange, Kevue Biblique, 191 1, p. 443-451 ; J. NiEssBN, Die Mariologie des hl. Ilieronrmus, c. v.

A quelque opinion qu’on se range touchant ces généalogies, on y trouve l’allirmation de l’origine davidique de Jésus, conformément au langage reçu parmi les Juifs. Il deviendra fils de David en naissant de la vierge.

On objecte parfois certaines variantes des manuscrits. Quelques-unes donneraient à entendre que Joseph fut le père de Jésus selon la chair. Tel est en particulier le cas de la version syriaque des évangiles découverte au Sinai en 1894, et qui porte (Mutt., 1, 16) : « Joseph, à qui était fiancée la vierge Marie, engendra Jésus, qui est appelé le Christ. » Cette découverte, très remarquée en son temps, parut à quelques-uns devoir révolutionner toute la tradition chrétienne. Voir les lettres échangées par les biblistes anglais, Conybeare, Sanday, Charles, Badham et autres, dans The Academj, années, 1894-6. Aujourd’hui l’on est bien revenu de cet émoi. En soi, la leçon n’est pas nouvelle : on la trouve dans cinq manuscrits grecs du groupe dit de Ferrar et dans quelques manuscrits latins. Or il faut bien observer que le contexte de ces manuscrits n’est pas opposé — tant s’en faut — à la conception virginale. Outre qu’ici même, Mt., i, 16, le texte parle de Joseph 137

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à qui était fiancée la vierge Marie (au lieu de : Joseph épuiix de Marie, que porte le teste reçu), l’inteulioii du rédacteur ressort clairement des niodilications qu’il introduit au verset 21 : n elle (’entendra un (ils « ; au verset 25 : « elle lui engendra un lils ». Ce qu’il veut, c’est mettre en relief, d’une part la naissance virginale de Jésus, d’autre part son appartenance à Joseph comme à son père légal. Et donc, en disant que Joseph engendra Jésus, il a en vue la lilialion légale. Il en est de même du texte cité par le juif Aquila, dans le dialogue grec entre Timotlice et Jquila, édité par F. C. Conybearb, Anecduin Oioniensia classica, ser. VIII, 1898. — Sur toute cette discussion, voir A.DunANn, /.’enfance de Jésus-Christ, p. XIV et pp. 79-83. — Notons encore que le plus ancien fragment manuscrit de nos évangiles grecs présente Mt., i, 16 sous sa forme traditionnelle : ’Ï ! >.x’JiQ ô’i’r/ê’yvï ; 7£y 'I’j>7v ; c. tÔv V-vê/^v M&^jCtaç, eç ^^ ï-jivvr^Of, l/jToii ; i’, v/-jjj.ivii XpiTT-i. (Papyrus publié par Grbnfell et HuNT, Oxyrrhynclius Papyri, vol. I, n. 2, p. ^.6. — iii’-iv" siècle.)

Le nom de la vierge était Marie. Ce nom prédestiné, déjà porté par la sœur di- Moïse (Ex., xv, 20), a été rattaché à diverses racines, et on y a trouvé divers s3’mbolismes. Saint Jéhôme, Onomastica sacra, éd. P. de Lagarde, p. 62, Gôtlingen, 1887, mentionne quatre étymologies.illiiminatrix me « , ou 17/ » minans eos, ou zniyrna maris, ou Stella (stilla’i) maris. D’autres entendent « la souveraine » ou a la bien-aimée ». Qu’il sullisc de renvoyer à la monographie de Bardknhrwkb, Der Name Maria, Freiburg, 1895.

Les évangélistes synoptiques ont coutume d’appeler Marie par son nom ; l’évangéliste saint Jean dit de préférence : « la mère de Jésus. »

L’ange salue Marie pleine de grâce : Xr^.îp-, xtyv.pi-TwyutV /). C’est là un hommage absolument unique. Dieu qui, dès l’Ancien Testament, exigeait de ses prêtres tant de pureté extérieure (Ex., xxx, ig-20 ; Acv., XXI, etc.), qui, par sa grâce, met lui-même dans les àræs les dons qui les rendent agréables à ses yeux, daigne certilierpar la bouche de son messager que Marie réalise le programme du bon plaisir divin et qu’il est avec elle. D’autres personnages saints, dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, reçurent l’assurance de la grâce divine qui se reposait sur eux ; tels Jacob, Gen., xxviii, 14 ; Moïse, £’j-., iii, 12 ; saint Paul, Eph., i, 6 ; ou bien nous sont présentés comme pleins du Saint Esprit, pleins de grâce ; tel saint Etienne, Ad., vi. 3-8. Mais leur plénitude n’approche pas de celle de Marie, constamment prévenue d’une grâce singulière. La plénitude de Marie ne se peut comparer qu’à la plénitude inQnie du Verbe incarné, de qui nous vient toute grâce (/o., I, 14-it>), sur qui s’est reposée la complaisance du Père (Mat., iii, 17 ; xvii, 5).

Sur ce témoignage divin, gage de la victoire remportée par Marie sur l’ennemi du genre humain, s’est toujours appuyée la croyance de l’Eglise à l’éminente sainteté de Marie. C’est à en développer le contenu que s’appliquera l’hommage des siècles chrétiens. Dans cette plénitude de grâce, la théologie catholique trouvera renfermée la préservation de la tache originelle, avec d’autres dons départis à l’homme avant sa chute.

Or Marie, si sainte qu’elle fut, n’était encore qu’au début de sa carrière : désormais elle va porter en elle l’Auteur même de la grâce et participer de plus en plus à sa plénitude ; d’elle, comme du vaisseau de toute grâce, le salut s’épanchera sur le genre humain.

Devant l’éloge, elle s’est troublée : à cette incomparable grandeur morale, la seule mention de sa

propre excellence paraît une usurpation, un attentat sur l’honneur dû seulement au Seigneur. Il faut que l’ange, prenant de nouveau la parole, la rassure et lui répète qu’elle a trouvé grâce devant Dieu. Marie apprend qu’elle est destinée à une glorieuse maternité : pour une vierge d’Israël, versée dans la connaissance des Ecritures, le Fils qu’on lui promet en termes si inagnifupies est immédiatement reconnaissable. Fils du Très-Haut, Filsde David, Roi dans la maison de Jacob. Ces titres ne conviennent qu’à Celui à qui le Seigneur dit dans le Psaume 11, 7 : K Tu es mon Fils ; aujourd’hui je t’ai engendré. » Les autres lils de Dieu, dont il est écrit, Ps., xxxi. G : 9 Vous êtes des dieux, fils du Très-Haut, vous tous », sont infiniment au-dessous de sa majesté. D’ailleurs tout dans la pensée, dans la diction même, dénote aux yeux les moins [irévenus une donnée proprement araméenne. Rendons à Strauss cette justice ([u’il a senti l’invraisendilance, l’absurdité même d’une infiltration mythologique en pareil lieu. Mieux avisé que tel critique récent, il n’hésite pas à laisser â l’antiquité païenne, Hercule, Castor et Pollux, Pythagore, Platon, Alexandre, Ilomulus, et autres prétendus lils d’un dieu et d’une mère mortelle : entre la donnée chrétienne et ces inventions, il y a toute la distance d’Israël à l’Hellade. Disons mieux : il y a toute la distance du ciel à la terre.

En écoutant la parole d’en haut, Marie détache sa pensée d’elle-même pour ne considérer que la puissance de Dieu. Mais un doute nait dans son esprit : entre la maternité que Dieu lui promet et la virginité qu’elle entend garder toujours, quelle conciliation ? Il faut bien admettre que l’oracle d’isaïe sur la mère de l’Emmanuel n’avait pas été par elle pénétré à fond, puisqu’elle interroge : le voile qui cachait aux enfants d’Israël le mystère de Jésus ne sera levé, pour Marie elle-même, que par degrés. Mais gardons-nous de prendre le change sur la pensée de la Vierge. Elle n’a pas manqué de foi à la parole de l’ange, en cela différente de Zacharie père de Jean. Non de effectn diihitavit, sed qualitatem ipsins qiiæsivit effectus, dit saint Ambroise, soulignant la différence des deux attitudes. In l.uc, II, i^15, P. £., XV, 1558. Marie expose naïvement l’ignorance où elle est, touchant des voies de Providence si entièrement nouvelles à ses yeux, et affirme une résolution qu’elle lient pour irrévocable.

