De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 03


Chapitre III.

Des differentes especes de Vers,
qui s’engendrent dans le corps de l’homme.



ON voit tant d’especes differentes parmi les Vers, qu’on peut dire qu’il n’y a pas de genre d’animaux où l’on en remarque un si grand nombre. Il s’en engendre de plusieurs sortes dans les mineraux, dans les vegetaux, & dans les animaux ; je ne parle point de ceux que les anciens ont cru, qui naissoient & qui se nourrissoient dans le feu, qui voloient à travers la flame, sans se brûler, & qu’ils ont appellez pour ce sujet pyraustes, d’un nom Grec[1] qui signifie qui ne craint point le feu, car ce fait est une fable, il n’y a point d’autres pyraustes que ces petits vermisseaux ailez, qu’on void voler autour des bougies & des chandelles alumées, dont ils traversent quelquefois la flame, à laquelle ils se brûlent le plus souvent.

Ce sont sans doute ces animaux qui ont donné occasion à Aristote[2] & à Pline[3] de dire que dans l’Isle de Chypre on void dans les fourneaux des forgerons, des insectes volans, gros comme de grosses mouches, lesquels sont engendrez du feu, & meurent sitôt qu’il s’en éloignent : parce qu’en effet sitôt que ce petit insecte a brûlé l’extremité de ses aîles il se retire, & va quelquefois tomber un peu loing du lieu où il s’est brûlé. Je ne parle point non plus de ceux que le même Pline dit qui s’engendrent de la nége. On trouve quelquefois des Vers sous la nege, comme on y trouve de petites herbes verdoyantes, mais il ne s’ensuit pas que ces Vers soient engendrez de la nege, je laisse donc à parc ces fables, pour ne m’attacher qu’à ce qui est constant par l’experience.

J’ay dit qu’il s’engendroit des Vers dans les mineraux, dans les vegetaux, & dans les animaux. Quant aux mineraux on void des vers qui rongent le corail, & les pierres mêmes : ces Vers sont de diverses structures, selon les divers corps qu’ils rongent. Les pierres par exemple, sont mangées par des Vers noirs, longs d’environ deux lignes, larges de trois quarts de ligne, enfermez dans une coque grisatre, ayant une tête fort grosse, 10. yeux fort noirs & fort ronds, quatre espèces de mâchoires disposées en croix, qu’ils remuent continuellement, lesquelles s’ouvrent & se ferment comme un compas [4]à quatre branches, & trois pieds de chaque côté vers la tête. Le mortier est aussi mangé par une infinité de petits Vers, gros comme des mites de fromage qui sont noiratres, & ont quatre pieds assez longs de chaque côte comme les mites.

Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des Vers qui puissent ronger la pierre, puisque le vinaigre la ronge, & que les eaux fortes rongent les métaux ; car le vinaigre, par exemple, pour nous en tenir-là, comment ronge-t’il la pierre que par le mouvement de plusieurs petites parties, dont il est composé, lesquelles heurtant contre la pierre, & étant d’une figure proportionée aux pores de ce corps s’introduisent dedans, comme de petites aiguilles, & en separent les parcelles ? Or quelle raison y a-t’il pour ne pas vouloir que ce que les petites aiguilles du vinaigre font sur un corps, les dents fines & pointues d’un Ver ne l’y puissent faire ? qu’y a-t’il de plus foible en apparence qu’une petite goutte de liqueur à l’égard d’un corps solide comme la pierre ? Or pourquoy ce qu’une goûte de liqueur est capable de faire sur un corps dur, une petite machine animée comme le ver, ne l’y pourra-t’elle pas faire, supposé que cette machine ait des dents d’une délicatesse & d’une figure propre à s’insinuer entre les parties de ce corps ?

Pour ce qui est des vegetaux, il n’y a gueres de plante qui n’ait son ver, sa chenille, son papillon, comme l’a observé pendant plusieurs années un fameux fleuriste. On remarque que l’arbre, qui produit la cochenille, nourrit en même tems dans cette coque de petits vermisseaux d’une espece particuliere, lesquels en sortent en forme de moucherons quand elle est séche, & qui luy ont fait donner le nom de vermillon. On trouve des vers à la pimprenelle, à l’absynthe, & à plusieurs autres herbes, lesquels sont tous differens ; & parmy ces vers, qui viennent aux plantes, les uns sont particuliers à la tige, les autres aux feuilles, les autres à la fleur, les autres à la racine, les autres à la graine ; & font tous autant d’espèces à part. Les sucs des fruits, comme le vin éventé, le vinaigre, le cidre, sont quelquefois si pleins de petits animaux, qu’on y en découvre des milliers avec le microscope, tous differens en especes, selon la diversité des sucs où ils s’engendrent. Le bois le plus dur est aussi mangé de vers, & il s’en produit dans les planches des navires de plus gros que des vers à soye, lesquels sont tendres & luisans d’humidité, ont la teste noire & dure, & troüent les pieces de bois les plus épaisses.

Quant aux animaux, il n’en est presque point où l’on ne trouve des vers, & tous d’autant d’especes differentes, que les animaux où ils naissent sont differens ; il y en a dans presque tous les poissons, & on en découvre dans les huîtres de luisans, qui sont d’un rouge blancheâtre, longs de cinq à six lignes, & gros comme de petits fers d’aiguillette. Ils ont cinquante pieds, vingt-cinq de chaque côté, & le dos comme une anguille écorchée. Les coquillages mêmes les plus durs sont percez de vers : il s’en forme d’une espece sur la peau des animaux, d’une autre entre chair & cuir, d’une autre au dedans du corps, & parmi ces derniers, les uns s’engendrent dans une partie, & les autres dans une autre, & font autant d’especes particulieres. Il en naît dans les intestins, dans le foye, dans les reins & ailleurs, & il y en a au foye des moutons, dont on voit une description curieuse dans le Journal des Sçavans de l’année 1668. Pour les reins, c’est une chose tres-ordinaire que d’y en trouver, & M. Mery de l’Académie des Sciences, m’en fit voir un il y a quelques mois de demi aulne de long, & de la grosseur du petit doigt, qui avoit été tiré du rein d’un chien. Kerckring[5] dit aussi qu’en disséquant un chien de chasse, il trouva dans un des reins un ver d’une aûne & un quart, il ajoûte plusieurs autres exemples semblables. Je ne dis rien icy des vers, qui se trouvent quelquefois dans la teste, dans la poitrine & ailleurs : Nous allons voir par ordre toutes ces fortes d’insectes. Nous ne parlerons que de ceux qui viennent dans l’homme, lequel de tous les animaux en est le plus attaqué, n’y ayant presque pas de partie dans son corps qui n’y soit sujette : en sorte que celuy qui commande aux bêtes les plus énormes en grosseur, qui assujettit à ses usages le cheval, le chameau, & l’élephant, qui dompte la ferocité du lion & du tigre, se trouve souvent reduit à perir par les dents, ou par le venin d’un petit animal, dont il ne peut se défendre.

Les vers, qui viennent dans le corps humain, naissent ou dans les intestins, entre lesquels je comprends l’estomach, ou hors des intestins. Nous parlerons premierement de ceux qui naissent hors des intestins, puis de ceux qui viennent dans les intestins. Et comme les uns & les autres prennent quelquefois en vieillissant des figures differentes, nous traiterons dans un troisiéme Article des différens changemens de ces vers.


Article Premier.

Des vers qui naissent hors des intestins.



LEs vers, qui naissent hors des intestins, sont de diverses especes, où plûtôt se reduisent sous differentes classes, selon les lieux où ils naissent. J’en compte de dix sortes, qui sont, les Encephales, les Pulmonaires, les Hépatiques, les Cardiaires, les Sanguins, les Vesiculaires, les Spermatiques, les Helcophages, les Cutanez, & les Umbilicaux.

Les Encéphales naissent dans la tête, où ils font sentir de si violentes douleurs, qu’ils causent quelquefois la fureur : ce qui les a fait nommer furieux par quelques-uns. On les appelle Encephales du nom, qui en Grec signifie tête. Il y en a de quatre sortes, les Encephales, proprement dits, qui viennent dans le cerveau, les Rinaires, qui viennent dans le nés, les Auriculaires, qui viennent dans les oreilles, & les Dentaires, qui viennent aux dents.

Les Encephales, proprement dits, sont rares, mais il y a certaines maladies où ils regnent, & l’on a vû des fiévres pestilentielles ne venir que de là ; Celle qui fit tant de ravage à Benevent, & dont presque tout le monde mouroit, sans qu’on y pût apporter aucun remede, en est un grand témoignage. Les Medecins s’aviserent enfin d’ouvrir le corps d’un malade, qui étoit mort de cette contagion, & ils luy trouverent dans la tête un petit ver vivant, tout rouge & fort court ; ils essayerent divers remedes sur ce ver, pour découvrir ce qui le pourroit tuer, tout fut inutile, excepté le vin de Mauve, dans quoy on fit boüillir des raifforts ; on n’en eût pas plûtôt jetté dessus, que le ver mourut. On donna ensuite de ce remede à tous les autres malades[6], & ils échaperent presque tous. Appien Alexandrin rapporte que les Romains dans la guerre contre les Parthes[7], sous la conduite de Marc-Antoine, furent obligez, faute de vivres, à manger les herbes des champs, & se trouverent ensuite attaquez d’une maladie Épidemique, consistant dans une fureur, qui leur faisoit foüir la terre à belles mains, & rouler de grosses pierres, comme si c’eût été pour les faire servir à quelque grand dessein. Il ajoûte que ce mal fut incurable faute de vin, qui étoit, dit-il, le seul remede à cette maladie. Je remarque que cette fureur pouvoit bien venir de quelques vers engendrez dans la tête des Romains, par le mauvais suc des herbes qu’ils avoient mangées : & ce qui me le fait juger est l’exemple d’un Gentil-Homme de Dauphiné, qui, comme me l’a rapporté une personne digne de foy, aprés avoir mangé par débauche, chez un de ses amis, d’une salade qu’il fit faire à dessein avec toutes sortes d’herbes bonnes & mauvaises, s’en retourna malade chez soy, & trois jours aprés se mit à courir la Campagne, où on le trouva qui gratoit la terre avec les ongles, & mettoit par tas toutes les pierres qu’il trouvoit. Car étant mort au bout de quelques jours, & ayant été ouvert, il fut trouvé avec un ver dans la tête, lequel étoit comme une petite chenille. On m’a ajoûté que ce ver fut mis dans de l’eau tiede, où après deux jours de vie il mourut, par le moyen de trois ou quatre goutes de vin, qu’on jetta dans l’eau où il étoit : ce qui paroît fort s’accorder avec l’observation que fait Appien, sçavoir que la maladie des Romains fut incurable faute de vin.

J’ay connu un homme, qui après avoir été parfaitement gueri d’un mal venerien, se plaignoit toujours d’une grande douleur de tête, sans qu’on le pût soulager ; cette douleur devint si forte, qu’on jugea à propos de le trépaner ; on luy trouva sur la dure mere un petit ver fort court, & tout rouge, ce ver étant ôté le malade sentit du soulagement, & recouvra une santé parfaite, dont il joüit encore.

