De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 02


Chapitre II.

Comment s’engendrent les Vers
dans le corps de l’homme.



Les Vers s’engendrent dans le corps de l’homme, & dans celuy des autres animaux, par le moyen d’une semence qui y est entrée, & dans laquelle ils sont renfermez. Car tous les animaux, comme nous le dirons plus bas, s’engendrent d’une semence qui les contient, & le Ciron même tout petit qu’il est, sort tout parfait de son œuf, après quoy il croît insensiblement : il s’agit d’expliquer comment cette semence peut être portée dans le corps de l’homme ; mais si l’on considere les œufs des chenilles, des mouches, & des autres petits insectes, avec le nombre presque infini de ces petits animaux que les Microscopes nous découvrent dans les liqueurs, & generalement dans tous les corps, on reconnoîtra aisément qu’il n’y a rien dans la nature où les semences des Insectes ne se puissent insinuer, & qu’il en peut entrer une grande quantité dans le corps de l’homme, aussi-bien que dans celuy des autres animaux par le moyen de l’air & des alimens. Or comme la chaleur suffit pour faire éclorre les Vers contenus dans ces œufs, quand ces mêmes œufs rencontrent une matiere convenable, il est facile de comprendre qu’il en peut éclorre dans le corps de l’homme de diverses especes selon les diverses matieres qui s’y trouvent, ces œufs étant comme les graines des végétaux dont les unes germent dans de certaines terres, & les autres dans d’autres. Ensorte qu’un homme dont le corps abondera en une certaine humeur, fera éclorre des Vers d’une certaine sorte, celuy dont le corps abondera en une autre humeur en fera éclorre d’une autre sorte ; & celuy enfin en qui il n’y aura aucune humeur propre pour les œufs des vers, n’en fera éclorre aucun & sera exempt de Vers, semblable à une terre qui n’étant pas propre pour certains grains, en pourra être toute semée sans qu’il en pousse aucun.

Quelques Philosophes pretendent que les Vers, & plusieurs autres insectes s’engendrent de la seule corruption par une combinaison fortuite de matiere sans aucune semence. Mais si ces Philosophes pouvoient m’expliquer deux choses, l’une comment le desordre du hazard peut arranger avec tant d’ordre les parties organiques d’un animal, & l’autre d’où vient qu’on ne void s’engendrer aucune espece nouvelle d’insectes, comme cela devroit arriver dans leur systeme, je trouverois leur opinion supportable.

La terre dira-t’on produit bien des rats par la seule corruption de la matiere, puisque Diodore de Sicile rapporte que dans la Thebaïde on en a trouvé quelquefois d’imparfaits, où on ne voyoit qu’une moitié d’animal & une autre moitié de terre, & que néanmoins ce demi animal se remuoit ; je repons à cela que si l’Historien qui rapporte ce fait avoit eu quelque teinture d’anatomie, & qu’il eust veu une seule dissection du corps de l’animal, il eust compris aisément que cette generation étoit impossible & qu’avant que l’animal puisse mouvoir ou sa tête ou ses pieds, il faut necessairement que son corps soit, sinon parfait, du moins achevé. Car on sçait bien qu’il y a des corps imparfaits qui viennent au monde manquant de quelque partie, & qui ne laissent pas de vivre & de se mouvoir : on void des hommes sans bras, d’autres sans pieds, d’autres sans doigts à la main, on void des chiens n’avoir que deux pates ; mais comme ces corps sont ainsi de naissance, je dis qu’ils sont achevez & non parfaits.

Ce qu’on allegue vulgairement des grenoüilles, qu’elles se produisent souvent de la pluye, & des macreuses qu’elles s’engendrent du bois pourri des vieux vaisseaux, seroit favorable à ces Philosophes s’il étoit vray. Il tombe quelquesfois de petites grenoüilles avec la pluye, lorsqu’il fait de l’orage, mais il ne s’ensuit pas qu’elles soient engendrées de la pluye, la tempeste enleve ces grenoüilles nouvellement écloses, & la pluye mêlée avec la poussiere, leur servant de pourriture, les grossit, les enfle, & les augmente aussi promptement que des champignons ; en sorte que les voyageurs sont quelquefois tout surpris d’en trouver sur leurs chapeaux, lesquelles croissent comme à veuë d’œil, il arrive même quelquefois qu’ils ne découvrent d’abord qu’une grenoüille imparfaite, à laquelle un moment aprés paroissent des jambes, ce qui fait croire à quelques uns que la grenoüille s’engendre véritablement de la pluye. Mais il faut sçavoir que ces jambes sont déjà renfermées dans la grenouille, & que quand elles paroissent, ce n’est qu’un développement qui se fait de ce qui étoit caché, les jambes des grenoüilles croissant & poussant au dehors de même que les boutons de fleurs, hors de leurs tiges, ainsi que l’a remarqué Svvammerdam, ce qui est conforme à ce que dit Jacobœus dans ses observations sur les grenoüilles, que cet animal ne paroît d’abord qu’une teste & qu’une queuë.