La tradition a vu ici la preuve que Marie avait dès lors fait à Dieu un don irrévocable d’elle-même par le vœu de virginité. Ainsi déjà saint Auoustik, De sancta virginitate, iv, P. /,., XL, 3g8. Saint Thomas pense qu’un tel vœu ne pouvait être absolu avant l’union de Marie avec Joseph, p. III, q. 28, art. l. SuARKz, tout en distinguant le simple désir du vœu formé, passe outre aux difficultés que présente le vœu formé dans un âge plus tendre. De même, R. M. DR LA Broise, La sainte Vierge, p. 70, analysant les intentions de la vierge :

« Eu prenant un engagement si nouveau en Israël, 

Marie ne croyait pas, comme on l’a dit parfois trop légèrement, qu’elle renonçait à devenir mère du Messie. Mais elle ne songeait pas non plus qu’elle allait au-devant de cette maternité. Bien éloignée de penser pour elle-même à une dignité si haute, et pleinement dégagée de toute considération personnelle, elle regardait Dieu seulement ; son unique et très pure intention était de lui plaire. Ayant d’ailleurs l’expérience intime des touches de la grâce et sentant qu’elle suivait en cela la direction de l’Esprit de Dieu, elle s’abandonnait à sa conduite : sans rien prévoir, elle s’en remettait à la Providence des difiicultés où pourrait la jeter sa décision, à l’âge où toutes les autres prenaient une voie différente. »

139

MARIE, MÈRE DE DIEU

140

Pour la troisième fols, l’ange s’adresse à la Vierge : il lui découvre le comment de sa maternité miraculeuse ; il achève de l’éclairer sur la dignité de son Fils, qui ne sera pas seulement Messie, au sens que la tradition d’Israël attachait à ce litre, mais proprement Fils de Dieu ; il lui donne un signe, destiné non à déterminer sa foi, dès lors entière, mais à l’airermir : une femme longtemps stérile est devenue mère ; Dieu, à qui rien n’est impossible (cf. la parole de l’ange à Abraham, Geii., xviii, li)), a fait ce miracle ; il en fera un autre plus grand, et rendra mère une vierge.

Dès lors, le doute de Marie est résolu : servante du Seigneur, elle donne l’acquiescement requis pour l’accomplissement du mystère, et de son Fiat date l’Incarnation du Verbe.

Le dogme de la maternité divine a ici son point d’appui inébranlable. Si Marie a conçu par l’opération du Saint Esprit, Jésus ne laisse pas de lui devoir tout ce qu’un lils doit à sa mère ; il est même, en un sens, plus exclusivement son Fils, n’ayant point de père ici-bas. Le Verbe fait chair est appelé Fils de Dieu et Dieu lui-même, à raison de sa préexistence éternelle au sein du Père (Luc., i, 35 ; loan., I, 14. I. 3. 18). Il est d’autre part appelé fils de Marie, à raison du lien qui unit son humanité à la Vierge mère. C’est pourquoi, en toute rigueur, Marie est mère d’une personne divine ; elle a droit au titre de Mère de Dieu. — S. Tuomas, III, q. 35, art. 4 Parmi les défenseurs non catholiques de la conception virginale, on peut lire avec fruit Ch. Gore, évoque anglican de Birmingham, Dissertations un siihjects connectée nitlt tke Incarnation, diss. i, Londoii, 1907.

Luc, 1, 39-50.

Marie, se levant en ces jours-là, s’en alla en hâte au pays des montagnes, ilans une ville de Juda ; elle entra, dans la maison de Zacliarie et salua Elisabeth. Or dt-s qu’Llisabeth entendit In salutation do Marie, son enfant tressaillit dans ses entrailles ; Elisabeth fut remplie du Saint Esprit et, élevant la voix, s’écria : « Bénie eles-vous entre les femmes, et béni le fruit de vos entrailles ! Et d’où m’arrive [cet honneur] que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Car aussitôt que votre parole do salutation a frappé mes oreilles, mon enfant a tressailli de joie dans mes entrailles. Heureuse étes-vous d’avoir cru, car elles s’accompliront, les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur. » Et Marie dit :

M Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit tressaille en Dieu mon Sauveur : parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante. Car voici que désormais toutes les générations m’appel [leront bienheureuse,

parce que le Tout-Puissant a fait en moi de grandes Son nom est saint ; [choses,

sa miséricorde (se répand) d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

Il a déployé la force de son bras,

il a dissipé ceux qui s’enorgueillissaient dans les pensées

[de leur cœur.

Il a déposé les puissants de leur trône et exalté les hum [bles ;

Il a comblé de biens les aU’aïués, et renvoyé les riches

[les mains vides ;

Il a pris soin d’Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon la promesse qu’il avait faite à nos pères, envers Abraham et sa race, pour toujours, »

.Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis retourna dans.sa maison.

L’exclamation d’Elisabeth visitée par Marie traduit s » s félicitations joyeuses et son admiration pour l’œuvre de Dieu en sa cousine. Quand une femme devenait mère en Israël, ses proches se

réjouissaient avec elle (cf. E.rod., xxiii, 26, et, pour Jean-Baptiste, Luc, i, 58). Les félicitations d’Elisabeth s’expriment dans le style de l’Ancien Testament (cf. ludic, V, 2^ : henedicta inter niulieres luhel uxor llaber Cinæi…, luditli, xiii, 26 : Ilodie nomen tuum ita magnificavit (Dominus) ut non recédât laus tua de ore hominum). Mais ici, la bénédiction donnée à la mère se mesure à la grandeur de son Fils, qui doit être béni et glorilié par-dessus toute créature. Comme le protévangile associait l’inimitié de la race de la femme contre la race du serpent à l’inimitié de la femme contre le serpent, ainsi la salutation d’Elisabeth associe deux bénédictions ; gloriliant à la fois la Mère et le Fils.

Le cantique de Marie, tissu d’allusions bibliques, renvoie à Dieu la gloire des grandes choses qu’il a faites en son humble servante. La mère du Rédempteur ne peut ignorer que toutes les générations l’appelleront bienheureuse. Anciennement, Anne, mère de Samuel, préludant de loin au Magnificat par son cantique (1 Sam, , 11, i-io), avait célébré le salut attendu de Dieu ; à meilleur titre, Marie célèbre le salut présent.

Il y a quelques années, sur la foi d’une leçon aberrante, des critiques protestants ont révoqué en doute l’attribution à Marie du Magnificat, et l’ont revendiqué pour Elisabeth. Il n’y a pas lieu de reprendre ici cette question, déjà traitée dans le Dictionnaire à l’article Evangiles, t. I, 1621-1623. Avec toute la tradition chrétienne, nous maintenons l’attribution de ce cantique à Marie.

Malt., I, 18-25 :

Or la naissance du Christ arriva ainsi. Sa mère, Marie, (tant liancée à Joseph, avant qu’ils eussent commencé d’habiter ensemble, se trouva enceinte par la vertu de rEsi)rit Saint. Joseph son époux, <’-tanl juste et ne voulant pas la dllTamer, se proposa de la renvoyer secrelenient. Comme il avait forcné cô projet, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : <( Joseph, fils de David, no craitis pas de prendre chez toi.Marie ton épouse, car co qui est conçu en elle ^’ient de l’Esprit-Saint, Elle enfantera un lils, tu l’appelleras du nom de Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. >' Tout cela arriva pour l’accomplissement de la parole que le Seigneur a dite par le prophète ; Voici quf la Vierge concevra et enfantera un fils et on l*appellera du nom d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous Réveillé de son sommeil, Joseph lit comnïe lui avait ordonné l’ange du Seigneur, et prit chez lui son épouse. Et il ne la connut point, jusiju’au jour où elle enfanta son fils [premier-né] ; et il l’appela du nom de Jésus.

Dans Mat., i, 25, r^wTiTwov, premier-né, est omis

par B et X. C’est ici probablement une glose, empruntée à Luc, H, ’j.

Le commencement de ce récit nous ramène vraisemblablement au temps où Marie, liancée à Joseph

(/j.vr, 7ztj(iîtTr, ^, cf. l.nc., I, 2^ : T.y.rJlij’.v’5/jtv-/ : 7T£u^u£v/ ; y)

n’habitait pas encore sous son toit. L’introduction de l’épouse dans la deræuie de l’époux mettait lin à la période des fiançailles ; c’est cette démarche qu’exprime ici 7J « /5cîv, plus loin vv.f, y-’/ » Cttv, 20, 24. Au cours de cette période précédant la réunion sous un même toit, Trp’i-j imiBiXj kOtw ; , la grossesse de Marie fut remarquée par Joseph. S^vi/6’icv ne désigne pas les relations conjugales : pour ces relations, le mot des évangélistes est : /lituTzscj, voir Matt., i, 25 ; Luc, i, 34. El ainsi tombe une difficulté opposée dès le quatrième siècle à la perpétuelle virginité de Marie.

Pourquoi Joseph songea-t-il à rompre secrètement avec Marie ? L’évangéliste dit assez clairement que ce fut par délicatesse de conscience Mais encore : avait-il conçu un doute sur la vertu de son épouse, et se croyait-il, aux termes de la Loi, tenu de la quitter ? Cf. Lev., v, i ; Prov., xviii, 22. Cette idée se présente Ul

MARIE, MKRE DE DIEU

142

naUirelleinent à l’esprit, et plusieurs Pères l’ont aflniise, depuis saint Justin, Dial., lxxviii. jusqu’à saint Ambroisb, De institutione rirginis, v, 31j, P.L., XVI, 315, et à saint Augustin, Serm., ii, 6, tj, P. L., XXXVIII, 338. On sait que la Loi condamnait à la lapidation l’épouse adultère, Dent., xxii, 2/1. Mais d’autres préfèrent s’arrêter à une hj’polhèsc plus honorable pour Joseph aussi bien que pour Marie. En présence d’un fait qui le dépasse, Joseph s’incline sans comprendre et se tient prêt à admettre toute explication qui sauve l’honneur de Marie. Par ailleurs, il juge que sa place n’est pas avec elle puisqu’il n’a aucun droit de père, et accepte d’avance le plus douloureux sacrifice. Dans sa détresse, il se tourne vers Dieu, et Dieu lui parle par un ange, comme il a parlé à Marie. Saint Jiinô.MH indique déjà cette solution en termes excellents, ! n Mail., I, 11, P. L-, XXVI, 24 G :.Serf hnc testimonium Mariæ est, quod Iofeph, sciens illiiis castitalem et admirans qunæyenerat, celai silentiu ciiiiis mysteiiitm nesciehat. Et Alrrrt le Grand : Sicut iustus cogitai’it dimiltere, sicut pins disposiiit non accusare, et sicnt sapiens volnit id facere occulte, quia hoc fuit tutius quodconsilio humano poterat invenire.