On lit dans Forestus un fait semblable, si ce n’est que le ver, dont il parle, étoit noir. Schenckius en rapporte un assez remarquable. Il écrit qu’en 1571. dans la Marche d’Ancone, regna une maladie Epidemique, qui causoit des vertiges furieux, & dont on mouroit le troisiéme, & au plûtart le quatriéme jour. Tous les Medecins du lieu avoüerent qu’ils ne connoissoient point ce mal ; & par consequent qu’ils ne sçavoient quels remedes y apporter : Un jeune homme de 22. ans, extrémement riche, craignant d’en être attaqué, à cause d’une douleur periodique qu’il commençoit à sentir à la tête, & effrayé de cet aveu des Medecins, crût qu’il n’y avoit pas de meilleur party à prendre pour luy que de quitter promptement le païs, & de s’en aller à Venise, où étoient alors des Medecins très-fameux. Il n’y fût pas plûtôt arrivé, qu’il fit venir tout ce qu’il y avoit de plus Sçavans hommes dans la Medecine, & entr’autres le celebre Nicolas de S. Michel, lequel soûtint que c’étoit un ver, qui causoit dans le cerveau les douleurs periodiques, dont ce jeune homme se plaignoit, lesquelles sans troubler la raison, ni la memoire, faisoit souffrir le malade si cruellement, que dans les paroxysmes il luy sembloit qu’on luy perçoit la tête avec un fer. On luy fit divers remedes, mais on ne pût le sauver, & le troisiéme jour de son arrivée il mourut. Georges Carnerus, l’un des Medecins qui l’avoient traité, pria les parens de luy permettre d’ouvrir la tête du mort, ce qu’il fit le lendemain 29. de Novembre ; il n’eût pas plûtôt levé la dure mere & la pie mere, qu’il apperçût du côté droit la tête d’un ver, qui à cause de l’air froid se cacha aussitôt dans la substance du cerveau. Carnerus découvrit alors les ventricules du cerveau, & y trouva dedans ce ver, lequel étoit tout rouge, de la longueur du doigt indice, & avoit une tête pointuë toute noire, & un cou velu ; il le prit avec des pincettes, & le mit sur du papier, où le ver mourut aussitôt. Schenckius rapporte cet exemple dans son Traité des douleurs de tête. On prétend qu’il se trouve des vers jusques dans la glande pinéale, & qu’il n’y a presque point de partie dans la tête où l’on n’en ait vû. Dans le fond du conduit, qui va au quatriéme ventricule du cerveau, est une éminence, appellée Apophyse, vermiforme, que quelques Auteurs croyent qui se change en ver : Mais c’est une pure fable que cette transmutation : l’Apophyse, dont il s’agit, n’étant nommée vermiforme qu’à cause qu’elle a la figure d’un ver.

Les Rinaires, qui s’engendrent dans la racine du nez, sont ainsi appellez du mot, qui en Grec signifie nez. Borelli les appelle nasicoles[8], ils sortent quelquefois d’eux-mêmes par les narines, comme on l’a vû arriver en plusieurs occasions, quelquefois ils demeurent engagez dans le fond du nez, & font tomber en fureur les malades. Ceux qui ont lû Fernel sçavent l’Histoire de ce Soldat, qui mourut le vingtiéme jour de sa maladie[9] aprés être devenu furieux, & dans le nez duquel on trouva après sa mort deux vers velus longs comme le doigt, qui s’y étoient engendrez. Ambroise Paré nous a donné[10] la figure de ces vers ; on la trouve aussi dans Aldrovandus. Voyez son Livre de Insectis. Elle est aussi à la fin de ce Traité, fig. 1.

Kerckring dans ses Observations Anatomiques donne encore la figure d’un ver velu & cornu, qui sortit du nez d’une femme à Amsterdam le 21. de Septembre de l’année 1668. & qu’il conserva vivant jusqu’au 3. d’Octobre, sans luy rien donner à manger. Il ajoûte une chose, qui est à remarquer, c’est que ce ver en produisit un autre avant que de mourir. On voit icy ces deux vers représentez, figure deuxiéme.

Je pourrois rapporter icy, sur la foy de quelques Auteurs, force exemples de vers prodigieux trouvez dans le nez ; mais comme je ne cherche pas ce qui est extraordinaire, mais ce qui est vray, je me contenteray de ceux que j’ay citez. Il ne faut pas oublier de remarquer qu’il sort souvent par le nez des vers, qui n’ont point été engendrez dans cette partie, ni dans la tête, mais qui viennent des intestins, nous expliquerons ailleurs comment cela arrive.

Les Auriculaires, qui s’engendrent dans les oreilles, se nomment ainsi du nom de la partie, où ils naissent. Qu’il se produise des vers dans les oreilles, c’est un fait dont l’experience ne permet pas de douter, & dont j’ay vû plusieurs exemples. Une jeune fille âgée de dix ans, & malade d’écroüelles, avoit une douleur violente à l’oreille droite, cette partie suppuroit de temps en temps, & quelquefois devenoit sourde, j’y employay divers remedes, dont le peu de succés me fit soupçonner qu’il y avoit des vers, l’évenement justifia mon soupçon ; car y ayant fait appliquer un onguent, que je fis composer à ce dessein, il en sortit un fort grand nombre de vers extrémement petits, dont plusieurs étoient vivans ; ces vers étoient jaunes, un peu longs, & si menus, que sans la grande quantité, qui les faisoit remarquer, à peine les auroit-on distinguez. Tharantanus dit avoir vû sortir de l’oreille d’un jeune homme malade d’une fiévre aiguë, deux ou trois vers, qui ressembloient à des graines de pin. Panarolus parle d’un malade, qui aprés avoir été tourmenté d’une[11] violente douleur dans l’oreille, rendit par cette partie, ensuite d’une injection qui y fut faite avec du lait de femme, plusieurs vers semblables à des mites de fromage, aprés quoy la douleur cessa.

Kerckring donne encore la figure de cinq vers qu’un homme rendit par l’oreille en 1663. dans un Bourg, nommé Quadiich, lesquels sont faits comme des cloportes, si ce n’est qu’ils n’ont que dix pieds[12]. Voyez icy fig. 3.

Les Dentaires, qui s’engendrent aux dents, se forment d’ordinaire sous une croute amassée sur les dents par la malpropreté ; ce ver est extrémement petit, a une tête ronde, marquée d’un point noir, le reste du corps long & menu à peu prés comme ceux du vinaigre ; c’est ce que j’ay observé par le Microscope dans de petites écailles, qu’un arracheur de dents enleva de dessus les dents d’une Dame en les luy nettoyant. Il n’y avoir presque point de ces écailles qui fût sans quelques vers. Ces vers rongent les dents peu à peu, y causent de la puanteur, mais ne font pas sentir de grandes douleurs ; car c’est une erreur de s’imaginer que les violens maux de dents soient causez par des vers.

Les Pulmonaires se forment dans les poûmons ; ces vers sont rares, mais cependant il s’en trouve, & Fernel[13] dit en avoir vû des exemples. Ce qu’il y a de certain est, que des malades en ont jetté quelquefois en toussant, qui étoient tellement enveloppez dans les crachats, qu’on ne pouvoit douter qu’ils vinssent d’ailleurs que de la poitrine, comme le remarque Brassavolus[14]. De ces vers les uns ressemblent à des moucherons, selon le rapport d’Avenzoard[15] & d’Alsaharavius[16], d’autres sont faits comme des pignons, selon l’observation de Thomas de Veigue[17], & d’autres comme de petites punaises, selon la remarque de Joachim Camerarius dans Schenckius.

Les Hépatiques se trouvent dans le foye, & sont ainsi appellez du mot Latin, qui signifie foye. Tous les Medecins ne conviennent pas que ces sortes de vers se forment dans ce viscere, & plusieurs Auteurs estiment qu’ils y viennent d’ailleurs, parce que la bile du foye doit empêcher les vers de s’engendrer dans cette partie ; cependant comme le foye est sujet à des hydropisies, dans lesquelles il est souvent plus plein d’eau que de fiel, il n’est pas ce semble impossible qu’il ne s’y engendre alors des vers, & ce n’est gueres aussi que dans ces occasions qu’il est arrivé d’y en trouver, ainsi que le remarque Hartman, comme nous le verrons ailleurs. Gaspar Bauhin[18] rapporte à ce sujet une consultation, qui vient fort à propos. En 1578. au mois d’Octobre, dans l’Hôpital de Padouë, en présence de plusieurs Medecins, & entr’autres du celebre Emilien de Champ-Long, alors Professeur à Padouë, & de Gaspar Bauhin, il fut trouvé dans le foye d’un enfant de deux ans, mort de la petite verole, plusieurs petits vers, qui donnerent occasion à une grande dispute touchant le lieu où ces vers avoient pû s’engendrer ; comme l’enfant étoit mort de la petite verole, on fut en peine si le venin de la maladie n’avoit point gâté les parties nobles. Emilien de Champ-long, que nous venons de nommer, voulut s’en éclaircir par ses yeux, & pour cela fit ouvrir le Corps. Comme on visitoit le foye, on trouva dans les rameaux de la vene porte, & dans les propres rameaux du foye un grand nombre de vers, les uns vivans & les autres morts. Ces vers étoient rouges, ronds, un peu longs, & assez mollets au toucher ; les Medecins, qui assisterent à l’ouverture, furent de differens sentimens sur le lieu où ces vers s’étoient engendrez ; les uns soûtenoient qu’ils avoient été formez dans les intestins, de-là conduits par les venes mezeraiques jusques dans la vene porte, & de la vene porte dans les autres vaisseaux du foye ; d’autres qu’ils s’étoient veritablement formez dans le foye, mais que ce n’avoit été qu’aprés la mort du malade ; & d’autres qu’il ne falloit pas douter qu’ils n’eussent été formez dans le foye, du vivant même de l’enfant : ce qui fut l’avis de Bauhin. Ce dernier sentiment me paroît assez vray-semblable, veu qu’il y a des occasions où la bile du foye s’altere si fort, que perdant presque toute son amertume, elle devient propre à faire éclorre des vers, lors qu’il s’y en rencontre des semences.

Les Cardiaires sont au cœur, ils se nomment ainsi du mot Grec, qui signifie cœur. Il y en a de deux sortes : les Cardiaires, proprement dits, & les Pericardiaires. Les premiers sont dans le cœur même, & les autres dans le pericarde. Il y a eu des pestes, où l’on trouvoit de ces vers dans la plupart des corps que l’on ouvroit, ainsi que l’écrit Vidius[19] : Ils causent de grandes douleurs, & quelquefois des morts subites. Sphererius rapporte qu’un Gentil homme de Florence, s’entretenant un jour avec un Etranger dans le Palais du grand Duc de Toscane, tomba mort tout d’un coup[20], que comme on craignit qu’il n’eût été empoisonné, on l’ouvrit, & on luy trouva un ver vivant dans la capsule du cœur. On demandera peut-être comment il peut y avoir des vers dans une partie, qui est dans un aussi grand mouvement que le cœur ; mais il suffit de faire reflexion à la structure de ce muscle, pour connoître que cela est tres-facile : on sçait qu’à |a baze du cœur sont deux cavitez faites en cul de sac, l’une à droite, l’autre à gauche, que l’on appelle les ventricules ; que ces ventricules sont remplis de petites colomnes charnuës, produites par les fibres droites du cœur, & ont plusieurs enfoncemens & plusieurs petites fentes, qui rendent la surface interne de ces mêmes ventricules rude & inégale ; or c’est dans ces inégalitez que les vers sont retenus, nonobstant le mouvement continuel du sang, qui entre & qui sort. Je pourrais rapporter icy plusieurs exemples de vers trouvez dans le cœur, mais je veux éviter d’entasser Histoires sur Histoires, de peur de fatiguer les Lecteurs par un trop grand nombre de récits sur un même fait.

