Ladvocat (p. 17-34).

ACTE II.



Scène PREMIÈRE.

ARSACE, PHARASMIN, gardes.
ARSACE.

Malgré l’ordre fatal qui vous avait banni,
Mes vœux sont couronnés : votre exil est fini.
Vous devez cette grâce aux soins d’Héliodore.
De quel brillant accueil la reine vous honore !
Sa bonté vous permet de paraître en ces lieux
Où sa main éleva ce monument pieux.

(Désignant le mausolée.)

D’un époux qu’elle pleure il renferme la cendre…

(Pharasmin, à part, se trouble.)

Elle veut, sans témoins, vous parler, vous entendre.
Des bienfaits de la reine et de votre avenir
Héliodore ici va vous entretenir.
Pharasmin ! demeurez.

(Il sort avec les gardes.)

Scène II.

PHARASMIN ou DÉMÉTRIUS seul.
DÉMÉTRIUS, après avoir regardé autour de lui.
(Contemplant le mausolée.)

Pharasmin ! demeurez. Érigé par le crime,
Ce monument impie insulte à ta victime.

Laodice ! tu plains ce prince infortuné !
Tu le pleures ! C’est toi qui l’as empoisonné !…
Où suis-je ?… Ciel vengeur ! aux yeux d’Héliodore,
Après m’avoir sauvé, tu me caches encore ?
À travers mille morts, jusque dans mes états,
Toi seul, des bords du Tibre, as dirigé mes pas ;
Pour m’affranchir enfin du joug de l’esclavage,
Toi seul a trompé Rome ; achève ton ouvrage !
À la reine abusée offre en moi Pharasmin,
Et mets, pour la frapper ta foudre dans ma main !…
Proscrit depuis quinze ans, je revois ma patrie !
Je sens naître la joie en mon âme attendrie.
Mais, hélas ! je regarde ; et mon œil étonné
À peine reconnaît ces lieux où je suis né.
Après tant de malheurs, je n’osais plus prétendre
À voir ces murs sacrés que du grand Alexandre
L’ami, le compagnon a bâtis de ses mains,
Et que respecte encor l’audace des Romains.
Dieux ! jusqu’à l’artifice il faut que je descende !
La vengeance le veut, et l’amour le commande.
Que dis-je ? Près de toi quand je suis parvenu,
Stratonice, tu meurs, si je suis reconnu !…

(Contemplant la statue.)

Mes pleurs, au seul aspect de l’image d’un père,
Ont failli de mon nom révéler le mystère.
De tes mânes plaintifs, ô mon père ! ô mon roi !
J’entends les cris vengeurs s’élever jusqu’à moi.
Ta couronne est au front de ton épouse impie ;
Ton sceptre est dans la main qui t’arracha la vie ;
De ses indignes fers ton fils est dégagé ;
Démétrius respire, et tu seras vengé !…
Cependant je verrais, à l’autel enchaînée,
Ma femme à mon rival unir sa destinée !
Séleucus !…

(Regardant au fond.)

Séleucus !… Ton bourreau vers moi porte ses pas.
Réprimons ma fureur ; ne nous découvrons pas !


Scène III.

HÉLIODORE, DÉMÉTRIUS.
HÉLIODORE.

Enfin, grâce au pouvoir dont sa faveur m’honore,
Laodice vous rend aux vœux d’Héliodore.
Sa confiance en vous est le fruit de mes soins.

DÉMÉTRIUS.

Que ne vous dois-je pas ? Quoi, seigneur ! sans témoins,
Près d’elle, en ce palais, votre reine m’appelle ?

HÉLIODORE.

Oui, prince ; elle a rendu justice à votre zèle.
Son époux trop long-temps méconnut votre foi.
La reine a réparé l’injustice du roi.
Elle sait que par vous le rebelle Tygrane,
Le fils de Nicanor, périt dans Ecbatane.
En vous récompensant elle fait son devoir.
Propice à ses desseins, utile à son pouvoir,
Votre arrivée ici change sa destinée.
Pharasmin ! la Discorde, à ses pieds enchaînée,
Frémit, et dans le sang ne peut plus se baigner.
Tranquille, triomphante et sûre de régner,
Laodice à son fils, sans crainte, sans partage,
De Démétrius mort peut léguer l’héritage.
D’un époux qu’elle aimait approuvant l’heureux choix,
La reine adopte enfin la nièce de nos rois.
Au temple, par son ordre, un pompeux sacrifice
Commencera bientôt l’hymen de Stratonice.

