Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Mariage et divorce (II. Contrat-Sacrement)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

II. — Le mariage chrétien ou le contrat-sacrement

1° Le mariage chrétien est un sacrement. — Jésus-Christ, en exécution de sa mission, reçue de Dieu, d’organiser l’Eglise et de constituer l’œuvre de sanctification des fidèles, a étendu au mariage l’exercice de son pouvoir législatif souverain. Certaines de ses dispositions touchent le seul mariage entre baptisés ; d’autres, même le mariage entre nonbaptisés.

Entre baptisés, le mariage a été élevé à la dignité de sacrement, c’est-à-dire de signe représentant la grâce et, de plus, la produisant.

Que le mariage soit un sacrement, la chose est définie par le Concile de Trente (sess. xxiv, can. i) ; qui le nie, est hérétique. La même doctrine est enseignée par la tradition ecclésiastique et solidement fondée sur l’enseignement de S. Paul. Dans l’épître aux Ephésiens (v, 31), en effet, le mariage est présenté comme un grand mystère, à raison de son rapport au Christ et à l’Eglise. Or l’union du Christ à son Eglise tend tout entière à la sanctification de ceUe-ci (Epli, v, 26-28). Si donc l’union du mari à sa femme en une seule chair (Gen., 11, 24 et Epli., v, 31) tire toute sa grandeur de sa ressemblance à l’union du Christ et de son Eglise, ce ne peut être que parce qu’elle tend aussi à signifier et à produire une œuvre de sanctification. Si, d’ailleurs, le prêlre est consacré chef de la famille spirituelle par le sacrement de l’Ordre, n’est-il pas convenable que les fondateurs de la famille naturelle reçoivent, eux aussi, la quasi-consécration d’un sacrement ? Et si les sacrements sont institués pour répondre à des besoins spéciaux de secours surnaturels, la vie du mariage, à raison de ses graves obligations, n’a-t-elle pas droit à un secours spécial ?

Sans insister davantage, notons que, d’après la théologie catholique, le sacrement n’est pas un nouveau rite ajouté au mariage. Il s’identifie avec le contrat, auquel Jésus-Christ a attaché la signification de la grâce et a conféré le pouvoir de produire ce qu’il signifiait : 1e sacrement, c’est le contrat élevé en dignité, devenu signe et cause de la grâce.

Tout mariage enlre baptisés est sacrement et possède en lui la vertu de conférer la grâce. Les ministres du sacrement sont les époux eux-mêmes : ils confèrent le sacrement en faisant le contrat, par l’échange du consentement mutuel. De là cette conséquence, que toute personne, qui contracte un mariage valide, administre et reçoit un sacrement ; mais qui voudrait, par contre, d’une volonté prédominante, exclure le sacrement, ne ferait pas un contrat valide. >

Le mariage des infidèles n’est pas un sacrement. Si deux infidèles mariés se convertissent, leur mariage précédent est-il élevé à la dignité et à l’efficacité de sacrement ? Si un seul infidèle se convertit, ou si un fidèle, avec dispense, épouse une infidèle, y a-t-il sacrement pour la partie fidèle ? Autant de questions librement débattues entre les théologiens.

2° Caractères du mariage chrétien. — A) Sa dignité. — Honnête dans son institution naturelle, et grand parce qu’il est l’exercice d’une faculté créatrice communiquée par Dieu à l’homme, parce qu’il a pour fin la propagation de l’espèce humaine, le mariage, aux yeux de l’Eglise catholique, a été encore ennobli par la présence de l’Homme-Dieu aux noces de Cana, par son élévation au rang de sacrement, par la relation du symbolisme que les Livres saints ou les Saints Pères lui ont marquée avec l’union du Christ et de l’Eglise : Eve, formée pendant le sommeil d’Adam, représente l’Eglise née du côté du Christ, nouvel.dam endormi sur la croix ; le mari est le chef de sa femme, comme le Christ est le chef de son Eglise ; le mari a le devoir d’aimer sa femme, comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle, etc.

Ainsi l’Eglise a défendu jadis le mariage contre les hérétiques ou manichéens, qui le condamnaient comme propageant un principe mauvais, la chair. Elle défend encore sa dignité contre ceux qui voudraient lui assigner une origine purement conventionnelle et en faire, dans les théories évolutionnistes, une forme raffinée et artificielle des accouplements libres et passagers des animaux.

Mais l’Eglise, si elle honore l’état conjugal, le place i)ourtant au-dessous de la virginité et de l’état auquel elle est liée. Pourquoi ? Parce que l’état de mariage, forcément mêlé aux préoccupations d’intérêts terrestres, donnant une part très considérable à la vie des sens inférieurs, distrayant donc inévitablement de la vie supérieure, se propose comme but principal la propagation de la vie corporelle. La virginité, tout au contraire, s’élève au-dessus de ces intérêts, de cette vie des sens, pour se disposer et s’adonner exclusivement à la vie supérieure de l’esprit, et s’unir d’autant plus étroitement à Dieu, dans la contemplation, qu’elle est plus dégagée des préyccupations, des plaisirs et des biens terrestres.

Le célibat chrétien n’est pas seulement une condition de plus grande perfection personnelle, il est encore une condition de plus haute et de plus large fécondité de la fie sociale. La paternité et la maternité des âmes d’éducateurs et d’éducatrices, des âmes vouées à l’assistance de toutes les misères physiques et morales, vaut bien celle qui a pour terme la vie des corps ; et, de plus, le cercle d’action du religieux et de la religieuse est d’autant i>lus étendu que nul devoir de famille propre ne l’attache à un foyer unique. Ceux là peuvent s’occuper de toutes les familles, qui n’ont pas de famille à laquelle ils se doivent exclusivement.