Les Sanguins se trouvent dans le sang, ils sortent quelquefois par les saignées, comme l’assurent Rhodius[21], Riolan[22], Etmuler[23], avec plusieurs autres Auteurs, & comme je puis l’assurer moy-même, qu’i l’ay vû arriver en deux occasions.

J’ajoûte à cela que M. de S. Martin, fameux Chirurgien à Paris, m’a attesté que seignant, par l’ordonnance de M. Quartier, Medecin de Paris, un malade, nommé M. de *** & que le sang s’étant arrêté tout à coup, il remarqua, en écartant les lévres de l’ouverture, un corps étrange, qui en bouchoit le passage ; qu’il fit faire aussitôt un leger detour au bras, & qu’en même tems il vit sortir avec le sang, qui s’élança violemment, un ver cornu de la longueur d’un perce-oreille. M. Daval, Docteur de la Faculté de Medecine de Paris, m’a dit avoir vû plusieurs fois sortir des vers par les saignées, & m’a ajoûté que feu M. Daval, son pere, en vit un jour sortir deux par une saignée, lesquels avoient prés d’un tiers de long.

On raconte du fameux Pere Senault, Prêtre de l’Oratoire, de qui nous avons le Traité des Passions, que quelques jours avant sa mort on trouva dans du sang, qu’on venoit de luy tirer, un petit ver sorty par la vene, lequel avoit des aîles, & ressembloit à un dragon. Je n’oserois neanmoins donner ce fait pour certain ; car il se pourroit bien faire qu’on eût pris pour un animal engendré dans le sang quelque moucheron, tombé par hazard dans les palettes. C’est souvent à des méprises semblables que nous devons quantité d’Histoires qu’on nous rapporte comme vrayes, & qui examinées de prés, ne sont que des preuves de la trop grande simplicité de ceux qui s’en disent les témoins. Les vers qui s’engendrent dans le sang, ne sont pas toûjours de même figure ; cependant ceux qu’on y trouve le plus ordinairement se ressemblent assez, & la maniere, dont ils sont faits, merite bien d’être remarquée ; leur corps est figuré comme une feuille de myrthe, & tout parsemé de filamens, semblables à ceux qu’on remarque sur les feüilles naissantes des arbres ; ils ont sur la tête une espèce d’évent comme en ont les baleines, par lequel ils rejettent le sang, dont ils se sont gorgez. Ces mêmes vers se remarquent dans le sang des autres animaux ; & pour les voir, il faut prendre des foyes de veaux, ou de bœufs, tout recemment tirez du corps, les couper en petits morceaux, puis les jetter dans de l’eau, & les y bien broyer avec la main, on en verra sortir alors avec le sang plusieurs vers, qui auront un mouvement fort sensible si les foyes sont bien frais. Ces sortes de vers sont connus aux paysans du Languedoc, qui les appellent dalberes, du nom d’un herbe qui passe chez eux, pour produire dans le corps beaucoup de cette vermine : on peut voir là-dessus M. Borel[24] dans ses Observations de Physique & de Medecine. Il est à remarquer que ces vers sont blancs & non rouges : ce qui paroît d’abord extraordinaire, puisqu’il semble qu’ils devroient être de la couleur du sang ; mais ce qui les rend blancs, est qu’il se nourrissent de chyle & non de sang ; car quoique le sang paroisse tout rouge, il est rempli d’une infinité de parties blanches & chyleuses, qui n’ont pas encore eu le tems de se changer en sang : or ce sont de ces petites parties que ces vers se nourrissent sans doute : ce qui les rend blancs. Le sang où il y a des vers n’a pas toujours la plus mauvaise apparence, & je me souviens qu’ayant fait saigner il y a cinq ans une petite fille malade d’un mal venerien, qu’elle avoit pris de sa nourrice, je trouvay plusieurs vers dans la partie sereuse de son sang, lequel étoit neanmoins de la plus belle couleur, dont le sang puisse être : ce qui pouvoit bien venir de ce que les parties blanches & chyleuses, qui sont mêlées dans le sang, étant consumées par ces vers, comme nous l’avons observé, il n’en ressort point assez, pour empêcher le sang de paroître vermeil.

Les Vesiculaires se trouvent dans la vessie & dans les reins, & sortent avec l’urine ; il y en a de plusieurs figures differentes. Tulpius[25] parle d’un ver, qui fut rendu par la vessie, lequel étoit long & rong comme ceux des intestins, & rouge comme du sang ; il y en a d’autres où l’on découvre un nombre presque inombrable de pieds, une queuë pointuë, marquée d’un point noir au bout, & une tête large, avec deux petites éminences aux deux côtez, le dessus du corps rond & lisse, & le ventre raboteux. Un Medecin d’Amsterdam, dont parle Tulpius, en jetta douze de cette sorte en urinant ; le même Tulpius nous en a donné la figure dans le 2. livre de ses Observations : voïez icy la fig. quatriéme. Ces vers ressemblent à des cloportes. Loüis Duret aprés une longue maladie en rendit par les urines de semblables, selon ce qu’écrit Ambroise Paré[26]. On en void d’autres qui n’ont que six pieds, trois de chaque côté vers la tête, & qui du reste sont tout blancs, & assez semblables à des mites de fromage, comme ceux que rendit une femme de cinquante ans, dont Tulpius fait mention[27]. Il y en a d’autres qui ressemblent à des sangsuës, à cela prés qu’ils ont deux têtes comme les chenilles, l’une à un bout, & l’autre à l’autre, ces vers vivent quelquefois fort long-tems après être sortis, pourveu qu’on les tienne dans de l’eau tiede, comme on fit celuy dont parle Balduinus Ronseus[28], lequel fut conservé vivant plus de sept mois par ce moyen. Il y en a d’autres qui sont faits comme des espèces de sauterelles, le Comte Charles de Mansfel, malade d’une fiévre continuë à l’Hôtel de Guize, en jetta par les urines un semblable, dont on trouve la figure dans Ambroise Paré. Voyez icy la figure 5. Il y a des personnes en santé, dont les urines sont toutes pleines de vers.

Les Spermatiques s’engendrent en cette humeur, que la nature separe dans tous les animaux pour la propagation des especes, plus l’animal est sain & plus il s’y trouve de ces vers. Selon les apparences ce ne sont pas des vers inutiles, ce sont peut-être les animaux mêmes qui doivent naître ensuite de la femelle. N’entreroient-ils point dans l’œuf, où ils prendroient aprés la nature de fœtus ?

Les Elcophages naissent dans les ulceres, dans les tumeurs, dans les apostumes. Ils sont ainsi nommez du mot, qui en Grec signifie ulcere[29], & d’un autre qui signifie manger[30]. Les grains de la petite verole en sont quelquefois tout remplis, comme l’a observé M. Borel[31], les charbons, les bubons pestilentiels en contiennent un grand nombre, les chairs gangrenées en sont toutes pleines. Hauptman rapporte qu’un de ces vers ayant été mis sur du papier, après avoir été tiré d’une partie gangrenée, en produisit sur le champ cinquante autres, ainsi qu’on le remarqua par le microscope. Ambroise Paré au Chapitre 3. du vingtiéme Livre au Traité de la petite verole & de la lépre, parle d’un ver velu, qui avoit deux yeux & deux cornes avec une queuë fourchuë, lequel fut trouvé dans une apostume venue à la cuisse d’un jeune homme. Le fameux Jacques Guillemeau tira luy-même ce ver, & le donna à Ambroise Paré, qui le conserva vivant plus d’un mois dans un vaisseau de verre sans luy rien donner à manger. Voyez-le icy representé fig. 6.

Les Cutanées naissent sous la peau entre chair & cuir, & sont ainsi nommez du mot, qui en Latin signifie peau. Il y en a de plusieurs sortes : les principaux sont les Crinons, les Cirons, les Bouviers, les Soyes, & les Toms.

Les Crinons en Latin Crinones sont ainsi appellez, parce que quand ils sortent, ils ressemblent à de petits pelotons de crin ; ces vers viennent aux bras, aux jambes, & principalement au dos des petits enfans, ils font sécher leur corps de maigreur, en consumant le suc qui est porté aux parties, comme le remarque Schenchius[32]. Kusner[33] Montuus, Ambroise Paré, Etmuler, Reusner, Borel, font mention de ces vers, qui ont été inconnus aux anciens. Etmuler en a parlé assez au long dans sa Pratique Speciale, & nous en a donné une exacte description avec des figures. Ces vers, selon ce qu’ils paroissent dans le microscope, ont de grandes queues, le gros corps, & sont tels qu’on les void icy représentez figure 7. A. les représente comme ils paroissent sans microscope, & B. comme ils paroissent avec le microscope. Etmuler les appelle aussi dracunculi, mais en cela il les confond mal à propos avec d’autres qui portent ce nom, lesquels ne viennent pas dans ces pays, & dont nous parlerons dans un moment.

Les crinons n’attaquent gueres que les enfans à la mammelle, ils s’engendrent d’une humeur excrementeuse arrétée dans les pores de la peau, & qui est assez ordinaire en cet âge. Quand les enfans sont attaquez de cette vermine, ils tombent en chartres, & cependant taitent, mangent & dorment bien, leur maigreur ne venant, comme nous l’avons dit, que de ce que ces vers devorent presque tout le suc nourricier, qui est porté aux parties. Il y a neanmoins des enfans que ces vers empêchent de dormir, & qui en sont si tourmentez, qu’ils crient jour & nuit. M. Borel[34] dit qu’il avoit un frere attaqué de cette maladie, lequel poussa des cris continuels jusqu’à ce que ces vers fussent dehors. Il marque qu’on les fit sortir avec un peu de miel, dont on frotta le corps de cet enfant : il ajoûte que ces vers commencerent par montrer leurs têtes, qui étoient toutes noires, & qu’ensuite ils tomberent tous par le moyen d’un linge rude qu’on passa sur le dos.

Quand les enfans sont atteints de ce mal, la plupart des meres & des nourrices croyent que c’est un sort qui leur a été jetté, elles accusent diverses causes imaginaires, & tourmentent leurs enfans par mille remedes superstitieux.

Le Ciron est un ver qui passe pour le plus petit des animaux, d’où vient qu’on l’a appellé en Latin Acarus, d’un mot qui signifie[35] tres-petit. On le nomme Ciron en François ; parce que la cire est sujette à être mangée de cet animal quand elle est vieille. Le Ciron se traîne sous la peau, qu’il ronge peu à peu, il y cause de grandes démangeaisons & de petites ampoules, sous lesquelles on le trouve caché quand on les picque ; on a découvert par le microscope toutes les parties du Ciron, il a six pieds placez deux à deux prés de la tête, avec lesquels il fait de longs sillons sous l’Epiderme. Voyez la figure 8. Ce ver a été connu aux anciens, & Aristote en parle dans le Chapitre 31. du Livre de son Histoire des animaux.