DÉMÉTRIUS, vivement et à part.
(Se reprenant, et affectant le calme.)

L’hymen de Stratonice !… Au fond de nos déserts,
Depuis quinze ans bannie, elle vit dans les fers ?

HÉLIODORE.

Elle est libre.

DÉMÉTRIUS.

Elle est libre. Elle doit bénir sa destinée !
Son père approuve-t-il cet heureux hyménée ?

HÉLIODORE.

Nicanor ? il aura le prix de ses refus.
L’ingrat reste fidèle à son roi qui n’est plus !…

(Démétrius, à part, témoigne sa joie.)

Cependant, insensible aux bontés de la reine,
Contre elle Stratonice écoute encor sa haine.
Jusqu’ici de son cœur le temps n’a pu bannir
De son Démétrius le fatal souvenir.
Elle a de le revoir conservé l’espérance…

(Joie excessive et à part de Démétrius.)

À Rome il fut loin d’elle enchaîné dès l’enfance.
Quinze ans elle a pleuré l’exil de son époux.
Elle ignore sa mort.

DÉMÉTRIUS.

Elle ignore sa mort. Qui l’en instruira ?

HÉLIODORE.

Elle ignore sa mort. Qui l’en instruira ? Vous !

DÉMÉTRIUS.

Moi ?

HÉLIODORE.

Moi ? Vous-même, seigneur ! la reine le désire.
Éclairez Stratonice, et gardez de lui dire
Que la victime, à Rome immolée en secret,
Par l’ordre de la reine a subi son arrêt.

DÉMÉTRIUS.

J’obéirai, seigneur !

HÉLIODORE.

J’obéirai, seigneur ! De cette obéissance
La reine vous réserve ici la récompense.
Mais avant tout, seigneur, il faut lui présenter
La lettre où le consul a pris soin d’attester
Qu’il vous a vu remplir votre important message.
Prince ! de votre foi cet écrit est le gage.

DÉMÉTRIUS.

Je le sais.

HÉLIODORE.

Je le sais. Il suffit.

DÉMÉTRIUS.

Je le sais. Il suffit. Stratonice à mes yeux
Consent-elle à paraître ?

HÉLIODORE, regardant au fond.

Consent-elle à paraître ? On l’amène en ces lieux.

DÉMÉTRIUS, à part, cachant son trouble.

Je la vois !

HÉLIODORE.

Je la vois ! Parlez-lui, seigneur ! en ma présence ;
Par un récit fidèle ôtez-lui l’espérance.
Faites qu’en oubliant un proscrit qui n’est plus,
Elle accepte aujourd’hui la main d’Antiochus.

DÉMÉTRIUS, à part.

Ciel !

(Héliodore va vers Stratonice qui entre. Démétrius reste seul sur l’avant-scène.)

Scène IV.

(Stratonice s’avance, précédée et suivie des gardes.)
HÉLIODORE, STRATONICE, DÉMÉTRIUS, gardes.
STRATONICE, en entrant, à Héliodore.

Oses-tu braver l’aspect de Stratonice ?
Le tourment de te voir est mon plus grand supplice.
Que vas-tu m’annoncer ? achève, hâte-toi ;
Parle ! Démétrius est-il perdu pour moi ?

HÉLIODORE, désignant Démétrius.

Madame, Pharasmin peut seul vous satisfaire.

STRATONICE, avec horreur.
(Allant vers Démétrius.)

Pharasmin ?… Vil bourreau de mon malheureux frère !
Viens-tu de mon époux m’annoncer le trépas ?

(Démétrius hésite à répondre.)

Réponds, cruel !… Réponds ! et ne m’abuse pas !

DÉMÉTRIUS.

À la reine je viens, pour lui prouver mon zèle,
Du crime des Romains confirmer la nouvelle.

STRATONICE.

Du crime des Romains ? Ta bouche devant moi
Ose les accuser du meurtre de mon roi ?
Tu fus son assassin ; et voilà ton complice !