Quant aux macreuses, on a cru qu’elles s’engendroient de l’écume de la Mer, ou des planches pourries des Vaisseaux ausquels on les a trouvé attachées par le bec, d’où elles se détachoient ensuite lorsqu’elles étoient bien formées, mais elles viennent d’un œuf couvé comme les autres oyseaux, ainsi que l’a fait voir M. Childeré dans son livre des merveilles d’Angleterre.

Cela supposé, je dis que les semences de tous les animaux ont été créées par le premier Estre & mises dans les premiers individus des Especes ; en sorte qu’au moment que ce premier Estre commanda à la terre de produire toutes sortes de reptiles & d’animaux, chaque animal reçût de quoy se multiplier, comme les plantes dont l’Ecriture dit en termes exprés : que Dieu ordonna à la terre de produire de l’herbe & des arbres qui renfermassent chacun leur semence en eux-mêmes pour se reproduire[1]. Il faut remarquer que cette semence des animaux contient en raccourci l’animal qui en doit sortir, & les Microscopes nous l’y decouvrent quelquefois tout formé. On peut voir là-dessus les observations curieuses du celebre M. Hartsocker Mathematicien d’Amsterdam, dans le Journal des Sçavans, de l’année 1678. & les lettres d’Antoine de Levvenhoek. Chaque semence des plantes contient de même en abrégé la plante qui en doit venir, & à l’indéfini toutes celles qui en peuvent naître.

Nous remarquerons icy que les semences dont nous parlons peuvent être considerées selon leurs entitez & selon leurs diversitez. Selon leurs entitez, le nombre en est infini, ce qui fait qu’il se produit tous les jours en chaque espece tant d’individus nouveaux. Selon leurs diversitez, elles sont bornées à un certain nombre, ce qui est cause qu’il ne s’engendre aucune espece nouvelle d’animaux, ni de plantes, ni d’aucune autre chose.

Lucrece a reconnu luy-même la necessité d’admettre les semences, pour expliquer cette constance de la nature dans ses productions : Ne[2] croyez-pas, dit-il, que toutes choses se puissent combiner en toute maniere ; si cela étoit, il se feroit tous les jours des generations bizarres qui ne se font point ; on verroit communément paroître des monstres moitié hommes & moitié brutes : on verroit des branches d’arbre naître au corps des animaux, des membres de poissons s’unir avec des membres d’animaux terrestres, & des chymeres ravager les campagnes par les feux qu’elles vomiroient. Que s’il n’arrive rien de tel, poursuit ce Philosophe, il faut necessairement avoüer que c’est que toutes choses naissent de certaines semences qui les fixent, & qu’il y a en tout cela une cause determinante qui ne peut varier. Cette cause n’est autre chose, selon le même Lucrece[3], que les semences mêmes qu’on doit regarder comme autant de formes inalterables limitées dans le nombre de leurs differences, & sans limites dans celuy de leurs individus, lesquelles demeurent[4] cachées dans tous les êtres, & sont, dit-il, comme autant de sceaux & de caracteres invariables d’où viennent toutes les figures differentes qui constituent les especes.

