Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/30

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 237-239).


CHAPITRE XXX

QUELQUES AUTRES AVIS TOUCHANT LE PARLER


Que votre langage soit doux, franc, sincère, rond, naïf et fidèle. Gardez-vous des duplicités, artifices et feintises ; bien qu’il ne soit pas bon de dire toujours toutes sortes de vérités, si n’est-il jamais permis de contrevenir à la vérité. Accoutumez-vous à ne jamais mentir à votre escient, ni par excuse ni autrement, vous ressouvenant que Dieu est le Dieu de vérité. Si vous en dites par mégarde et vous pouvez les corriger sur le champ par quelque explication ou réparation, corrigez-les : une excuse véritable a bien plus de grâce et de force pour excuser, que le mensonge.

Bien que quelquefois on puisse discrètement et prudemment déguiser et couvrir la vérité par quelque artifice de parole, si ne faut-il pas pratiquer cela sinon en chose d’importance, quand la gloire et service de Dieu requièrent manifestement : hors de là, les artifices sont dangereux, car, comme dit la sacrée Parole, le Saint Esprit n’habite point en un esprit feint et double. Il n’y a nulle si bonne et désirable finesse, que la simplicité, Les prudences mondaines et artifices charnels appartiennent aux enfants de ce siècle ; mais les enfants de Dieu cheminent sans détour, et ont le cœur sans replis. « Qui chemine simplement, dit le Sage, il chemine confidemment ». Le mensonge, la duplicité, la simulation témoignent toujours un esprit faible et vil.

Saint Augustin avait dit au quatrième livre de ses Confessions, que son âme et celle de son ami n’étaient qu’une seule âme, et que cette vie lui était en horreur après le trépas de son ami, parce qu’il ne voulait pas vivre à moitié, et que aussi pour cela même il craignait à l’aventure de mourir, afin que son ami ne mourût du tout. Ces paroles lui semblèrent par après trop artificieuses et affectées, si qu’il les révoque au livre de ses Rétractations, et les appelle une ineptie. Voyez-vous, chère Philothée, combien cette sainte belle âme est douillette au sentiment de l’afféterie des paroles ? Certes, c’est un grand ornement de la vie chrétienne que la fidélité, rondeur et sincérité du langage « J’ai dit, je prendrai garde à mes voies, pour ne point pécher en ma langue…… Eh ! Seigneur, mettez des gardes à ma bouche et une porte qui ferme mes lèvres », disait David.

C’est un avis du roi saint Louis, de ne point dédire personne, sinon qu’il y eût péché ou grand dommage à consentir : c’est afin d’éviter toutes contestes et disputes. Or, quand il importe de contredire à quelqu’un, et d’opposer son opinion à celle d’un autre, il faut user de grande douceur et dextérité, sans vouloir violenter l’esprit d’autrui ; car aussi bien ne gagne-t-on rien, prenant les choses âprement. Le parler peu, tant recommandé par les anciens sages, ne s’entend pas qu’il faille dire peu de paroles, mais de n’en dire pas beaucoup d’inutiles ; car en matière de parler, on ne regarde pas à la quantité, mais à la qualité. Et me semble qu’il faut fuir les deux extrémités : car de faire trop l’entendu et le sévère, refusant de contribuer aux devis familiers qui se font ès conversations, il semble qu’il y ait ou manquement de confiance, ou quelque sorte de dédain ; de babiller aussi et cajoler toujours, sans donner ni loisir ni commodité aux autres de parler à souhait, cela tient de l’éventé et du léger.

Saint Louis ne trouvait pas bon qu’étant en compagnie l’on parlât en secret et en conseil, et particulièrement à table, afin que l’on ne donnât soupçon, que l’on parlât des autres en mal : « Celui, disait-il, qui est à table en bonne compagnie, qui a à dire quelque chose joyeuse et plaisante, la doit dire que tout le monde l’entende ; si c’est chose d’importance, on la doit taire sans en parler ».