B) Son unité. ^ La loi naturelle, d’elle-même, selon l’interprétation des théologiens catholiques, est 105

MARIAGE ET DIVORCE

106

opposée à la poljfjynie. Celle-ci toutefois, par dispense divine accordée direclement au |)euple juif et indirectement étendue aux autres peuples, fut permise après le déluge, afin de favoriser le développement de la race ûdèle. (Detit., xxi, 1516 ; cf. xvii,

Le Christ, en proclamant de nouveau la loi de la monogamie, ne fit donc que suiiprimer une dispense concédée à titre transitoire et ramener l’humanité à l’intégrale observance de la loi naturelle. Cette restauration de l’unité du lien conjugal ressort des textes évangéliques classiques (Mutlh., v, 3a ; xix, g ; Mair., TL, II ; Luc, xvi, 18) : celui-là vit dans l’adultère qui, son premier mariage subsistant, prend une seconde femme. Ainsi que leremarque le Catéchisme du Concile de Trente (P. II, c. viii, § 19), s’il était permis de prendre plusieurs femmes, on ne voit nullement pour quelles raisons on taxerait plutôt d’adultère celui qui prendrait une nouvelle femme, tout en renvoyant la première de sa maison, que celui qui en prendrait une seconde, tout en gardant la première.

Révoquée pour les fidèles, la polygynie l’est aussi pour les infidèles, puisque le Christ a parlé d’une manière générale et qu’il a voulu ramener le mariage à la perfection primitive de ses lois. Les documents émanés du S. Siège, en particulier les Insinictions du S. Ollice (par exemple celles du 28 mars 18C0), aussi bien que la pratique adoptée à l’égard des polygames convertis, ne laissent aucun doute sur ce point : si le premier mariage d’un infidèle a été valide, tous les mariages suivants sont tenus pour nuls.

C) Indissolubilité. — Nous avons vu dans quelle mesure l’indissolubilité du mariage est conforme à la loi naturelle. A celle-ci, historiquement, est venue s’ajouter, dès l’origine de l’humanité, une loi positive divine, formulée dans ces paroles d’Adam : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair. » (Gen., II, 24.) Ils ne seront donc pas plus divisés que n’est divisée la chair d’avec elle-même. C’est bien ainsi que le Christ l’entend. Quand les pharisiens lui demandent si l’homme peut répudier sa femme pour une raison quelconque, il les renvoie aux paroles citées de la Genèse, et il conclut : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » (Matt., xix 6.)

Au début, donc, la loi naturelle et la loi positive sanctionnent l’indissolubilité dans une mesure et avec une force qu’il faut préciser ici. Quand l’Eglise catholique proclame le divorce contraire à la loi naturelle, elle entend enseignerque ni les conjoints eux-mêmes, ni aucune autorité civile, en vertu de son pouvoir propre, ne peuvent dissoudre le mariage. Ellene prétend pas que le régime de l’indissolubilité est nécessaire au point que l’intervention divine n’y puisse rien changer. L’indissolubilité est requise, nous l’avons dit, à cause des intérêts de la race humaine, auxquels nuirait gravement le divorce, et que nul pouvoir humain n’a le droit de compromettre. Mais il n’est pas interdit à Dieu, dans un état social où en effet les dangers sont moins graves, et surtout sous le bénéfice d’une providence et de précautions spéciales, de confier à une autorité civile ou religieuse le pouvoir d’accorder le divorce en certains cas.

En réalité, Moïse, au nom de Dieu, accorde aux Juifs — et indirectement les autres peuples reçoivent même dispense — la faculté du divorce (/> « » ?., XXIV, 1-4). Le motif du divorce est assez indéterminé : propter aliqnam foeditatem, quelque chose de repoussant. Malgré cette imprécision, grâce à la sévérité des mœurs et à l’influence des lois religieuses,

les divorces paraissentavoir donné lieu à peu d’abus chez les Juifs. A l’époque où fut prêché l’Evangile, Schammaï et son école n’accordaient la faculté de divorcer que pour le cas d’adultère. L’école de Hillel, au contraire, l’acco’-dait pour des raisons lieaucoup plus nombreuses et plus légères. Mais au moment où les abus commencent à s’introduire, la concession accordée propter diiritiam cordis, à cause de la dureté des mœurs, va être révoquée.

Le Christ ramène le mariage à la loi primitive et naturelle de l’indissolubilité. Il ne peut y avoir le moindre doute, si l’on consulte les textes de S. Marc (x, 14) et S. Luc (xvi, 18), ainsi que les Epitres de S. Paul (tto/n., VII, 2, 3 ; I Cor., vii, lO, 11) : le mariage ne se dissout que par la mort du i)remier conjoint et toute union contractée durant le premier mariage est un adultère.

Les deux passages de S. Matthieu, qui paraissent soulever des difiicullés sérieuses, ne contredisent pas cette doctrine. Pour comprendre le texte du chap. v, 32, il faut de toute nécessité le situer dans son cadre, le Discours sur la monlaftne, ch. v-vii..lésus y proclame, sous une forme qu’il semble parfois vouloir rendre paradoxale (relire en ])artieulier les Béaliiiides), la supériorité du nouvel idéal proposé et de la perfection morale, de la justice qu’il exige (v, 20) pour entrer dans le royaume descieux. On a défendu aux anciens le meurtre, l’adultère (v, 27) ; Jésus défend, sous peine de châtiments sévères, de géhenne, de s’emporter contre son frère, de lui dire « raca », de l’appeler fou ; il ordonne de s’accorder avec lui ; il considère comme adultère celui qui regarde une femme avec convoitise. Il veut, non seulement qu’on évite le mal, mais même le danger, l’occasion de le commettre : « Si ton œil droit te scandalise, arrachele et jette-le loin de toi… » (v, 29). Et dans cette même pensée d’opposition, il parle du mariage. « Il a été dit : quiconque renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de divorce. Et moi je vous dis : quiconque renvoie sa femme, hors le cas d’impudicité, 1.1 rend adultère ; et quiconque épouse la femme renvoyée, commet un adultère. »

Veut-on traduire ce texte en ce s^ns-ci : « Quiconque divorce, en dehors du cas d’adultère — où cela demeure permis… », le verset 82 est en flagrante contradiction avec tout le contexte desch.v-VII, avec tout l’esprit du discours sur la montagne : Jésus se ravale au rang du rabbin Schammaï. qui accorde, avec son école, le divorce pour cause d’adultère.