Chaque animal a donc en soy une matiere propre à produire son semblable, soit par l’accouplement, soit sans accouplement, cette matiere multiplie plus ou moins, selon la nature du lieu où l’animal se rencontre, les insectes par exemple se trouvant dans un lieu propre à leur nourriture y déposent quantité d’œufs, ces œufs produisent d’autres insectes, ces insectes d’autres œufs, & toûjours ainsi jusqu’à l’infini. Or comme ces œufs sont fort petits & fort legers, il est facile de juger qu’ils peuvent être épars dans l’air, dans l’eau & sur la terre, par le moyen des vents & des pluyes, & que se conservant de la même maniere dont se conservent les graines des plantes, ils se reveillent aussi-tôt qu’ils trouvent une chaleur & une matiere convenables. Il s’ensuit que ces œufs peuvent s’introduire souvent dans les mixtes, qu’ils peuvent entrer dans les fruits, non seulement par dehors, mais avec le suc que la plante tire de la terre, & c’est par ce moyen qu’on peut expliquer d’où vient qu’on void des Vers dans certains fruits, sans qu’il paroisse dans ces fruits aucune trace, ni dehors, ni dedans, par où ces Vers ayent passé. Il s’ensuit de la même raison que ces œufs peuvent venir dans nôtre corps avec les alimens que nous prenons, & avec l’air que nous respirons. Ces semences étant ainsi mêlées par tout, ou produisent, ou se conservent, ou se détruisent selon que le lieu où elles sont, leur est ou propre, ou indifferent, ou contraire.

Quand l’insecte sort de l’œuf, il est d’abord imperceptible & se nourrit de la matiere du mixte dans lequel il vient d’éclorre, mais il ne s’en nourrit qu’autant que l’action vitale du mixte est foible & languissante : en sorte que lorsqu’il y a plus de substance alimenteuse que le mixte vegetal n’en peut transmuer, il faut necessairement que le superflus cede au moindre agent étranger. L’insecte est cet agent, il consume ce superflus où il ne trouve nulle resistance, & pour le remarquer en passant, empêche par là que le mixte ne se détruise aussi promptement qu’il feroit si le superflus n’en étoit enlevé : car si la matiere surabondante croupissoit en attendant que la chaleur vitale vinst à l’assujettir & à la transmuer, il est hors de doute qu’il se feroit une fermentation étrangere & maligne qui par le levain de cette matiere inutile infecteroit toute la masse.

Ce que nous venons de remarquer sur la generation des Insectes dans les vegetaux, nous doit faire comprendre comment les Vers s’engendrent & prennent nourriture dans le corps de l’homme. Car il suffit d’observer que lorsque la chaleur vitale du corps vient à être trop foible pour chasser ce qu’il y a de superflus ou d’impur dans les humeurs, s’il se trouve alors dans ce superflus, ou dans cet impur quelque semence vermineuse propre à être reveillée & fomentée par la matière superfluë & impure, le Ver contenu dans cette semence ne manque pas d’éclorre & de croître insensiblement par le moyen de la nourriture qu’il trouve, & puis de deposer dans la même matiere impure des œufs de son espece qui deviennent feconds comme les premiers. Cette matiere peut être si impure par sa superfluité que cet impur venant à être poussé à la circonférence par le moyen des sueurs & ne trouvant pas une issue assez libre, il se reveille entre chair & cuir des semences vermineuses qui produisent des Vers sous la peau, lesquels s’engagent quelquefois dans les chairs & sortent de differens endroits du corps comme d’un cadavre ainsi qu’il arriva à[5] Antiochus. Quelquefois cette matière corrompuë, ne pouvant s’échapper, en fait éclorre dans le sang, en sorte qu’on en void sortir par les saignées, comme nous le remarquerons ailleurs.