Le message de l’ange ne présente aucune ambiguïté : que Joseph ne craigne pas d’introduire dans sa maison (7rr/3K/a£eiv) son épouse ; qu’il remplisse les devoirs d’un chef de famille, et en exerce le <lroiten donnant à l’enfant un nom, le nom symbolique déjà révélé à Marie. L’évangcliste, qui vient d’affirmer si nettement que Marie a conçu par la vertu du Saint Esprit, n’hésite pas à l’appeler ici épouse (yyj’Axrj.) de Joseph, car, malgré la loi de respect que les deux l’poux se sont prescrite d’un commun acconl, leur union est un vrai mariage. Nous avons entendu saint Augustin l’affirmer, en revendiquant pour Joseph le nom de père de Jésus, De consinsn evangelistarnm, II, I, 2. Il serrera de plusprès la question présente, en montrant dans l’union de Joseph avec Marie les trois biens essentiels du mariage ; Contra Inlianum Pelagiannin.Y, xii, ^6, P. L., XLIV, 810 : fn illo quod secundum Evangelium coningium nuncupavi, omnia tria bona nuptiarum dixi esse compléta : fidem, quia nutlum adutterium : prolem, ipsum Dominum Christuni : sacramentam, quia nullum divortium. L’enseignement du docteur d’Hippone a fixé sur ce point les hésitations de la théologie catholique. D’autre part, nous verrons l’évangéliste saint Luc, par égard pour la sainteté de ce mariage, ramener encore, à une date ultérieure, l’expression qui a servi à lui-même et à saIntMattliieu (i, 18) pour désigner les fiançailles de la vierge. En abordant le récit de l’Annonciation, saint Luc parlait de la vierge fiancée à Joseph, i, 27 : Tïvf.6évov’£ii-jT, 7rEJij.ivf, v y.v^pi ot cv^iiv.’lw7v ; y.Tout à l’heure, n, 5. il monlrera Joseph se mettant en route pour Bethléem, jùv Maptà^u tô £fj-vr^7Tiufj.iv/i v.ùrÇt, ^/jrn èy/.Oot. Il serait logique de traduire : avec Marie sa /lancée, qui était enceinte. Nul n’imaginera ici un conflit entre les évangélistes. Seulement, une touche exquise de langage, assimilant à une fiancée l’épouse de Joseph, rappelle discrètement le mystère dont le lecteur est averti.

Saint Matthieu fait expressément remarquer ici l’accomplissement de l’oracle d’Isaie sur l’Emmanuel ; pour la première fois, il use de cette formule : iw. (S-nui) n)Yiprj16r, ri’p.Sjv^ qui reviendra "iouvent dans son évangile (voir 11, 15-23 ; iv, il, ; viii, 17 ; xii, 17 ; xiii, 35 ; XXI. 4 ; de plus, onoi^ Tt/ïj^wô&jTtv « t Vpv.fv.i rûv tt/sî^ïjtSjv, XXVI, 5(j ; rcTE’l-n)rip’j}Or, TÔ’prflh, ii, 17 ; xxvii, g). Invitation à reconnaître à l’œuvre la même Providence divine qui, après avoir dicté l’oracle dans l’Ancien Testament, en procure l’accomplissement dans le Nouveau.

Ainsi l’oracle concernant la Vierge-mère est-il interprété en toute rigueur etappliqué expressément à la mère du Messie, par un texte inspiré. On sait que l’exégèse rabbinique avait entrevu le caractère merveilleux de la naissance du Messie. Le commentaire authentique de saint Matthieu fixe, aux yeux du chrétien, le sens de l’oracle d’Isaie ; l’exégèse catholique, et avec elle souvent l’exégèse protestante, a suivi la voie ouverte par l’évangéliste, en confessant la réalisation de la prophétie. L’exégèse incrédule devait naturellement protester ; elle rend souvent le

« contresens » des Septante responsable de l’éclosion

d’un mythe. On a vu plus haut que, si les Septante se sont portés spontanément à rendre’almah par nypOttioc, ils ne l’ont pas fait sans raison, et que ce premier mouvement était le bon. On n’en peut pas dire autant de la substitution tendancieuse opérée par la jeune exégèse des Aquila, des Symmaque, des Tbéodotion, lesquels écrivirent veSviç. Quant à la conviction de l’évangéliste, un croyant admettra volontiers qu’elle s’est formée sous l’assistance de l’Ksprit saint ; d’ailleurs il est facile d’en indiquer les considérants rationnels. Le nom expressif d’Emmanuel devait l’incliner à reconnaître dans cet oracle le Verbe incarné ; une tradition remontant à Marie et à Joseph — car il faut bien faire appel à leur témoignage — l’avait mis en possession de la donnée relative à la conception virginale. La traduction des Septante a pu lui apporter un surcroît de lumière, mais la nécessité de ce surcroit n’apparaît pas, pour l’évangéliste écrivant, à l’intention des fils d’Israël, son évangile araméen

Le témoignage de saint Matthieu, en faveur de la conception miraculeuse de Jésus, ne présente aucune ambiguïté ; mais, plus loin, l’évangile prononce une I>arole qui peut être tournée contre la croyance à la perpétuelle virginité de Marie, i, 26 : « (Joseph) ne connut point son épouse, jusqu’au temps où elle enfanta son fils [premier-né], n Tous ceux qui, depuis Hblvidius, ont prétendu qu’après la naissance de Jésus Marie donna le jour à d’autres enfants, n’ont pas manqué de citer ce texte ; et l’objection y trouve un point d’appui que ne lui offrait pas le verset 18 : car ce sont bien les relations conjugales que vise le mot V/iv !.jTzîv. — Bornons-nous, pour le moment, à ce qui est la substance de la réponse faite à Ilelvidius par saint Jbrômg : dire qu’avant la naissance de Jésus, Joseph ne connut point son épouse, n’est pas affirmer qu’il la connut après. A l’appui de cette réponse, on peut invoquer une foule d’exemples semblables. L’évangéliste a dit ce qui importait à son but, sans se préoccuper des interprétations abusives.

Le mot « premier-né » a donné prise à une objection presque identique. Comme il n’est pas sur que ce mot appartienne ici au texte de saint Matthieu (voir les variantes), nous réserverons la réponse pour l’examen d’un passage de saint Luc. où il se représente et où il est sûrement authentique (Luc, u.l).

Luc, ii, 1-7 :

Il adviiil qu’en ces jours -là parut un cditde César Augusteprescrivant de recenser toute laterro. Ce premier recensemont eut lieu alors que Oulrinius rtait f^ouverneur Je Syrie ; tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville, Joseph aussi monta de GaliU-e. de la ville do Nazareth, en Judée, à la ville de David appelée Bellilcem. parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour se l’aire inscrire avec Marie, sa fiancée qui était encelnie. Or il advint que, pendant qu’ils étaient là, les jours de son enfantement furent accomplis ; elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de Ian[ :  ; es et le coucha dans une crécne, parce qu’il n’y avait pas pour eux placo dans l’hôtoUerie.

14c

MARIE, MERE DE DIEU

144

Ce « premier recensement sous Quirinius » — disons-le en passant —, fut longtemps une énigme pour les commentateurs de l’Evangile. En effet, il n’a laissé aucune trace chez les historiens profanes, aucune trace non plus dans la célèbre inscription découverte, au siècle dernier, à Ancyre en Galatie, et qui retrace toute la carrière politique d’Auguste. Par ailleurs, on a cru prendre l’évangéliste en flagrant délit d’erreur historique. Car les faits qu’il raconte sont antérieurs de cinq ou six ans à l’ère chrétienne ; d’autre part on connaissait la date du gouvernement de Quirinius en Syrie, 6 ; de l’ère chrétienne. Entre les deux dates, l’écart est donc d’au moins dix ans. Or voici que de nos jours l’épigraphie, en révélant un premier gouvernement de (Juirinius en Syrie, est venue disculper saint Luc, et l’imputation d’erreur chronologique retombe sur ses auteurs. Voir art. Epigrapbib, t. I, 14a5-1427.

Mais passons.

Nous avons déjà noté plus haut comment l’évangcliste de l’Annonciation, ayant à rappeler ici le lien qui unit Marie à Joseph, évite de trancher le mot, et l’appelle d’un nom qui pourrait convenir à une simple fiancée — -ç tuii/ ; 7rvjyivri KÙTû. D’autre part, saint Luc appelle Jésus le premier-né de Marie — tov uiiv xùzf.i zov 7TcwToV « i » — ; de là on a conclu que Jésus était le jiremier-né de plusieurs frères.