(Elle désigne Héliodore.)
DÉMÉTRIUS.

D’une aveugle fureur j’excuse l’injustice.
J’ai dit la vérité. Croyez que Pharasmin
Dans le sang d’un proscrit n’a point trempé sa main.

Rome seule a tout fait. Votre douleur extrême
Attaque Héliodore et la reine et moi-même.
Épargnez-moi, madame, un soupçon offensant ;
Et ne m’accusez pas quand je suis innocent.

STRATONICE.

Innocent ! Toi ?

HÉLIODORE.

Innocent ! Toi ? Seigneur, réprimez son audace.
C’est de vous que dépend son supplice ou sa grâce !

(Il sort avec les gardes.)

Scène V.

STRATONICE, DÉMÉTRIUS.
DÉMÉTRIUS, arrêtant Stratonice qui le fuit.

Madame !

STRATONICE.

Madame ! Téméraire ! Oses-tu m’arrêter ?
Laisse-moi !

DÉMÉTRIUS.

Laisse-moi ! Demeurez, et daignez m’écouter !

STRATONICE.

Va ! je sais quel motif en ce palais t’amène.
Tu viens exécuter les ordres de la reine.
Frappe donc !

DÉMÉTRIUS.

Frappe donc ! Stratonice !

STRATONICE.

Frappe donc ! Stratonice ! Ah ! tu me fais horreur !

DÉMÉTRIUS.

Ne me repoussez pas ! Sortez de votre erreur,
Stratonice !

STRATONICE.

Stratonice ! Je vois ta main ensanglantée !
Fuis, infâme assassin ! Mon âme épouvantée
S’indigne à ton aspect et frémit à ta voix !

DÉMÉTRIUS.

Ah ! daignez commander au trouble où je vous vois.
Les momens me sont chers ; dissipez vos alarmes.
Vous pleurez votre époux ? Il vient sécher vos larmes !

STRATONICE.

Mon époux ! que dis-tu ? ce prince infortuné
Dans les prisons de Rome est mort assassiné !

DÉMÉTRIUS.

Il ne l’est pas.

STRATONICE.

Il ne l’est pas. Qu’entends-je ?

DÉMÉTRIUS.

Il ne l’est pas. Qu’entends-je ? Il respire ! il vous aime.
Seul, fugitif, cédant à son amour extrême,
Il a pour vous sauver, inconnu sur ces bords,
Bravé mille dangers, affronté mille morts.
Par miracle échappé des rivages du Tibre,
Après quinze ans de fers, Stratonice, il est libre !

STRATONICE.

Tu ne m’abuses pas ? il est libre ? grands Dieux !
Parle : où puis-je le voir ?

DÉMÉTRIUS.

Parle : où puis-je le voir ? Il est devant tes yeux !

STRATONICE, avec un cri.

Démétrius !!!

(Elle se jette dans ses bras.)
DÉMÉTRIUS.

Démétrius !!! Tais-toi ! tremble, épouse trop chère !
Nous sommes entourés des bourreaux de mon père !

STRATONICE.

Oses-tu seul ici braver un tel danger ?

DÉMÉTRIUS.

J’ai voulu te revoir avant de te venger.
Moi craindre ? sous le nom d’un Sarmate, d’un traître,
Tes yeux m’ont méconnu ; qui peut me reconnaître ?…
Parle-moi de ton père !

STRATONICE.

Parle-moi de ton père ! Au trépas destiné,
À des fers éternels il gémit condamné.
Il est perdu pour moi !

DÉMÉTRIUS.

Il est perdu pour moi ! Je saurai te le rendre !

STRATONICE.

Malheureux ! tu te perds si tu l’oses défendre !…
Ah ! moi-même je crains qu’un seul mot indiscret…

DÉMÉTRIUS.

Si tu veux mon salut, respecte mon secret !
Tremble de soulever le voile qui me couvre !
Au plus léger soupçon vois ma tombe qui s’ouvre !
Songe que ton époux n’existe que pour toi.
Songe qu’en ce palais tu ne dois voir en moi
Qu’un lâche meurtrier, que l’objet de ta haine,
Que le vil instrument des fureurs de la reine.

STRATONICE, regardant au fond.

Vers nous elle s’avance !

(Ils se séparent ; Stratonice affecte la douleur.)