Au contraire, la continuation de l’opposition, poursuivie comme à plaisir, entre les lois anciennes et nouvelles, exige à l’évidence l’abolition du divorce mosaïque, une restriction aussi absolue que possible dans la loi de l’indissolubilité. La pensée complète du nouveau Maître pourra s’exprimer ainsi :

« Et moi, je vous dis : Non seulement, il ne sera pas

question d’acte de divorce, mais tout renvoi de la femme est défendu, parce que la renvoyer (hors le cas où, étant déjà adultère, elle n’a jjIus rien à perdre), c’est la vouer à l’adultère. Quiconque, il n’y a pas ici d’exception, épouse la femme renvoyée, commet un adultère. » Jésus euA-eloppe donc dans une même réprobation et le divorce et la simple séparation de corps, ne permettant celle-ci que dans le cas d’adultère.

Ainsi l’exigent les oppositions que Jésus poursuit après avoir parlé du mariage : à côté de l’ancienne défense de se parjurer, nouvelle défense de jurer :

« Ne dites plus : œil pour œil…, mais si on vous

frappe sur la joue droite, présentez l’autre joue… Ne vous contentez pas d’aimer vos amis et de haïr vos ennemis, mais aimez vos ennemis… » 107

MARIAGE ET DIVORCE

108

Le second passage de S. Matthieu (xix, 3-i i) montre que tel a été parmi les auditeurs de Jésus le sens donné à ses paroles. A la manière dont les Pharisiens l’abordent, on voit qu’ils cherclient aie mettre en opposition avec lui-même ou avec la loi de Moïse, suivant qu’il accordera le divorce ou qu’il le proscrira. Us demandent : « Est-il permis de répudier sa femme pour quelque motif que ce soit ? » Jésus rappelle la loi originelle : Dieu a fait l’homme et la femme distincts par le sexe, donc êtres incomplets, mais qui, dans le plan divin, doivent, pour constituer un princi[)e unique de génération, s’unir physiquement jusqu’à former un être complet, unique, une seule chair. Ainsi donc l’homme se séparera moralement de la société de ses père et mère, pour s’attacher à sa femme, devenir une même chair avec elle et constituer un nouvel être moral, une nouvelle famille. Cette union que Dieu a instituée, que l’homme ne la rompe point par le divorce.

Les Juifs ne manquent pas d’objecter la loi de Moïse sur l acte de divorce. A quoi Jésus répond :

« C’est là une exception accordée par Moïse à votre

malice ; mais il n’en était pas ainsi à l’origine. Ma loi, la voici : Celui qui renvoie sa femme, si ce n’est pour impudicité, et en épouse une autre, commet un adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée, se rend adultère. » (v, y.)

Ce second passage, on le voit, renferme la même difficulté textuelle que celui du ch. v. Cette dilliculté se résout de façon vraiment plausible et satisfaisante par les remarques suivantes : i" Le ch. xxx s’éclaire tout naturellement par le ch. v du même auteur : la similitude matérielle des deux passages impose la similitude d’interprétation. — 2" Iciencore Jésus souligne l’opposition entre la loi de Moïse comportant le divorce et, d’autre part, la loi primitive qu’il veut rétablir, avec l’indissolubilité. Une exception ferait cadrer sa loi avec l’interprétation de Schammaï et ôterait aux Pharisiens toute raison de discuter avec lui. — 3" Les disciples donnent bien ce sens sévère à la pensée du Christ, puisqu’ils s’écrient :

« Si telle est laconditionde l’homme à l’égard

de la femme, il vaut mieux ne pas se marier » ; ce qu’ils n’auraient pas dit, s’ils eussent entendu renouveler simplement l’interprétation de Schammaï (v, 10). — 4° Cette interprétation est pleinement conforme aux textes absolument clairs et décisifs de S. Marc, deS.Lucet de S. Paul, II. ce.

Qu’il soit permis d’ajouter un témoignage non suspect de partialité, en faveur de l’interprétation traditionnelle de l’Eglise. M. Loisv juge la promulgation de la totale indissolubilité si certaine, qu’il croit — à tort — devoir regarder comme ajoutée par l’auteur du premierEvangile l’incise A 0 ; s le cas d’il » pu(iie//p, parce qu’elle lui paraît en contradiction avec la pensée évidente du Maître dans le discours sur la montagne. « Il est, dit-il, très remarquable que, dans les passages parallèles des deux autres synoptiques, aussi bien que dans S. Paul, l’exception d’adultère n’est pas mentionnée. Cette circonstance confirme l’idée dune interpolation rédactionnelle, que suggère déjà le texte de Matthieu, considéré en lui-même. Etant donné le point de vue où Jésus se place, une exception à la règle qu’il promulgue ne peut être admise, et elle n’a pu appartenir même à la première rédaction du discours. « (Les Evangiles synoptiques, t. 1, p. 579.) Un peu plus bas, dans cette double pensée de l’indissolubilité sans exception proclamée par Jésus et de l’interpolation d’une incise, il écrit encore : « L’Eglise catholique, en refusant d’admettre aucun cas de divorce, a maintenu le principe établi par Jésus, et il importe assez peu qu’elle n’ait pu le faire qu’en sacrifiant le sens

historique des passages oii Matthieu traite la question. B (Op. c., p. 580.)