Saint JÉHÔMB a depuis longtemps fait justice de cette objection. Adi Helvidium, x, P. L., XXIII, 192 B : Omnis unigenitui est primogenitus : non oninis primogenitus est iinigenitus. Primogenitus est non tantiim post quem et alii, sed unie quem nulliis. C’està-dire que le mot ^remier-ne, selon l’usage biblique, ne s’emploie pas seulement par comparaison avec des frères puînés, mais absolument. Qu’on se reporte au texte de la Loi, on y trouvera la délinition exacte du premier-né ; Ejrod., xxxiv, 19-ao : Omne quod aperit i’uhani generis masctitini…, cf. Ex., xui, a. 13. 13 ; ou tim., xviii, 15 sqq. En Israël, les mères n’attendaient pas, pour se soumettre à cette loi touchant les premiers-nés, de savoir si elles auraient d’autres fils ; Marie elle-même le montrera au jour de la purification. Telle est la valeur du Tfivzdroy.ci des

Septante, comme du "1133 hébraïque. Après la visite des bergers à la crèche :

Luc, ii, 19 :

Or Marie’conservait tous ces souvenirs, les repassant en son cœur.

Suit l’épisode de la purification :

Luc, II, 32. 33. 37. 38. 33-35. 39 :

Quand furent accomplis les jours de leur purification, selon la Loi du Moïse, ils I9 poi terent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur : >, Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur " »…

Comme les parents apportaient l’enfant Jésus, pour accomplir à son sujet les prescriptions de la Loi. [Siméon] le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit ; [Sunc diiniitis].

Or le père et la mère [de JésusJ étaient dans l’admiration des choses qu’on disait de lui. Et Siméon le bénit, et dit à Marie sa mère : « Voici que cet [enfant] est au monde pour la chute et le relèvement d’un p^raml nombre en Israël, et pour [être] un signe de contradiction — ; et pour vous-même, un glaive percera votre âme. alin que soient révélées les pensées de bien d « s cœurs)).,.

Et quand ils eurent accompli tout ce que prescrit la Loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth leur ville.

Ni la loi touchant l’offrande des premiers-nés

n’était faite pour Jésus, ni la loi touchant la purifi-’cation des femmes n’atteignait Marie, devenue mère sans souillure. En se soumettant néanmoins aux prescriptions mosaïques, Marie et Joseph donnent l’exemple du respect et de la docilité.

En présence des grandes choses cpi’ils entendent dire de Jésus par Siméon, leui’étonnement n’est pas tant celui de l’ignorance que de l’admiration pour les œuvres de Dieu. La prophétie de Siméon, écho de /s., viii, i^, s’adresse principalement à Marie, destinée à être, avec son Fils, mise en discussion, itfa «., xiii, 55 ; Marc., vi, 3. Sur le mode complet de sa réalisation, les exégètes ont parfois oscillé : Origènk croyait la trouver dans la dispersion des Apôtres au temps de la Passion, In Luc., Hom. xvii, P. G., XllI, 1845, et n’a pas craint d’alfirmer que Marie elle-même participa au scandale des disciples. L’écho d’Origène se retrouve plus ou moins distinct en saint Ba.sile, Ep. CCLX, 9, P. G., XXXU, 968 A ; en saint HiLAmE, In Ps. cxviii, 12, P. L., IX, ôaS A ; chez le Pseddo-Ghégoihb dk Nvsse, De occursu Dnmini, P. G., XLVI, 1176 ; chez le Pseudo-Chrysostomb, In Ps. xiii, 4, P. G., hV, 555 ; chez le PsBUDo-AutJUSTiN, Quæstiones ex N. T.. Lxxm, P. L., XXXV, 2267-8 ; en saint Cyrille d’Alexandrie, fn Inan., 1. XII, P. G., LXXIV, 661. Ces conjectures, qui d’ailleurs n’ont aucun caractère dogmatique, n’engagent que la parole de leurs auteurs. Encore est-il juste d’observer avec Newman, Du culte de la sainte Vierge dans l’Eglise catholique, note F, trad. de 1908, p. aoo-2a/i, que les Pères ont voulu noter l’infirmité naturelle de la femme, plutôt qu’imputer à Marie une faute formelle. Quoi qu’il en soit, l’Eglise ne l’entend pas ainsi. C’est au Calvaire surtout qu’elle reconnaît l’&me de la Mère de douleurs, percée d’un glaive :

Cuius animam gementem,

Contristatam et doieniem,

Ptrtramivit gladiut.

Là sont révélées leg pensées de bien des cœurs, par la faiblesse des uns et la fidélité des autres. Marie n’est nullement compromise dans la défection du corps apostolique ; elle donne héroïquement et jusqu’au bout l’exemple du dévouement à son Fils qui est son Dieu, signe de vie pour les croyants et de condamnation pour les aveugles volontaires, loan., III, !. 18 ; V, aS-ai ; ix, 89 ; I Cor, , 1, a3-a4. Telle l’apôtre saint Jean nous la montre au pied de la Croix, angoissée, mais debout, loan., xix, 26. Au Calvaire, l’humanité se partage en deux, pour et contre le Sauveur : Marie est à la tête des croyants, car le glaive de douleur l’a transpercée sans l’abattre. D’autres ont souffert scandale ; comme aux jours lointains de la fuite en Egypte, Marie est demeurée fidèle à Jésus, sans donner aucun démenti à la prophétie de Siméon.

Sur la trame uniforme de la vie à Nazareth, un seul épisode se détache ; le voici :

Luc, II, 40-51 :

Cependant l’Enfant croissait ol se fortifiait, rempli d* sagesse, et la grâce de Dieu était ?ur lui. Or ses parents allaient avec lui chaque année à Jérusalem, en la fête de Pâque. Quand il eut douze ans. ils y montèrent selon la coutume de cette fcte, et, après les jours accomplis, quand ils s’en retournèrent, l’enfanl Jésus demeura à.Jérusalem, et ses parents ne s’en aperçurent pas. Pensant qu’il était dans la caravane, ils firent une journée de route et le cherchaient parmi leurs parents et connaissances ; ne l’ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher. Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; tous ceux qui l’entendaient étaient émerveillés de son intelligence et de ses réponses, A sa vue, ils furent frappés d’otonnement. et sa mère lui dit : a Mon enfant, pourquoi avez-vous agi ainsi 145

MARIE, MÈRE DE DIEU

146

avec I10U3 ? Votre père et moi, affligés, nous vous cherchions. 1) Il leur repondit : « Pourijuoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois aux choses île mon Père ? » El ils ne comprirent pas la pjirole qu’il leur avait dite. [Jésus] descendit avec eui et vint à Nazareth, il leur était soumis. Et sa mère con-ervait tous ces souvenirs dans

son cœur.

Pour la première fois, dans cette scène évangclique, Jésus agrit, il parle : or on a cru découvrir dans sa conduite quelque hauteur ou quelque froideur envers sa mère ; dans la conduite de Marie, quelque ignorance et quelque indiscrétion. En effet, Marie et Joseph’se montrent incapables de veiller sur Jésus. Jésus se dérobe à la vigilance de Marie et de Joseph. Retrouvé après trois jours, il est l’objet d’un alTeclucux reproche ; lui-même répond sur un Ion de reproche, en affirmant sa résolution de s’émanciper. L’évangélistenote expressément que, sila réprimande de Marie ne fut pas acceptée, la réponse de Jésus ne fut pas comprise. De toute façon, le personnage de Marie est mis à mal par la narration.

Ce commentaire, dont nous accusons à dessein les traits, a été souvent esquissé par des plumes trop sûres d’elles-mêmes. Nous ne saurions y souscrire.

Avant tout, remarquons l’extrême candeur de l’évangéliste. Il ne craint pas de mettre sur les lèvres de Marie, parlant à Jésus, cette expression qui, à tout autre, donnerait le change sur le rôle de Joseph dans la sainte famille : « ’Votre père ». Et par trois l’ois, lui-même prend à son compte cette désignation collective qui met Joseph sur le même pied que Marie : « Les parents de Jésus », cl yautî ; aCroû (27. lit. 43 ; cf. 33 : à nv.z’co aùroO xv.l ri /j.r, Tr, p), De la part de l’évangéliste à qui nous devons le récit de l’Annonciation, cette liberté de langage en dit long : le texte de saint Luc est complètement exempt d’arlitice ; il demande à être lu dans l’esprit même où il fut écrit. Comme l’écrivain est sans défiance à l’égard du lecteur, il faut, sous peine de ne le pas entendre, garder présent à l’esprit ce qu’il ne prend pas la peine de redire, parce que c’est dit et bien dit.

Reprenons donc l’examen des faits.

Il est sûr que Marie et Joseph perdirent de vue Jésus, lors du départ de Jérusalem. Probablement ils s’étaient reposés du soin de l’enfant l’un sur l’autre ; d’ailleurs Jésus se montrait constamment si soumis que rien ne faisait prévoir un acte d’indépendance. Son absence, au premier soir du voyage, émut douloureu< ; ement Marie qui, pour la première fois, commença de sentir la pointe du glaive prédit par Siméon. L’incertitude et l’angoisse durèrent jusqu’au surlendemain.

Après trois jours, Jésus est retrouvé dans le temple, oti il a préludé à son ministère évangélique par des questions et des réponses qui remplissent de stupeur les maîtres en Israël. L exclamation de Marie jaillit du cœur d’une mère ; il ne faut pas l’oublier. Comment l’angoisse de ces trois jours ne se répercuterait-elle pas dans ce premier cri de la tendresse maternelle ? Toute à la joie de la rencontre soudaine, Marie ne peut pourtant pas oublier ce qu’elle a souffert ; sans nulle amertume, mais avec nnadectueux abandon, elle en fait l’aveu à son Fils, et lui demande le pourquoi. Ce pourquoi est le pendant du comment dit à l’ange, au jour de l’Annonciation. Là, il n’y avait nulle nuance d’incrédulité ; ici, nulle nuance de reproche.