Scène VI.

STRATONICE, LAODICE, DÉMÉTRIUS, gardes.
LAODICE, en entrant, et allant à Démétrius.

Vers nous elle s’avance ! Est-ce vous, Pharasmin ?
Un dieu, pour affermir le sceptre de ma main,
Jusque dans mon palais a daigné vous conduire !
Du succès de vos soins hâtez-vous de m’instruire…

(Démétrius se sait, et montre Stratonice à la reine, qui ne la voyait pas.)

Madame !… Vous pleurez ? laissez couler vos pleurs ;
Loin de les condamner, j’approuve vos douleurs.

STRATONICE.

Penses-tu m’abuser par de vaines paroles ?

LAODICE.

Je plains Démétrius.

STRATONICE.

Je plains Démétrius. Ah ! c’est toi qui l’immoles !

(Désignant Démétrius.)

Ce traître, par ton ordre, a seul trempé ses mains…

LAODICE, l’interrompant.

Madame !…

DÉMÉTRIUS, à Stratonice.

Madame !… De sa mort accusez les Romains.
À sa haine pour lui Rome le sacrifie.

LAODICE.
(à Stratonice.)

Rome ?… Vous l’entendez ? ce mot me justifie.

Enfin, dans vos soupçons, vous allez m’épargner,
Madame ! et sur mon peuple heureuse de régner,
Unie avec un prince, héritier de ma gloire,
D’un proscrit qui n’est plus vous perdrez la mémoire ?

STRATONICE.

Ce proscrit a reçu mes sermens et ma foi ;
Immolé par ta rage, il vit toujours pour moi !
Si, jaloux de me rendre à tes lois plus docile,
Pharasmin n’a tenté qu’un effort inutile ;
N’accuse point son zèle ; accuses-en l’horreur
Qu’un exécrable hymen jette encor dans mon cœur.
Devais-tu te flatter de fléchir Stratonice,
Barbare ! en empruntant la voix de ton complice ?

(Elle désigne Démétrius.)
LAODICE.

Mon complice ?

STRATONICE.

Mon complice ? Oui : je sais qu’à Rome Pharasmin
Du sang de mon époux a dû rougir sa main ;
Je sais que, pour servir ta haine, ta colère,
Dans les murs d’Ecbatane il égorgea mon frère ;
Je sais que par ton ordre il revient empressé
De recevoir le prix du sang qu’il a versé.
Jouis de ses forfaits, récompense sa rage ;
Mais ne me parle plus d’un hymen qui m’outrage.
Garde un sceptre à jamais par toi déshonoré.
Je subirai le sort d’un époux adoré.
Au temple avec ton fils en vain ta voix m’appelle ;
À mes premiers sermens je resterai fidelle.
Le seul vœu que je fais est de pouvoir encor
Essuyer dans les fers les pleurs de Nicanor.
Ne me sépare plus de mon malheureux père ;
Souffre que près de lui je vive prisonnière.

Choisis pour notre exil les plus affreux climats :
Je bénirai mon sort ; je ne t’y verrai pas.

(Elle sort.)

Scène VII.

LAODICE, DÉMÉTRIUS, gardes.
LAODICE.

Tes vœux seront remplis, perfide Stratonice !
Ma bouche aurait soudain ordonné ton supplice,
Si ma juste fureur ne respectait en toi
Le vœu de mes sujets et la nièce du roi !

DÉMÉTRIUS.

Au rang de ses aïeux quand votre choix l’appelle,
Se montrer insensible à vos bontés pour elle ;
Refuser à la fois le trône et votre fils,
Reine !

LAODICE.

Reine ! De ses refus sa mort sera le prix…

(Se reprenant.)

Le brave Pharasmin, aux murs du Capitole,
Heureux de me venger, a tenu sa parole ?

DÉMÉTRIUS.

Oui, reine !

LAODICE.

Oui, reine ! Du consul vous rapportez l’écrit,
Infaillible garant de la mort du proscrit ?

DÉMÉTRIUS.

Lisez.

(Il présente à la reine un écrit roulé.)
(Elle lit haut.)

« Dans sa prison, au gré de votre envie,
» Le fils de votre époux a terminé sa vie.
» Démétrius est mort de la main d’un licteur.