Enfin, le meilleur garant du sens des passages cités, c’est l’interprétation et le sentiment prati(iuc de l’Eglise primitive, ainsi que le témoignage de la littérature ecclésiastique, à partir des premiers temps du christianisme. On a connu l’incidente de S. Matthieu et cependant, à part quelques très rares textes ou faits sérieusement opposables, et où rinfaillibilité n’a rien avoir, la tradition écrite ou vécue apparaît très catégorique et moralement unanime en faveur de l’indissolubilité (Voir Desmet, De Sponsalibus et Matrimonio, n. 200).

L’Eglise proclame donc l’indissolubilité du mariage au regard des conjoints eux-mêmes. S’il s’agit du mariage consommé entre chrétiens, elle tient cette indissolubilité pour absolue. En dehors de ce cas, qui ne souffre pas d’exception, le lien conjugal peut être rompu pour de graves raisons, siu- l’intervention de l’autorité ecclésiastique. Indiquons rapidement l’économie de ce pouvoir, confié par le Christ à son Eglise.

Tout d’abord, il importe de ne pas confondre avec la rupture du lien conjugal la déclaration denullité, la constatation ollicielle que le mariage n’a jamais existé, pour faute de vrai et légitime consentement, ou pour cause d’incapacité absolue ou relative, etc. Il y a des mariages nuls, comme il y a des actes civils nuls, pour vice de forme, etc.

Il y a cependant de vrais cas de rupture de lien. Une première série est ce qu’on appelle le cas de V Apôtre, ou le privilège paulin, parce que S. Paul en a fait la promulgation et que, dans sa teneur, il constitue un privilège en faveur de la foi chrétienne. Le mariage entre infidèles, valide et même consommé, est dissous de plein droitlorsque.unedesdeuxparties ayant reçu seule le baptême et l’autre partie dûment interrogée se séparant d’elle, c’est-à-dire persistant dans son infidélité et se refusant à une cohabitation paisible, la partie convertie contracte un nouveau mariage. (I Cor., vii, 12-15.)

Il y a encore ruptuie de lien conjugal lorsque, après un mariage conclu entre fidèles, mais avant la consommation, une des deux parties entre en religion, dans un Ordre régulier, et y fait la profession solennelle. Le privilège paulin avait été accordé par le Christ, ou par l’Apôtre au nom du Christ, en faveur de la foi ; celui-ci est accordé par l’Eglise, de par l’autorité reçue du Christ, en faveur de l’état de perfection embrassé dans la vie religieuse.

Dernière série de cas. Le mariage des fidèles légitimement conclu et pleinement valide, mais non encore consommé, peut être, pour de graves raisons, dissous i)ar l’autorité suprême que le S. Siège tient de son Fondateur. L’Eglise se reconnaît clairement cette puissance et l’exerce, en fait, au moins depuis le XV" siècle.

La raison qui rend possibles ces exceptions à la loi de l’indissolubilité, est que, seule, l’union consommée entre chrétiens réalise dans toute sa plénitude le symbolisme qui la fait comparer à l’union du Christ avec son Eglise. Et parce que, dans cette union des chrétiens, se réalise parfaitement cette mystérieuse ressemblance, les théologiens et les canonistes catholiques tendent à reconnaître à l’Eglise le même pouvoirsurleniariage des infidèles, consomméavant, mais non après la conversion de l’un d’entre eux ou même des deux. L’Eglise d’ailleurs use si sagement de ses pouvoirs que nul n’a jamais songé à lui attribuer une influence dissolvante sur le mariage.

3° Législation du mariage chrétien. — Le mariage chrétien est un sacrement institué par le 109

MARIAGE ET DIVORCE

110

Christ. A ce titre, l’Eglise n’a garde de toucher à ce qui constitue la substance du sacrement. Mais celui-ci, par ailleurs, est idenlilié avec le contrat entre chrétiens : c’est le contrat élevé. Or, d’une part, il est nécessaire, on l’a vii, que ce contrat, ayant une existence et une portée sociales, soit réglementé par l’autorité sociale. D’autre part, Jésus-Christ, en établissant que le contrat revêtirait la dignité et l’efTicacité du sacrement, n’a prétendu que sanctifier ce contrat légitime et valide, et nullement en déterminer lui-même les conditions de validité et de légitimité. Ce soin demeure confié à l’Eglise : à elle de régler les formalités du contrat, de préciser les capacités ou les incapacités des contractants. C’est le londemenl du pouvoir de constituer des empêchements du mariage : les uns, dirimants, qui le rendent invalide ; les autres, proliibants, qui le rendent illicite, sans toucher à sa valeur.

De ces empêchements, les uns sont imposés par le droit naturel, à tel point que nulle autorité ne peut y toucher, pour les supprimer ou en dispenser dans un cas particulier : tels sont l’impuissance, le défaut de consentement, l’erreur sur la substance du contrat ou sur la personne même du contractant, etc. D’autres sont une conséquence de la législation primitive, rétablie par le Christ : ainsi l’incapacité de contracter un second mariage, tant que subsiste le premier lien conjugal. D’autres enfin sont d’institution purement ecclésiastique. Telles sont la plupart des incapacités créées à raison de la consanguinité, à raison de l’allinité légale ou spirituelle, des vœux solennels de chasteté ou des ordres sacrés, la nullité pour défaut de certaines conditions de publicité. Mais que leur origine soit divine ou ecclésiastique, qu’ils soient simplement prohibants ou dirimants, tous ces empêchements ont un caractère commun : ils sont puissamment fondés en raison, ou sur la nature du contrat, ou sur les lois de la vie même physique, ou sur les lois qui garantissent l’ordre social, sur de hautes convenances naturelles, sur la sécurité des familles, sur les intérêts moraux et religieux des conjoints.