Ce point n’est pas le plus délicat. Mais la réponse lie Jésus sonne durement à nos oreilles. N’est-ce pas une leçon, et une dure leçon ?

Disons d’abord qu’il ne faut pas isoler cette parole du contexte qui nous montre expressément, durant les trente ans de sa vie à Nazareth, Jésus soumis à

Joseph et à Marie (51). A son programme de vie dépendante et cachée, l’Evangile nous le montre dérogeant une fois, une seule l’ois ; et la raison de cette dérogation n’est pas difficile à découvrir. Si éclairés, si saints, que fussent Marie et Joseph, ils avaient encore quelque chose à apprendre touchant les mystères du royaume de Dieu. Ils avaient notamment à pénétrer l’économie surnaturelle du message apporté par Jésus au monde, et à mesurer la dislance infinie qui sépare les choses du ciel des choses de la terre. C’est pourquoi Jésus jugea nécessaire d’allirmer à leurs yeux un principe, celui de la souveraine indépendance de son ministère évangélique, comme s’il avait pu redouter pour son apostolat l’importune prescription de leur tendresse. La date qu’il choisit pour cette manifestation unique n’est pas indilférente. C’est à l’âge de douze ans que l’enfant juif était conduit par son père à la synagogue et prenait rang parmi leshommesd’Israël. Jésus nevoulut paslaisser passer cette date solennelle sans affirmer — une fois — qu’il était autre chose que le fils de Joseph. Le principe une fois posé, et la prescription des affections de famille tine fois rompue, il pouvait rentrer dans l’ombre de Nazareth, redevenir l’enfant soumis que nous montre saint Luc. La semence déposée par lui au cœur de Marie et de Joseph allait se développer, et, le temps venu, trouver Marie disposée au sacrifice requispar l’apostolat de Jésus. Maisle temps devait faire son œuvre. La parole dite aujourd’hui par Jésus est de celles qui ne furent pas aussitôt comprises ; l’évangéliste nous l’apprend. Et tout de suite il nous montre, dans la paix de Nazareth, où Jésus n’occupe que le troisième rang, Marie repassant ces souvenirs en son c-eur, pour en extraire le suc et se pénétrer toujours plus des enseignements contenus dans la carrière terrestre de son Fils.

Remise dans cette lumière, la parole de Jésus à Marie apparaît l’expression d’une leçon sans doute, mais non pas d’un reproche. La leçon est haute ; elle est donnée fermement ; elles’adresse à des âmes bien préparées, qui, Dieu aidant, se l’assimileront. La conduite de Jésus, que Marie et Joseph retrouveront demain à Nazareth, simplement docile à leur autorité, contribuera plus efficacement que bien des discours à fixer dans leurs esprits la portée exacte de l’enseignement qu’une fois pour toutes il a voulu leur donner. Ajoutons que laleçon était nécessaire ; d’autant plus nécessaire que le plan divin associait plus étroitement Marie et Joseph à la destinée terrestre de Jésus Un jour viendra où Jésus, parlant à un disciple qui lui demandera la permission d’aller ensevelir son père, répondra : « Suis-moi, et laisse les morts ensevelir leurs morts. ii(3/a »., v)ii, 22)Et il posera en loi générale : « Je suis venu séparer l’homme de son père et la fille de sa mère… Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. » {.fall., x, 35. 37) Si telle est, dans sa plénitude, la loi de détachement qu’il prêche, pouvait-il bien la laisser ignorer de ceux qui le touchaient de plus près ? Pouvait-il bien ne la pas enseigner par son exemple à ceux qu’il mettrait en demeure de l’observer après lui ? Qu’on y réfléchisse, etl’onsentira la haute convenance de l’attitude prise exceptionnellement i)ar Jésus, aussi bien que la portée universelle delà leçon.

Par la réponse qu’il fit à Marie dans le temple, Jésus avait marqué avec un tact divin le point où expire la mission providentielle de la famille et où doit s’affirmer la liberté de l’apôtre. Cette liberté s’affirmera encore en diverses circonstances, qui ont paru jeter quelque ombre, soit sur la perfection morale de Marie, soit sur la tendresse de ses relations avec son Fils. 147

MARIE, MÈRE DE DIEU

148

Et d’abord à l’occasion du miracle de Cana.

Joan., II, i-iï.

Il se fit (les noces à Caua en Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus fut aussi convié, avec ses disciples, a ces noces. Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui dit : « Qu’y a-til entre vous et moi, femme -’Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mcre dit aux serviteurs ; « Faites ce qu’il ous dira. » Il y avait l : * » si.^ urnes de pierre, destinées aux ablutions des Juifs, contenant chacune deux ou trois métrules. Jésus leur dit : « Emplissez ces urnes d’eau. » Il les emplirent jusqu’en haut, il leur dit ; « Puisez maintenant et portez au niaiire du festin. » Ils eu portèrent. Le maître du festin, ayant goûté l’eau changée en vin — il ne savait pas d’où venait ce viii, mais les serviteurs, qui avaient puisé l’eau, le savaient bien — interpelle l’époux et lui dit : (i Tout le monde commence par servir le bon vin. et quand les convives sont ivres, le moins bon ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu à cette heure. »’1 el fut le premier miracle de Jtsus, à Cana en (ialilée ; il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.

Ici encore, on a souvent dénonce la froideur et la dureté de Jésus envers Marie. Ne lui déclare-t-il pas qu’il ne veut avoir avec elle rien de commun ? El cette appellation : « Femme », est-elle bien d’un lils parlant à sa mcre ? Jésus déclare que son heure n’est pas venue. Et puis il cède à l’importunité de Marie, non sans donner à entendre qu’on lui a forcé la main.

L’accusation coniportebien des nuances. îs’ous ne la mettrons pas tout entière au compte de saint Iré-Niiiî, qui pourtant note assez durement laflnde nonrecevoir opposée par Jésus à sa mère, Adv. llær., III, XVI, 7, /". G., VII, 976 B : repelUns eiiis intempeslivam festinationcm Mais les Manichéens ontprétendu trouver ici la preuve que Marie n’étaitpas réellement mère de Jésus ; voir saint Augustin, Inloan., Tr., viii, 5, P. i., XXX, I/J52. Saint Jean Chrysostome soupçonne Marie de quelque intention vaniteuse. In loan., Ilom. XXI, a, P. ( ;., LIX, 130, et saint Maxime de Turin, commentant la réponse du Seigneur, écrit, Ilom. xxiii, P. /.., LVII, 2^5 X : Ilæc ierha indigiiaittis esse quis diibitet ? Les protestants accusent volontiers Jlarie d’ingérence indiscrète ou d’empressement.

Regardons-y de plus près.

Les termes de la requête de Marie ne justifient pas ces appréciations sévères. On ne saurait trouver un terme de comparaison plus exact que les propres paroles de Jésus, en présence d’autres nécessilcs encore plus pressantes, par exemple pour cette fou le qui l’avait suivi au désert et mourait de faim ; oir Mal., xiv, 14 sqqj XV, 3-2 sqq. ; Marc, vi, 34 sqq ; viii, 2 sqq ; I.iic, , IX, II sqq ; loan., vi, 5 sqq. Le Vinum non liahent de Marie est comme le pendant du Misereor super turhain. La compassion que Jésus manifesta devant ses disciples, pour cette foule en détresse, pourquoi Marie ne l’aurait-elle pas manifestée devant son Fils, pour des parents ou des amis en proie à un cruel embarras ? D’ailleurs on doit remarquer tout ce qu’elle met, dans ses paroles, de réserve et d’abandon. Une fois la nécessité signalée à celui qui peut y porter remède, elle n’insiste pas, mais dit simplement aux serviteurs d’obéir, quoi que Jésus commande. Car elle ne doute ni du cœur de son Fils ni de sa puissance.

Mais que dire de la réponse de Jésus ? Saint Bernard s’écrie, /h Di>m. II post Oct. Epipbnn., ’^ermo 11, 5, P. t., CLXXXIII, 160 : ’S'^ous demandez ce qu’il y a entre vous et Marie, Seigneur ? Alais n’est-ce pas ce qu’il y a entre un fils el sa mère ?… » On ne saurait mieuxposer l’objection. Resleàdonner à l’interrogation de Jésus l’acccnlqu’elle comporte. La formule liébra’ique "T7l ^^ niO ne marque nécessairement ni complaisance ni rudesse, et comporte dans l’Ancien

Testament des nuances multiples : voir los., xxii, 24 ; ludic, XI, 12 ; Il Sam., xiv, 5 ; xvi, 10 ; III lig., XVII, 18 ; W lig., IX, 18 ; Il Par., xxxv, 21 ; A., ixii, i. etc. Si, dans le livre du N. T., nous la retrouvons, avec un accent très rude, sur les lèvres des possédés parlant à Noire-Seigneur, Mail., viii, 29 ; Marc, I, 24 ; V, 7 ; Luc, IV, 34 ; viii, a8, il ne faut pas tirer de ces passages des conclusions hâtives. Ici, elle traduit sans doute une lin denon-recevoir ; mais doit s’expliquer par le contexte.