Les petites semences des Insectes ne s’insinuent pas seulement par le moyen de l’air & des alimens, elles entrent encore tres-souvent dans les chairs par dehors, & s’y arrêtent d’autant plus facilement qu’elles sont fort subtiles, & qu’en comparaison de leur subtilité la plus fine peau du corps est tres-grossiere. Ajoutons à cela que cette peau est remplie de cavitez, dont les unes sont pleines de sueur, les autres de petites écailles, & toutes plantées d’un petit poil : ce qui fait que ces semences s’y engagent aisément, & qu’elles y produisent de petits animaux, qui rongeant les cellules étroites dans lesquelles ils sont éclos, ouvrent les vaisseaux imperceptibles epars sur la peau, & par cette erosion font extravazer la liqueur contenuë dans ces mêmes vaisseaux, laquelle se change en pus, & forme plusieurs petites galles sous lesquelles ils se tiennent couverts. C’est ainsi que les cirons & plusieurs autres sortes d’animaux s’engagent dans la chair, l’experience le fait voir en ceux qui manient long-temps des hanetons ou des vers à soye, car ils ne manquent pas d’avoir bien-tost de la galle, parce que ces insectes aussi-bien que tous les autres sont chargez de la semence de plusieurs autres insectes moindres qu’eux, laquelle ils déposent dans la main qui les touche. Et comment ne seroient-ils pas chargez de ces semences puisqu’ils sont tous couverts d’animaux imperceptibles qui les rongent ? ainsi qu’on le remarque dans l’escarbot licorne sur lequel le microscope nous découvre une infinité de petits pous. Nous voyons la même chose en plusieurs autres insectes, lesquels sont tout occupez à se débarrasser d’une vermine importune qui les dévore : comme la mouche, par exemple qui netoye continuellement ses ailes & ses pieds & qui s’épluche incessamment ; car si on la regarde avec le microscope on y découvre souvent divers animaux qui la sucçent, & ces animaux sont sans doute encore sucçez par d’autres, & ces autres par d’autres, selon qu’il y a de matiere corrompue en chacun d’eux pour nourrir quelque autre espece d’animal dont la semence s’y puisse arrêter.

Qu’on n’objecte pas que comme on void des Vers de differentes especes dans les sujets differens dont ils se nourrissant, il y a lieu de croire que ces Vers tirent leur premiere origine de la matiere même dans laquelle on les void, car c’est une difficulté que nous avons déja prévenuë, en disant qu’il en est des semences des Vers comme des graines des plantes, dont les unes ne peuvent pousser qu’en certaines terres, & les autres dans d’autres. Ainsi les Vers qui mangent les poids sont differens de ceux qui mangent les cerises, & la vermine des brebis differente de celle des oyseaux, parce qu’il y a dans chacun de ces sujets une matiere propre à faire éclorre une telle espece de Vers, & non une autre. Qu’on ne dise point que la quantité extraordinaire des Vers qui se trouvent dans certaines choses pourries, fait voir évidemment qu’il n’y a point d’autre semence de ces Vers que la matiere même où ils sont nez laquelle se transforme en ces animaux ; car il arrive icy à l’égard de ces insectes, ce qui arrive a l’égard des troupeaux : où sont les bons paturages là se trouvent des bœufs & des brebis en abondance. Mais comment concevoir, dira-t’on, qu’il puisse se former par autant de semences un nombre aussi extraordinaire d’Insectes qu’il en sort de la chair corrompuë de certains animaux, comme, par exemple, une quantité aussi prodigieuse d’escarbots & de grosses mouches qu’il s’en produit à la campagne dans la fiente des vaches, dans celle des brebis, des mulets & des ânes ? je reponds à cela que les herbes étant toutes couvertes de petits insectes & d’œufs d’insectes, les bœufs & les vaches en broutant se remplissent de ces semences. Cela supposé, je dis que ces semences étant differentes dans leurs especes & par consequent dans leurs figures & dans leurs masses, celles qui ont plus de legereté & dont la figure est proportionée aux conduits par lesquels doit entrer le suc nourricier de ces animaux, sont portées dans les chairs, où elles se conservent quelque tems, toutes prêtes à produire ce qu’elles contiennent, si-tost que l’animal mort sera corrompu : & celles qui ont trop de masse, ou dont la figure n’a pas de proportion avec ces conduits, sont rejettées avec les excremens, & poussent ensuite leurs Vers de la mesme maniere que nous voyons dans le fumier les grains d’orge & d’avoine, sortis du ventre du cheval, pousser l’herbe qu’ils contenoient.

Ajoutons à cela que les mouches venant à se poser sur cette chair & sur cette fiente peuvent encore y laisser plusieurs œufs propres à y produire diverses sortes d’animaux ; car c’est quelque chose d’incroyable que la quantité d’œufs que font les mouches. La femelle des abeilles, que l’on appelle le Roy, en jette plus de six mille par an ; Jean de Hoorn fameux Anatomiste a fait plusieurs observations curieuses sur ce sujet.