Une ([uestion se pose ici : que deviennent, en face du mariage chrétien, les droits assez étendus que l’on a reconnus à l’Etat civil sur le mariage des non-chrétiens ?

Celui-là, comme celui-ci, touche à des intérêts civils ou sociaux dont la garde appartient en propre à l’Etat, et sur lesfjuels l’Eglise n’élève aucune prétention. Que l’Etat exige des conjoints notification et enregistrement des mariages conclus ; qu’il sanctionne de son pouvoir le contrat et lui assure ses eiTets dans le for civil ; qu’il ordonne ce qui regarde les régimes successoraux au point de vue des biens et des titres et, en général, tout ce qui est du domaine purement civil, c’est son droit. Mais qu’il laisse à l’Eglise tout ce qui met en cause la valeur même du lien conjugal ou les effets moraux et sociaux, qui en sont une conséquence immédiate et nécessaire. A elle donc, par sa législation, de régler les formalités de la célébration du mariage requises pour la valeur ; d’établir les divers empêchements ; de garder en main, dans les limites de son pouvoir divin, l’économie de l’indissolubilité du lien, de la séparation conjugale. A elle de prononcer, en juge souverain, sur la validité ou la nullité du lien, sur les causes de rupture ou de séparation, etc.

Sans doute, la plupart de ces points ne sont pas indifférents aux intérêts, même civils, de la société naturelle. Mais la question ne se résout point par cette seule considération. Quand il s’agit de mariage chrétien, il faut se souvenir que, le contrat étant identifié au sacrement, l’Etat ne peut atteindre le

premier sans porter une main sacrilège sur le second et sans entreprendre sur l’administration des sacrements ; ([ue, pour mixte que soit cette matière, elle est, par ordre de dignité, avant tout religieuse et sacrée et que, comme telle, elle appartient en premier lieu à l’autorité religieuse ; qu’elle doit lui appartenir exclusivement, sous peine d’être l’objet de perpétuels conflits — une puissance déclarant nulle telle union que l’autre déclarerait valide, la première regardant comme criminelles des relations que la seconde tiendrait pour légitimes et obligatoires, etc.

L’Etat peut d’ailleurs s’en remettre à l’Eglise pour la bonne ordonnance du mariage. Et puis, s’il a des intérêts occasionnels à l’aire valoir, « l’Eglise, dit LÉON XIII, est toute prête à se montrer accommodante et condescendante en tout ce qui est compatible avec ses droits et ses devoirs. Aussi, dans ses lois sur le mariage, elle a tovijours tenu compte de l’état et des conditions des peu[)les, n’hésitant pas, quand il y avait lieu, à adoucir sa propre législation. » Elle ne demande, c’est encore Léon XIII qui parle, qu’à poursuivre sa tâche dans « l’union, la concorde et une sorte d’harmonie. » (Encycl. Jrcanum.)

Il" Attaques contre l’Eglise â l’occasion du mariage. — La discipline matrimoniale et l’exercice des droits et devoirs de l’Eglise en cette matière ont été l’objet d’attaques plus ou moins grossièrement erronées. Examinons-en quelques-unes.

a) Divorces de complaisance. — On reproche parfois à l’Eglise des annulations ou des divorces, accordés par complaisance ou à prix d’argent.

Réponse : i) Si l’Eglise avait eu des raisons de se montrer complaisante, c’est assurément envers les souverains qu’elle avait tout intérêt à gagner. Or elle a été inexorable envers ceux dont la cause était inique. Il n’y a qu’à étudier, dans l’histoire, la conduite de Nicolas l" envers Lothaire, d’Urbain H et Pascal III envers Philippe II de France, de Clément’VU et de Paul III envers Henri’VIII d’Angleterre, de Pie’VU envers Napoléon <". (Voir, plus haut, l’art. Divorck des princes.)

2) Quant on parle d’annulations, il faut bien distinguer les causes dont il s’agit.

Les ruptures de lien par usage du privilège paulin se font dans les pays de missions, à peu près exclusivement, et sans frais. On sait que les missionnaires assistent leurs fidèles, plutôt qu’ils n’en sont assistés : donc aucune complaisance à redouter pour cause de vénalité.

Les causes de déclaration de nullité se jugent d’ordinaire, en première instance, dans les cours diocésaines. En cas de doute ou d’appel, elles sont portées à Rome. Dans les cours épiseopales, les juges sont tenus par serment déjuger selon leur conscience. Si la sentence ne semble pas équitable, ou si le cas parait simplement douteux, le défenseur du lion matrimonial doit d’oj]ice et en conscience faire appel à un nouveau jugement, ou recourir à Rome. Les parties intéressées ont ce même droit.

A Rome, quel rôle peut jouer la complaisance, puisque les juges ne connaissent pas leurs clients ? Quel rùle peut jouer l’argent, puisqu’il ne revient aucun émolument aux juges, quelle que soit la sentence ? En dehors des frais de chancellerie, pour la rédaction et l’expédition des actes, il n’y a de payés que les avocats des plaideurs. Les tarifs ont été renouvelés par une Loi propre de la liute et de la Signature Apostolique, en date du 29 juin 1908. On peut en voir le détail dans les Acta Jposlolicae Sedis.n" i, « janvier 1909, p. S’i. On constatera que, sans condamner ses employés à mourir de faim. 111

MARIAGE ET DIVORCE

112

l’administration de la justice ecclésiastique est plus économique que celle de la justice civile. D’ailleurs, que les avocats soient plus ou moins empressés ou habiles, cela n’a qu’une très médiocre influence sur le résultat final du procès. Le tribunal est trop averti et trop incrédule, ou, si l’on veut, trop critique, pour s’en laisser imposer.