Femme — ywvt —. « Cetteappellation, trèscommune dans leN. T., sembleavoirrevctu, dans la bouche d’un maître ou d’un prophèleparlantà sa mère, une nuance de respect comparable au ;)/ « (/ « ; «  « de la politesse princière )i(Dii L.BROisE, /a Sainte Vierge, p. 161). Noire-Seigneur parle de même à la Ghananéenne dont il loue la foi,.Vati., xv, 28 ; à une femme qu’il guérit dans une synagogue, un jour de sabbat, iuc., xiii, 12 ; à la Samaritaine, à qui il se fait connaître comme le Messie, luaii., iv, 21 ; à la femme adultère qu’il renvoie absoute, loan., viii, 10 ; à Marie-Madeleine, après sa résurrection, xx, 15 ; de nouveau à sa mère, du haut de la croix, à l’heure du suprême adieu, loan., XIX, 26. A Cana, la solennité de la formule souligne la gravité de la réponse : Jésus a inauguré un ministère où les droits de sa mère sur lui sont inopérants ; elle l’a donné une fois pour toutes au Seigneur, et ne doit pas le reprendre. Jésus réédite la parole qu’il a prononcée autrefois dans le temple lorsqu’il fut retrouvé ; il y met autant de fermeté sans } mettre plus d’àpreté.

« Mon heure n’csl pas encore venue. » Et de quelle

heure s’agit-il ? On l’a entendue de l’heure de la Passion ; ainsi saint Augustin, In loan., Tr. viii, 9, P. /.., XXXV, 1^56. Et cette interprétation peut s’autoriser d’autres passages en saint Jean : h Stpv. kùtcû, VII, 30 ; VIII, 20, cf. Xlil, I, ô xkcm ; à iyoç, ii, 6. 8. Mais elle ne répond pas au contexte, orienté vers la manifestation de sa puissance miraculeuse. Avec plus de raison encore, on rapprochera d’autres passages : v, 25 ; XII, 23, et l’on entendra que Jésus ne veut pas se laisser entraîner avant le temps à prodiguer les miracles.

Mais alors, comment expliquer qu’il se rende finalement à la requête de sa mère ? N’y a-t-il pas contradiction entre ses paroles et ses actes ? Et l’attitude prise par Marie ne demeure-t-elle pas condamnée en principe ? Pas nécessairement. L’heure de la grande manifestation n’était pas venue ; tout à l’heure Jésus paraîtra dans le temple, el afiirmera sa mission en chassant les vendeurs : Ii>an., 11, |3 sqq. ; ce sera le signal décisif de sa prédication. Mais il prélude aujourd’liui à celle manifestation éclatante dans un cercle plus intime, cercle de famille el de disciples : c’est là une exception qu’il accorde à, la requête de Marie. Il entrait dans les desseins de la Providence de procurer à la mère du Rédempteur cette glorieuse initiative et de mettre sa médiation à l’origine même des miracles de Jésus. Cf. /s., ix, i-2 ; Malt., IV, 15-16. Sur ce premier miracle, repose la foi des disciples et le fondement de l’Eglise, et son importance apparaîtra bientôt : quand Jésus osera chasser les vendeurs du temple, la foule l’entourera et lui demandera par quel signe il autorise sa mission. Rien peu croiront en lui ; mais les disciples se souviendront el croiront, loan., 11, l’j sqq. Tout cela est dû à Marie.

La solution que nous venons d’apporter suppose la ponctuation ordinaire. Une autre ponctualion, attestée par Tatien (texte arabe édité par CiASCA, Rome, 1888), et par Saint Grégoire db Nysse, {In illiid : Qiiando sihi subiecerit omnia, P. G., XLI’V, 1308 D), supprime toute difficulté en donnant 149

MARIE, MERE DE DIEU

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à la phrase un tour inlerrogalif : « Mon heure — celle <Ie la grande manifestation — n’esl-elle pas venue ? » Après le baptême dans le Jourdain, quand Jésus compte déjà des disciples, on peut croire en ell’el i(ue son heure est venue, et ce langage n’olTre rien d’invraisemblable. Ace compte, la requête de Marie n’aurait pas réellement bâté les premiers miracles de Jésus, et la réponse ne tendrait qu’à la rassurer tout en modérant son zèle. Sur cette le^on intéressante, voir Knabknbaubr, In luannem, p. 118 S(iq., i’aris, 1898.

Voici maintenant Jésus en plein exercice du ministère évangélique.

J)/a «., 111, 46-50 (Cf. ^f( ! rc., III, 31-35 ; iuc, viii, ig-21) :

Comme il parlait encore à la foule, voici que sa mère et ses frères se préseiilèient au dehors, cherchant ^ lui parler. Quoiqu’un lui dit : « N’oici que votre mère et vos frères sont là dehors, cherchant à vous parler. » Il répondit à celui qui lui avait adressé la parole : <* Qui est ma mère ot qui sont mes frères ? » Et étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. (^hiiconi[iie fait la volonté de mon Père qui est auK cieiix, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère. »

De cette scène, nous rapprocherons ; Matt., xiii, 54--^7 {Cf. Ma/ c., VI, 1-3 ; Lhc.^ 1 v, 32 : ïoaii, , vi, 42) :

Etant venu dans sa patrie, it eiiseignyil dans la synagogue ; et les gens étonnés disaient : <i D’où lui vient cette sagesse et ces miracles.’IS’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t elle pas Marie et ses frères Jacques, Joseph. Simon et.lude * Ses sœurs ne sont-elles pas toutes au milieu de nous ? D’où lui vient donc tout cela ? » Et ils se scandalisaient à propos de lui.

Ces deux récits, communs aux trois synoptiques, ont donné lieu : iode nier la perpétuelle virginité de Marie ; 2° d’affirmer que Jésus a publiquement renié sa mère, ou du moins l’a sévèrement réprimandée.

i"On comprend très bien que la vue de Marie, entourée des frères de Jésus, ait suggéré l’idée d’une mère entourée de ses propres enfants, d’autant que, après avoir nommé Marie, les évangélistes désignent les frères de Jésus par leurs noms et parlent aussi de ses saurs.

L’objection a été largement discutée à l’article FnÈRiîSDU Seigneur ; nous n’y reviendrons pas. Rappelons seulement que, jusqu’à la (in du iv= siècle, l’opinion d’HKOÉsiPPK resta commune dans l’Eglise : d’après cette opinion, les « frères de Jésus » seraient des enfants nés à saint Joseph d’un premier mariage. U était réserve à saint Jérôme de faire prévaloir une autre opinion : en défendant contre Helvidius la perpétuelle virginité de Marie, il en vint à allirmer que l’époux de Marie était lui-même resté vierge ; les frères de Jésus seraient plutôt des cousins nés d’une sœur ou d’une proche parente de la Sainte Vierge. La critique même incroyante reconnaît souvent la probabilité de cette opinion, en faveur de laquelle le sens catholique s’est décidément prononcé.

1° Reste la question du prétendu reniement — ou du reproche — infligé par Jésus à sa mère. Au deuxième siècle, Maiicion invoquait ce texte en faveur de son docétisme : Jésus aurait nié la nativité corporelle qui l’avait fait l’un de nous (VoirTiuiTUi-LiKN, IV Adi’. Marcionem, xix. xxvi ; De carne Cliristi, vu.

— d’Alès, Théologie de Tertullien, p. 170 et 188). Au siècle suivant, cette bizarrerie fut rééditée jiar Manias (Voir Âcta disputationis S. Arclielai ciun Manele, XLviii, P. G., X, 1508). De nos jours, on ne s’avise pas de mettre en doute l’Iiumanitc du Christ ; mais il n’y a vilenie qu’on ne lui prête pour faire injure à sa mère. Et parfois on s’appuie sur saint Jban Ciirysos-TOMK, qui, en quelques passages, rapiielle tro]) certaines lacunes de la christologie anliochienne. Dans les homélies sur saint Matthieu qu’il a prononcées à

Antioche, on lit à deux reprises que Jésus ne rougissait pas de sa mère, i)uisqu’il avait daigné naître d’elle, mais qu’il voulut lui donner une leçon. Marie aurait cédé à un mouvement de vanité ou d’ambition, en venant, devant la foule, jouir des succès de Jésus et faire montre de l’autorité qu’elle exerçait sur lui : Jésus aurait condamné publiquement cette jietitesse d’une âme féminine, floiii. xi.iv, i et xxvii, 3 ; J G. LVll, 464. 347.

A ces interprétations fâcheuses, le texte évangélique n’offre pas le moindre fondement. Il renferme un enseignement très élevé. Nous assistons à un partage de l’humanité, à l’occasion de la prédication de Jésus ; de ce partage, on ne saurait assigner d’autre principe que la foi, et la foi est le privilège d’un petit reste en Israël. Or nul, plus que Marie, n’excelle dans la foi ; elle n’a pas cessé d’être la vierge docile à la parole de l’ange, saluée par Elisabeth de cet éloge : « Bienheureuse êtes-vous d’avoir cru. » La parole de son Fils n’y contredit nullement.