« Valérius. »
DÉMÉTRIUS.

Reine ! de ce forfait Rome seule est l’auteur.

LAODICE.

Rome seule ? Il suffit, seigneur. Ce mot m’explique
D’un peuple de tyrans la vieille politique.
Je te reconnais, Rome ! En immolant un roi,
Tu n’as vu que toi-même, et n’as rien fait pour moi.
Après avoir quinze ans élevé ton otage,
Toi-même avec plaisir tu détruis ton ouvrage.
Tu craignais de le voir, libre, victorieux,
Régner et s’affranchir d’un tribut odieux.
Tu braves ma puissance, et tu te crois certaine
De briser à ton gré le sceptre d’une reine ;
Mais, avant qu’à ton joug mon peuple soit soumis,
Je mourrai sur mon trône en défendant mon fils !

DÉMÉTRIUS.

Reine ! vous redoutez l’ambition de Rome ?

LAODICE.

Oui : je ne compte plus sur l’appui du seul homme
Qui vainquit les Romains, qui peut les vaincre encor :
Il est aux fers.

DÉMÉTRIUS.

Il est aux fers. Son nom ?

LAODICE.

Il est aux fers. Son nom ? Nicanor.

DÉMÉTRIUS.

Il est aux fers. Son nom ? Nicanor. Nicanor ?

LAODICE.

Lui-même ! ignorez-vous le crime de ce traître ?

DÉMÉTRIUS, froidement.

Banni depuis vingt ans, je ne le puis connaître,
Reine ! en songeant à lui, vous avez consulté
L’intérêt de l’état et votre sûreté.
De mon roi seulement je sais qu’il est le frère ;
Que le peuple le plaint, le chérit, le révère ;
Qu’il est infortuné… Terminez ses malheurs.
Fléchissez son audace en essuyant ses pleurs.
Il fut de nos guerriers l’amour et le modèle.
Envers lui soyez juste : il vous sera fidèle.
Daignez nous accorder un moment d’entretien ;
Son zèle à vous servir égalera le mien !

LAODICE.

Son zèle ? Il fut toujours l’ennemi de sa reine.
Le temps qui détruit tout n’a pu fléchir sa haine.
Ce que vous promettez passe votre pouvoir.

DÉMÉTRIUS.

Souffrez que je lui parle ; il fera son devoir.

LAODICE.

Son devoir ?

DÉMÉTRIUS.

Son devoir ? Il sera tel que je le désire.
Il défendra le trône ; il sauvera l’empire.

LAODICE.

Touchée, ainsi que vous, des maux qu’il a soufferts,
J’avais jusqu’à ce jour craint de briser ses fers.

Avec Démétrius il fut d’intelligence.
La mort d’un ennemi suffit à ma vengeance.
Parlez à Nicanor… Ma juste inimitié,
Grâce à vous, dans mon cœur, fait place à la pitié.
Mais de cet entretien, accordé pour vous plaire,
Va dépendre le sort de la fille et du père.

DÉMÉTRIUS.

J’en donne ici ma foi. En ce jour solennel,
Nicanor conduira Stratonice à l’autel !


Scène VIII.

HÉLIODORE, LAODICE, DÉMÉTRIUS, gardes.
HÉLIODORE, accourant.

À cet hymen fatal gardez-vous de souscrire :
Craignez Antiochus ; contre vous il conspire !

LAODICE.

Mon fils ! il mit toujours sa gloire à m’obéir.
Non ! je connais son cœur ; il ne peut me trahir.
Vous l’accusez d’un crime ? il en est incapable.

HÉLIODORE.

J’ai peine, ainsi que vous, à le croire coupable.
Mais tantôt de son frère il déplorait le sort,
Il osait à vous-même attribuer sa mort.

LAODICE.

Il est vrai ! quoi ? ce fils, dont j’admirais le zèle,
Séduit par Stratonice, est-il enfin rebelle ?
Prétend-il arracher le sceptre de ma main ?
La nature pour lui me parlerait en vain,
Si sa témérité provoquait ma vengeance.

Je le veux éprouver !… Seul, qu’il vienne !

HÉLIODORE.

Je le veux éprouver !… Seul, qu’il vienne ! Il s’avance.

LAODICE, à Héliodore.
(à Démétrius.)