On remarque que la poudre de vipere se remplit de Vers, quand elle a été gardée quelque tems, en sorte qu’on est obligé, pour la conserver, de la réduire en paste, avec une suffisante quantité de mucilage de gomme adragant, & d’en former des trochisques qu’on fait secher au Soleil, pour les pulveriser selon le besoin. Ce fait n’est pas plus contraire à nôtre sentiment, que les autres que nous avons rapportez, rien n’empêchant de penser que ces Vers se produisent dans la poudre de vipere par des semences qui étoient engagées dans la chair de la vipere lorsque l’animal vivoit ; cela conformément à l’explication que nous venons de donner sur les insectes qu’on void naître du cadavre des autres animaux. Monsieur Rédi prétend que si l’on enferme dans un vaisseau bien bouché de la chair fraiche, ou quelqu’une des autres choses où il vient ordinairement des Vers, il n’y en naîtra aucun ; d’où l’on conclud que ces Vers ne s’engendrent que par des semences qu’y laissent les mouches en se posant dessus. L’Experience qu’apporte M. Rédi ne réussit pas toûjours, & il arrive tres souvent que quelque bouché que soit le vaisseau où l’on a mis un morceau de chair fraiche, les Vers s’y mettent sans qu’on puisse soupçonner qu’il y soit entré aucune mouche ; c’est ce qu’on peut éprouver dans une bouteille de verre. D’ailleurs la poudre de vipere que l’on conserve toujours fermée, se remplit de Vers, si l’on n’a pas soin d’aporter les précautions que nous avons dites ; d’où il s’ensuit que pour expliquer la generation des Vers qui naissent de la chair morte des animaux, il est plus naturel de recourir à des semences qu’on y suppose entrées dés le vivant de l’animal, sans nier cependant que les mouches n’y en puissent apporter de nouvelles, si elles se posent dessus.

En voilà assez sur la production des Vers en general, voyons à présent en particulier comment selon les principes que nous avons posez, le Ver qui est sorti du corps de nôtre malade a pû s’y produire.

Il suffit pour comprendre la production de ce Ver, de supposer que le malade ait beu ou mangé quelque chose en quoy la semence de cet insecte fust renfermée, soit que le Ver qui aura jetté cette semence ait vêcu dans le corps d’un autre homme, ou ailleurs ; soit qu’il ait été aussi long, ou qu’il l’ait été moins, tant pour n’avoir pas encore achevé son accroissement faute de tems, que pour ne l’avoir pû, faute de nourriture ; car comme il est des animaux qui ne passent pas une certaine mesure, il en est d’autres qui croissent toûjours selon l’abondance & la qualité de la nourriture qu’ils trouvent, c’est pour cela que l’on void des mouches presque aussi grosses que des annetons, & que les Vers presque imperceptibles qui sont dans les bouteilles de vinaigre, deviennent beaucoup plus longs & plus gros dans les tonneaux des vinaigriers : je dis donc que pour la generation de ce Ver, il a suffi que le malade ait avalé quelque chose, en quoy fût la semence de cet insecte, & si l’on me demande comment cette semence pourroit se trouver dans les alimens, je repondray qu’il n’est pas plus difficile qu’elle s’y trouve que la semence d’une infinité d’autres Vers qui sont dans les fruits, dans le fromage, dans les herbes, &c. Cependant, pour ne point deffendre un sentiment qui a ses difficultez, ne pourroit-on point dire au cas que la semence de ce Ver ne soit pas entrée avec les alimens dans le corps du malade, qu’elle y est peut-être passée avec le sang du pere dés le temps de la conception : car comme on ne void nulle part soit dans la terre, ou dans l’eau, des Vers si longs, pour croire que les semences en puissent être étrangeres à l’homme, ne se pourroit-il pas bien faire que ces mêmes semences eussent été créées dans celle de l’homme, avec l’homme même, ainsi qu’on le peut penser de la semence des poux qui ne se trouvent qu’à l’homme & dont l’espèce se perdroit si celle de l’homme venoit à manquer[6] ; en sorte que ce Ver ne se produit peut-être en nous, que parce qu’il a déjà sa semence toute créée dans la matière même qui produit l’homme, semblable à ces plantes[7] qui croissent sur d’autres de differente nature, & qu’on ne void jamais venir ailleurs, car il y a bien de l’apparence qu’elles ont leur semence renfermée dans celle des arbres mêmes où elles s’engendrent. La semence de ce Ver peut donc avoir été dans celle du fœtus. Je dis plus, le Ver même peut s’y être trouvé déjà tout éclos, car l’humeur que la nature separe dans tous les animaux pour servir à la propagation des especes, est toute remplie de Vers. Ce qui s’accorde avec le sentiment d’Hippocrate qui parlant du genre de Ver dont il s’agit, prétend qu’il est formé ordinairement dés le ventre de la Mere.