Mais encore, que venait-elle faire, dans cette foule, elle d’ordinaire si retirée ; pourquoi venait-elle escortée des frères de Jésus’.' L’évangile ne nous le dit pas ; mais saint Marc — seul entre les évangélistes — raconte, au début de cette scène, que les « proches de Jésus » voulaient s’opposer à son apostolat, n’y voyant que l’eiTet irune exaltation morbide, et le jugeant peu sain d’esprit, Marc, , m 21 : ’iie/c-j -/àp crt éf£7T » j. Les frères de Jésus ne croyaient pas en lui {loan., VII, 5), et sa prédication ne connut pas de pire obstacle que l’incrédulité des siens, Marc, vi, 4. 5. Cette observation des évangélistes, touchant les frères de Jésus, non seulement n’atteint jias Marie, mais fait ressortir par contraste le mérite singulieide sa foi. On demande ce qu’elle venait faire, entourée lies frères de Jésus ? Mais ne venait-elle pas précisément s’interposer entre Jésus et l’incrédulité de ses frères ? Il y avait là un utile ministère à remplir. Et surtout, la parole où Jésus déclare tenir pour ses proches ceux qui font la volonté de son Père, ne renferme rien que d’honorable à Marie. — Cf. L. de Granumaison, Eludes, t. t ; XI, p. Sig-Saa.

Jésus oppose à la chair et au sangl’Esprit de Dieu, à ses proches selon la chair ses proches selon l’Esprit, à la Synagogue l’Eglise. ^ Cf. saint Hilaihe, In Matt., XII, 24, P. L., IX, qgS B., saint JiinôMB, In Matt., 1. II, XII, 49, A L., XXVI, 85 A. D’ailleurs contre personne il ne prononce a priori d’exclusion, et beaucoup moins contre Marie. Il ne tient qu’à ses proches selon la chair d’avoir part aux bénédictions des proches selon l’Esprit. Disons mieux : il fait implicitement le plus bel éloge de sa mère, si proche de lui selon la chair sans doute, mais bien plus proche selon l’Esprit.

U en est de même de cette parole, propre à l’évangile de saint Luc, que provoqua l’exclamation d’une femme du peuple, présente dans l’auditoire :

Luc, XI, 27 : ?8.

Tandis qu’il parlait, une femme élevant la voix, de la foule, lui dit : « Bienheureux lo sein qui vous a porté et les mamelles que vous avez sucées !.>.lésus répondit : « Plutôt bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent ! >

Dira-t-on qu’ici encore Jésus a renié sa mère ? Assurément non. Car l’éloge que nous venons d’entendre, nul ne le mérita au même degré que la vierge dont il est écrit par deux fois qu’elle gardait et repassait dans son cœur tous les enseignements divins offerts par la vie de Jésus (l.iic, ii, 19. 51). Mais celle parole de Jésus, comme la [larole dite au temple, comme la parole dite à Cana, tendait à relever vers le ciel les cœurs des enfants des hommes, appesantis par les choses de la terre. Loin de contredire cette 151

MARIE, MÈRE DE DIEU

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femme, il confirme en réalité son assertion, plus juste encore qu’elle ne soupçonnait, car la béatitude que Jésus énonce a sa pleiaa réalisation en Marie. C’est ce qu’in(li(]uait déjà le Pscudo-Justin, auteur des Quæsliones et responsioiies ail oithodoxos, q. cxxxvi, P. G., VI, 1389. Loin de déprécier la dignité de sa mère, il en montre le vrai fondement, préféral)le en un sens même à la maternité divine, dans la foi qui mène au salut (I /o., v, 4. 5). Sous une forme actuelle et saisissante, il inculque la leçon du discours sur le pain de vie, qui est aussi la leçon de tout l’Evangile : c’est l’Esprit qui vivifie ; la chair, comme telle, ne sert de rien (/o., vi, 63). « Il ne veut pas s’étendre en public sur l’éloge de sa mère ; et il ne veut pas que ses auditeurs fassent, ce que cette femme entendait surtout faire, son éloge à lui. Sa pensée est toujours orientée au bien de ceux qui l’écoutant et au progrès de leurs âmes. » (db la Broisb, La Sainte Vierge, p. 161.)

Venons au Calvaire.

lonn, , XIX, aS-a^ :

Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie Madeleind. Jésus, ayant vu sa mèro. et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Kemme, voici votre fils. » Puis il diL au disciple ; « Voici ta mère. » El à partir de cette heure, lo disciple la prit chez lui.

En dépit du mot « Femme », qui reparaît ici et peut sembler, au premier abord, trop peu filial, l’adieu suprême de Jésus à sa mère a donné relativement peu de prise à la critique. Inutile de rééditer les explications déjà données sur le même vocatif, à propos du miracle de Cana (loan., 11, l^), et dont la force s’aceroil ici par la grandeur tragique de la scène. Origkne a pourtant cru trouver quelque imperfection dans la mère de douleurs ; il estime que le glaive prédit par Siméon, en déchirant l’àræ de Marie, dut troubler ses pensées, au point de lui arracher quelque plainte importune. In Luc, Ilom. xvii, P. G., XIll, 1 845. D’autres ont cru que la foi de Mario en fut ébranlée. Voir ci-dessus, col. 144. Rien, dans l’Evangile, ne suggère ce scandale de la Vierge. Par contre, l’intention que révèle le double legs de Marie à Jean et de Jean à Marie, atteste toute la délicatesse du cœur de Jésus. S’il parle ici en Dieu, il ne laisse pas d’agir comme le fils le plus aimant envers la douloureuse mère.

C’est d’ailleurs le même Origknb qui, le premier entre les Pères, nous invite à voir dans le personnage de saint Jean au pied de la croix la figure du chrétien, et dans la maternité de Marie envers saint Jean la figure de sa maternité de grâce envers tous les chrétiens. Nous retrouverons plus loin ce texte, qu’on lit dans le commentaire In Inannem, 1. I, vi, P. G., XIV, 32 AB. Son écho ira toujours grandissant.

Dans un sujet où il serait facile d’être infini, bornons-nous à transcrire un pieux auteur, commentant cette scène et ces paroles (R. M. de la Broise, La Sainte Vierge, p. 183-185) :

« Elle se tenait, nouvelle Eve, près du nouvel

.dam. C’était l’antithèse et la réparation de la faute de l’Bden. La croix était l’arbre dévie, opposé à l’arbre de mort. Par sa suprême obéissance, Jésus effaçait la faute du père de l’humanité ; chef nouveau du genre humain, il s’unissait tous les régénérés, dont il faisait des enfants de Dieu. Et, près de lui, l’Eve nouvelle réparait par son union à la volonté divine la désobéissance de l’ancienne, et enfantait dans la douleur l’humanité rachetée… Plus la méditation chrétienne s’est exercée sur ces paroles, plus il lui a semblé et plus il lui semble qu’ellesrenferment autre chose qu’une recommandation de Marie aux

soins de l’apôtre Jean. La scène est trop grande et l’heure trop solennelle pour que ces mots n’aient pas une portée plus haute. Jésus considère près de lui la mère du genre humain et, à côté d’elle, le disciple vierge et aimant. De son apôtre de prédilection, le Sauveur fait le type de l’âme vivant de la grâce, régénérée par son sang, née de Dieu et de Marie, et promulgue, pour ainsi dire, cette maternité surnaturelle dont le mystère est en train de s’accomplir… Ces paroles s’appliquent donc à toutes les âmes, dans la mesure où elles participent ou peuvent jiarticiper à la Rédemption ; et Jésus, en prenant Jean pour exemple et pour tj’pe des rachetés, prétendait se faire entendre de chacun de nous et nous adresser à tous le même adieu consolateur. Mais Marie surtout l’entendit. .. »

Nous avons recueilli les textes évangéliques relatifs à Marie. Dans les autres écrits du N.T., il n’y a plus qu’à glaner.

Les Actes des.ipôlres nous montrent, après l’Ascension du Sauveur, Marie au milieu des onze, à Jérusalem, âme de la prière commune et déjà mère de l’Eglise :

Act., I, 14 :

Tous persévéraient unanimement dans la prière, avec les femmes, Marie mère de Jésus, et ses frères.

L’auteur des Actes ne craint pas de rapprocher ici Marie et les frères de Jésus, comme il les a rapprochés dans son évangile (Luc, viii, ly) ; ce rapprochement lui paraît inotfensif pour tous ceux i|u’a touchés la catéchèse chrétienne. Quant à la place faite à Marie nu milieu des onze, lors de l’événement solennel de la Pentecôte, elle symbolise éloquemment sa primauté de grâce et son influence maternelle, s’étendant à tous les fidèles à venir.

Saint Paul n’a qu’une seule allusion directe à Marie :

Gai, IV, ’i-5 :

Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, afin de nous procurer l’adoption des enfants.

La maternité de Marie ne saurait être allirmée en termes plus formels ; en disant que Jésus est né de la femme — yvjifiv.ov Ix yxjyvy.ii —, saint Paul entend que Jésus tient de Marie tout ce qu’un fils tient de sa mère. Il ne louche pas la question de la conception virginale ; mais ce serait singulièrement abuser des mots que de tirer (avec Tertullien, /) « carne Christi, xxih) du choix du mot /uvkizo’ç, muliere, la conclusion qu’en mettant au monde son Fils, Marie cessa d’être vierge. Rappelons que saint Matthieu donne par deux fois à Marie le nom deyujyj, dans le même contexte où il affirme sa maternité virginale. Matt., i, 20-34.