Assemblez le conseil. Demeurez près de nous !
Avant la fin du jour, j’aurai besoin de vous !

(Démétrius, à part, frémit d’horreur.)
(Démétrius sort avec Héliodore ; Antiochus entre.)

Scène IX.

ANTIOCHUS, LAODICE, gardes.
LAODICE.

Et vous, prince ! approchez : contre moi l’on conspire.
Las de voir dans mes mains les rênes de l’empire,
Au nom d’un factieux mon peuple s’est armé.
Je cherchais le coupable, et l’on vous a nommé !

ANTIOCHUS.

Qui ? moi, madame ?

LAODICE.

Qui ? moi, madame ? Vous !… oui : pour venger son frère,
On dit qu’Antiochus ose trahir sa mère.

ANTIOCHUS.

Moi, vous trahir ?

LAODICE.

Moi, vous trahir ? Je sais que vous ajoutez foi
Aux bruits injurieux que l’on répand sur moi.
La couronne, mon fils, dut vous être ravie ;
J’ai su vous la garder et sauver votre vie :

Voilà ce que j’ai fait. Pouvais-je soupçonner
Qu’un rebelle, un ingrat voulût me détrôner,
Le jour où ma tendresse, à ses désirs propice,
Daignant briser pour lui les fers de Stratonice,
Annonce que je veux, écoutant mon devoir,
En faveur de mon fils abdiquer son pouvoir ?

ANTIOCHUS.

J’ai peine à revenir de ma surprise extrême.
Qui, vous, reine ! abdiquer pour moi le rang suprême ?
De votre autorité je ne suis point jaloux :
Je dois borner ma gloire à combattre pour vous.

LAODICE.

Vous ne me dites point qu’une foule égarée,
À la rébellion sourdement préparée,
S’avance vers ces murs, et, marchant contre moi,
Jusque dans mon palais vient proclamer un roi.
Votre frère n’est plus : c’est vous seul que j’accuse.
Oui, vous seul !… Pensez-vous qu’un faux zèle m’abuse ?
Traître ! de mes bontés perdant le souvenir,
Vous briguez mon pouvoir ; je devrais vous punir.
Pour vous sauver un crime, acceptez ma couronne.
Sujet, vous l’usurpiez ; reine, je vous la donne.

ANTIOCHUS.

Instruit que contre vous le peuple osait s’armer,
Madame, j’accourais pour vous en informer.
J’ai rempli mon devoir. Aurais-je dû m’attendre
À vous voir m’accuser, quand je viens vous défendre ?

(Laodice cesse de le regarder.)

Vous détournez les yeux… ah ! ne repoussez pas
Un fidèle sujet qui vous offre son bras !
Oui : je sais que le peuple, aveugle en son délire,
Quand mon frère n’est plus, veut lui rendre l’empire.

Et de cette entreprise on me nomme l’auteur !
Reine ! avez-vous pu croire à ce bruit imposteur ?
Moi, renverser du trône une mère que j’aime !
Moi, de son front auguste ôter le diadème !
Périsse le mortel aux forfaits aguerri,
Qui, prompt à déchirer le sein qui l’a nourri,
Du remords dans son âme étouffant le murmure,
À la soif de régner immole la nature !
Lorsque la voix d’un peuple irrité contre vous
Semble des dieux vengeurs annoncer le courroux,
Je puis les implorer et m’offrir pour victime.
Votre fils, étranger à la révolte, au crime,
Calomnié par vous, fait le vœu solennel
D’être à jamais soumis au pouvoir maternel.
Écartez de votre âme un doute qui m’offense.
Bannissez vos soupçons, gardez votre puissance.
Je demeure sujet ! le vain titre de roi,
Offert par la contrainte, est indigne de moi !

(Il sort.)

Scène X.

LAODICE, seule.

Sa vertu me confond ; son dévoûment m’étonne.
Renoncer à ses droits ! refuser ma couronne !
Ce refus est garant de sa fidélité.
Un rebelle n’a point tant de sécurité.
Mon fils est innocent !… Quel est donc le coupable ?
Il s’enveloppe en vain d’un voile impénétrable !
Allons ! que le conseil, éclairant mon courroux,
Me marque la victime, et dirige mes coups !

fin du second acte.