Entin les causes matrimoniales sont, comme on dit, des causes fa^’orables : dans le doute, on doit toujours admettre la validité du mariage ; il faut, pour prononcer une sentence de nullité, une vraie certitude.

La seule catégorie de causes qui atteigne le lien conjugal existant, c’est celle des ruptures de mariage valide, mais non consommé. Ces causes sont toutes déférées à Rome, parce que le Souverain Pontife accorde ces dispenses, de son autorité suprême. D’après une statistique prise à Rome même, pour les dernières années, la moyenne annuelle des causes soumises à la Congrégation des Sacrements, pour l’univers entier, atteint la centaine environ. Or, en 1910, cinquante et une sentences ont été rendues. Sur ce chiffre, il y a eu 38 dispenses accordées, 6 ont été refusées, parce que la non-consommation n’était pas assez établie ; 9 causes ont été dilTérées pour supplément d’informations. Sur les 38 cas de dispenses, quatre fois on a défendu à l’un des conjoints de se remarier sans permission, parce qu’il y avait soupçon grave d’impuissance absolue ou relative.

Il est juste en elTet d’observer que souvent on recourt à la dispense super non consummaio, parce que l’impuissance n’est pas assez nettement prouvée pour que l’on puisse en conscience prononcer la nullité. Malheureusement les cas d’impuissance dont le vice est la cause deviennent tous les jours plus fréquents.

b) Frais de dispenses. — Les reproches adressés à l’Eglise portent, pour une large part, sur les taxes exigées des futurs époux, quand ils demandent dispense de quelque empêchement qui s’oppose à leur mariage. La meilleure réponse, ce sont les faits et les chiffres. Voici les tarifs anciens, tels qu’ils subsistent encore après la Const. Sapienti consilio (29 juin 1908). Et d’abord, un mot sur les diverses catégories de taxes.

a) La composition (compositio ou componenda) est une somme d’argent payable pour être employée en bonnes œuvres, à l’occasion des dispenses, et établie d’après des règles fixes. La composition a parfois le caractère d’une peine ou amende, imposée pour la faute qui a occasionné la demande de dispense. Plus souvent, elle est une aumône destinée à une bonne œuvre, et nullement au profit personnel du supérieur qui dispense. Elle peut aussi avoir pour but de suppléer à l’insuffisance des motifs allégués. Si elle avait, en outre, le résultat, sans nuire aux cas dignes d’intérêt, de diminuer le nombre des demandeurs qui invoquent trop aisément des faveurs contraires à la loi, qui pourrait s’en plaindre ?

; 3) La taxe est une somme à verser pour les honoraires

des employés et les frais de chancellerie.

v) Des frais supplémentaires sont dus d’ordinaire pour les dépenses postales et pour Vagent, si on recourt à un intermédiaire, en vue de procurer à Rome l’expédition de l’affaire.

Voici maintenant les chiffres, établis d’après les diverses catégories de demandeurs :

|0) Pour les indigents, on n’exige ni composition ni taxe. La dispense est gratuite.

a") Pour les paui’res (icre pauperes), pas de composition à verser, mais seulement une taxe de 30, ao francs, ou moins encore,

3") Pour les gens de médiocre condition (fere

pauperes), à la taxe des pauvres on ajoute une composition de 10 francs.

4") Pour les riches, taxe et composition sont variables, en principe, d’après la nature des empêchements et les richesses. En pratique, on accepte ce que lesévêques croient pouvoir demandera la bonne volonté de leurs diocésains, 100, 50, 25 francs, ou moins encore.

Tels sont les tarifs officiels pour les dispenses au for externe, accordées autrefois par la Daterie, aujourd’hui par la Congrégation des Sacrements.

La Péniteneerie, qui avait et qui garde les dispenses pour le for interne, ne demande ni composition ni taxe. Si on emploie l’intermédiaire d’un agent, ses honoraires sont de 3 francs, ou moins, ou même nuls. Pour les pauvres, on n’exige pas même les frais de poste.

La Propagande accordait gratis à ses sujets les dispenses demandées ; étaient seuls à couvrir les frais de poste.

Le S. Office dispensait sans imposer aucune composition ; il se contentait d’une taxe de 9 francs pour frais de chancellerie. Aucune taxe n’était demandée aux indigents. L’agent, si on recourait à lui, pouvait réclamer 5 francs.

Les tarifs existent dans les règlements, mais la pratique reste dejiuis longtemps, ou depuis toujours, en dessous des règlements écrits. En réalité, il est fort rare que le plein tarif soit acquitté. Les évêques indiquent eux-mêmes ce que la bonne volonté de leurs fidèles peut suj)porler. Les olh-andes libres (iifferte), faites par des personnes riches, s’élèvent souvent au total de 16, 10 francs. En cas de refus ou de mauvaise volonté, tous frais sont supprimés et l’évcché acquitte les frais de poste. Assurément, peu de gouvernements civils se montrent aussi accommodants dans la perception des impôts. [Sur les dispenses en général, voir l’art. Dispenses.]

c) Le congrès. — Le congrès est un abus réel, auquel a donné lieu une nécessité indépendante de la volonté de l’Eglise : la nécessité de constater l’impuissance d’un conjoint, avant de prononcer la nullité du mariage. Il y a impuissance lorsqu’un des conjoints, pour des raisons qui tiennent généralement à un vice organique, est incapable d’exercer les actes essentiels du mariage. En cas d’impuissance antérieure au mariage et perpétuelle, l’objet du contrat faisant défaut, le mariage est nul de plein droit naturel.