Les Bouviers sont ainsi nommez, parce que les bœufs y sont quelquefois sujets. Ces vers se traînent sous la peau comme les cirons, mais ils sont plus gros, & causent des demangeaisons presque universelles. Ils sortent souvent d’eux-mêmes, & perçent la peau en divers endroits. Alsaharavius, Avenzoar, & Albucasis parlent de ces sortes de vers. La maladie qu’ils causent s’appelle passio bovina, elle a besoin d’un prompt secours, sans quoy il en peut arriver de fâcheux accidens.

Les Soyes sont des vers, qui ne se voyent point dans ces pays[36], mais qui sont communs dans l’Ethiopie & dans les Indes : ils ressemblent à de petits cordons de soye[37] torse, & naissent ordinairement dans les jambes & aux cuisses. Ils sont d’une longueur extraordinaire, les uns ayant une aulne, les autres deux, les autres trois, & quelquefois quatre. Les Negres d’Afrique y sont fort sujets, & les Americains contractent cette maladie par la contagion des Negres qu’ils frequentent, elle se communique même souvent à des personnes qui ne sont ni Americains ni Africains : & M. le Comte de Scaghen, Hollandois, m’a dit avoir vû dans l’Amérique Occidentale un soldat d’Utrech, lequel avoit aux jambes vingt-trois de ces vers, qu’il tira tout de suite en sa présence, & dont quelques-uns avoient plus de deux aulnes. Ces vers causent des douleurs de têtes & des vomissemens, mais quand on en est delivré on se porte bien. Lorsqu’ils sont en état d’être tirez, on le connoît par une petite apostume qui se forme à l’endroit où aboutit une des extrémitez du vers ; on perce alors cette apostume, & puis on prend un petit morceau de bois rond, long de la moitié du doigt, & fort menu, auquel on retraite d’abord ce qui se présente, ensuite on tourne ce bois comme une bobine, & le corps du ver se roule à l’entour comme du fil qu’on devuideroit, c’est ainsi que ce soldat tira les siens ; on s’y prend de la sorte de peur de le rompre, parce que ce ver est fort délié, & qu’il y a du danger à ne le pas tirer entier ; car la partie qui reste cause des fiévres dangereuses.

Il y a une chose à observer en ce ver, qui est qu’il a deux têtes, non à côté l’une de l’autre, mais situées l’une à un bout, & l’autre à l’autre, comme en certaines chenilles : & ce qui est remarquable, c’est qu’il y a toûjours une de ces deux têtes qui est comme morte, tandis que l’autre paroît vivante. Il vient à la cuisse des chardonnerets un ver presque semblable. Spigelius dit en avoir vû un à la cuisse d’un de ces oiseaux, lequel avoit un pied de long : cette étenduë paroît incroyable, mais la maniere, donc le ver est situé, doit ôter tout étonnement, veu qu’il est disposé en ziguezague ; & c’est ainsi qu’étoit celuy que Spigelius dit avoir remarqué : c’est aussi de la même maniere à peu prés que sont disposez ceux dont nous venons de parler, qui viennent aux jambes des Ethiopiens. Celuy des Chardonnerets est mince comme une petite corde de Luth. Lorsqu’il est parfait, & qu’il commence à se mouvoir, il perce la peau, & sort quelquefois de luy-même. Le plus souvent l’oiseau le tire avec le bec.

Pour revenir aux Soyes quelques Auteurs ont douté que ce fussent des vers veritables, mais Thomas de Veigue prétend que ceux qui sont dans ce doute n’ont pas examiné la chose de prés : En effet ce ver a du mouvement, & M. le Comte de Scaghen, que j’ay nommé plus haut, m’a assûré en avoir vû remuer plusieurs de ceux que ce soldat avoit tirez. Les Arabes, & entr’autres Avicenne[38], appellent ce ver du nom de vene, parce qu’il ressemble à une petite vene. Thomas de Veigue dit qu’Albucasis en a vûs qui avoient jusqu’à vingt palmes de longueur, quant à la couleur il est rougeâtre : Amatus Lusitanus parle de ce ver, & d’écrit la maniere dont on s’y prend pour le tirer, laquelle convient fort avec ce que nous avons dit. Mais il y a une chose à observer dans ce qu’il en rapporte, qui est que quelquefois il faut plusieurs jours, pour parvenir à le tirer entier sans le rompre : ce qui arrive apparemment lorsqu’on s’y prend trop tôt, & avant que le ver soit de luy-même en état d’être tiré. Un Ethiopien, dit-il, âgé de douze ans, esclave d’un Intendant de Marine, ayant été amené de Memphis à Thessalonique, se plaignit d’abord d’une grande douleur dans une cuisse, il luy vint prés du talon un petit ulcere, dans lequel paroissoit la tête de ce ver, appelle vene, les Turcs ayant consideré ce mal, le connurent, & dirent que c’étoit une maladie dangereuse ordinaire en Egypte & aux Indes. Un Medecin, qui se connoissoit à cette sorte de maladie, fut appellé, & s’y prit ainsi : il prescrivit d’abord une maniere de vivre convenable, puis prit l’extrémité de cette vene, ou plutôt de ce petit cordon nerveux, la lia à un petit bâton fort menu, qu’il tournoit de tems en tems & fort doucement, jusqu’à ce qu’enfin au bout de quelques jours il parvinst à l’autre extrémité ; c’est-à-dire qu’il eût tiré la longueur de trois coudées, par le moyen de quoy l’Ethiopien fut guery de ses douleurs & de sa maladie, sans l’application d’aucun cataplâme, & sans aucune fomentation : Voila ce que rapporte Lusitanus. On diroit, par ses paroles, qu’il suppose que ce ver n’est qu’un corps membraneux, ou nerveux, & non un animal, mais il declare le contraire bien clairement dans la suite : les Auteurs, dit-il, sont en balance sur la nature de cette maladie, & ne sçavent si c’est une vene, un nerf, ou un ver : pour moy, qui suis témoin oculaire de la chose, & par consequent plus à croire que ceux qui ne l’ont apprise que par oüi dire, j’assûre que cela paroît être un ver blanc fort delié, & de la figure d’une soye torse, lequel sort dehors, & dont la partie, qui paroît, ressemble à un nerf desseché : si cette partie vient à se rompre & à se détacher du reste, le malade en ressent de grandes douleurs dans le corps & dans l’esprit.

Ce ver s’appelle autrement petit Dragon, en Latin Dracunculus, nom qu’Etmuler donne mal à propos aux Crinons, qui sont tres-differens de celuy-cy. Ambroise Paré, après avoir rapporté sur cette maladie les sentimens de la plûpart des Grecs, & avoir, comme il se l’imagine, bien refuté les opinions des anciens, dit que le petit Dragon, ou, comme il l’appelle, le Dragoneau, n’est point un ver ni rien d’animé[39], mais seulement une tumeur & un abscés causé par un sang trop chaud ; il en parle comme d’une maladie commune en toute sorte de pays, en quoy il se trompe ; ce mal, selon le rapport unanime des Grecs, & de tous les Arabes, étant particulier aux Indiens & aux Ethiopiens.

Ambroise Paré n’a pas parlé icy sur le témoignage de ses yeux, luy qui veut que dans les choses, qui tombent sous les sens, on n’avance rien sans en avoir été témoin auparavant. Schenchius[40] dit sur ce sujet que cet Auteur a voulu apparemment confondre la France avec les Indes & l’Ethiopie. Quelques autres rapportent ce mal sous le genre des varices, & ne se trompent pas moins ; d’autres le confondent avec les crinons, dont nous avons parlé, ainsi que fait Etmuler, & c’est, comme l’observe le même Schenchius, vouloir comparer une mouche avec un éléphant, les crinons étans fort petits, & les soyes, dont il s’agit, étant d’une longueur extraordinaire.

Les Toms sont de petits vers qui viennent aux pieds, où ils causent des tumeurs douloureuses grosses comme des féves. On n’en void que dans cette partie de l’Amérique, qui est aux Indes Occidentales. Thevet rapporte dans son Histoire de l’Amerique, que lorsque les Espagnols furent dans ces pays-là, ils devinrent fort malades de ces sortes de vers, par plusieurs tumeurs, qui s’éleverent sur leurs pieds, & que quand ils ouvroient ces tumeurs, ils y trouvoient dedans un petit animal blanc, ayant une petite tâche sur le corps. Les Habitans du pays se guerissent de ce ver par le moyen d’une huile, qu’ils tirent d’un fruit, nommé Hibou, lequel n’est pas bon à manger ; ils conservent cette huile dans de petits vaisseaux faits avec des fruits, appellez chez eux Carameno. Ils en mettent une goute sur les tumeurs, & le mal guerit en peu de tems.

Les vers Umbilicaux sont des vers que l’on dit qui viennent au nombril des enfans, & qui les font souffrir beaucoup, leur causent une maigreur considerable, & les jettent dans une langueur universelle : les lévres palissent, la chaleur naturelle diminuë, & tout le corps tombe dans l’abbatement. On n’a point d’autre signe de ce ver, dit Etmuler, sinon qu’ayant lié sur le nombril de l’enfant un de ces poissons, qu’on nomme goujons, on trouve le lendemain une partie de ce poisson rongée, on en remet une autre le soir, & l’on réïtere la chose jusqu’à trois ou quatre fois, tant pour s’assûrer du sejour du ver, que pour l’attirer par cet appas. Ensuite on prend la moitié d’une coquille de noix, dans laquelle on mêle avec un peu de miel de la poudre de chrystal de Venise & de Sabine, on applique cette coquille sur le nombril, le ver vient à l’ordinaire, & attiré par le miel mange de cette mixtion, qui le fait mourir, aprés quoy on fait avaler à l’enfant quelque médicament abstersif, pour entraîner le ver.

J’aurois beaucoup de penchant à traiter ce ver de fable sans le témoignage d’Etmuler & de Sennert[41], qui me font suspendre mon jugement. Le premier assure que Michaël a guéri de ce ver plusieurs enfans, en observant la methode que nous venons de décrire :[42]le second rapporte aussi l’autorité d’un témoin oculaire, qui est Bringgerus[43], lequel dit qu’une petite fille de six mois ayant une fiévre, dont elle ne pouvoit guérir, la mere soupçonna que c’étoit un ver au nombril, & que pour l’en guérir, elle mit tout vivant sur le nombril de l’enfant un de ces goujons, le lia avec des linges, & l’y laissa vingt quatre heures ; que le ver mangea le poisson, & n’y ayant laissé que les arestes, se retira dans la vene, ce sont ses termes. Que la mere renouvellant tous les jours l’appas, la même chose arrivoit ; que huit ou dix jours aprés les linges appliquez sur le nombril étant tombez, entraînerent le poisson & le ver qui le mangeoit ; que ce ver n’avant pû rentrer dans le vaisseau umbilical, fut trouvé mort sur le ventre de l’enfant ; qu’il étoit rond & jaunâtre, avoit un demi pied de long, & une peau plus dure que celle des vers ordinaires.