Cependant on a soutenu que la conception miraculeuse est en dehors de l’horizon de saint Paul, et pour établir cette proposition, l’on a fait appel à l’exégèse paulinienne de Ps. 11, 7, qui semble rattacher la filiation divine de Jésus à sarésurrection selon la chair, Act., xui, 33 (discours à la synagogue d’Antioche de Pisidie) : a Dieu accomplit la promesse faite à nos pères, en ressuscitant Jésus, selon qu’il est écrit au Psaume 11 : Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui. » liom., i, 3-4 : » Son Fils, issu de David selon la chair, constitué Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté, par la résurrection d’entre les morts. » Sur quoi l’on raisonne ainsi : Jésus devient Fils de Dieu en ressuscitant, il ne l’était donc pas en naissant ; il n’y a donc pas lieu de faire intervenir le miracle au sujet de sa naissance. — Mais on oublie, en raisonnant de la sorte.

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MARIE, MERE DE DIEU

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que la préexistence du Christ comme Fils éternel de Dieu est une doctrine fondamentale de saint Paul ; non seulement d’après les épîtres de la captivité, Phil., II, 6-11 ; Col., 1, 15-ao, mais encore d’après les grandes épîtres, qui représentent, dans la pensée de l’Apôtre, un stade antérieur. Ainsi Ilom., viii, 3.32 ; Gal., IV, 4-5 ; I Cor., x, l, ; xv, /iô-l, y, Il Cor., y, 21 ; VIII, 9. « Le Christ accompagnait déjà les Israélites dans leurs pérégrinations au désert ; de riche et d’innocent qu’il était, il s’est appauvri, il a consenti d’être traité en coupable, pour l’amour de nous ; en lui, le Père nous donne son propre Fils, un second Adam qui descend du ciel… » A. Durand, L’enfance de Jésus-Christ, p. 127. On oublie encore l’usage fait de Ps. II, 7 dans Ileh., i, S-ia ; v, 5-io. Au jugement de H. HoLTZMANN, Lehrbuch der NT Théologie, t. II, p. 82, seule une exégèse tendancieuse peut prendre ces textes au sens d’une existence purement idéale. Par ailleurs, la mention expresse de la conception virginale n’était nullement appelée par le contexte de Jlom., I, 4. et le silence de saint Paul se justiûe par les mêmes raisons qui nous ont déjà paru juslilier le silence de saint Marc. On l’a très bien dit (L. db Grandmaison, Etudes, CXI, p. 515) : « Ce miracle était un signe pour Marie, une preuve que celui qu’elle enfanterait était vraiment le Fils de Dieu ; pour les Romains, ce ne pouvait être qu’un objet de foi, dont la mention eût surchargé, sans ajouter à la force, l’exposition des points classiques de la catéchèse primitive. »

L’apôtre saint Jean s’est encore souvenu de Marie dans le tableau d’une de ses visions :

Apoc, XII :

Un grand signe parut dans le Ciel : une femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et sur sa tjte une couronne de douze étoiles ; elle était enceinte et criait, dans le travail et les douleurs de l’enfantement. Et un autre signe parut dans le ciel : voici un grand dragon roux, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes. Sa queue entraitïait un tiers des étoiles du ciel, et les jeta sur terre. Le dragon se dressa devant la femme qui allait enfanter, afin, quand elle enfanterait, de dévorer son fruit. Et elle enfanta un fils, [un enfant] mâle, destiné i paître toutes les nations avec une verge de fer. Et l’enfant fut ravi vers Dieu et vers son trône. La femme s’enfuit au désert, où elle avait un endroit préparé par Dieu, pour y être nourrie pendant mille deux cent soixante jours. Et il y eut un com’nat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon ; le di-agon et ses anges combattirent, mais ils ne purent prévaloir, et leur place disparut du ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, l’antique serpent, appelé diable et Satan, séducteur do toute la terre, il fut précipité sur terre, et ses anges furent rejetés avec lui. Et j’entendis une grande voix dans le ciel, qui disait : « ’oici maintenant le salut, la puissance, la royauté de notre Dieu et le pouvoir de son Christ. Il a été précipité, l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit. Ils l’ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole de levir témoignage ; ils ont renoncé à l’amour Je leur vie, jusqu’à [subir] la mort. Réjouissez-vous donc, cieux et habitants des cieux ! Malheur à la terre et à la mer, parce que le diable est descendu vers vous avec une grande colère, sachant ({u’il lui reste peu de temps. » Quand le dragon se vit précipité sur la terre, il poursuivit la femme qui avait mis au monde l’enfant mâle. Et la femme re( ; ut les deiix ailes du grand aigle, pour voler au désert, en sa retraite où elle est nourrie un temps et des temps et un demi-temps, loin de la face du serpent. Et le serpent lan( ; a de sa bouche, après la femme, de l’eau comme un fleuve, pour l’enlrainer dans le courant. Mais la terre vint au secours de la femme : elle ouvrit la bouche et absorba le fleuve que le dragon avait vomi. Et le dragon irrité contre la femme s’en alla faire la guerre au reste de sa race, A ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus. Et il s’arrêta sur le sable de la mer.

Cette femme en butte aux attaques du dragon, fuyant au désert et poursuivie dans sa race, dans

ces fidèles qui gardent les commandements de Dieu et le témoignagede Jésus, figure manifestement l’Eglise des persécutions ; mais les traits dont le voyant l’a peinte, ne sont pas tous inédits. Quand il nous la montre mettant au jour un enfant mâle, destiné à paître les nations avec une verge de fer, impossible de ne pas reconnaître, dans cet enfant et dans sa mère, le Christ, tel qu’il est peint au Psaume 11, et la mère du Christ. Quand il décrit la lutte de la femme et du dragon, impossible de ne pas se référer à la première page de la Genèse, où Dieu annonce des inimitiés entre la race de la femme et le serpent ; d’autant que le voyant souligne lui-même son intention, en identiliant expressément le dragon de l’Apocalypse à l’antique serpent, appelé diable et Satan, séducteur de toute Iaterre(xii, 9). Doncnous retrouvons ici la nouvelle Eve. Saint Jean a fondu dans sa peinture des traits pris du Christ réel et de Marie sa mère, avec des traits qui conviennent seulement au Christ mystique et à l’Eglise mère de tous les chrétiens. Apôtre aimé de Jésus, chargé de veiller après lui sur Marie, saint Jean laisse percer discrètement son amour et son respect filial en assignant à Marie la seule place qui lui convienne : dans le ciel, d’où elle présideà l’enfantement des élus. C’est pourquoi l’Eglise, dans sa liturgie, ne craintpas de transporter au personnage de Marie toute cette peinture, dont Marie a fourni le prototype et l’inspiration. L’enfantement des élus à travers les siècles occupe ici le premier plan ; mais, à rarrière-plan, noiis distinguons une maternité de grâce, collaborant à l’œuvre du Hédempteur ; et cette maternité appartient en propre à Marie.

Ainsi la prophétie du Nouveau Testament clôt harmonieusement le cycle ouvert par l’histoire de l’Ancien Testament : à l’imprudence fatale de la première Eve, répond l’apothéose delà nouvelle Eve. Dans son encyclique pour le cinquantième anniversaire du dogme de l’Immaculée Conception, Pib X applique simplement à Marie la vision de l’Apocalypse (2 fév. 1904).

On peut lire, sur cette vision, le card. Nbwman, Du culte de la Sainte Vierge dans l’Eglise catholique ; traduction revue par un bénédictin de Farnborough, p. 80-92, Paris, 1908 ; Terrien, La mère de Dieu et la mère des hommes, VIII, iii, t. l’y, p. 59-86 ; de la BnoisE, La sainte Vierge, p. 23g-241.

Conclusion sur.Varie dans l’Ecriture sainte

L’Ancien Testament associait déjà la figure de la Femme, et plus particulièrement de la Vierge mère, à celle du Rédempteur, Le Nouveau Testament dévoile le personnage de Marie, et, par la bouche de saint Matthieu et de saint Luc, affirme expressément sa maternité virginale. Marie apparaît, inséparable de Jésus, dans les mystères de l’enfance. Plus tard, son rôle maternel une fois rempli auprès de l’Enfanl-Dieu, elle s’efface, et l’on a cru noter dans l’Evangile quelque froideur, sinon quelque hauteur, de Jésus à son égard. Mais cette impression ne résiste pas à une exégèse consciente de toutes les données défait. Au moment où Jésus disparaît de ce monde, on voit poindre le rôle maternel de Marie envers l’Eglise. Si, malgré tout, on s’étonnait que la part de Marie dans le N. T., en dehors des évangiles, ne soit pas plus grande, nous répondrions volontiers avec le card. Nkwman (o/). cit., p. 92) : Marie était ou pouvait être encore vivante quand les Apôtreset les Evangélistes écrivirent. Mais voici un livre du N.T., composé sûrement après sa mort, l’Apocalypse : or ce livre la canonise, pour ainsi dire, et la couronne.

A consulter :

Aloys ScHABFER, Die Gottesmulter m der heiligcn 155

MARIE, MERE DE DIEU

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Schrift, Munster i. W., 1887. — A. Durand, S. J., L’enfance de Jésus-Christ d’après les é’angiles canoniques, suivie d’une étude sur les Frères du Seigneur, Paris, 1908. — B. Bartmann, Christus ein Gegner des MarienkuUas ? Freiburg i. B., 1909 (mêlé).