Librairie Hachette (p. 191-196).


XXI

Le voyage de Louis.


Louis avait encore neuf francs dans sa poche, gardés intacts depuis le jour de Noël. N’ayant jamais quitté son village, il ignorait complètement la demeure de la marquise à Paris ; mais ce dernier point ne l’inquiétait pas : j’irai à la plus belle maison, se disait-il en lui-même, et ce sera la sienne.

Il faisait froid : on touchait à la fin de février. Louis mit par-dessus sa blouse son manteau de berger en le serrant contre sa poitrine, pour se préserver du vent glacé qui soufflait avec fureur. Le peu d’argent qui sonnait dans sa poche ne lui permettait pas d’user d’un autre moyen de locomotion que celui de ses jambes.

La grande route qui part de Tours pour descendre jusqu’à Paris s’étendit bientôt devant lui, dans son interminable longueur. Il marcha tout un jour et ne s’arrêta qu’une fois pour manger une partie de son pain et quelques noix ; il but de l’eau contenue dans sa gourde, et ne s’arrêta que le soir dans un village, où il demanda un lit sur la paille, au fond d’une étable, pour ne pas payer trop cher ; on le lui donna. Le lendemain, il s’informa auprès d’un brave homme qui se promenait devant sa porte, où était Paris.

« Paris, mon petit bonhomme, tu vas à Paris ?

— Oui, monsieur.

— Ah ! tu en es loin : par la grande route, tu as bien encore une quarantaine de lieues d’ici.

— Moi qui croyais en être si près ! Dans combien de temps pensez-vous que j’y serai, monsieur ?

— Dame ! mon petit, en marchant bien, on mettrait encore cinq ou six jours avec tes petites jambes.

— Six jours ! dans six jours nous serons à samedi ! Mon Dieu ! mon Dieu !

— Tu es donc pressé d’arriver ?

— Oh ! oui, monsieur, si vous saviez !

— Eh bien ! dépêche-toi. »

L’enfant, qui pensait qu’on allait peut-être lui prêter un cheval, poussa un soupir et, reprenant son bâton, il continua sa marche.

Il n’avait pas fait dix pas, qu’un chien vint se jeter entre ses jambes, manqua de le renverser en sautant joyeusement, et lécha avec ardeur ses mains et son visage.

C’était Moricaud ! Moricaud qui, voyant son jeune maître parti, l’avait en vain cherché dans toute la ferme, était remonté assez haut sur la route de Lussan, et qui, revenant la queue pendante, avait flairé sa trace sur la route de Paris. Oubliant moutons, brebis et le reste, il était accouru pour le rejoindre ; la nuit, il s’était endormi de fatigue à une porte du village où reposait Louis et l’avait enfin rattrapé le matin.

« C’est toi, mon pauvre Moricaud ! s’écria l’enfant heureux de revoir son ami, tu ne sais pas ce que tu as fait, mon camarade : tu vas avoir à marcher, et je ne t’aurais jamais fait venir ; mais reste, puisque te voilà, je suis content tout de même de ta compagnie. »

Quoique Louis fût pressé et qu’il se raidît contre la fatigue, il avait de bien petites jambes pour un si long voyage ; il mit six jours à le faire sur une terre glacée, couchant dans des granges ouvertes à tous vents et quand il traversait de grandes villes, dormant sous le porche d’une église ou sur un banc de pierre, à la porte d’une maison, s’enveloppant avec Moricaud dans son vieux manteau, partageant avec lui son pain noir et épargnant autant qu’il pouvait son peu d’argent.

L’espérance, qui soutient tous les cœurs, le conduisait par la main et mettait un baume sur sa souffrance ; elle lui faisait oublier le froid, la faim, la longueur de la route et ses fatigues augmentées tous les jours, pour ne songer qu’à cette bienfaitrice qu’il allait chercher et au bonheur qu’il devait rapporter à sa mère.

Lorsqu’il aperçut l’Arc de triomphe, cette monumentale porte de la grande ville, et qu’après avoir demandé :

« Qu’est-ce que c’est ? »

On lui répondit :

« C’est Paris ! »

Il se sentit plus fort et comme allégé d’un grand poids.

« Enfin, s’écria-t-il, j’y suis ! »