Rupert, amy familier de Sennert[44], rapporte une histoire semblable d’un enfant de même âge, lequel passoit les nuits dans de grandes agitations, crioit & rendoit des matieres vertes & souvent cendrées, qu’on auroit prises pour de la chair hachée : il dit qu’on fit à cet enfant plusieurs remedes inutiles, aprés lesquels on en vint à luy appliquer sur le nombril un goujon, qu’au bout de deux heures le poisson fut rongé, & cavé de la grosseur d’un pois ; qu’on en remit un autre, qui se trouva le lendemain si mangé, qu’il n’y avoit que l’areste : que comme on eut remarqué cela, on appliqua sur le nombril la moitié d’une coquille de noix remplie d’une pâte faite de chrystal de Venise pilé, de miel & de sabine ; que le matin on trouva une partie de cette pâte, mangée ; que l’ayant renouvellée trois jours de suite, la même chose arriva les deux premiers jours, mais que le troisiéme on tira la mixtion toute entiere ; que ce signe ayant fait juger que le ver étoit mort, on fit avaler à l’enfant de la corne de cerf dans de l’eau de Tanacet, & qu’ayant ensuite visité ses langes, on y trouva le ver, donc la tête s’étoit séparée ; que ce ver avoit une palme de long, que la tête étoit dure & grosse comme une petite lentille, de la figure de celle d’une mouche ; qu’on y voyoit des yeux, & auprès de ces yeux une trompe fort bien formée ; que quand ce ver fut sorti tous les symptomes de la maladie cesserent. Voila ce que raconte Rupert, lequel ajoûte que l’on conservoit la tête de ce ver, & qu’on la montroit encore[45].

Il y a dans ce récit une chose qui ne me paroît pas tout-à fait vray-semblable, c’est la sortie du ver par les intestins, car s’il étoit dans quelqu’un des vaisseaux umbilicaux, soit dans la vene du foye, soit dans l’une des deux arteres umbilicales, ou, si l’on veut, dans le ligament, nommé ouraque, qu’on ne doit pas cependant mettre au rang des vaisseaux umbilicaux, puisqu’il n’est pas creux dans l’homme ; il n’est pas possible de concevoir que la force d’aucun médicament ait pû l’entraîner de-là dans le conduit intestinal, pour le chasser avec les dejections ; à moins qu’on ne suppose que ce ver ait percé les intestins, pour y entrer. Ne seroit-il point plus raisonnable de croire que ces vers umbilicaux ne sont point des vers particuliers engendrez dans l’umbilic, mais des vers intestinaux, lesquels perçant l’intestin & les tegumens communs, se font un chemin jusqu’à l’umbilic, qu’ils perçent aussi, & d’où ils s’en retournent dans les intestins : ce qui ne seroit pas un cas si singulier, y ayant eu plusieurs malades à qui les vers des intestins sont ainsi sortis par le nombril, comme le témoignent Forestus[46] & plusieurs autres Auteurs.

Etmuler cependant & Sennert parlent de cet insecte comme d’un ver qui fait une espece à part[47], & le premier dit que personne, excepté Sennert & luy, n’en a parlé. Outre tous ces vers il y en a une autre espece, que l’on appelle veneriens, & qu’il ne faut pas oublier icy. Ce sont des vers, que l’on prétend se trouver dans presque toutes les parties du corps de ceux qui sont atteints de la maladie venerienne. Nous en parlerons plus au long dans le Chapitre des effets des vers.

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Article II.

Des Vers des intestins.



Les Vers des intestins sont de trois sortes, les ronds & longs, les ronds & courts, & plats. Les ronds & longs s’engendrent dans les intestins greles, & quelquefois dans l’estomach, les ronds & courts dans le rectum, & s’appellent ascarides d’un terme Grec, qui signifie[48] agile & remuant, parce que ces petits vers sont dans un mouvement continuel.

Les plats se nourrissent ou dans le pylore de l’Estomach, ou dans les intestins greles, & s’appellent Tæniæ à cause qu’ils ressemblent à un ruban, ce mot signifiant en Grec toute forte de cordon plat & long : le Tænia est blanc, fort long, & a le corps tout articulé, il y en a de deux sortes : l’un qui retient le nom du genre, & qui s’appelle proprement Tænia, lequel n’a point de mouvement ny de tête formée ; & l’autre, qui se nomme Solium[49], parce qu’il est toujours seul de son espèce dans les corps où il se trouve, & qui a du mouvement & une tête ronde fort bien formée, faite comme un poireau.

Le Tænia, proprement dit, naît dans les intestins greles, d’où il s’étend dans le reste des intestins ; on n’y remarque aucune forme de tête lors même qu’il est entier, il commence seulement par une pointe fine comme une aleine[50], qu’on appellera tête si l’on veut, mais qui n’en a pas la figure. Il a le long du milieu du corps en dedans, un petit conduit en forme de chaîne, lequel s’étend depuis un bout jusqu’à l’autre. Ce conduit paroît facilement quand le ver est nouvellement sorty du corps, mais lorsqu’il y a long-tems qu’il en est dehors, il faut, pour voir ce conduit distinctement, regarder le ver à contre jour. M. de la Carliere, Docteur de la Faculté de Medecine de Paris, conserve dans un vaisseau de verre un ver semblable, que j’ay examiné avec soin.

Le Tænia, nommé Solium, se nourrit dans le pylore de l’estomach, d’où il s’étend dans toute la suite des intestins. On en remarque de plusieurs façons differentes, mais en voicy deux principales : l’un a le long du milieu du corps, par dessus, comme une longue épine pleine de nœuds ; c’est ainsi que Spigelius le represente. Voyez-le à la fin de ce Livre figure 9. L’autre n’a point cette épine, mais on y remarque aux bords, aprés chaque article, une espece de petit mammelon, au bout duquel paroît une ouverture, dans laquelle on discerne un vaisseau bleuâtre, qui traverse jusqu’à la moitié de la largeur du corps, & c’est de celuy là dont nous avons donné icy l’estampe en grand.

Il y a, selon quelques Auteurs, une autre espece de vers plats, que l’on nomme cucurbitaires, lesquels sont fort courts, & qui se joignant quelquefois les uns aux autres, font comme une longue chaîne. Adrovandus au Traité de verminibus in homine, & Spigelius au Traité de lumbrico lato les représentent de cette sorte. Voyez icy la figure 10. mais ces sortes de vers passent pour des matieres formées dans le ventre du Solium, & sont regardées par les uns comme les excremens de ce ver, & par les autres comme ses œufs, ainsi que nous l’examinerons plus bas.

Ces especes étant ainsi determinées, il est facile de connoître que le ver, qui est sorti du corps de nôtre malade, est un Solium, puisqu’il en a toute la structure, ayant un cou, une tête, des mammelons aprés chaque intersection, & n’ayant en dedans aucun conduit visible, qui aille d’un bout à l’autre comme dans le Tænia.

Les vers sont ordinairement sans yeux, celuy-cy en a quatre fort bien marquez, à moins qu’on n’aime mieux suivre la pensée de M. Mery, de l’Academie des Sciences, lequel est de sentiment, que ce que je prends pour des yeux sont des narines : mais ce qui me persuade que ce sont des yeux, c’est qu’avant que l’insecte mourut, & un peu après qu’il fut mort, ces parties, que j’appelle des yeux, étoient bossuës & convexes par dehors, au lieu que s’étant dessechées depuis, elles se sont enfoncées, & paroissent comme des trous de narines. En cas que ce soit des yeux, il ne faut pas s’étonner qu’il y en ait quatre, puisque l’araignée en a huit, qu’entre les scorpions les uns en ont quatre, les autres six, & les autres huit, & que les vers, qui rongent la pierre, & dont nous avons parlé plus haut, en ont jusqu’à dix. D’ailleurs, si ce sont des narines, il y a autant de sujet de s’étonner qu’il y en ait quatre ; puisqu’il semble que la plûpart des animaux soient autant fixez à deux narines, qu’à deux yeux.

Ce ver, ainsi que nous l’avons dit, n’est pas sorti entier ; & selon toutes les apparences, il auroit eu encore plusieurs aulnes, si le reste ne s’étoit pas rompu ; car comme la queuë de cette sorte de ver est fort mince & étroite, il est aisé de juger que l’endroit où celuy-cy s’est rompu étant assez large, il falloit qu’il y eût encore une grande étenduë de-là jusqu’à la fin de la queuë, étant vray semblable que la queue alloit en étrecissant peu à peu avec la même proportion que le cou. Je conserve ce ver dans un vaisseau de verre rempli d’eau de vie. Sitôt que je l’y eus mis, il rendit une liqueur blanche comme du lait : ce qui n’étoit que le chyle, donc il s’étoit nourri dans le corps du malade ; je changeay l’eau de vie, il en rendit encore, & ainsi jusqu’à trois fois.

Le corps de ce ver est tout articulé, comme nous l’avons remarqué, c’est-à-dire tout annelé. L’espace contenu depuis un anneau jusqu’à l’autre est comme un petit ventre un peu enflé sur le milieu de la largeur, à chacun de ces ventres il y a toûjours un des bords, auquel on remarque une éminence en forme de mammelon, ayant au bout une ouverture presque insensible, qui se discerne en approchant les yeux de prés, & qui est le commencement d’un petit vaisseau bleuâtre, qui se void à travers le mammelon ; ces mammelons sont inégalement rangez, il y en a tantôt trois d’un côté, deux de l’autre, tantôt un d’un côté, & deux ou trois de l’autre, & jamais alternativement un d’un côté & un de l’autre, ainsi qu’on le peut voir dans la figure.

Ces mammelons doivent être regardés comme autant de poûmons, qui recevoient l’air par les petites ouvertures dont nous venons de parler, lesquelles étoient autant de trachées. Ce nombre de poumons dans un même animal, n’est point une chose extraordinaire, & ceux qui ont quelque connoissance de la maniere dont sont construits les vers, sçavent que plusieurs en ont un nombre considerable, & que souvent tout leur corps, depuis le commencement jusqu’à la fin, est une chaîne de poumons. L’on peut voir ce qu’a écrit là-dessus M. Malpighi dans son Traité du Ver à soye.

La peau de ce ver est fort dure, fort lisse, & extrémement blanche ; le corps est transparent comme de la porcelaine, & l’on apperçoit autre chose à travers que ce vaisseau bleuâtre, dont j’ay parlé, lequel va jusqu’à la moitié de la largeur du corps : je croyois qu’en ouvrant le ver, j’y decouvrirois quelque organe, & pour cela je priay le celebre M. Mery, de l’Academie des Sciences, de vouloir bien en dissequer une partie, nous en coupâmes une demie aulne, que nous examinâmes soigneusement en présence de M. de Fermeluy, Docteur de la Faculté de Medecine de Montpelier, lequel joint à une science parfaite du corps humain, plusieurs connoissances curieuses sur la structure des insectes & sur leur mécanique ; mais nous n’y pûmes rien découvrir, & le secours des microscopes nous fut inutile. Nous y apperçûmes seulement dans toute l’étenduë un amas de petits corps globuleux ressemblans à des grains de millet, mais tres-ronds. Je ne sçaurois mieux comparer l’amas de ces corps globuleux, que j’ay regardé depuis exactement avec le microscope, qu’à cet amas d’œufs, qui se trouvent dans les carpes, ils paroissent entassez de la même maniere, & tous distinguez les uns des autres.

