De la vie heureuse (juxtalinéaire) j - 15

Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 53-57).
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XV. « Quid prohibet tamen, XV. « Qui empêche cependant,
inquit, dit l’épicurien,
virtutem voluptatemque que la vertu et le plaisir
confundi in unum, soient fondus ensemble,
et summum bonum effici, et que le souverain bien soit fait,
ut honestum et jucundum de façon que l’honnête et le plaisir
sit idem ? » soient une même chose ? »
Quia non potest esse C’est que rien ne peut être
pars honesti, une partie de l’honnête,
nisi honestum, si-ce-n’est l’honnête,
nec summum bonum ni le souverain bien
habebit suam sinceritatem, n’aura sa pureté,
si viderit in se s’il aura vu en lui-même
aliquid dissimile meliori. un élément différent du meilleur.
Ne gaudium quidem Pas même la joie
quod oritur ex virtute, qui naît de la vertu,
quamvis sit bonum, quoiqu’elle soit un bien,
est tamen pars boni absoluti : n’est cependant une partie du bien absolu
non magis quam laetitia pas plus que l’allégresse
et tranquillitas, et le calme,
quamvis nascantur quoiqu’ils naissent
ex causis pulcherrimis. des causes les plus belles.
Ista sunt enim bona, Ce sont en effet des biens,
sed consequentia, mais qui suivent,
non consummantia et-non qui complètent
summum bonum. le souverain bien.
Qui vero facit societatem Or celui qui fait une alliance
voluptatis virtutisque, du plaisir et de la vertu,
et ne ex æquo quidem, et pas même à titre égal,
hebetat fragilitate affaiblit par la fragilité
alterius boni d’un-des-deux biens
quidquid est vigoris tout-ce-qu’il-y-a de force
in altero, dans l’autre,
mittitque sub jugum et envoie sous le joug
libertatem la liberté
invictam ita demum, invincible à-cette-condition seulement,
si novit nihil si elle ne connaît rien
pretiosius se. de plus précieux qu’elle-même.
Nam incipit illi Car il commence pour lui
(quæ est maxima servitus) (ce qui est la plus grande servitude)
opus esse fortuna ; à être besoin de la fortune ;
vita anxia, suspiciosa, une vie anxieuse, soupçonneuse,
trepida, pavens casuum, troublée, craignant les hasards,
sequitur ; suit (en est la suite) ;
momenta temporum les changements des circonstances
sunt suspensa. sont le tenant-en-suspens.
Non das virtuti Tu ne donnes pas à la vertu
fundamentum une base
grave, immobile, pesante, immobile,
sed jubes illam stare mais tu ordonnes elle se tenir-debout
in loco volubili. sur un point mobile.
Quid autem est tam volubile Qu’y a-t-il, en effet, d’aussi mobile
quam exspectatio que l’attente
fortuitorum, des choses fortuites,
et varietas et les révolutions
corporis rerumque du corps et des objets
afficientium corpus ? qui affectent le corps ?
Quomodo hic potest Comment cet homme-là peut-il
parere Deo obéir à Dieu
et excipere animo bono et accueillir avec une âme bien-disposée
quidquid evenit, tout-ce-qui arrive,
nec queri de fato et ne pas se plaindre du sort,
interpres benignus étant un interprète bienveillant
suorum casuum, de ses chances,
si concutitur s’il est ébranlé
ad punctiunculas aux petites-piqûres
voluptatum dolorumque ? des plaisirs et des douleurs ?
Sed ne patriæ quidem Mais pas-même de sa patrie
est bonus tutor aut vindex, il n’est bon protecteur ou vengeur.
nec propugnator amicorum, ni bon défenseur de ses amis,
si vergit ad voluptates. s’il penche vers les plaisirs.
Ergo summum bonum Donc que le souverain bien
ascendat illo, soit élevè là,
unde detrahatur nulla vi ; d’où il ne soit renversé par aucune violence
quo sit aditus neque dolori, où il-n’y-ait accès ni pour la douleur,
neque spei, neque timori, ni pour l’espérance, ni pour la crainte,
neque ulli rei quæ ni pour aucune chose qui
faciat deterius rende moindre
jus summi boni. le pouvoir du souverain bien.
Sola autem virtus potest Or, seule la vertu peut
escendere illo ; monter là ;
iste clivus frangendus est cette pente doit être brisée (adoucie)
gradu illius ; par la marche d’elle ;
illa stabit fortiter, elle se tiendra bravement,
et feret quidquid evenerit, et supportera tout-ce-qui sera arrivé,
non tantum patiens, non-seulement patiente (avec patience),
sed etiam volens ; mais encore voulant (volontiers) ;
scietque et elle saura
omnem difficultatem que toute difficulté
temporum des circonstances
esse legem naturæ ; est une loi de la nature ;
et ut bonus miles et de même qu’un bon soldat
feret vulnera, endurera les blessures,
enumerabit cicatrices, comptera ses cicatrices,
et transverberatus telis, et, transpercé de traits,
amabit moriens aimera en mourant
eum imperatorem ce général
pro quo cadet ; pour lequel il tombera ;
habebit in animo elle aura dans l’âme
illud vetus præceptum : cet antique précepte :
Sequere Deum. Suis Dieu.
Quisquis autem queritur, Quiconque, d’autre part, se plaint,
et plorat et gemit, et pleure et gémit,
cogitur vi est contraint par la force
facere imperata, à faire ce qui a été prescrit,
et invitus et malgré lui
rapitur nihilominus est entraîné néanmoins
ad jussa. à ce qui a été ordonné.
Quæ autem dementia est Or, quelle folie est-ce
trahi potius de se-laisser-traîner plutôt
quam sequi ? que de suivre volontairement ?
Tam mehercule C’est aussi fou par Hercule
quam dolere stultitia que de s’affliger par sottise
et ignorantia et par ignorance
suæ conditionis de sa condition,
quod aliquid durius que quelque chose de trop pénible
est aut incidit, soit ou survienne,
ac æque mirari et également de voir-avec-surprise
aut ferre indigne ou de supporter avec-révolte
ea quæ accidunt ces accidents qui arrivent
tam bonis quam malis : autant aux bons qu’aux méchants :
dico morbos, funera, je veux-dire les maladies, les deuils,
debilitates et cetera les infirmités et les autres disgrâces
incurrentia ex tranverso qui se jettent de travers
in vitam. sur la vie.
Quidquid est patiendum Que tout-ce-qui doit être subi
ex constitutione universi, en-vertu-de l’ordre de l’univers,
suscipiatur magno animo ; soit supporté avec une grande âme ;
adacti sumus nous avons été poussés
ad hoc sacramentum à ce serment,
ferre mortalia, de souffrir les maux des-mortels,
nec perturbari his et de ne pas être troublés par ces choses
quæ vitare non est lesquelles éviter n’est pas
nostræ potestatis. de notre pouvoir.
Nati sumus in regno : Nous sommes nés dans une monarchie :
parere Deo est libertas. obéir à Dieu est notre liberté.