La justice et la moralité exigent que déclaration authentique soit donnée de la nullité, afin que la partie non impuissante soit libérée d’une vie de seule apparence conjugale, et puisse contracter un vrai mariage. Mais une telle déclaration n’est faite à bon escient que sur preuve de la non-consommation et de l’incapacité de consommer le mariage. De là la nécessité d’une enquête, apte à obtenir une preuve. décisive. Cette enquête, d’après les dispositions du droit commun ecclésiastique, comprenait : 1° le témoignage juré des conjoints ; a" la déposition, sous la foi du serment, de divers témoins, les uns rapportant ce qu’ils savent de la non-consommation ou de l’impuissance, les autres — testes credulilatis i’el septimæ manus — se portant garants de la créance due aux dires des époux ; 3° un examen de la conformation et de l’état des organes de l’un, ou des deux mariés. Selon le droit canonique, le mari doit être examiné par deux médecins ; la femme, par deux matrones ou sages-femmes, habiles et honorables. Le juge ecclésiastique n’intervient que pour choisir les médecins et les matrones, et pour prononcer sa sentence, d’après les rapports qui lui sont présentés. C’est à peu près le rôle des juges civils 113

MARIAGE ET DIVORCE

114

dans les Etals dont le code admet rempêcliement d’impuissance.

En quoi consista l’abus ? En ce que, dans diverses oflicialités diocésaines et dans certains tribunaux civils, les juges voulurent que l’examen des organes fût précédé immédiatement d’une tentative de consommation du mariage — congressiis — constatée par ceux-là mêmes qui devaient ensuite procéder à l’examen, par les médecins et les matrones. Y eut-il vraiment con^ressHs en public, sous les yeux des témoins ? Il ne semble pas. Cabassut, qui donne les détails de la procédure (luris caiionici Iheoria et praxis, 1. lii, c. xxx, n. 6), rapi>orte que, dans la chambre même où les époux se trouvent « in lecto cortinis cireumvallato », au moment de l’épreuve, se tiennent seules les matrones et les sages-femmes ; les médecins sont dans une chambre voisine. Apres épreuve, l’examen de la femme est fait par les femmes ; celui du mari, par les hommes. De son côté, SoUHiER, président du Parlement de Dijon, écrit dans son Traité de ta dissolution du mariante pour cause d’impuissance : « On ne peut nier que la pudeur ne soit alarmée au seul nom de « congrès ». L’idée que s’en forment la plupart des gens augmente encore l’horreur qu’on en a naturellement. Ils se figurent que les mariés sont exposés à cette épreuve en présence de témoins à la façon des cyniques et, sur cela, on ferme les oreilles à tout ce qui peut servir de justification à cette procédure. »

Procédure condamnable, point de doute, mais qui ne semble pas cependant avoir atteint le degré d’odieux qu’on lui a parfois attribué.

Du reste, à qui incombent les responsabilités ?

En faveur du congres, on a pu produire quelques rares textes de canonistes, qui le tenaient pour acceptable, parce qu’il leur paraissait nécessaire (Cf. San-CHEZ, de Matrimonio, 1. VII, d. log, n. 15). On ne peut apporter aucune loi, aucune instruction émanée de Home. L’abus, car abus il y eut, a été de courte durée, puisqu’on ne le constate guère que dans la seconde moitié du xvi* siècle el qu’il disparait dans la dernière partie du xvii’siècle. De plus, il a été très localisé. On ne le constate qu’en France, et encore dans quelques provinces, « in quibusdara Galliæ provinciis », dit Cabassut, /. c : il est d’ailleurs le fait, à la foie, des tribunaux civils el ecclésiastiques, dans une proportion qu’il est impossible de déterminer. Enlin, et les réclamations el la réaction efîeclive ont commencé à peu près aussitôt que l’abus s’est répandu. Sanchez, /. c, cite l’appréciation de SoTo, qu’il fait sienne : n II est souverainement honteux de recourir à des témoins oculaires » (turpissime adhiberi lestes oculatos). Pour son compte, il qualifie la pratique de « aljsolument honteuse et contraire à l’honnêteté naturelle… Aussi je la déclare illicite. » (Res turpissima el omnino honeslali nalurali adversa… Quare nec id licilum esse judico.) Il fait d’ailleurs observer, l. c, que « il n’y a aucun texte qui ordonne celle pratique ». (Nec est le.> ; lus i<l jubens.)

Le Parlement de Paris supprima cette procédure, par arrêt du 18 février 1677 ; mais déjà les juges ecclésiastiques d’Arles, vers 16()0, avaient refusé, à une femme qui la réclamait, l’épreuve du congrès ; el le Parlement d’Aix leur avait donné raison contre l’appelante. Le Parlement de Grenoble, d’après Cabassut, avait aussi rejeté cette épreuve, et diverses officialilés ecclésiastiques en agissaient demème. Cf. Cabassut, /. c ; voir Esmkin, Le mariage en droit canonique, t. II, pp. 37.5-284. Paris, Larose, 1891.

d) Casuistique du mariage. — On reproche enfin à l’Eglise sa casuistique du mariage, soit dans les

livres et l’engeignement, soit au confessionnal. Il y a, prélend-on, une offense à la nature et aux bonnes mœurs à faire étudier au futur prêtre des matières dont le détail est, pour lui, inconvenant et dangereux. Il est encore plus criminel de lui faire traiter, au confessionnal, des sujets sur lesquels leur caractère absolument intime devrait même lui interdire d’arrêter sa pensée.