Monsieur de Bellestre, Docteur de la Faculté de Medecine de Paris, & si éclairé dans la Physique, a examiné avec moy ces globules, & est de sentiment que ce sont des œufs, & non des glandes, & ce sentiment paroît conforme à ce qu’Hipocrate & Aristote rapportent de ce ver, & que l’experience confirme ; sçavoir, que ceux qui l’ont, rendent dans leurs excremens une infinité de petits corps semblables à des graines de concombre ; car ces petits corps peuvent bien être de ces œufs, lesquels grossissent dans l’intestin de l’homme aprés être sorti du ventre du ver. Ces œufs sont en si grand nombre dans le ver, que si on les touche avec la pointe d’une épingle : ce qui demeure attaché à l’épingle, ne fut-il pas plus gros qu’un grain de poussiere, paroît par le microscope un amas incroyable de petits œufs, tous separez les uns des autres, en sorte qu’en cas que ces œufs fournissent les petits grains, qu’on trouve dans les excremens des personnes qui ont ce ver, il ne faut pas s’étonner qu’ils en puissent fournir une si grande abondance.

Hippocrate dit que c’est une erreur de prendre ces petits corps pour les productions de ce ver, mais il est à croire que si les microscopes avoient été en usage de son temps[51], & qu’il eût fait l’experience que je viens de rapporter, il auroit eu une autre pensée, cela se void aisément par la raison qu’il apporte, pour confirmer son opinion ; car, dit-il, comment un ver si plat & si mince pourroit-il contenir un si grand nombre d’œufs, pour produire toutes ces portions cucurbitaires, qui se trouvent dans les excremens de ceux où il est. Aristote parle de ces petits corps cucurbitaires dans son Histoire des animaux, & dit que ce sont véritablement des productions qui sortent du corps de ce ver[52]. Quant à l’endroit, par lequel elles peuvent sortir, il est à juger que c’est par les petites ouvertures, que nous avons dit être aux mammelons, ou par quelque autre issuë, qui est peut-être sous les anneaux des articulations, ces anneaux pouvant être comme les branchies des poissons, lesquelles s’ouvrent & se ferment.

Quand les œufs sont sortis du ventre du ver, ils grossissent, & ne pouvant prendre dans les intestins assez de nourriture, pour se developer entierement, & y faire éclorre leur ver, ils sont entraînez avec les excremens ; la raison pourquoy ils n’y trouvent pas assez de nourriture, c’est que le ver, d’où viennent ces œufs, consume seul toute la nourriture qui leur seroit necessaire ; car il faut remarquer que cette sorte de ver se nourrit de chyle, aussi celuy-cy en étoit il tout plein quand il est sorti, & il en rendit beaucoup quand je l’eus mis dans l’eau de vie, ainsi que je l’ay fait observer. Or, comme le chyle est un suc, dont il ne se fait chaque fois qu’une fort petite quantité, ainsi qu’il est aisé de le reconnoître par l’abondance du marc, qui se déchargé par le rectum, il est impossible que ce ver, se nourissant de ce suc, en laisse assez pour la nourriture d’un si grand nombre de productions.

Ce ver se nourrit dans le pylore, & c’est-là qu’il tient sa tête & son cou, d’où il est facile de juger qu’il consume aisément la meilleure partie du chyle, parce qu’il prend cette liqueur avant qu’elle soit parvenuë aux venes lactées ; on demandera sans doute comment il peut se tenir dans le pylore, qui se ferme si exactement, mais la petitesse de sa tête, & la finesse de son cou mince comme du papier, doivent prévenir cette difficulté.

Le Solium trouve dans le pylore un chyle, qui n’est point encore mélangé de bile, ce qui peut bien être cause du séjour qu’il y fait ; car plus bas la bile du foye se déchargeant dans le duodenum, & se mêlant avec le chyle, donne à ce suc une amertume, qui le rend moins propre à nourrir ce ver : ce qui s’accorde avec le sentiment de quelques Modernes, & entr’autres d’Hartman[53], qui dit que la cause, qui entretient les vers plats, est l’obstruction de la vesicule du foye : En effet, on peut dire en général que le fiel est contraire à tous les vers, & si quelques-uns de ces animaux montent quelquefois des intestins dans l’estomach, cela n’arrive, comme le soûtient Fabricius, qu’à ceux en qui il y a obstruction au pore biliaire[54].

Il est vray qu’on a trouvé quelquefois des vers dans la vessie du fiel, mais il faut remarquer que c’étoit à des personnes mortes d’hydropisie, dans lesquelles cette vessie étoit plûtôt remplie de pituite que de fiel, ainsi que l’observe le même Auteur. Tous les animaux craignent le fiel, c’est une chose qu’on peut connoître par plusieurs experiences, & entr’autres en mettant des sangsuës dans une écuelle pleine d’eau, dont le dessus des bords soient frottez de fiel, vous verrez qu’il n’en sortira pas une.

Quoique ce ver ait son cou & sa tête au dessus du pylore, il ne sort neanmoins presque jamais par la bouche, la raison en est, que le reste du corps est trop large & trop long, pour pouvoir passer.

Ce que nous venons de dire sur la maniere, dont ce ver consume le chyle, nous doit faire voir qu’il n’y a rien d’étonnant dans ce que nous avons dit plus haut : que cet insecte, ainsi que l’assûre Spigelius[55], est toûjours seul de son espece dans le corps où il se trouve : ce qui, comme je crois, l’a fait nommer Solium ou solitaire.

Ce ne sont point les Modernes qui ont observé les premiers que ce ver étoit seul de son espece. Je remarque qu’Hippocrate l’a reconnu ; & c’est une chose, dont il doutoit si peu, que loin de la mettre en question, il la suppose comme indubitable ; car voulant prouver que ces portions cucurbitaires, dont nous avons parlé, ne sont pas les œufs de ce ver : il dit[56], car comment d’un seul animal pourroit-il sortir un si grand nombre de productions, ce qu’il n’auroit pas dit sans doute, s’il eût estimé qu’il y eût eu plusieurs vers de cette sorte dans un même corps.

Le ver fit de grands mouvemens après être sorti, ainsi que nous l’avons déjà dit, mais nous remarquerons icy que ces mouvemens étoient en forme d’Arc : ce qui est bien à observer, & quelquefois la tête & le cou s’avançoient, & tiroient le reste du corps, quelquefois l’insecte demeuroit comme immobile, mais sitôt qu’on le touchoit, il remuoit de nouveau ; en quoy il differe beaucoup du Tænia ordinaire, lequel ne remuë point, & qui semble plus tenir de la nature du vegetant, que de celle de l’animal, ainsi que le remarque Platerus.

Quelques Modernes ont confondu le Solium, que les anciens appellent du nom commun de ver plat, avec le Tænia ordinaire, & même avec les cucurbitaires, comme font Fernel, Perdulcis, & quelques autres, qui se sont imaginez faussement que le ver plat long, dont ont parlé les Anciens, n’étoit qu’une chaîne de vers cucurbitaires, qui se tenoient les uns aux autres[57].

Le fait, dont il s’agit, suffit pour faire voir l’erreur de Fernel & de Perdulcis. Je ne m’étonne pas qu’Ætius, Paul Eginette, Arnauld de Villeneuve, Monardus, Trallianus, Adrovandus[58], reconnoissent qu’il y a un ver plat d’une longueur extraordinaire, different du Tænia commun & du Cucurbitinus : different du Tænia, en ce que le Tænia, proprement dit, est sans mouvement, qu’on n’y void ni mammelons, ni forme de tête, & qu’il a un conduit visible, qui atteint depuis un bout du corps jusqu’à l’autre, ce qui n’est point au Solium : différent du cucurbitaire, en ce que les cucurbitaires ne sont autre chose que les œufs du Solium, lesquels venant à croître hors de son corps & à s’accrocher quelquefois les uns aux autres, font cette longue chaîne, dont nous avons donné la figure, qu’on void dans Aldrovandus & dans Spigelius, ainsi que je l’ay déjà dit : en sorte que les vers cucurbitaires, & ces portions de matiere en forme de graine de concombre, qui sortent avec les excremens de ceux qui ont le Solium, ne sont qu’une même chose. Les portions, qui composent la chaîne des vers cucurbitaires, ont une autre figure que les portions comprises entre les articles du Tænia, & entre ceux du Solium ; on n’a qu’à jetter les yeux sur la grande fig. qui est icy, & la comparer avec celle qu’Aldrovandus & Spigelius nous donnent du cucurbitaire, & l’on verra qu’il n’y a aucun rapport.

Dans la chaîne des cucurbitaires, on ne void ni cou ni tête par où l’on puisse juger de ce que c’est, & les portions, dont cette chaîne est composée, ne paroissent se tenir les unes aux autres que comme se tiennent quelquefois les crottes de certains animaux, & sur tout celles des chiens, dont l’adherence imite assez bien celle de ces prétendus vers, qu’on ne doit regarder que comme les excremens, ou comme les œufs des vers plats, bien loin de les confondre ensemble, comme font quelques Modernes, qui auroient pû avoir en ceci un peu plus d’exactitude. Spigelius & Sennert n’ont pas donné dans cette erreur : « la plûpart des Sçavans, dit Spigelius, ont confondu, par une erreur manifeste, le ver plat avec le cucurbitaire[59]. »

« Quelques-uns, dit Sennert, s’imaginent que les interstices de ce ver plat sont des vers cucurbitaires, mais tous ces interstices ensemble ne composent qu’un seul ver, lequel a plusieurs nœuds, qui, à la verité, tirent sur la figure des graines de citroüille, mais qui neanmoins ne sont que les articles, dont le ver est composé. »

Benivenius dit avoir vu un de ces vers plats, & ajoûte que c’étoient autant de vers cucurbitaires liez & unis ensemble, mais Sennert se mocque de ce sentiment, & soûtient que ce ver étoit unique, & ne faisoit qu’un seul corps[60]. Le même Sennert reprend Gabucinus de la même erreur ; comme Gabucinus, dit-il, a vu que le mouvement de ce ver étoit plus sensible dans les entre-nœuds qu’ailleurs, il a crû que ce n’étoit pas un ver plat qui remuoit, mais que ce mouvement étoit celuy de plusieurs vers cucurbitaires joints ensemble ; cependant ces entre-nœuds ne sont point des vers particuliers, mais autant de parties d’un même ver plat.

J’ajoûte à cela que le mouvement, que fit nôtre ver, est plus que suffisant, pour faire voit que c’est un seul animal, étant impossible qu’une chaîne de vers, joints ensemble, se pût mouvoir en arc, & que le reste de cette chaîne suivit les mouvemens d’une tête & d’un cou si deliez, si tout cela ne faisoit ensemble un même corps. D’ailleurs on void dans ce ver des proportions, qui ne permettent pas de douter que ce ne soit un seul animal.

Lusitanus rapporte l’Histoire d’une Dame, qui rendit un ver assez semblable à celuy-ci. Une Dame, dit-il, qui se portoit bien d’ailleurs, se sentit tourmentée d’une petite toux, & peu après rendit par la bouche un ver tout vivant, mais si extraordinaire, poursuit-il, que je n’en avois jamais vû un pareil ; il étoit long de quatre coudées, large de la moitié de l’ongle, fort blanc, semblable à la substance des intestins, & tenant quelque chose de la depoüille d’une couleuvre ; il avoit une tête en forme de poireau, & depuis cette tête un corps tout plat, qui alloit en étrécissant vers la queuë. Ce ver, ajoûte-t-il, n’étoit qu’un seul corps, ayant plusieurs articles semblables à des graines de citroüille[61], & ces portions, qui le composoient, ne renfermoient rien au dedans, parce que ce ver étoit extrémement plat. Cette peinture represente assez bien nôtre ver, dans lequel nous n’avons rien pu découvrir non plus, comme nous l’avons dit plus haut ; celuy-ci, dont parle Lusitanus, sortit par la bouche : ce qui arrive rarement ; car il sort presque toujoûrs par le bas.