Lors donc que cet insecte a été introduit dans le corps, soit par les alimens ou de la maniere que nous venons de dire, il est à supposer qu’il y a rencontré toute la nourriture necessaire à son accroissement, & que par ce moyen, il est devenu de la longueur extraordinaire, dont nous l’avons trouvé. Peut-être même, que s’il ne se fût pas rompu, l’auroit-on veu de toute la longueur des intestins, qui est, selon[8]Hippocrate, la mesure qu’il a coutume d’avoir dans ceux qui ont atteint l’age de puberté, ou qui sont prés d’y entrer. Le même Hippocrate[9] ajoûte que quand ce Ver est parvenu à cette étenduë, il croit toûjours comme auparavant, ce qui favorise le sentiment de Pline[10] qui dit qu’on n’en a vû quelquefois de plus de trente piéds, & ce qui est confirmé par des exemples recens, encore plus extraordinaires, car M. Hartsoéker[11] m’a mandé d’Amsterdam, que M. Ruisch Professeur d’Anatomie dans cette Ville-là, lui en a fait voir deux, dont l’un avoit plus de 45. aulnes de France.

Nous pouvons observer ici que l’opinion d’Hippocrate, que ce Ver s’engendre souvent dés le ventre de la Mère, paroît très vray-semblable, en ce que l’on void des enfans nouveaux nez, en rendre de cette sorte, qui sont extrémement longs, & cela dés la premiere fois que ces enfans vont du ventre, ainsi que l’experience l’a fait voir plusieurs fois, & que l’a remarqué le même Hippocrate. Or il n’y a pas lieu de croire qu’un animal d’une grandeur si extraordinaire pût croître en aussi peu de tems qu’il le faudroit, pour sortir si long du corps d’un enfant nouveau né, sans y avoir été produit dés le ventre de la Mere ; c’est l’argument d’Hippocrate[12] & cela paroît tres-conforme à la raison. On a vû des enfans très jeunes en rendre, qui avoient plus de 4. aulnes de long, & Gaspard Vvolpius dans ses observations cite l’exemple d’une petite fille à la mammelle qui en rendit un de cette longueur, par le moyen d’un purgatif qu’il lui fit prendre à ce dessein.

[13]Sennert dit que ce Ver s’engendre dans l’homme, en toute sorte d’âge, il raporte pour le prouver, l’exemple d’une fille de 12. ans, d’une femme de 23. & d’un vieillard de 80. qui furent délivrez de Vers semblables, mais ce raisonnement fait voir seulement, que ce Ver se peut trouver en toute sorte d’âge, & non pas qu’il s’engendre à tout âge ; ce vieillard, par exemple, pouvant avoir apporté le sien en naissant, selon ce qu’écrit Hippocrate[14] que c’est un insecte qui souvent vieillit avec nous.

Nous remarquerons avant que de finir ce chapitre, que quand ce Ver est une fois sorti du corps, il ne s’y en rengendre plus de semblable, c’est le sentiment de Spigelius, & de tous les Medecins qui ont examiné avec soin la nature de cet insecte, dont nous alons considerer plus exactement l’espèce dans le Chapitre qui suit.


  1. Genes. lib. 1 cap.
  2. Non tamen omnimodis connecti posse putandum ’st
    omnia
    , &c. Lucret. de rerum natur. lib. 2. Carmin. 699.

  3. Primordia rerum, &c. Lucret. ibid. Carmin. 522.
  4. Invenies igitur multarum semina rerum.
    Corpore cœlare & varias cohibere figuras

    Lucret. ibid. Carmin. 675

  5. Machab. lib. 2. cap. vers. 9.
  6. Voyez la lettre de Mr. Hartsoéker à la fin du Livre.
  7. Le Gui.
  8. Lib. 4 de Morb.
  9. Hip. de Morb.
  10. Plin. lib. ii. cap. 33.
  11. Voyez la lettre de M. Hartsoéker à la fin de ce livre.
  12. Eodem lib. 4. de Morb.
  13. Sennert. pract. med. lib. 3. part. 2. cap. 5.
  14. Eod. lib. de Morb.