Triste nécessite, convenons-en, pour le prêtre librement voué à la chasteté, que d’arrêter sa pensée, au cours de ses études, sur des sujets si opposés à ses goûts personnels el à ses obligations les plus impérieuses. Mais il est de son devoir professionnel d’étendre ses connaissances aussi loin que s’étend le bien et le mal. Parce qu’il représente, au confessionnal, le souverain Juge auquel rien n’est caché, il est lui-même juge de toute faute, si intime qu’elle puisse être. El pour pouvoir juger, il doit pouvoir, en toute action humaine, discerner le bien et le mal. Or qui oserait nier que l’usage du mariage, à raison des intérêts engages — la vie ou la mort de la race humaine — soit sous la dépendance de la loi morale ? Qui a l’esprit chrétien, doit comprendre ce caractère de la vie conjugale el les conséquences qui en découlent i)our le tribunal de la pénitence. Qui n’est pas chrétien, s’il veut être vrai el juste dans son appréciation de la conscience du prêtre, doit se mellre au point de vue chrétien el s’y tenir dans ses jugements. Il faut encore observer, si on ne veut pas avoir deux poids et deux mesures, que le médecin du corps, et dans ses éludes el dans l’exercice de ses fonctions, a une autre manière que le ])rêtre de franchir, dans la i)ratique, les limites de la vie intime.

On peut pourtant admettre sans difliculté que certains auteurs de morale ont poussé jusqu’à une minutie exagérée le souci d’être complets el précis. Quand on sait, par ailleurs, ce que fut leur vie privée de prêtres ou de religieux, on ne peut, sans injustice évidente, voir dans ces exagérations une débauche raffinée d’imagination morbide. De bonne foi, on n’y peut trouver qu’un manque de mesure qui nous choque, à cause de nos habitudes deréserveplusgrande. Cet excès s’explique peut-être, de leur part, précisément par ce fait que leur indifférence el leur détachement, en ces matières, leur assurait i)lus de liberté d’esprit : omnia manda maudis.

Quant au prêtre, s’il cherche à être précis et complet dans ses études, c’est afin de pouvoir être plus sobre de paroles dans son ministère. Mieux il saura ce qu’il doit savoir, plus il lui sera possible d’être réservé, puisqu’il comprendra à demi-mol, ou qu’il devinera, ce qu’on insinue à peine. Sa conscience lui fait un devoir d’être d’autant plus chaste dans sa manière de traiter un sujet, que celui-ci l’est moins. Pour le détail el pour la rigueur de l’enquête, lorsqu’elle est nécessaire, il doit toujours avoir présente à l’esprit celle règle formulée par, S. Alphonse :

« Mieux vaut rester souvent en deçà des justes limites, 

que de les dépasser une seule fois. »

Sur celle objection que le confesseur, pour remplir son rôle déjuge, doit intervenir dans l’intimilé même de la vie conjugale, outre ce qui vient d’être dit, voir plus haut l’art, de M. TAUDiÊnE sur la Famille, col. 1882.

BiBLioGHAPHiE. — Abram, l’Evolution du mariage, Paris, 1908. — Caslelein, Droit naturel, ^amiir, igoS.

— Gasparri, Tractntus canonicus de Matrimonio, Paris, 1893. — Hergenroether-IIollwecli, /.eltrbuch des Kntholischen Kirchenrechts, Fribourg-lîr., 190.5.

— Meyer, Institiitinnes juris naturalis, Fribourg-Br. , 1900. — Monsabré, /.e y/rtri’flije, Paris, 1899. — Palmieri, De Matrimonio clirisiiano, Rome, 1880. 115

MARIE, MERE DE DIEU

116

— Ssinchez, de Matrimonio, Anvers, lO-jo. — Wernz, De Mairimonio, Rome, igo^. — Boeckenholï, Die Unaufloeslichkeit der 7171e, Munich, 1908. — Bonomelli, // Divorzio, Rome, 1910. — De Smet, /.’< Sponsalihus et Mairimonio, Bruges, 191 1. — Didon, Indissulubilité et Dn’orce, Paris, 1880. — Ileuser, De Potestate statiiendi impedimenta divimentia pro fidelium matrinioniis soli Ecclesiæ propria, Lou^ vain, 1853. — Melata, De Potestate qua matrimonium regitur, Rome, 1908. — Mercier, Les devoirs de la vie conjugale, Lettre pastorale de 1909. — Pisani, Les nullités de mariage, Paris, igo6. — Bebel, La femme dans le passé, Paris, 1891. — Dessaules, Les Erreurs de l’Eglise en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce, Paris, 189^.

— Esmein, Le Mariage en droit canonique, Paris, 1891. — Fonsegrive, Mariage et union libre, Paris, 1904. — Joly, La crise du mariage (le Correspondant de 1902, janvier). — Le Roy, La Religion des primitifs, Paris, 1909. — Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1908-10. — Westermarck, Origine du mariage dans l’espèce humaine, Paris. 1895. — Basdevant, Des Rapports de l’Eglise et de l’Etat dans la législation du mariage, Paris, 1900. — Goulon, Le Divorce par consentement mutuel, sa nécessité, sa moralité, Paris, 1902. — JacquSirl, Essais de statistique mora/e, Bruxelles, 1909.

— Laurent, La liépudiation et le Divorce par consentement mutuel. Paris, 1904. — P. et V. Margueritte. Les deux Vies ; l’JClurgissement du Divorce, Paris, 1902. — Morizot-Tliibault, La Femme et le Divorce, Réforme sociale, a. 1901. — Peytel, i, ’i’n(OH libre devant la Loi, Paris, igoS. — P. Bourget, Un Divorce, Paris.

P. Castillon, s. J.