Rondelet fait mention d’un ver semblable, que la femme d’un Soldat rendit estant au Camp de Perpignan[62], & qu’il fit sécher, pour le conserver. Thaddæus Dunus écrit qu’une jeune femme[63] ayant été malade trois ans d’un ver plat, luy en envoya un morceau, qu’elle avoit rendu, lequel avoit plus de cinq aulnes de long, que cela luy fit d’autant plus de plaisir, qu’il n’avoit encore jamais vu de ces sortes de vers. Il ajoûte qu’en 1571. cette femme mourut, & rendit quelques jours auparavant un autre morceau de ver, qui avoit plus de vingt aulnes ; qu’on le luy montra, aprés l’avoir fait sécher dans un four, pour le conserver.

Gesner dit en avoir luy-même rendus, qui avoient treize coudées de long[64]. Pierre Quenzius rapporte dans ses Observations, qu’ayant purgé un gouteux par précaution, pour prévenir les douleurs de sa goute, il luy fit rendre un ver plat, à la vûë duquel il ne pût s’empêcher d’admirer l’ignorance & la temerité de ceux d’entre les Medecins Modernes, qui osent accuser Pline[65] de mensonge, pour avoir écrit qu’il s’étoit vû des vers plats de trente pieds de long, & davantage. M. Hartsoecher, comme je l’ay déjà dit dans le Chapitre second, m’a écrit en avoir vû un à Amsterdam, qui avoit plus de quarante-cinq aulnes de France : ce qui justifie bien Pline.

Quelques Auteurs, en décrivant ce ver, disent qu’il est squameux, squamosus, non qu’effectivement ceux qu’ils ont vûs eussent des écailles ; mais c’est qu’ils étoient tout articulez & c’est ce qu’il faut entendre par le mot squamosus, dont ils se servent. Aussi Thaddæus Dunus, en décrivant cette même sorte de ver, dit qu’il est squameux, ou plûtôt, continuë-t-il, tout articulé, squamosus nisi rectiùs geniculatus dicatur.

[66]Mercurialis prétend que le ver plat n’est point un ver, mais seulement une apparence de ver, sed quidpiaml animal referens : Il est facile de voir combien cet Auteur s’est trompé, puisque le ver, dont parle Lusitanus, & le nôtre, ont une tête, qu’ils sont sortis vivans, que nous avons vû ce dernier faire de grands mouvemens, & que plusieurs Auteurs parlent de vers semblables, qu’ils attestent avoir vû remuer.

Gabucinus fait mention d’un ver de cette sorte[67], qui vécut un jour entier dans un chaudron plein d’eau ; & Spigelius rapporte qu’en 1608. au mois d’Août, une Dame Allemande ayant mangé à son souper d’une salade de laituë, fut saisie d’un frisson violent, suivy de fiévre, & d’une grande colique : Que comme la malade se pressoit le ventre avec les mains, à cause de la force du mal, il luy survint un cours de ventre, qui avec quantité d’eau & de bile, entraîna un morceau de ver plat, long de cinq coudées. La malade avoit auprés d’elle une sœur, qui craignant que ce ne fût une portion des intestins, au lieu de tirer le ver tout-à-fait, le voulut faire rentrer, & à force de le manier le rompit ; le bout, qui sortoit, se retira dans le corps : on jetta sur le carreau ce qui s’étoit detaché, & aussitôt ce morceau de ver se tourna en plusieurs figures spirales ; ensuite on le jetta dans de l’eau, où il se mit en cercle, & ne remua plus. Mouvemens qu’il n’auroit pû faire sans doute, s’il n’eût été animé.

On pourroit dire que Mercurialis ne parle que du Tænia ordinaire, quand il dit que le ver plat n’est pas un animal ; mais il se sert d’une autorité d’Hippocrate, par laquelle on void évidemment qu’il entend parler de celuy dont le même Hippocrate fait mention au de Livre des Maladies, qui est celuy que nous appelions Solium, lequel est veritablement animé : ce prétendu ver, écrit Mercurialis, n’est point un animal, mais quelque chose qui y ressemble, & comme l’a dit Hippocrate, poursuit-il, une matiere née dans les intestins, laquelle represente en quelque façon la figure d’un animal.

Cet Auteur fait voir par ces paroles, bien peu de fidelité dans sa citation. Hippocrate ne dit point que c’est une matiere qui ressemble à un animal, mais au contraire que c’est un animal qui ressemble à une peau blanche, qui se seroit separée des intestins : ce qui est bien different[68]. Hippocrate appelle même ce ver un animal d’une grandeur extraordinaire, tanta magnitudinis animal, après quoy il dit qu’il ressemble à une peau blanche, qui se seroit détachée des intestins. Expliquant ensuite comment ce même ver peut se former dans le fœtus au ventre de la mere, il dit que lorsque le lait & le sang de la mere viennent à se corrompre, pour être trop abondans, la partie douce de ce lait & de ce sang, venant à se convertir en pus, il s’y produit un animal, animal isthic generatur. On peut voir par-là comme il ne faut pas toujours s’en fier sur la parole de ceux qui citent Hippocrate. Chacun veut l’avoir pour soy, & comme si c’étoit un crime d’avoüer qu’on est d’un autre sentiment que luy ; on aime souvent mieux luy imputer ce qu’il n’a jamais écrit. Je dis ceci, parce que Mercurialis n’est pas le seul Auteur, qui en ait usé de la sorte.

Spigelius & Sennert pensent mieux sur ce sujet que Mercurialis, qui[69], pour le remarquer en passant, se contredit visiblement quelques Chapitres aprés. « On ne sçauroit douter, dit Sennert[70], que cette sorte de Tænia ne soit un animal, cela paroît par son mouvement, qui quoique plus lent, dit il, que celuy des Lumbrics ordinaires, ne laisse pas d’être un veritable mouvement, ainsi que l’ont observé plusieurs Auteurs » : On a vû même ce ver s’être mis quelquefois tout en une boule, étant chassé par quelque medicament, & c’est sans doute en faveur de ce mouvement, que la nature luy a donné ces incisions, ces nœuds, & ces interstices, par lesquels il est distingué en travers à la maniere des autres insectes, & que certaines personnes se sont imaginées être des vers cucurbitaires. Hippocrate a remarqué le mouvement de ce ver : si on traite, dit-il, un malade qui ait ce ver plat, & qu’on luy donne quelque medicament, pour l’en delivrer, le ver se met quelquefois en rond, & sort tout en une boule, après quoy le malade recouvre la santé[71]. Schenchius dans le troisiéme Livre de ses Observations au Traité des Lumbrics, dit en avoir vû un encore tout palpitant, qu’une Dame venoit de rendre par la bouche, lequel étoit ainsi tout en une boule ; il ajoûte qu’on développa ce ver, & qu’il fut trouvé de trois aulnes de long.

J’ay dit dans le commencement de ce Chapitre, que les vers longs & ronds s’engendroient quelquefois dans l’estomach ; il y a cependant des Medecins qui prétendent qu’il ne s’engendre jamais de vers dans l’estomach, s’appuyant sur l’autorité de Galien, lequel parlant des differentes maladies, qui attaquent les differentes parties du corps, ne donne d’autre lieu aux vers pour leur demeure, que les intestins. Il y a, dit-il, des maladies affectées à chaque partie, comme la pierre aux reins & à la vessie[72], la cataracte aux yeux, & les lumbrics aux intestins. Mais on peut entendre par intestins tout ce conduit, qui ne fait qu’un corps continu depuis la bouche jusqu’à l’anus, & ainsi avancer qu’il s’engendre des vers dans l’estomach, sans nier pour cela ce que dit Galien.

Cependant si l’on ne veut pas s’accommoder de cette explication, & qu’il soit vray que Galien n’ait prétendu parler que de la portion de ce conduit, laquelle va depuis l’estomach jusqu’à l’anus, & qui s’appelle proprement du nom d’intestins, il est à croire qu’il s’est expliqué de la sorte, parce que c’est dans les intestins que les vers s’engendrent plus ordinairement ; ce qui suffit, pour pouvoir parler comme il a fait, car enfin jamais Galien n’a pensé qu’il ne s’engendrât des vers que dans les intestins, & il faudroit n’avoir jamais lû cet Auteur, pour luy attribuer cette erreur. Je ne pretends pas supposer que Galien soit infaillible, il s’est trompé quelquefois, mais cela suffit-il pour le condamner, sans examiner ce qu’il a dit ? Les Medecins Scholastiques font une distinction des vers & des lumbrics, pour répondre à ce passage de Galien, en disant qu’il n’y a que les lumbrics qui s’engendrent dans les intestins, & que c’est de ceux là, dont Galien a prétendu parler ; mais cette reponse est une chicane d’école, qui n’est bonne que sur les bancs, où l’on a la mauvaise coûtume de se mettre plus en peine de parler que de raisonner.

Quelques-uns de ceux qui croyent qu’il ne s’engendre pas de vers dans l’estomach, disent que c’est que dans l’estomach il n’y a point de matiere propre à la nourriture des vers ; mais je leur demande si celle des intestins y est plus propre, mêlée comme elle est du fiel qui sort du foye. C’est que, ajoûtent-ils, il y a dans le ventricule un acide, qui doit empêcher qu’il ne s’y produise des vers : je les prie de me dire si dans le vinaigre, qui est si acide, il ne s’y en engendre pas : mais ce qui doit terminer la question, c’est l’experience ; or, l’experience fait voir qu’il produit des vers dans l’estomach ; car on y en a découvert tres-souvent en ouvrant des corps, & cela avec des circonstances, qui ne permettent pas de douter qu’ils n’y eussent été engendrez[73]. Je me souviens d’en avoir trouvé un grand nombre de tres-petits dans l’estomach d’un chien, sans qu’on pût soupçonner qu’ils y fussent monté des intestins, ces vers étant cachez sous une membrane, qu’il nous fallut percer, pour les y découvrir. Ce qui me fait souvenir de ce que rapporte Kerckring, qu’en dissequant un fœtus de six mois & demi, qui avoit l’estomach trois fois plus gros, que les fœtus de cet âge ne l’ont ordinairement, il trouva dans cet estomach une membrane, dans laquelle étoient des vers, semblables à ceux que les enfans ont coûtume d’avoir[74].

Crafftius[75] rapporte sur ce sujet l’Histoire d’un enfant, laquelle merite quelque attention. Un enfant de douze ans dans la Ville de Montpelier, fort sujet aux vers, mourut, dit-il, avec une tumeur au dessus du pubis ; nous ouvrîmes le corps de cet enfant, & nous découvrîmes que cette tumeur croit causée par un amas d’alimens non digerez, mêlez de quelques vers ; ayant vû cela, & craignant que l’estomach ne fût endommagé, nous en fîmes l’ouverture ; nous y trouvâmes des pelotons de petits vers, & au côté gauche, prés du fond, un trou à passer le doigt, que ces vers avoient fait, & par lequel une partie des alimens, avant que d’être digerez, & quelques-uns de ces vers, étoient tombez vers la région du pubis, où ils avoient causé cette tumeur ; car nous visitâmes les intestins, que nous trouvâmes sains & entiers. Je passe plusieurs autres exemples, de peur d’être trop long sur un sujet, que je n’ay dû traiter qu’en passant. Venons à présent aux differentes formes que prennent les vers dans le corps de l’homme.


Article III.

Des differentes formes que prennent les Vers.



LEs Vers, qui s’engendrent dans le corps de l’homme, tant ceux des intestins, que ceux qui viennent aux autres parties, prennent souvent des figures monstrueuses en vieillissant ; les uns deviennent comme des grenoüilles, les autres comme des scorpions, les autres comme des lezards ; aux uns il pousse des cornes, aux autres il vient une queuë fourchue, aux autres une espece de bec, comme à des oiseaux, d’autres se couvrent de poils, & deviennent tout velus, d’autres se couvrent d’écailles, & ressemblent à des serpens. Divers Auteurs rapportent des exemples de ces vers monstrueux, comme Vuierus[76], Montuus[77], Rulandus[78], Gabucinus[79], Monardus[80], Benivenius[81], Rhodius[82], Panarolus[83], Marcellus-Donatus[84], Gesner[85], Dodonée[86], Hollier[87], Borel, &c : Cornelius Gemma entr’autres parle d’une fille de quinze ans, qui en rendit un comme une anguille, à cela prés qu’il avoit la queuë panachée, & toute veluë ; on en void la figure dans Aldrovandus à la page 764. de son Livre des Insectes. Nous l’avons mise icy fig. 11.

Ces sortes de vers monstrueux se divisent en dix classes, sçavoir, les grenoüilles, les lezards, les serpens, les anguilles, les vers à queuë fourchuë, ceux à cent pieds, les escarbots, les chenilles, & les scorpions. Non que ces vers soient effectivement des scorpions, des grenoüilles, &c. mais c’est qu’ils ont une apparence, qui les fait ressembler à ces animaux. Or toutes ces differentes figures, ainsi que je le viens de dire, leur arrivent quand ils vieillissent ; & comme la barbe ne sort à l’homme qu’à un certain âge, que les cornes ne poussent à plusieurs animaux que quelque tems aprés leur naissance, que les fourmis prennent des aîles avec le tems, que les vieilles chenilles se changent en papillons, que le ver à soye subit un grand nombre de changemens que tout le monde connoît. Il n’y a pas lieu de s’étonner que les vers du corps de l’homme puissent prendre en vieillissant toutes ces figures extraordinaires qu’on y remarque quelquefois. Je ne parle point ici des animaux, qui peuvent entrer par la bouche dans le corps. Ce n’est point de quoy il s’agit en cette occasion : Hippocrate rapporte l’exemple d’un jeune homme, qui[88], étant yvre, s’endormit, & dans la bouche duquel il entra pendant le sommeil un serpent, qui alla jusques dans l’estomach, & qui le fit mourir avec de grandes convulsions. On trouve plusieurs faits semblables dans les Livres des Medecins ; mais je n’en rapporteray aucun ; cette matiere ne regardant point mon dessein, qui est de traiter seulement des vers qui s’engendrent au dedans de nous.

Quand les vers prennent ces differentes figures, cela n’arrive que par un simple accroissement de parties, qui rompent & forçent la peau, dont l’insecte est couvert, & que les Naturalistes appellent nymphe. Malpighi & Svammerdam ont été les premiers aprés André Libavius, qui ont rejetté la transformation chymerique de la chenille en papillon, & de quelques autres insectes semblables, & qui ont fait voir que toutes les parties du papillon étoient enfermées sous la nymphe de la chenille : En effet, le changement, qui arrive aux insectes, ne differe en rien de celuy des plantes & des fleurs, & l’insecte est renfermé dans la nymphe comme une fleur dans son bouton.

Ce que nous venons de dire peut servir à nous faire voir ce qu’il faut juger de certaines Histoires, qu’on nous fait d’animaux étranges, comme de serpens & de dragons engendrez du corps de l’homme, par exemple, de ce que nous lisons dans Plutarque[89], que les Gardes qui veilloient le corps de Cleomene attaché à la potence, virent un serpent qui sortoit de son corps, & qui faisoit plusieurs circonvolutions sur la tête du mort, & en couvroit tout le visage. Que Ptolomée, à qui la chose fut rapportée, s’étant imaginé que c’étoit un prodige, qui marquoit que le mort étoit cher aux Dieux, & d’une nature au dessus de celle des autres hommes ; les Sages, qui furent consultez, le tirerent de son erreur, en luy disant que comme les cadavres de certains animaux produisoient des guespes, d’autres des Escarbots, d’autres des Abeilles, de même le propre de celuy de l’homme étoit de produire quelquefois des serpens. Nous pouvons aussi juger de ce qu’on nous raconte de ces serpens, qui furent trouvez dans le tombeau de Charles Martel, & qui s’étoient engendrez de son corps ; ces animaux n’étant sans doute que de grands vers, qui avoient pris à la longue quelque apparence extraordinaire. Toutes les especes de vers, dont nous venons de faire le détail dans ce Chapitre, rendent l’homme sujet à diverses maladies. Nous allons examiner les effets dangereux qu’ils produisent.



  1. πυραυστὴς mot qui vient de πῦρ qui signifie feu & de αὔσσω, qui signifie ozer.
  2. Aristot. Histor. animal lib. 5. cap. 19. in fine.
  3. Plin Histor. natur. lib. ii. cap. 36.
  4. Journal des Sçavans de 1668.
  5. Obervat. 57. & 79.
  6. Forest. lib. 9 de variis capitis dolorib. observ. 2. inschol.
  7. App. Alex. cap. 5. de bell. Parth.
  8. Borell. observ. Medicoph. cent. 3. observ. 45.
  9. Fernel. pathol. lib. 5. cap. 7.
  10. Ambr. Par. liv. 20. chap. 3.
  11. Iatrolog. pentecost. 4. observ. 27.
  12. Observ. anatom. 19.
  13. Fernel pathol. de morb. intest.
  14. Brassav. commem. ad aptior. 47. lib. 4. Hipp.
  15. Avenzo. lib. 1. tract. ii. cap. 3.
  16. Asarhar. cap. 1. tractat. 13. pract.
  17. Thom. à Veiga comment. ad cap. 5. lib. 1. Galen. de Locis affect.
  18. Bauhin. de observ. propriis.
  19. Vidius junior lib. 7. cap. 1. de curatione memb.
  20. Schench. obser. medic. lib. 2. de corde.
  21. Rhod. cent. 3. observ. 6.
  22. Riolan Encheir. anat. p. 147.
  23. Etmul. Schroder. dilcid. phytolog. class. secundâ de aceto.
  24. Centur. 3. observ. 4.
  25. Tulp. observ. medic. lib. 2. cap. 4.
  26. Ambrois. Par. lib. 20. cap. 3.
  27. Tulp. observ. medic. lib. 2. cap. 5.
  28. Bald. Rons. in Epist.
  29. ἕλκος.
  30. φαγέω.
  31. Pet. Borell. Histor. observ. medicophysic. cent. 2. observ. 72.
  32. Schench. observ. medic. lib. 5. de phririasi observ. 8.
  33. Kusner. cap. 12. append. ad lib. Leonelli favent. de morb. pueror.
    Schench. ibid. ac supra.
    Montuus de infant. febrib.
    Ambros. par. lib. 7. cap. 21. Chirurg.
    Hieron. Reusner. in disput. medicâ habitâ Basileæ anno 1582
    Etmul. de morb. infant.
    Borell. histor. & observ. medicophys. cent. 1. observ. 8.
  34. Petr. Borell. ibid. ut supra.
  35. ἀκάρος quod præ exiguitate dividi non potest.
  36. Paul. Æginet. lib. 4. cap. 58.
  37. Lineæ contortæ modo. Amat. Lusit.
  38. Avicen. fen. 3. lib. 4.
  39. Amb. Par. liv. 8. cap. 13. des tumeurs en particulier.
  40. Schench. observ. medic. lib. 5. de phtyrias. obser. 6. in fine.
  41. Etmul. de morb. infant.
  42. Sennert. lib. 3. part. 1. de morb. ab lomb. cap. 4.
  43. Bringg. in Epistolâ observ. D. Philippi Hoecsteri decadi 6. annexâ.
  44. Sennert. lib. 3. part. 10. cap. 4.
  45. Apud Sennert. lib. 3. part. 10. cap. 4.
  46. Forest. lib. 21. observ. 26. in schol.
  47. Etmul. de morb. infant.
  48. ἀσκαρίζω salio, tripudio.
  49. Senn. lib. 3. part. 2. sect. 1.
  50. Vide Forest. lib. 21. observ. 36. de intestinor. affect.
  51. Hipp. lib. 4. de morb.
  52. Arist. Hist. animal. lib. 5. cap. 19.
  53. Hartm. pract. chym. p. 201.
  54. Guilhelm. Fabric. centur. 2. observ. 72.
  55. Spigel. cap. 10. de lumb. lato.
  56. Neque enim ab uno animali tot pulli generari possunt. Hipp. lib. 4. de morb. art. 27.
  57. Fernel. de morb. intestinor. patholog. lib. 6. cap. 10.

    Perdulc. univers. medic. lib. 13. cap. 21.

  58. Aldrovand. lib. 6. de insect. cap. 2. art. 2.
  59. Spigel. de lumb. lato. cap. 3.
  60. Sennert. lib. 3. part. 2. sect. 1. cap. 5.
  61. Amat. Lusit. curat. medicin. cent. 6. curat. 74.
  62. Rondel. lib. dignosc. morb. cap. 17.
  63. Thadd. Dunus. cap. 15. Miscell. medic.
  64. Gesner. lib. 3. Epist. ad fabric.
  65. Plin. Hist. natur. lib. ii. cap. 33.
  66. Mercur. lib. 3. de morb. pueror. cap. 1.
  67. Gabuc. cap. 3. comment. de lumb.
  68. Hip. lib. 4. de morb. art. 27.
  69. Mercurial. lib. 3. de morb. pueror. cap. 7 de different. lumbr.
  70. Sennert. lib. 3. part. 2. sect. 1. cap. 5.
  71. ἐξέρκεται ὄλη στρογγύλη γενομένη ὥσπερ σφαῖρα. Hipp. lib. 4. de morb. art. 27.
  72. Galen. 1. de Locis affect. cap. 5.
  73. Petr. Aponens. disser. 101. conciliat.
  74. Observ. Anatom. 79.
  75. Apud Guillelm. Fabric. cent. 2. observ. 71.
  76. Vuierus lib. 4. cap. 16. de præst. Dæm.
  77. Montuus lib. 4. cap. 19. anat. morb.
  78. Gemma lib. 2. cap. 2. cosmocris.
  79. Gabucin. Comment. de Lumbr. cap. 13.
  80. Monard. lib. 3. de simplic. medicam. ex novo orbo delat.
  81. Beniven. de abditis cap. 2.
  82. Rhod. cent. 3. observ. 19.
  83. Panar. pentecost. 5. observ. 13.
  84. Marcell. Donat. Hist. mirab. lib. 4. cap. 26.
  85. Gesn. lib. 8. Epist. p. 94
  86. Dodon. annot. ad cap. 58.
  87. Hollierus lib. 1. de morb. inter cap. 1.
  88. Hipp. morb. epidem. lib. 5. art. 6.
  89. Plutar. in Cleom.